64_page #23 NOIR & BLANC – N° en prévente : www.64page.com/

Elles nous tirent les couvertures !

Sara GRÉSELLE et Élodie ADELLE

Elles ont réalisé la double couverture du 64_page NOIR et BLANC

64_page : La rédaction de 64_page vous a proposé de travailler ensemble sur ce projet de double couverture. Quelle relation existait, à ce moment, entre vous ? Vous connaissiez-vous ?

Sara : Quand on m’a proposé cette collaboration avec Élodie, je ne connaissais pas son travail. J’ai découvert par la suite ses dessins, notamment ses portraits en noir et blanc sur Instagram.

Élodie : On ne se connaissait pas au début. J’ai découvert sa page Instagram et puis je me suis rendu compte que j’avais déjà vu son album Bastien, ours de la nuit dans les librairies.

64 : Comment avez-vous construit votre relation de travail et conçu ce projet commun ? Comment avez-vous défini le sujet ? La technique ?

Sara : Je me rappelle avoir lancé quelques idées à Élodie, dont une qui nous a mises tout de suite d’accord.Le noir et blanc se prêtent bien à l’étrangeté, au mystère. L’intention première était que le fantastique puisse surgir dans des espaces quotidiens. J’ai envoyé à Élodie une référence que j’aimais bien pour l’atmosphère, un dessin de Nicolas de Crécy en noir et blanc.J’ai été fort marquée par un lieu dans lequel j’ai fait une résidence il y a plus d’un an. Un ancien pavillon de chasse, sorte de château, au milieu d’une forêt. L’immense escalier de l’entrée ainsi que des têtes d’animaux plein les murs m’ont inspiré. J’ai pris des photos de cet endroit et fait quelques planches au sujet d’une histoire d’amour adultère entre une femme mariée à un chasseur et sa passion secrète pour un homme à la tête de renard. Ce projet est resté en friche…Mais l’image du hall d’entrée n’a pas vraiment quitté mon esprit. J’avais envie de l’exploiter pour la couverture, en sachant qu’il fallait trouver à deux une petite narration et une cohérence visuelle. En partant sur l’idée que le fantôme d’un renard hante un lieu, je trouvais très chouette la proposition d’Élodie de dessiner un autre espace du château dans lequel on retrouve cet animal.Nous ne nous sommes pas imposées de technique particulière et j’ai aimé cette liberté. Je savais que mon illustration serait entièrement au crayon noir. J’ai découvert l’image d’Élodie qui, si je ne me trompe pas, s’appuie sur une technique numérique.

Élodie : On a eu notre premier contact par e-mail. Avant cela, je commençais déjà à réfléchir de mon côté sur les idées que je pouvais avoir concernant le noir et blanc. J’aimais bien l’idée de la vieille photo, les portraits d’avant en noir et blanc. Puis Sara a pris contact avec moi et m’a donné son point de vue sur la création de la couverture. Elle m’a montré quelques photos et j’ai directement suivi cette idée, j’aimais bien l’idée du lieu sombre, le hall. Ce que je voulais absolument, c’était faire des portraits. Puis Sara m’a montré son projet de couverture, et de là j’ai gardé le fil conducteur du renard pour ma partie. Pour la technique je suis restée avec le crayon et le stylo noir. Ce n’est qu’une fois terminé que je l’ai foncé sur Photoshop pour être en cohérence le plus possible avec le noir et blanc, le côté mystérieux et ajouter un brin de magie.

64 : Qu’est-ce que cette collaboration vous a appris ? Qu’avez-vous découvert dans ce travail commun ? Que retirez-vous de cette expérience ?

Élodie : Il y a bien longtemps que je n’avais pas travaillé en collaboration avec quelqu’un. On a été assez complémentaires, on s’est directement bien entendues sur ce que l’on voulait faire. Dès le départ, tout s’est bien passé.

  1. J’ai aimé cette complémentarité avec laquelle nous avons travaillée. Élodie est venue avec des propositions de portraits. Cela tombait bien car moi je n’aime pas du tout dessiner les visages de manière réaliste, je trouve cela très dur. J’ai l’impression que chacune a pu mettre en avant ce qu’elle savait faire de mieux !

64 : Sara et Élodie se posent l’une l’autre une dernière question … Et elles y répondent, bien sûr !

Élodie : Ma question est : qu’est-ce qui t’inspire le plus pour tes idées d’illustrations et/ou histoires ?

  1. Lorsque j’illustre, je m’inspire de la vie autour de moi. J’ai l’habitude de faire des photos, des repérages de lieux et d’ambiances. Je pose ou fais poser mes proches pour avoir la bonne attitude d’un personnage.Je trouve que l’imagination est parfois « traître » surtout quand on décide de dessiner quelque chose qu’on n’a jamais dessiné et qui nous est peu familier. Par exemple, pour mon prochain album Ismolène et Chipolata(en collaboration avec Ludovic Flamant), il y a une voiture Ford Thunderbird tout au long de l’histoire… Je me suis rendu compte que c’était difficile de dessiner une voiture sous tous ses angles ! Alors, la photo aide à comprendre comment les choses sont construites… Après, le travail est de réinventer par le dessin et l’énergie du trait ce que le cerveau a « digéré » de la photo.

 

Sara : Quelles sont tes prochaines envies de dessin ?

Élodie :Mes prochaines envies de dessin sont très diverses. Il y a un moment où je suis plongée dans une histoire pour enfants, puis dans les prochains jours, je fais des dessins de pin-up ou juste des dessins au trait. Il y a tellement de possibilités quand on dessine que tout est possible, du coup, il m’arrive de partir dans tous les sens. Quand c’est le cas, je commence beaucoup de choses que je laisse de côté au bout d’un moment. Je reviens dessus après quelque temps.

 

Pour en savoir plus :

Élodie Adelle et Sara Gréselle

Élodie à gauche, et Sara à droite, ont en commun d’être françaises et de s’être installées à Bruxelles. Ce qui semble leur réussir puisque, outres leurs publications dans 64_page, elles ont édité des albums. Le bonnet vert en littérature jeunesse et en solo aux éditions Atramenta pour Élodie. Pour Sara, Princesse Bryone chez Esperluètes, Roquet’roll (éditions Fédération Wallonie Bruxelles), Les souvenirs et les regrets aussi (Esperluètes), Bastien ours de la nuit (avec Ludovic Flamant chez Versant Sud).

Pour découvrir les travaux d’Élodie et Sara : 
www.instagram.com/elodieadelle, https://saragreselle.ultra-book.com/.





Aurélie VAN DER PERRE – Crépuscule

Interview Philippe Decloux

Aurélie VAN DER PERRE

Après de trop longues années loin des pastels et des crayons, à m’occuper de ma famille et de ma carrière juridique, j’ai décidé de replonger quelques heures par semaine dans les arts. Le champ de création pluridisciplinaire du récit graphique m’enchante. Pure liberté.

 

 

64_page : Raconte-nous ton parcours personnel et ton parcours de dessinatrice ?

Aurélie Van der Perre : Enfant, je dessinais tout le temps, j’imaginais des histoires et tentais de les illustrer. Adolescente, j’ai suivi des cours de dessin (pastel) chez un vieux peintre, ami de la famille. Il n’avait pas d’enfant et je pense qu’il a voulu me transmettre son savoir-faire et surtout sa passion pour les arts (en plus sa femme me préparait des pâtisseries). Pendant mes études, j’ai continué à dessiner, à créer…pendant les heures creuses. J’ai travaillé, j’ai eu deux enfants et je n’ai plus trouvé le temps. J’ai arrêté. Et puis un jour, l’institutrice de ma fille m’a fait savoir à quel point elle la trouvait douée pour le dessin et m’a vivement conseillé de l’inscrire aux beaux-arts. J’étais évidemment très fière de cette probable transmission génétique. Il faut savoir que ma grand-mère peignait également beaucoup. De fil en aiguille, j’ai acquis cette certitude absolue que je devais moi aussi m’inscrire à un cours artistique et renouer avec mes premières vocations. Cela fait maintenant 3 ans que je suis le cours de BD et illustrations à l’académie des beaux-arts de Namur.

© Aurélie VAN DER PERRE – Crépuscule

 

 

 

64_page : Tu as choisi de nous raconter une histoire inspirée d’un fait divers dramatique Comment as-tu eu connaissance de celui-ci ? Qu’est-ce qui t’a motivé à en faire une BD ? Comment as-tu organisé ce récit ?

Aurélie Van der Perre : En 2005, j’ai eu la chance d’être envoyée pour un stage professionnel de l’AWEX au Moyen-Orient et au Maghreb. Pour la seconde fois, je parcourais la Jordanie. Alors que je venais de quitter Amman pour Pétra, la fascinante ville antique, les journaux télévisés ont fait état des attentats qui venaient d’être perpétrés dans la capitale, visant des hôtels internationaux et provoquant un nombre élevé de victimes, en ce compris femmes et enfants. Un mariage jordanien était célébré dans l’un des hôtels cibles. Mis à part cet événement tragique, la Jordanie m’est apparue comme un véritable enchantement naturel, culturel et humain et lorsque l’un des thèmes proposés aux beaux-arts a été « Entre chien et loup », j’ai pensé aux images extraordinaires du désert de Wadi-rum, de Pétra et de la route des Rois. J’ai voulu les représenter. Certains éléments de l’attentat m’ont permis de créer ce court récit. Le passage à Pétra est par contre totalement fictif.

64_page : Ton dessin nous plonge dans un univers que nous connaissons peu ? Tes personnages et tes décors semblent inspirés par tes peintures anciennes, à la fois classique et décalé, explique ce choix ? Il donne une cohérence et un dépaysement, un mystère aussi…Comment travailles-tu ?

Aurélie Van der Perre : Pourquoi est-ce que je dessine de la sorte, d’où vient mon inspiration, mon style ? Il m’est difficile de répondre à ces questions. Il ne s’agit pas véritablement de choix. Disons que je ne prends du réel (faits, documentations, photographies, environnement,…) que ce qui m’intéresse et peut servir mon inspiration. Je ne me limite pas avec des prérequis ou avec des cadres préétablis. Si l’histoire ne correspond pas à la réalité ou si les vêtements, pour ne prendre qu’un exemple, ne sont pas tout à fait conformes au style vestimentaire de l’époque, je ne me formalise pas pour autant que le résultat final soit suffisamment esthétique et cohérent selon mes propres critères de qualité (étant assez perfectionniste, le résultat n’est généralement pas trop loufoque). Pour ce projet par exemple, je voulais éviter les cases afin de m’offrir une plus grande liberté dans le dessin. Il suffisait ensuite de trouver les limites naturelles entre l’un et l’autre dialogues ou textes narratifs. Pour le style, je pense qu’effectivement mes anciennes peintures m’ont donné le goût des zones marquées en noir, en blanc ou en couleur.

64_page : Quels sont tes projets dans l’immédiat et à plus long terme ?

Aurélie Van der Perre : Je projette à court, moyen et à long terme de continuer à me détendre et à profiter du temps imparti pour les arts afin de travailler sur les projets qui se présentent…et qui m’inspirent.

Pour suivre Aurélie www.arnific.be



François JADRAQUE – Stupeur et aboiement

Interview Marianne Pierre

François JADRAQUE

J’ai 63 ans. Je suis graphiste. Dans ma vie estudiantine, je suis passé par Saint-Luc de Bruxelles et un master en arts plastiques. Mon parcours professionnel est à l’image de mon parcours estudiantin. Toujours en mouvement malgré une forte propension à un état contemplatif.

 

 

Marianne Pierre : Il y a un petit côté Tardi dans ton dessin… une référence?

François Jadraque : C’est vrai que Tardi est un auteur de bande dessinée que j’affectionne beaucoup et tout principalement son trait et son style qui collent si bien aux ambiances souvent sombres des univers qu’il aborde.

J’aime comment ses personnages se débattent dans des contextes narratifs et des scénarios toujours de haute volée et très documentés. Oui, Tardi c’est vraiment une belle référence pour moi.

© François JADRAQUE – Stupeur et aboiement

 

Marianne Pierre : Dans la vie tu es graphiste. Que représente la bande dessinée pour toi?

François Jadraque : En fait, je suis un graphiste maintenant à la retraite, mais c’est vrai aussi qu’une grande partie de mon activité professionnelle s’est exercée dans la communication professionnelle proposée et présentée sous la forme de bande dessinée.

La bande dessinée se prête parfaitement à cette pédagogie visuelle.

En ce qui concerne mes intentions bédéistiques, la bande dessinée reste pour moi un moyen expressif incroyable pour raconter, exprimer, représenter, imaginer et proposer de façon unique ce que j’ai envie de dire, de raconter ou même de transmettre.

Ce qui est formidable également dans la bande dessinée, c’est qu’elle permet l’expression et la mise en œuvre de son propre univers graphique, dans une importante liberté créative mais sans toutefois jamais oublier que sa finalité est de rester toujours le plus compréhensible et le plus accessible possible pour les autres parce qu’elle est aussi dédiée aux autres. Le plaisir, comme toute création artistique est double. Le plaisir de créer et le plaisir de savoir qu’il peut être partagé. J’en profite au passage pour remercier 64_page de m’ouvrir cette petite fenêtre de partage.

Marianne Pierre : Bien que j’ai ma petite idée… rat des villes ou rat des champs?

François Jadraque : En fait, un peu les deux en même temps, mon capitaine !

Marianne Pierre : Ton histoire est quasi muette – bien que bruyante! Est-ce que cet « état contemplatif » comme tu dis est habituel dans ta narration ?

François Jadraque : Je dois préciser que l’état contemplatif chez moi précède toute réflexion et toute action. J’aime observer l’environnement dans lequel je me trouve tout en essayant de capter naturellement les ondes qui émanent de celui-ci. Ça me fait pas mal de données à assimiler avec, selon ce que je perçois, une forte tendance à hurler mon dépit ou au contraire à crier ma satisfaction. Le cri est toujours embusqué pas très loin dans mon expression et comme je suis une personne à la fois bien élevée et à la fois introvertie, je temporise avant de l’exprimer ou de l’expulser…

J’ai trouvé intéressant dans cette histoire de mettre en avant l’omniprésence du son et du vacarme sans que ne se profile la moindre amorce de réponse audible à ces nuisances.

Marianne Pierre : Le noir et blanc a-t-il été une vraie contrainte?

François Jadraque : L’emploi du noir et du blanc peut s’avérer être une contrainte un peu casse-gueule tant il est difficile de bien le maîtriser et de bien le doser. Personnellement ce n’est pas une technique dans laquelle je me sens particulièrement à l’aise car j’ai tendance à un peu trop forcer sur le noir et de sombrer trop souvent dans un mauvais choix d’équilibre entre le blanc et le noir. Ce n’est pas évident de bien définir d’où provient la lumière et donc de bien savoir vraiment comment en signifier ses ombres. Je le fais de façon aléatoire. Bref, rendre crédible le contraste entre le noir et le blanc dans des ambiances qui se déroulent en plein jour sans que personne n’imagine qu’elles se déroulent la nuit, n’est pas donné à tout le monde.

Pour autant, j’aime beaucoup la force que donne le noir et blanc et le clair-obscur en bande dessinée.

Instagram : jadraque9


Caterina SCARAMELLINI / KIKA – Jeux d’ombres

Interview Gérald Hanotiaux

Kika / Caterina

 

SCARAMELLININée le même jour qu’Edgar Allan Poe, le destin a voulu que je

m’appelle presque comme son chat préféré, Cattarina. Comme

l’écrivain américain, j’aime avant tout raconter des histoires.

Je suis illustratrice, autrice de bande dessinée et, depuis quelque

mois, story artist pour l’animation.

Le numéro 23 de la revue 64_page nous arrivera prochainement. Nous partons aujourd’hui à la rencontre de Kika – pseudonyme de Caterina Scaramellini – qui propose dans ce numéro une histoire en six pages, au titre plutôt pertinent pour un spécial noir et blanc : Jeux d’ombres.

 

Gérald Hanotiaux : Pourrais-tu te présenter en quelques mots aux lecteurs de 64_page ?

Kika : Née le même jour qu’ Edgar Allan Poe, le destin a voulu que je m’appelle presque comme son chat préféré, Cattarina. Comme l’écrivain américain, j’aime avant tout raconter des histoires. Je suis illustratrice, autrice de bande dessinée et depuis quelque mois story artist pour l’animation.

© Caterina SCARAMELLINI / Kika – Jeux d’ombres

 

Gérald Hanotiaux : Puisque tu portes ces trois casquettes, comment décrirais-tu les caractéristiques communes à ces trois disciplines, et leurs principales différences ?

Kika : Le lien principal entre illustration, bande dessinée et storyboard pour l’animation est de raconter une histoire. Les moyens sont différents, mais le but est le même. La différence principale est que dans le storyboard on peut dessiner plus vite, pour transmettre une idée fonctionnelle à la narration, c’est plus instinctif et libérateur. Par contre dans la bande dessinée et l’illustration il est nécessaire de fournir une belle histoire et un dessin soigné. Ces trois disciplines ont leurs propres codes et règles, mais elles visent toutes à « divertir », dans le sens latin du terme.

Gérald Hanotiaux : Pour allécher le lecteur, comment décrirais-tu l’histoire que tu proposes dans ce numéro de 64_page ?

Kika : Jeu d’ombres est, comme son titre l’indique, une histoire de lumières et d’ombres, un lieu presque imaginaire où on ne peut réellement identifier le coupable et l’innocent. Il s’agit également d’une référence à la dualité, la « lumière » et « l’ombre » qui cohabitent dans l’être humain. Mon histoire est un thriller psychologique, et se déroule vingt ans après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Ses personnages principaux sont des animaux anthropomorphiques avec des histoires de vie très différentes. Un jour le détestable Hans est trouvé assassiné. Qui est le coupable ?

Gérald Hanotiaux : Tu y joues particulièrement habilement des contrastes et des pénombres… Travailles-tu souvent en noir et blanc ?

Kika : Je travaille principalement en couleur ou en échelle de gris, en apportant une attention particulière aux ombres et lumières. Mais j’aime également beaucoup travailler en noir et blanc, car il est nécessaire de garder seulement les éléments indispensables à la narration. C’est un peu comme l’art japonais, où l’on utilise seulement l’essentiel pour transmettre des émotions. En noir et blanc on ne peut pas « tromper » l’œil du lecteur, c’est un dessin plus « nu ».

Gérald Hanotiaux : Quels seraient, selon toi, les maîtres du noir et blanc en bande dessinée ?

Kika : Il y en a beaucoup, mais si je dois mentionner les principaux, je pense instantanément à Dino Battaglia et à Sergio Toppi, qui m’ont beaucoup inspiré pendant mes années d’études.

Gérald Hanotiaux : Quelle a été ta formation artistique ? Penses-tu que le passage par une école soit indispensable ? Personnellement, qu’est-ce ça t’a apporté ?

Kika : A 23 ans j’ai fréquenté pour trois ans la « Scuola del Fumetto » de Milan, où j’ai étudié bande dessinée, illustration et animation. Cette expérience m’a apporté une méthode pour étudier et surmonter les problématiques liées au dessin, et j’ai pu vivre chaque jour avec d’autres étudiants ayant la même passion. En complément, je me suis professionnalisée en fréquentant des ateliers après l’école, et je continue aujourd’hui ! Je crois qu’étudier dans une école n’est pas si indispensable, cela dépend de l’école et du niveau artistique personnel, mais travailler avec des professionnels est indispensable.

Gérald Hanotiaux : Comment en es-tu arrivée à proposer une histoire dans 64_page ? Quel est son rôle selon toi, dans un contexte où la plupart des revues de prépublication ont disparu ?

Kika : Un ami scénariste m’en a parlé, et j’ai immédiatement aimé la philosophie de la revue. Je crois qu’une revue comme 64_page sert à créer des liens entre artistes, et à montrer et faire comprendre toutes les façons de réaliser une bande dessinée. C’est enrichissant pour les auteurs-autrices, pour voir d’autres styles de narration et de dessin et, bien entendu, si on n’a jamais publié on peut alors avoir des feedbacks professionnels. Une revue comme 64_page est importante pour ceux et celles qui y participent, mais aussi pour les lecteurs-lectrices qui peuvent découvrir des belles histoires qui autrement pourraient ne jamais être publiées.

Gérald Hanotiaux : Comment décrirais-tu le contexte de la bande dessinée aujourd’hui, que beaucoup décrivent comme « surchargé »…?

Kika : Oui, le contexte est en effet « surchargé ». Je lis beaucoup, et c’est de plus en plus difficile de trouver des histoires vraiment intéressantes. J’ai l’impression que l’importance du beau dessin fait parfois oublier l’importance narrative de la bande dessinée. J’ai eu beaucoup de désillusions en lisant certaines œuvres, car pour moi l’élément principal d’une bande dessinée doit être la narration. Il y a toujours des œuvres excellentes, bien sûr, mais il faudrait faire plus attention à la qualité, plutôt qu’à la quantité.

Gérald Hanotiaux : Tu as évoqué Battaglia et Toppi, d’autres dessinateurs et dessinatrices sont-ils à l’origine de ta vocation de dessinatrice ?

Kika : Ma passion pour le dessin a commencé quand j’étais vraiment petite, lorsque je regardais les dessins animés de Disney, en particulier le long-métrage La Belle au Bois Dormant, ou encore des séries comme Sailor Moon. Par contre, les premiers auteurs à m’avoir passionnée en bande dessinée sont Uderzo et Goscinny avec Astérix. Je peux également citer le moment précis où j’ai décidé de faire de la bande dessinée : j’avais neuf ou dix ans et, pendant un voyage en France, je suis tombée sur la couverture du tome 3 de la BD « Green Manor » de Bodart et Vehlmann. Suite à ce choc fondateur, et ce durant des années, la liste des auteurs-autrices et dessinateurs-dessinatrices qui m’ont inspiré est devenue très longue ! Mary Blair, Hugo Pratt, Morris, Cyril Pedrosa, Cyril Bonin, Enrique Fernandez, Claire Wendling… Et bien d’autres.

Gérald Hanotiaux : Quels sont tes projets actuels en bande dessinée ?

Kika : Actuellement je travaille à un projet personnel avec une scénariste, pour une maison d’édition française. Et dans mon temps libre je prépare un autre projet, comme autrice complète, que je proposerai aux maisons d’édition.

Gérald Hanotiaux : Voudrais-tu ajouter un mot de la fin ?

Kika : Je remercie beaucoup toute l’équipe de 64_page pour son travail, pour la gentillesse de ses membres et pour leur grand professionnalisme. Vive la BD !

Merci Kika !

Vous pouvez découvrir le travail de Kika sur internet, à ces adresses :

kmera.myportfolio.com / Instagram : kika_caterina.scaramellini






Chloé SLEILATI – Head first

Interview Angela Verdejo

Chloé SLEILATI

Je suis une illustratrice et auteure BD de nationalité franco-libanaise. Formée à l’Académie libanaise des Beaux-Arts, je m’inspire principalement de la faune et la flore à travers de multiples randonnées et voyages.






64_page : Bonjour Chloé, tu fais partie des jeunes auteur.e.s sélectionné.e.s pour le spécial noir et blanc de 64_page qui paraîtra en septembre pour la Fête de la BD de Bruxelles et qui sera ensuite présent au premier festival « Beyrouth Livres » au Liban, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs.trices pour commencer cet entretien ?

Chloé Sleilati : Bonjour ! Je m’appelle Chloé, je suis illustratrice et jeune auteure de BD franco-libanaise. Je m’inspire principalement de la faune et la flore à travers de nombreuses randonnées dans mon petit pays.

Je me suis spécialisée en illustration et bande dessinée à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts, acquérant une licence en 2019 et un master en 2021.

© Chloé SLEILATI – Head First

 

Je travaille en free-lance depuis plusieurs années déjà, ayant commencé à répondre à des offres professionnelles avant la fin de mes études.

Pour moi, dessiner est un moment de détente où je me concentre, je plonge dans mes illustrations/histoires et où j’oublie, le temps d’un instant, toutes les crises et les problèmes par lesquels on passe.

64_page : Pour revenir à ce numéro spécial noir et blanc, pourquoi, selon toi, dessiner en noir et blanc ?

Chloé Sleilati : Le travail en noir et blanc est plus rapide et me permet de mieux me concentrer sur les jeux d’ombres et de lumières. Quand je travaille en couleur, je suis souvent trop prise par les palettes, les mélanges, les teintes…

Il me permet donc de créer des contrastes plus forts, mais aussi d’aller droit au but, sans que le spectateur soit distrait par les couleurs.

64_page : Le noir et blanc ou le blanc et noir ? Qu’exprime-t-on à travers ces couleurs ? Est-ce que ce sont des couleurs et donc à traiter comme des couleurs ? Que peut-on faire en noir et blanc qu’on ne pourrait pas faire en couleurs et vice versa ?

Chloé Sleilati : Je trouve une sobriété dans le noir et blanc, un aspect pur et direct.

Je travaille tout de même la plupart du temps en couleur. Elle me permet de mieux définir l’espace-temps et l’ambiance, de faire passer des émotions à travers les palettes de couleurs utilisées, et de donner plus de vie au dessin.

64_page : Quel.le.s auteur.e.s et quels ouvrages citeriez-vous comme référence personnelle en ce qui concerne cette technique du noir et blanc et pourquoi ?

Chloé Sleilati : J’apprécie le travail de Lorenzo Mattotti et le sens du mouvement qu’on retrouve dans ses dessins. Parmi ses œuvres en noir et blanc, je citerais sa BD Guirlanda et son livre Patagonia, dans lesquels il montre sa maîtrise des ombres, des lumières, et de son trait.

64_page : Pourrais-tu (sans spoiler trop non plus… dur dur) nous éclairer sur l’humour dans tes dessins mais aussi dans ton texte ?

Je m’inspire souvent de ma vie réelle. Cette scène qui va être publiée s’est vraiment passée ! Certains aspects sont tout de même accentués pour mieux servir le scénario. Quand il y a plus de peur que de mal, autant en rire.

64_page : Ces travaux font-ils partie d’un travail plus long ? D’une BD en cours de route ? D’un projet ?

Chloé Sleilati : Non, c’était une petite histoire en deux pages uniquement.

64_page : Quels sont vos projets à venir ? À quoi travaillez-vous en ce moment ?

Chloé Sleilati : Je travaille actuellement en tant qu’illustratrice en free-lance. Je recherche en parallèle un éditeur pour une BD documentaire. On croise les doigts !

Instagram : chloesleilatiart

 


29 août – Olivier LAMBERT pour Ses cartoons

Interview Cécile Bertrand

Olivier LAMBERT

Actuellement, Olivier ne dessine que des caricatures d’humour et de presse, ses dessins sont publiés uniquement sur sa page FaceBook et d’autres pages comme ≪L’Hebdo déchaîné≫, ≪Vive la presse satirique libre≫.

 

 

Cécile Bertrand : Comment qualifierais-tu ton humour ?

Olivier Lambert : Surréaliste et aussi décalé parfois grinçant parfois satirique.

© Olivier LAMBERT – La racine carrée

 

Cécile Bertrand : Quel est ton processus de création ?

Olivier Lambert : Je cherche quelque chose qui me fait rire soit dans une discussion, soit dans les infos des médias.

Cécile Bertrand : Quand tu tiens une belle idée, comment procèdes-tu ?

Olivier Lambert : Quand je tiens la scène du gag dans ma tête, ça va très vite, je prends une feuille de papier machine et au crayon je dessine le gag grossièrement avec les défauts et les ratures.

Cécile Bertrand : Le cartoon sort de tes doigts comme une évidence ?

Olivier Lambert : Oui, ça sorts tout seul, ça m’a pris 10 ans avant d’arriver à maitriser mes personnages

Cécile Bertrand : Ou Fais-tu des essais de mise en image, des recherches d’efficacité ?

Olivier Lambert : Oui, une fois que j’ai tout dessiner au crayon, j’encre au pinceau avec encre de chine, pour les détails je travaille au feutre noir mais le gros du dessin est fait au pinceau, ça donne un cachet personnel. Je scan le dessin et je le finalise en composition avec Photoshop… Un grand merci à la technologie.

Cécile Bertrand :Tes idées viennent par le choc des mots ou par le poids des cartoons ?

Olivier Lambert : En dessin de presse, c’est au feeling de l’information. En dessin de gag c’est feeling de mes inventions dans ma tête, j’imagine même des gags en dormant hahaha (véridique)

Cécile Bertrand : Quand tu as une idée « quelle est bonne », tu as envie d’en faire une série ? un running gag ?

Olivier Lambert : Non, chaque gag est unique, maintenant je n’ai jamais testé le running gag, peut être que j’aimerais ? Aller savoir (sourire)

Cécile Bertrand : Tu as lancé la page Facebook ‘Le semainier’ (https://www.facebook.com/groups/446961182716904/ qui rassemble de plus en plus d’auteurs. Comment opérez-vous une sélection ? Vous arrive-t-il de refuser des cartoons ? Si oui quelles en sont les raisons ? Tu dis que vous êtes, toi et tes complices du semainier, apolitiques. C’est vrai et pas vrai, beaucoup de vos dessins sont des coups de griffes ou même de gueule sur le monde où nous vivons ?

Olivier Lambert : Avant je publiais uniquement sur les pages des autres et puis je me suis dit, je vais faire la mienne. J’ai invité 3 amis dessinateurs : Alain Rorive, Jimm et Papybic. Mon but est de faire dans le Semainier du dessin de presse et du dessin humoristique noir et blanc et (ou) avec une touche de couleur. Le Semainier c’est une page qui se veut garder les valeurs des anciens dessinateurs qui publiaient dans les journaux noir et blanc, style Charlie Hebdo (première mouture) Psikopat, fluide etc. Puis sont venu s’ajouter d’autres dessinateurs de France, Argentine, Angleterre, Allemagne et Belgique. Nous sommes une équipe de 13 dessinateurs avec des dessinateurs qui produisent beaucoup et d’autres pas (rire) quand vous rentrez dans le Semainier vous n’en sortez plus (rire sarcastique) pour la sélection des auteurs … (Ce qui se passe à Vegas reste à Vegas) Aucun dessins n’a été refusés nous sommes tous administrateurs.


26 août – Alice ROUSSEL – Éveil

Interview Philippe Decloux

Alice ROUSSEL

Après 4 ans d’études au Collège Pratique d’Ethnobotanique de François Couplan, j’illustre désormais sur mesure supports artistiques et pédagogiques tout en proposant des formations et balades botaniques aux particuliers et aux entreprises.

En attente d’un éditeur, rendez-vous sur www.lepinceaupissenlit.com

 

64_page : Tu fais partie des quatre auteurs qui vont lancer notre nouvelle rubrique UNE planche UNE histoire. Tu proposes une planche d’un énorme travail que tu as entrepris pour faire découvrir les merveilles de la nature. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet, son origine, tes objectifs, ta méthode de travail ?

© Alice ROUSSEL – Éveil

 

 

 

Alice Roussel : Bonjour Philippe, et merci de cette chouette opportunité et de ton appréciation !

La BD consiste en une compilation d’histoires courtes témoignant de mon expérience en tant que botaniste, où on suit mes aventures au rythme d’1 à 5 pages par histoire, au fil des saisons. La page 16, que j’ai partagée ici, est celle qui ouvre la saison du printemps, sans bulle, en une seule page. Je l’aime beaucoup pour le travail qu’elle m’avait demandé sur la lumière et la quiétude qui s’en dégage.

Pour revenir à la BD dans son ensemble, il s’agit de mon mémoire de fin d’étude au terme de 4 ans de formation, dont 1 année à distance et 3 en classe, au Collège Pratique d’Ethnobotanique de François Couplan à Brindas, près de Lyon (promotion 2018). Ce sujet de mémorie ne m’est pas venu rapidement, j’étais partie pour faire des analyses des plantes à la base. Au fil du temps et avec le requis de dessiner nos propres planches botaniques, voyant l’enthousiasme que mes dessins suscitaient, il m’est revenu le goût du dessin et le plaisir de raconter des petites anecdotes sur le côté. Au bout d’un an, l’idée à commencer à faire son chemin.

J’avais commencé à partager quelques histoires humoristiques autour de ma vie de couple sur Facebook, à l’instar de Catana Comics que je suis d’ailleurs toujours, avec la petite touche personnelle que le ressort comique venait du décalage entre ma sensibilité de botaniste et celle de mon compagnon (qui reste un complice enthousiaste).

En parallèle, je me suis rendu compte que je ne retrouvais pas ce que j’aurais aimé lire dans les rayons de bande dessinée sur le sujet écologique en général et botanique en particulier. Il me manquait cette touche d’humour et de légèreté qui m’avait bercée dans mon enfance dès qu’il s’agissait de pédagogie, comme dans l’émission « C’est pas sorcier » par exemple. Comme si le manque de sérieux allait de pair avec le manque de rigueur…En plus je trouvais que tout cela manque de concret. Par exemple, j’entends parler aromathérapie de personnes que j’accompagne en balade mais qui n’ont encore jamais eu l’occasion d’identifier dans leur région les plantes dont elles utilisent pourtant les huiles essentielles. Nous nous intéressons à la « nature » sans forcément se rendre compte qu’elle reste sur les rayons des boutiques en centre-ville. Du coup j’ai décidé de donner le change !

Je voulais donc réaliser avant tout une bande dessinée qui rapporterait mes propres expériences vécues avec humour mais sérieux, pour présenter les 5 parties de la plante et davantage au fil des saisons. J’ai choisi le format court car j’ai toujours aimé le rythme périodique des albums Spirou (encore une référence), en particulier Mélusine dont les histoires étaient essentiellement sur une page, surtout au début.

Les premières pages qui me sont venues sont la couverture et la conclusion. A part cela, au début, je n’avais pas de plan. J’ai dessiné comme cela me venait non pas dans l’idée que ce serait ce que je voudrais faire mais simplement pour contourner le blocage de départ (saupoudré d’un gros symptôme de l’imposteur). Ce premier jet m’a permis de réagir une première fois sur ce qui me plaisait et me plaisait moins. De là, j’ai élaboré un stock d’idées organisées sur les 4 saisons, puis je me suis mise à dessiner au rythme d’une planche par semaine en me laissant de la place pour laisser venir d’autres idées au fil des balades.

Je suis ainsi passée de 27 pages ébauchées durant les 3 mois de l’automne 2019 à 65 pages finalisées chaque semaine pendant 1 an et demi de novembre 2020 à avril 2022, en devant me forcer à m’arrêter pour que la BD ait un début, un milieu et une fin. Mais je suis loin d’avoir fait le tour de tout ce dont je voulais parler.

Techniquement, j’utilise les stylos et marqueurs fins à l’encre indélébile et l’aquarelle sur papier à grain, puis retire les impuretés sur Photoshop, en couleur et lettrage directs (concernant le lettrage, je ferai différemment désormais).

64_page : Tu fais partie des quatre auteurs qui vont lancer notre nouvelle rubrique UNE planche UNE histoire. Tu proposes une planche, la dernière sauf erreur de ma part (en réalité c’est la page 16, sur 65, mais c’est l’une de mes préférées en effet qui se prêtait bien au thème), d’un énorme travail que tu as entrepris pour faire découvrir les merveilles de la nature. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet, son origine, tes objectifs, ta méthode de travail ?

Alice Roussel : Merci beaucoup ! De mon côté je me souviens aussi très bien de notre première rencontre et de l’attention que tu avais portée sur chaque page. Tes remarques et encouragements ont beaucoup compté dans l’amélioration de mon dessin par la suite.

En effet je ne suis pas dessinatrice de formation mais ingénieure en automatique à la base, même si j’ai en réalité toujours tenu un crayon. J’avais déjà « failli » me lancer dans la bande dessinée à Munich en 2013 au détour de mon Erasmus, sur un tout autre thème, mais à l’époque ma priorité était de terminer mes études. Par ailleurs, n’étant vraiment pas fan des concours j’ai toujours évité ce côté-là de l’expression artistique, dessinant dans mon coin et rendant service ici et là pour des logos, posters, sites web, pour des amis. J’ai continué mes recherches et à étudier les styles de différents artistes depuis, en particulier Uderzo, Moebius, Hayao Myiazaki et Jirô Taniguchi.

Pour reprendre le cours de la précédente question, suite à mes 27 premières pages qui n’avaient pour but que de « lancer la machine », j’ai été de nouveau bloquée, à cours d’idées cette fois-ci. J’ai surtout recommencé à douter de moi. Un ami qui se lançait dans le coaching à l’époque m’avait conseillé de proposer ce premier jet, aussi imparfait soit-il, à des éditeurs. Nous étions en janvier 2020. Une rapide recherche internet m’a fait tomber sur la rencontre éditeurs du Centre Bruxellois de la Bande Dessinée le 07 février 2020 si j’ai bon souvenir, où nous nous sommes donc rencontrés. Il était en effet très important pour moi que la rencontre se fasse en personne et non par email interposé (nous savons tous maintenant à quel point j’ai eu chaud vu ce qui nous est tombés dessus un mois plus tard).

Ce que j’ai retiré de cette première rencontre ont été des réactions extrêmement différentes, pas un seul éditeur n’a réagi de la même manière à ce premier jet. Avec le recul je trouve que c’était très bon signe. Pour quelqu’un comme moi qui pensait que les éditeurs auraient tous un regard assez standardisé sur ce que j’allais proposer depuis mon coin de table, j’ai eu le plaisir de constater que malgré leurs expériences ils avaient chacun des attentes très différentes, voire contradictoires. Cependant, j’ai quand même eu des observations communes qui, par conséquent, ont de l’importance pour moi car elles sont à peu près objectives : il s’agissait de bien remplir la page, choisir des vignettes plus conventionnelles que celles que j’utilisais, mettre en valeur mes personnages et travailler la narration.

Sur ta proposition de participer au projet Western de la revue numéro 19, j’ai décidé de mettre temporairement mon projet de côté pour travailler sur cette édition de mars à avril 2020. Une rapide recherche m’avait donné le nom de Marcus Eugène Jones, un botaniste du Far West à qui j’ai consacré 4 pages en traditionnel, à l’encre de Chine et en noir et blanc. J’ai utilisé ce projet comme exercice pour travailler un style réaliste et détaillé, biographique et sérieux, à l’opposé de ce que j’avais commencé à faire pour sortir de ma zone de confort. Cette période a été très intense car il était hors de question de vous fournir des pages dont je ne serai pas satisfaite moi-même, autant dire que j’ai souvent recommencé. Le 06 avril 2020, au lit avec le covid, je vous envoyais l’ensemble terminé. Avec le recul, je suis très fière de cette première chance en situation réelle, qui m’a montré la rigueur du dessin à l’échelle de l’édition.

Suite à cet exercice, j’ai passé 6 mois à tout reprendre de 0 sur mon projet botanique, à tester des registres plus sérieux, plus scénarisés, plus détaillés, etc. Jusqu’à confirmer mes souhaits de départ en novembre 2020 : le retour à un style périodique, humoristique mais détaillé, coloré, joyeux, pédagogique, sans autre fil conducteur que les saisons et les 5 parties de la plantes.

Finalement, ce que j’ai retiré de tout ça, outre une année d’exercices quotidiens, est l’affirmation de mon style avec des décors beaucoup plus travaillés, des pages bien pleines dans des vignettes claires et resserrées. Et je garde mes petits bonhommes cartoons. Non mais.

Après cette confirmation de mes choix, je me suis lancée au rythme d’une page par semaine revue et corrigée par François Couplan, publiée sur mes réseaux sociaux et mon site internet qui a vu le jour entretemps, sans interruption jusqu’avril 2022.

64_page : Selon toi, dans toute cette recherche, qu’est-ce que tu as découvert et qui t’a marqué le plus ?

Alice Roussel : Sur le plan personnel, j’ai découvert à quel point j’avais d’histoires à raconter, tout ce que la nature me donne envie de dessiner. J’ai découvert que la bande dessinée était pour moi une source de joie, de même que le sourire du lecteur qui s’amuse des gaffes de mes petits bonhommes, puis, en tournant la page, apprend sans crier gare que le pissenlit est parfaitement comestible.

Je me suis rendu compte que cette première BD répondait à un besoin réel, surtout en ce moment, de rire, de couleurs, de nature et de concret. Et que j’avais envie de continuer dans cette voie.

J’ai appris aussi à travailler vite et de mieux en mieux, mon dessin continue d’évoluer et aujourd’hui je dois me retenir de redessiner les premières pages, car il est aussi important pour moi d’apprendre à terminer ce que j’ai commencé pour pouvoir mieux recommencer ensuite !

Sur le plan botanique, je crois que ma découverte la plus marquante a été celle de l’ail des vignes : nous avons de la « ciboulette sauvage » qui pousse de partout et nous nous rendons même pas compte ! Je lui fais des clins d’œil à chaque fois que je la croise maintenant. Ainsi qu’à Ivan Louette qui m’avait aidée à l’identifier.

D’ailleurs, et je vais terminer de répondre à cette question là-dessus : une autre chose que j’ai découverte et pas la moindre est l’énorme soutien dont je bénéficie depuis le début de cette aventure. Vous verrez dans la bande dessinée que je ne suis pas toute seule, j’ai eu un vrai plaisir à redessiner mon entourage, tout en restant assez discrète pour ne pas les embarrasser.

64_page : Comment vois-tu ton avenir dans la BD ou l’illustration jeunesse ? Quels sont tes projets à court et à moyen terme ?

Alice Roussel : A court terme : je souhaite éditer cette BD, quitte à la reprendre redessinée, étoffée et relettrée dans la mesure où je suis cette fois-ci accompagnée d’un éditeur. Je n’ai pas encore soumis beaucoup de dossiers, m’étant concentrée sur le fait de terminer mes études en priorité et en parallèle à mon travail. Si vous êtes un éditeur intéressé par la thématique qui lisez ces lignes, je serai très heureuse que vous me contactiez.

Je suis aussi très motivée à l’idée de devenir dessinatrice chroniqueuse dans des revues écologiques, afin de poursuivre dans cette voie car les sujets sont infinis et les lecteurs se renouvellent en permanence, il faut toujours transmettre et continuer d’échanger.

A moyen terme, j’aimerais bien reprendre la biographie de Marcus Eugène Jones, ce botaniste bourru du Far West m’amuse beaucoup. J’ai aussi d’autres idées de biographies en tête mais il serait prématuré d’en parler maintenant.

J’ai aussi découvert au hasard d’un projet familial que je maîtrisais désormais le dessin avec aplats sur Photoshop à l’aide de ma nouvelle tablette graphique, et j’ai déjà illustré des histoires pour mettre en vie une peluche qui vit ses aventures à la maison. Je suis donc tout à fait disposée à poursuivre dans cette voie.

 



25 août – SERNA – Vestiges

Interview Marianne Pierre

SERNA

Fan de gros lézards et de science-fiction, je lis des BD et dessine depuis toujours. Je me remets vraiment au dessin après mes études en sciences et m’inscris aux académies de Charleroi et de Châtelet (dessin et illustration/BD). Je m’intéresse aussi au concept art pour le jeu vidéo et le cinéma.

 

 

Marianne Pierre : En lisant tes planches, me viennent à l’esprit Indiana Jones, Jurassic Park, Tarzan, Donkey Kong… est-ce normal?

SERNA : Tout d’abord merci de me permettre d’être à nouveau dans 64_page! Oui, c’est normal. A vrai dire, j’ai débuté l’histoire avec le décor de la page 1 et puis la grosse bestiole. Comme il s’agissait de ruines cachées dans une jungle, j’ai rapidement pensé à Indiana Jones, mais j’avais déjà imaginé ce que le personnage allait faire en première page, alors il m’en fallait un qui soit nettement plus agile. Me vient alors l’idée de mettre Tarzan en scène, mais ce n’est pas nécessairement un personnage qui me plaît, en tout cas pas plus que ça… Comme je voulais avoir plus de liberté et aussi un narrateur, ça devenait plus simple que le héros ne parle pas, afin que le lecteur puisse se concentrer sur l’action. Le singe est alors apparu comme une évidence et en le dessinant plus en détails je reconnais que dans certaines cases, il fait penser à Donkey Kong! Ce n’est pas toujours conscient, mais j’irais plutôt vers ce dernier que vers Tarzan et davantage vers Lara Croft (Tomb Raider) que Indiana Jones, car durant mon adolescence j’étais un gamer très régulier.

© SERNA – Vestiges

 

 

Ici, je voulais représenter une belle scène d’action à l’image des capacités physiques du personnage principal. Ca me plaît de représenter la scène telle que je voudrais la voir se dérouler dans un film. Mon storyboard se construit de cette manière, une fois que j’ai réussi à construire dans ma tête le déroulement complet.

J’avais aussi envie de donner un côté très aérien, un sentiment de liberté, comme on pourrait le ressentir dans certains jeux vidéos. Je pense en particulier au Prince of Persia d’Ubisoft (2008), avec son graphisme si particulier. Je suis fortement influencé par les bandes annonces de jeux vidéos même si je n’y joue pas moi-même. Pour les ruines et leur verticalité dans le décor, j’avais pensé à The Last Guardian (2016), ainsi qu’à des ruines de style Maya ou précolombien en général.

Ah, il me manque Jurassic Park! Oui, ce sont des films qui m’ont marqué, même si j’étais déjà fan de dinosaures plusieurs années avant la sortie du premier film. Mais clairement, oui, les gros lézards en tous genres réapparaissent souvent dans ce que je dessine, ce que je raconte.

Marianne Pierre : Tu as fait des études scientifiques… est-ce que cela influence forcément tes histoires?

SERNA : Étudier les dinosaures et autres animaux préhistoriques, découvrir les mécanismes de l’évolution, tout cela était pour moi un but précis quand j’ai débuté mes études scientifiques. Même si à ce moment-là j’étais aussi très attiré par la 3D et les scènes cinématiques dans les jeux vidéos, je me suis orienté vers les sciences. C’est quelque chose d’inconscient, mais ça se ressent dans mon travail – on me l’a déjà dit – que ce soit par l’apparition de créatures préhistoriques, de grande taille très souvent, ou bien même au niveau des designs, lorsque je travaille sur de la SF, les courbes, les structures de formes organiques vont apparaître naturellement sur la feuille ou à l’écran. Toutefois, je ne suis pas un puriste non plus. Je sais qu’en science fiction, certains préfèrent que tout ce qui se passe soit d’une exactitude scientifique complète. Je pense à des films comme Gravity où le réalisme est tellement poussé que l’aspect fun et imaginaire passe, à mon sens, à la trappe. J’orienterais nettement mes histoires vers un style à la Star Wars, pour avoir la liberté d’y intégrer des créatures en tout genre et que l’on puisse entendre les explosions, même si on est dans l’espace! Je ne suis ni physicien, ni astronome et je préfère raconter des histoires qui divertissent, plutôt qu’un documentaire… C’est peut-être aussi pour ça que je parodie un peu ce style de narration dans mes quatre planches. Mais j’aime beaucoup faire apparaître des animaux ou des animaux anthropomorphiques, ça stimule mon imagination et celle du lecteur, je l’espère!

Marianne Pierre : Cette jungle luxuriante, tu n’aurais pas envie de la mettre en couleurs?

SERNA : Je ne la trouve pas si luxuriante que ça (aha): je me suis arrangé pour que l’histoire se déroule dans la « clairière » où se trouvent les ruines. La contrainte du noir et blanc a finalement été un atout pour pouvoir travailler plus vite! J’avoue cependant avoir hésité à mettre quelques touches de vert ou à travailler carrément en teintes de vert. C’est à voir, ça pourrait effectivement être intéressant de représenter ce lieu en couleurs, même si ça risque d’être un fameux travail de représenter une jungle! Finalement je reconnais que j’adore représenter les décors, plus que les personnages. Ce sont ces cases-là qui captent le plus mon attention lorsque je vais feuilleter une bande dessinée. Je pense aussi que naturellement ça transparaît dans ce que je raconte. Alors oui, pourquoi pas mettre cette jungle en couleurs et si ce n’est pas dans des planches, en faire en tout cas une belle illustration.

Marianne Pierre :/ As-tu des références en matière de BD?

SERNA : Des références à proprement parler, c’est difficile à dire, car il y en a beaucoup. C’est un ensemble. Mais je pense en premier lieu à des grands classiques franco-belges comme Tintin, les Schtroumpfs ou Astérix. En particulier, je trouve que les deux derniers sont exemplaires en termes d’efficacité, de clarté narrative. Dans Astérix, Goscinny arrivait à ponctuer ses histoires par des gags avec une précision redoutable, le rythme était juste parfait et le dessin d’Uderzo était fantastique. Étant petit, j’aimais lire le magazine Spirou de l’époque. Je me rappelle ainsi de Mélusine, Kid Paddle, le Petit Spirou, mais aussi de Papyrus et de Billy the Cat. Dans cette dernière série, je me rappelle avoir été happé par les décors, les ambiances. Récemment, j’ai appris que le dessinateur du début de la série (Stéphan Colman) était justement très friand de ce genre de cases. Je suppose que je l’avais ressenti, malgré mon jeune âge.

Ensuite, en grandissant, début 2000, j’avais découvert la série Sillage de Jean-David Morvan et Philippe Buchet, que j’ai adoré. Je trouve qu’elle fait écho à la fois à Men in Black et à Star Wars au Cinéma.

Durant cette période, deux séries m’avaient vraiment tapé dans l’oeil. C’était Le Passeur des étoiles (édité chez Dargaud) pour les designs SF, ainsi que Les Lumières de l’Amalou (chez Delcourt) où les ambiances mystérieuses, fantastiques et le dessin de Claire Wendling étaient tout simplement magnifiques.

Quelques années plus tard, j’ai lu quelques mangas comme Gunnm et Berserk. J’avais aussi une fascination pour les décors de la série Blame! Au passage, j’ai découvert des auteurs plus près de chez nous influencés par cette narration particulière du manga. C’est très marqué chez Nesmo (dessinateur de Univerne et de Ronces) et deux auteurs espagnols qui ont travaillé ou travaillent encore chez Dupuis (José Luis Munuera et Kenny Ruiz). Je suis très fan du style de dessin de ce dernier. J’aime également beaucoup le dessin de Davide Tosello dans la série Blue. Enfin, je dois absolument citer Blacksad, ainsi que les séries Elfes, Nains,…et Conquêtes (chez Soleil-Delcourt).

Récemment je me suis intéressé à un dessin plus réaliste en général. Je pense à celui de Valentin Sécher qui a notamment dessiné Méta-Baron, série qui était initialement illustrée par le regretté Juan Giménez. Par ailleurs, j’ai découvert Requiem, une série plus ancienne très dark et gothique par ses ambiances de couleurs, mais avec du second degré, dessinée magnifiquement par Olivier Ledroit.

Il me faut citer finalement les dessinateurs comme Moebius, Frank Miller, Frank Frazetta et Geof Darrow (designer pour les premiers Matrix), même si ce sont pour moi des découvertes relativement récentes. J’ajouterai enfin Mike Mignola, dont j’ai pu découvrir le travail en discutant avec un ami à l’atelier illustration/BD de Châtelet.

Bref, je n’ai jamais cessé de découvrir de nouvelles séries, des albums de BD et à chaque fois, c’est que j’avais un coup de cœur pour le dessin et l’univers représenté (souvent de la SF, de la fantasy et parfois du steam punk), mais les influences les plus profondément ancrées sont probablement celles des années 90 : la BD franco-belge, mais aussi l’animation japonaise que je voyais à la télévision étant petit.

Marianne Pierre : Tes projets ?

SERNA : J’ai toujours ce rêve de publier un album de BD, mais je ne suis pas suffisamment confiant sur mes scénarios. Sur les formats très courts de quatre pages, je peux être très efficace, mais je préfèrerais travailler avec un scénariste pour une histoire de 40 pages! Il faudrait alors que l’univers me parle (science fiction, fantastique ou encore fantasy…), en tout cas qu’il y ait une part minimum d’imaginaire et de fun.

En parallèle, je mets les bouchées doubles pour lancer une carrière d’illustrateur et/ou de concept artist en visant en particulier le jeu vidéo où ils ont une grande demande d’artistes pour mettre en images de nouveaux univers, des décors de toutes sortes. Comme je suis de plus en plus à l’aise avec la tablette graphique, ça devrait le faire! Je vise aussi les jeux de société, les jeux de cartes ou même les couvertures de roman, les pochettes d’album musicaux.

Je voudrais vraiment arriver à stabiliser tout ça dans les 3-4 ans qui viennent, à réussir mon changement de carrière en somme. Mais je continuerai à dessiner des planches de BD pour m’amuser et évidemment j’ouvrirai une parenthèse (plus ou moins grande) pour me lancer dans l’aventure si une opportunité d’être édité se présente!

Marianne Pierre : Si ce n’est pas indiscret… pourquoi ‘Serna’ comme pseudo?!

SERNA : Alors le pseudo c’est assez personnel… Disons que ça représente une partie de moi et que je voulais marquer une sorte de rupture avec le « moi » d’avant (rassurez-vous je ne suis pas schizophrène.. enfin je ne pense pas!) et partir vers une voie artistique assumée complètement. Car j’ai toujours dessiné depuis tout petit et là c’était une manière symbolique aussi de marquer le coup, pour ce nouveau départ. En plus, je trouve que ça sonne bien et que c’est facile à retenir!

Merci de m’avoir lu et… j’espère que mes planches dans 64_page vous plairont!

 Pour suivre SERNA : www.artstation.com/serna6
www.instagram.com/serna_art_

 

24 août – LIMCELA – Chatons

Interview Gérald Hanotiaux

LIMCELA

Dans le numéro 23 de la revue 64_page, consacré au noir et blanc en bande dessinée, nous pourrons découvrir deux superbes pages intitulées Chatons, signées Limcela. Pour notre plus grand plaisir, elle a accepté de répondre à quelques questions, pour se présenter et nous attirer vers son travail…

Gérald Hanotiaux : Bonjour, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs et lectrices ?

Limcela : J’ai dévoré énormément de bandes dessinées et de mangas dès l’enfance. Je dessinais beaucoup et, à l’adolescence, j’ai commencé à songer à en faire mon métier. Cette idée, assez vague au départ, a pris une dimension réelle et concrète après une première année d’études en bande dessinée. J’ai pu là réaliser combien j’aimais écrire et illustrer des histoires.

© LIMCELA – Chatons

 

Gérald Hanotiaux : Dans quel établissement as-tu suivi cette année d’études ? Comment décrirais-tu l’apport d’un enseignement artistique en bande dessinée ? Fréquenter des cours te semble-t-il important et pour quelles raisons ?

Limcela : J’ai fait mes études aux Beaux Arts de Tournai en bande dessinée. En ce qui me concerne, les études ont créé un contexte dans lequel j’ai fini par trouver ce qui me plaît graphiquement, en tout cas pour le moment. J’y ai rencontré des personnes avec qui je suis toujours en lien, et des disciplines que j’aurais certainement mis très longtemps à découvrir seule : la gravure et la sérigraphie.

Selon moi les études, les cours, ne sont absolument pas une étape indispensable. Tout le monde n’en a pas la possibilité ou l’envie et cela n’empêche rien. La différence cependant, selon mon vécu, est la rapidité de progression dans la discipline, et l’entourage artistique riche créé dans ce contexte. D’ailleurs, cela peut dès lors être difficile de le quitter… Personnellement, quand les études se sont arrêtées pour moi, je me suis sentie assez seule. Sur place on ne côtoie que des gens dans le même domaine, avec les mêmes problématiques, ce qui est très riche, fort et rassurant, mais en dehors de cet espace ça peut parfois être compliqué par la suite de retrouver l’émulation présente entre dessinateurs et dessinatrices.

Gérald Hanotiaux : Pourrais-tu présenter les pages de Chatons que nos lectrices et lecteurs pourront trouver dans le numéro 23 de 64_page ?

Limcela : Je travaillais sur l’expression « Sans état d’âme ». En fermant les yeux et en me plongeant dans mes ressentis au son de cette expression, l’idée de « cruauté » s’est imposée. Cette histoire est pour moi une illustration très juste de ce que je peux ressentir devant ces mots. Quelque chose de très cruel et froid. Je voulais également évoquer les chocs de l’enfance face à cette cruauté.

Gérald Hanotiaux : Ces -très belles- pages paraissent dans un numéro spécial noir et blanc, est-ce une technique habituelle pour toi, ou bien tu t’es adaptée pour coller à la consigne ?

Limcela : J’ai longtemps fait du noir et blanc, surtout en bande dessinée. J’ai même pensé que la couleur n’était pas à ma portée mais depuis quelques années je travaille aussi beaucoup en couleur. Toutefois, le noir et blanc a selon moi une force graphique et narrative énorme ! J’aime pouvoir passer de la couleur au noir et blanc, selon les envies et les sujets.

Gérald Hanotiaux : Comment as-tu eu envie de proposer des pages à la revue 64_page ?

Limcela : La première fois que j’ai envoyé des pages à votre revue j’étais encore aux Beaux-Arts. L’équipe était venue dans notre atelier présenter cette toute nouvelle revue, et on nous a alors proposé d’envoyer des histoires… J’ai eu très envie de participer et une histoire est parue dans le numéro 3, Santiags.* L’expérience a été vraiment chouette, j’ai été ravie de le faire et du contact créé avec des personnes motivées à accompagner les autrices et auteurs. Après cette première expérience, j’ai loupé tous les appels jusqu’à celui ci !

Gérald Hanotiaux : Comment vois-tu le rôle d’une telle revue aujourd’hui, dans une époque où la plupart des revues de prépublication ont disparu ?

Limcela : Je n’ai pas vraiment conscience de cette époque foisonnante des revues de prépublication, mais ce qui me semble important ici, c’est la présence de personnes très investies au sein de cette revue. Les liens ne s’arrêtent pas à la publication, il y a également du partage d’appels à projet, des expositions, des festivals… Donc pour ce qui est du rôle de la revue, je pense surtout qu’elle permet de se tester, et de constater qu’on n’est pas seule.

Gérald Hanotiaux : Qui citerais-tu comme auteurs ou autrices de bande dessinée parmi tes principales influences ou sources d’inspiration ?

Limcela : Une de mes inspirations ultime, c’est Taiyo Matsumoto. J’aime beaucoup le travail d’Anouk Ricard : une génie du rire ! J’apprécie également les livres des Kerascoët, le travail de Bernadette Després qui a illuminé mon enfance, et aussi Emma Adbage, Beatrice Alemagna et une foule d’autres personnes au travail magnifique ! La liste risquerait d’être infinie…

Gérald Hanotiaux : Sur quoi travailles-tu actuellement, en bande dessinée ? Et, plus largement, quels sont tes projets, vers quoi voudrais-tu te diriger ?

Limcela : Actuellement je travaille sur l’écriture d’une histoire d’enfants et de parents, j’espère pouvoir la concrétiser dans un futur proche. J’ai beaucoup de projets différents, je suis au travail sur des livres illustrés, certains à l’écriture et au dessin et d’autres uniquement au dessin, en collaboration avec d’autres. Je travaille également à la co-création d’un spectacle/exposition interactif. Pour répondre à la question, je me dirige donc… vers ce que je suis occupée à réaliser. Mon objectif serait surtout d’apprendre à bien m’organiser !

Gérald Hanotiaux : Y a t-il quelque chose que tu voudrais ajouter, que nous n’aurions pas évoqué ensemble… ?

Limcela : Simplement signaler que c’est toujours chouette d’avoir des espaces de rassemblement, des revues, des expo collectives, des festivals… Cela fait toujours beaucoup de bien. Et c’est important que ça existe !

Merci Limcela !

 

Vous pourrez trouver une présentation du travail de Limcela sur internet :

https://limcela.ultra-book.com / Instagram : limcela

* A cette adresse, en cliquant sur l’avatar de Limcela, vous pourrez accéder aux six planches de Santiags :

 

 

* A cette adresse, en cliquant sur l’avatar de Limcela, vous pourrez accéder aux six planches de Santiags :

23 août – Walter GUISSARD – La nouvelle mode (MASK)

Interview Philippe Decloux

Walter GUISSARD

Bruxellois et étudiant en master à la LUCA School of Arts, j’ai fini mon bachelier à l’ESA Saint-Luc. Étant un grand fan de culture américaine, j’espère un jour pouvoir donner au hip-hop la place qu’il mérite dans le 9e Art (et par la même occasion vivre de mes BD/romans graphiques).

 

 

64_page : Avec MASK, tu nous proposes quatre magnifiques pages dans un noir et blanc taillé au scalpel, une séquence intime avec de larges plans panoramiques de Bruxelles sous restrictions covid. Explique-nous comment tu as conçu ces planches et ce récit ?

Walter Guissard : J’ai toujours aimé dessiner dans les transports en communs car ceux-ci sont une source d’inspiration infinie. On y voit de tout : des gens grands, petits, pressées, avec différentes coupes de cheveux, de styles vestimentaires etc.. L’arrivée des masques m’a chamboulé car ceux-ci m’empêchaient de distinguer clairement les visages des personnes autours de moi, m’obligeant donc à me concentrer sur ce nouvel accessoire. Ces réflexions sur le masque, mêlés à mes histoires plus intimes, ont donnés naissance à ce petit récit loufoque.

© Walter Guissard – La nouvelle mode / MASK

 

64_page : Dis-nous qui tu es ? Comment es-tu venu à la BD ? Quel sont tes désirs ? Tes projets ?

Walter Guissard : Je suis un jeune illustrateur et dessinateur de BD bruxellois. J’ai découvert la BD très jeune à travers le monde des mangas, avant de m’ouvrir aux BD américaines et plus récemment au travail franco-belge. Je suis un grand fan de la culture américaine et j’espère un jour pouvoir insuffler un côté plus « hip hop » au monde de la bd qui, je trouve, en manque cruellement.

64_page : Avec Mask, tu nous fais une démonstration réussie de ta technique du Noir et Blanc, travailles-tu aussi la couleur ? ou d’autres techniques ?

Walter Guissard : Tester différentes techniques, c’est avant tout, pour moi, un moyen de ne pas m’ennuyer. Quand je commence une BD, je m’impose souvent des contraintes qui m’obligent à sortir de ma zone de confort, car c’est à que j’y trouve de la satisfaction. C’est en suivant cette démarche que j’ai réalisé des BD à l’aquarelle, à l’acrylique, au feutre ou encore à l’encre. Ma prochaine BD sera entièrement digitale, et en couleur !

64_page : Comment as-tu découvert 64_page ? Qu’est-ce que t’apporte une revue de ce type ? Et qu’aimerais-tu y trouver, qui, selon toi, serait utile pour les jeunes auteurs ?

Walter Guissard : J’ai découvert 64 pages à l’académie de Boitsfort, où j’étudie depuis longtemps. C’est pour moi une chouette façon de découvrir différents styles et différents artistes dans milieu. En tant que jeune auteur, je pense qu’il reste très important de mettre à l’honneur la variété graphique dans la BD pour montrer aux gens qu’ils ne doivent pas s’inscrire spécialement dans une case ou une autre.

Pour suivre Walter Guissard : Instagram : Waltsvibe


Émilie PONDEVILLE – Cauchemar

Interview Gérald Hanotiaux

Émilie PONDEVILLE

Afin de lancer l’arrivée prochaine du numéro 23 de la revue 64_page, nous sommes parti à la rencontre des autrices et auteurs présents en ses pages. Aujourd’hui, Émilie Pondeville se confie à nous et nous présente son histoire de six pages, marquées d’un noir et blanc aux ambiances efficaces : Cauchemar.

 

Gérald Hanotiaux : Bonjour Émilie, pourrais-tu te présenter en quelques mots aux lecteurs de 64_page ?

Émilie Pondeville : Les mamans racontent beaucoup d’histoires à leurs enfants. La mienne m’a raconté que le jour de ma naissance, elle ne parvenait pas à ouvrir ma petite main serrée. Quand elle y parvint enfin, elle y trouva un crayon !

© Émilie PONDEVILLE – Cauchemar

 

 

Dès l’âge de six ans, j’ai fait un vœu : devenir dessinatrice ! J’ai appris à lire dans les bandes dessinées, et c’est aussi là que mes rêves de dessin et de création ont vu le jour. À l’âge de sept ans, j’ai suivi des cours d’arts plastiques à l’Académie des Beaux Arts de Tamines. Je n’ai jamais fait de BD mais j’ai toujours porté une grande importance à l’aspect narratif des œuvres. À dix-huit ans, j’abandonnais les cours de dessin pour devenir infirmière spécialisée, en reportant à plus tard mes aspirations… Pour avoir un « vrai métier », selon papa.

Ensuite, j’ai suivi les cours en Bandes Dessinées et Illustration avec Benoît Lacroix à L’Académie de Namur. C’est là que j’ai rencontré l’homme de ma vie, un alsacien venu en Belgique pour apprendre la BD. Une évidence, donc ! Ensemble, nous avons eu le petit Léon. Et après une multitude de coups de crayon, de carnets de croquis remplis et d’histoires courtes, j’ai bientôt trente-six ans et c’est le petit Gaston qui est en gestation. Enfin, j’ai décidé de me lancer, je travaille sur une adaptation du roman 24 heures héro de Saphir Essiaf et Philippe Dylewski (Editions Nouveau Monde). Un roman graphique de 126 pages.

Gérald Hanotiaux : Pour allécher les lecteurs, pourrais-tu présenter ce projet d’importance, de 126 pages ? Quel en est le sujet ?

Émilie Pondeville : Pendant dix ans, j’ai travaillé avec des usagers de drogues vivant dans une grande précarité. Je connais bien le monde de la rue, des squats et des services sociaux… C’est un peu un monde parallèle, presque invisible et pourtant si proche de « Monsieur et Madame Toulemonde ». J’ai toujours eu envie de montrer ce monde dans mes histoires, sans tomber dans les clichés qu’on voit souvent dans les films. Je pense que ce récit permettra de mieux comprendre les usagers de drogues, loin de la diabolisation ou de la banalisation du phénomène. Saphir Essiaf, l’un des auteurs, est éducateur de rue à Charleroi et, avec une expérience similaire à la mienne, il a mis sur papier une histoire comme celle que je voulais raconter. Je l’ai donc contacté pour lui proposer une adaptation du roman, en cours de réalisation pour les Éditions du Tiroir. Un film devrait aussi voir le jour dans les prochaines années. Dans cette histoire, on passe 24 heures avec Nadia et Arnaud dans les rues de Charleroi. C’est une journée comme une autre pour eux, mais pas pour nous.

Gérald Hanotiaux : Son traitement graphique sera-t-il le même que pour les six pages de Cauchemar ?

Émilie Pondeville : Pas du tout. Cauchemar est une histoire à l’encre de Chine, et pour 24 heures héro je travaille au crayon avec une colorisation numérique… Pour l’instant je ne suis pas entièrement satisfaite, je trouve le résultat un peu froid, donc dans la suite du processus je vais tenter une technique mixte mêlant le crayon, l’aquarelle et le numérique. Je ne fais pas d’encrage pour ce récit.

Gérald Hanotiaux : Plus globalement, quelles sont les techniques que tu utilises?

Émilie Pondeville : J’adore varier les techniques et les mélanger : ombrage au brou de noix, encre de chine pour le trait et colorisation numérique, par exemple. J’ai déjà intégré des tableaux à l’huile dans une histoire à l’aquarelle. J’aime beaucoup les marqueurs « Kuretake » qui se diluent à l’eau. Je les utilise à la fois pour les traits, en aplat et pour la mise en couleur, en allant prélever l’encre au pinceau sur le marqueur, ou en diluant directement le trait sur la feuille. J’aime aussi les crayons, mais en général je n’en utilise que trois couleurs pour garder une cohérence. L’ecoline me plaît également, elle permet des ambiances très colorées. En réalité, tout dépend de l’histoire et de l’ambiance que j’ai envie d’y transmettre.

Gérald Hanotiaux : Ton histoire paraît dans un numéro de 64_page spécialement consacré au noir et blanc, t’es-tu adaptée au projet?

Émilie Pondeville : Il s’agit d’un travail réalisé pour le cours de Benoît Lacroix, il y a quelques années. Il faisait sept pages, je l’ai adapté en six pages et retravaillé numériquement, car je pense que mon dessin a évolué depuis. À l’époque, j’avais très envie de me frotter à un encrage noir et blanc plus poussé à l’encre de chine, en jouant avec les ombres et les textures.

Gérald Hanotiaux : En bande dessinée, quels seraient les grands maîtres du noir et blanc selon toi?

Émilie Pondeville : Chabouté, sans hésitation, pour de nombreuses de ses publications, Manu Larcenet pour Le rapport de Brodeck ou Blast. Georges Bess pour Dracula et Frankenstein ou encore Peter Van Den Ende pour Odyssée.

Gérald Hanotiaux : Qu’est-ce qui t’a donné envie de proposer tes pages à 64_page?

Émilie Pondeville : J’ai envie de le faire depuis un moment déjà. Le thème « noir et blanc » m’a permis de franchir le pas. J’adore raconter des histoires mais être lu, c’est encore mieux.

Gérald Hanotiaux : Comment imagines-tu le rôle d’une telle revue?

Émilie Pondeville : Je pense que c’est l’occasion pour des jeunes auteurs de se faire connaître et d’être parfois repérés par des éditeurs.

Gérald Hanotiaux : Plus globalement, comment décrirais-tu les « filières » pour se faire publier actuellement ? Tu es sur un travail pour un éditeur, donc c’est sur les rails mais cela a-t-il été facile ?

Émilie Pondeville : Je ne trouve pas ça simple car il y a un gros travail à fournir, sans aucune garantie. J’ai dû envoyer mon dossier une quarantaine de fois, j’ai reçu peu de réponse. Cela demande un temps colossal, pour lequel je ne compte pas mes heures et je saisis un maximum d’opportunités d’y consacrer du temps.

Gérald Hanotiaux : Que dirais-tu du paysage éditorial actuellement, que beaucoup décrivent comme « encombré »… ?

Émilie Pondeville : Je pense quand même que c’est une bonne chose. Malgré ce contexte, j’ai l’impression d’avoir plus de chances aujourd’hui que si j’avais voulu être publiée il y a trente ans. Les styles sont plus variés, et les femmes sont de plus en plus nombreuses dans la bande dessinée. Ce qui est compliqué, c’est de savoir si on va pouvoir en vivre…

Gérald Hanotiaux : Pour terminer, pourrais-tu présenter Cauchemar, que tu proposes dans ce numéro 23 de 64_page ?

Émilie Pondeville : Comme je le signalais, il s’agit de planches qui dormaient dans mes tiroirs, retravaillées pour 64_pages. Je dédie cette histoire aux insomniaques, si nombreux mais si seuls lorsque le sommeil ne vient pas. Lorsque j’ai imaginé Cauchemar, je vivais une période difficile. Suite à un stress post-traumatique, je ne parvenais plus à dormir… Mes nuits ressemblaient réellement à celle de Cauchemar. Si l’angoisse s’empare de vous la nuit, vous entendrez peut-être la nuit qui s’empare de vous. En hypervigilance permanente, vous guetterez le moindre bruit, sursauterez à chaque instant, votre cœur explosera dans votre poitrine, votre peau vous démangera comme si elle était trop petite, votre gorge aussi serrera de plus en plus et dormir, enfin, deviendra un vrai cauchemar…

Aujourd’hui, je vous rassure, je dors comme un bébé !

 

Merci Émilie !

 

Vous pouvez découvrir le travail d’Émilie Pondeville sur internet, aux adresse suivantes : Instagram : art-emi-9

 

 

 


Xan HAROTIN – 7 ans

Interview Philippe Decloux

Xan HAROTIN

Xan Harotin vit à Bruxelles. Elle dessine pour différents magazines et anime des ateliers artistiques.Elle aime la nature, dessiner des animaux et imaginer des histoires.

 

 

 

Philippe Decloux : Partons du postulat que nous ne nous connaissons pas, que dirais-tu pour te présenter aux lecteurs de 64_page ?

Xan Harotin : Je suis autrice et illustratrice. J’ai fait mes études à l’Académie Royale des Beaux-arts de Bruxelles et mon master à Tournai. Depuis j’ai publié deux livres et j’ai collaboré avec plusieurs magazines. Je réalise aussi des fanzines.

© Xan HAROTIN – 7 ans

 

Philippe Decloux : Tu fais d’habitude vivre dans tes aquarelles de merveilleux petits animaux charmants, tendres et toujours un peu décalés avec une philosophie de vie accessible aux enfants, ici tu nous proposes quatre pages noir et blanc, une histoire autobiographique. Explique ton cheminement, tes choix techniques ?

Xan Harotin : Cette histoire est assez différente des autres car elle a été écrite lors d’un voyage que j’ai réalisé il y a quelques années. Quand je pars en voyage suffisamment longtemps j’aime garder une trace, dans ce cas-ci j’ai écrit ce passage en sachant que je voudrais le réaliser en bd. Il m’a fallu du temps après mon retour pour la réaliser. Habituellement, je dessine à la plume et à l’aquarelle mais là le noir et blanc s’est imposé naturellement. J’avais déjà dessiné une histoire en noir et blanc auparavant mais pas encore avec autant de détails.

Philippe Decloux : Toi qui nous émerveille par tes représentations de la nature, tu proposes cet univers plus réaliste, tu te confrontes à l’architecture des villes, aux objets modernes, à la mobilité avion, vélo, voiture… Pourtant toute ta poésie inonde ces « 7 ans », tu vas pérenniser cet aspect de ton travail ? As-tu d’autres projets dans ce style ?

Xan Harotin : Pour le moment je n’ai pas d’autres projets dans ce style, mais j’aime le noir et blanc et je n’hésiterai pas si cela se présente.

Philippe Decloux : Dans la revue précédente, tu nous as proposé un scénario dessiné par Noelia Diaz, est-ce que tu envisages d’autres collaborations ? Quels sont tes projets ?

Xan Harotin : J’ai un futur projet en tant qu’autrice avec une autre illustratrice à paraître en 2024 chez l’Etagère du bas…
Ainsi que d’autres projets personnels qui sont en développement.

Pour suivre Xan : https://xanharotin.ultra-book.com

Mathilde GONZALES & Johan FERRAND-VERDEJO – La guerre des oubliés

Interview Hérald Hanotiaux 

Mathilde : Figurez-vous je que dessine depuis que je sais tenir un crayon (d’après ma mère, je ne m’en souviens pas). J’ai la chance d’avoir cette grande passion à travers laquelle je m’exprime, qui rythme mon quotidien, et qui m’offre un regard différent sur les choses qui m’entourent. Apparemment, je serai le De Vinci de cette époque (toujours selon ma mère).

Johan : Enseignant passionné de BD et membre de l’équipe de 64_page, j’essaye de travailler avec mes élèves autour de cet art en classe et dans un club dont j’ai la charge. J’apprécie de voir jusqu’où les mène leur imagination et les pousser à aller au bout de leurs projets. Pas dessinateur pour un sou, J’aime imaginer et inventer des histoires.

© Mathilde GONZALEZ & Johan FERRAND-VERDEJO (scénario) –

 

La guerre des oubliés

 

 

Pour saluer l’arrivée prochaine du numéro 23 de la revue 64_page, nous sommes parti à la rencontre des autrices et auteurs qui en constituent le sommaire. Aujourd’hui, cap vers le sud et l’Espagne, avec Mathilde Gonzalez et Johan Ferrand-Verdejo, qui nous présentent trois pages toutes en nuances de gris : La guerre des oubliés.

Gérald Hanotiaux. Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs et lectrices de 64_page ?

Johan Ferrand-Verdejo. Depuis trois ans, je suis enseignant d’espagnol en lycée, en banlieue parisienne. J’adore lire des bandes dessinées depuis toujours, et j’essaye de varier au maximum mes lectures afin d’explorer aussi bien ce qui s’est fait par le passé que les sorties récentes.

En tant qu’enseignant grand amateur de bande dessinée, j’ai voulu mélanger ces deux aspects de ma personnalité. En classe, je traite donc au moins un chapitre par niveau à travers des œuvres de bande dessinée hispanophone. En parallèle, j’ai mis en place pour les élèves du lycée un « club BD », dédié à la création de planches – publiées dans le journal du lycée – mais aussi à la discussion autour de thèmes de société traités à partir d’extraits d’œuvres graphiques. Grâce à ce club les élèves découvrent des œuvres qu’ils n’auraient peut-être pas connues autrement et, à l’inverse, ils me font découvrir des choses sur lesquelles je ne me serais pas penché par moi-même.

J’ai créé ce club après avoir travaillé, avec mes élèves de Terminale, les thèmes de la guerre civile et de la dictature espagnole à travers la bande dessinée. Ce sujet était au cœur de mon mémoire de master, centré sur le travail d’Altarriba et Kim dans El arte de volar (NDLR. L’Art de voler, paru en français chez Denoël Graphic). Dans ce cadre, à travers un travail de création de bande dessinée, j’ai pu découvrir un grand intérêt et un grand talent chez certaines et certains élèves. Pour être tout à fait honnête, le travail de Mathilde, ancienne élève, m’avait fait vraiment forte impression. La planche créée à cette époque est d’ailleurs à la base de notre travail pour ce numéro de 64_page, il s’agit de l’histoire du couple. Mathilde avait également créé la couverture du recueil du travail des élèves. On a gardé contact après son Bac, et quand j’ai vu le sujet « noir et blanc » pour un numéro de 64_page, j’ai tout de suite pensé à elle et au travail effectué dans le cadre de ce cours.

Dans mon mémoire de master j’ai également travaillé sur l’utilisation de la BD dans l’enseignement, aussi bien au niveau de sa fréquence d’utilisation que sur la façon de le faire. Par ailleurs, j’ai aussi co-écrit quelques articles dans 64_page, en lien avec l’œuvre de Jodorowsky que j’apprécie particulièrement, tant pour ses bande-dessinées que pour son cinéma.

Mathilde Gonzalez. Je m’appelle Mathilde, je suis étudiante et j’ai commencé à dessiner dès le collège, d’abord en reproduisant des personnages ou des lieux, puis de plus en plus en voulant trouver ma patte personnelle. Si la majorité de mes dessins sont des croquis à moitié finis sur des bords de pages, j’aime aussi travailler en digital pour des illustrations plus finies et détaillées. Par dessus tout, j’adore explorer les créations des autres artistes et auteurs, et échanger sur leur façon d’exprimer leurs idées et concepts.

Gérald Hanotiaux. Comment vous êtes-vous réparti le travail ? Par un classique scénario écrit transitant vers la dessinatrice, ou bien le processus a-t-il été différent ?

Johan. Le point de départ a été la planche faite par Mathilde en Terminale. À partir de là on s’est dit qu’on voulait présenter une histoire indépendante par page, tournant autour de personnages de différentes générations. J’ai proposé plusieurs idées générales à Mathilde qui a validé ou proposé des petites modifications de scénario. Ensuite, j’ai fait une mise en page grossière de ce que j’avais en tête et Mathilde a travaillé à partir de ces brouillons. Dans le cas de l’histoire de la petite fille c’est resté assez proche de ce que j’avais imaginé, dans celle de la personne âgée elle a amélioré le tout en repensant les différents angles de vue. Le résultat final est bien meilleur que ce que j’avais en tête !

Mathilde. C’est exactement ça, grâce aux brouillons et à tous les détails dont on a pu discuter, j’ai pu me faire une bonne idée de l’histoire et du déroulement de chaque scène. Après, j’ai modifié les plans pour suggérer certains éléments et varier les points de vue, pour donner un peu de profondeur. Ou bien au contraire, j’ai pu garder l’approche plus linéaire des brouillons, car elle se prêtait bien au scénario et mettait en avant l’évolution du milieu des personnages.

Gérald Hanotiaux. Cette histoire est publiée dans un 64_page spécial noir et blanc, est-ce une technique habituelle pour toi, ou cela t’a-t-il demandé une « adaptation » ?

Mathilde. Une certaine adaptation a été nécessaire, oui ! Au digital, j’apporte pas mal de soin au travail des couleurs, c’est une étape que j’aime beaucoup. Travailler uniquement avec des nuances de gris a été en quelque sorte une première, et il a fallu réfléchir à la façon dont j’allais recréer des ombres et des lumières, mais surtout du contraste entre les éléments. Mais au final, il a été très plaisant de remplir les planches et même d’inclure des petites touches de couleurs dans un décor en noir et blanc.

Gérald Hanotiaux. En effet, au sein du noir et blanc vous avez placé quelques touches de bleu ou de rouge, pourquoi ce choix ?

Mathilde. Ce n’était pas forcément prévu au départ… En avançant dans le croquis, j’ai trouvé intéressant de ponctuer certains détails d’une couleur bien particulière, pour évidemment les mettre en avant, mais aussi jouer avec l’attention du lecteur. Parfois pour ajouter de l’impact, pour faire un peu de foreshadowing – inclure des indices prenant leur sens plus tard – ou encore pour renforcer les contrastes. Dans le cas de ces trois planches, cela mettait en avant un renversement ou un changement de façon plutôt intéressante selon moi. J’ai alors présenté les deux versions à Johan, et ça a dû le convaincre puisqu’on a choisi les versions avec couleur.

Johan. En effet, dans un premier temps je n’avais pas non plus pensé à ajouter les couleurs, mais quand Mathilde m’a expliqué son idée et placé devant le résultat, j’ai tout de suite compris les apports à la construction de chaque histoire. Il m’a alors semblé évident que ces différentes touches de couleurs devaient être présentes.

Gérald Hanotiaux. Quels seraient selon chacun de vous les maîtres du noir et blanc en bande dessinée ?

Mathilde. Avec cette question, je me rends compte ne pas avoir lu une seule BD en noir et blanc, j’espère qu’on me pardonnera ! Par contre, si on se tourne vers les mangas, sachant que l’impression est quasi exclusivement monochrome, il y a plus de choix, et je vais pouvoir citer Takehiko Inoue et Hirohiko Araki, respectivement pour Vagabond et JoJo’s Bizarre Adventure. Ils font selon moi preuve d’une maîtrise et d’un style de dessin incroyables, je les admire particulièrement.

Johan. Beaucoup me viennent à l’esprit : Hugo Pratt, Comès, Frank Miller, Eduardo Risso, Keko… Et Taniguchi, si on part vers le manga. Difficile d’établir une liste restreinte ! Si je devais citer une œuvre en particulier je choisirais Habibi de Craig Thompson, une de mes plus belles lectures en noir et blanc

Gérald Hanotiaux. Plus largement, quels sont les auteurs ou autrices qui comptent pour vous ? Et celles et ceux que vous citeriez comme influences ?

Johan. Je vais essayer d’établir une liste plus courte ! Jodorowsky me vient spontanément à l’esprit ainsi qu’Antonio Altarriba dont je trouve les œuvres absolument fascinantes. Pour le coup, c’est vraiment son œuvre avec Kim sur El arte de volar et El ala rota (NDLR. L’aile brisée, paru chez Denoël Graphic) qui a inspiré notre proposition pour ce numéro de la revue.

Mathilde. J’ai commencé à lire de la bande dessinée avec Les Légendaires de Patrick Sobral, et le travail de la dessinatrice Nadou m’a vraiment donné envie de me lancer moi-même dans le dessin tellement il m’a plu. Aujourd’hui, en plus des deux déjà cités, j’aime énormément les histoires de ONE ou de Naoki Urasawa.

Gérald Hanotiaux. Mathilde, as-tu suivi un enseignement artistique ? Que penses-tu que peut apporter un tel enseignement ?

Pas du tout, je n’ai pas suivi de cours, même si je dois avouer que ça m’est déjà passé par la tête, ça me plairait beaucoup d’aborder le dessin et l’illustration sous un autre angle. Je suis certaine que cela peut vraiment aider à perfectionner un style, ou bien sortir d’une certaine zone de confort en expérimentant quelque chose de nouveau, mais surtout cela doit permettre de se diversifier et de s’enrichir techniquement.

Gérald Hanotiaux. Vous proposez cette histoire dans la revue 64_page, qui a pour vocation de montrer au public et aux professionnels de l’édition les premiers travaux d’autrices et auteurs. Comment voyez-vous un tel projet dans un contexte où la plupart des revues de prépublication ont disparu ?

Johan. C’est vrai que ce genre de revue n’existe quasiment plus et c’est vraiment dommage. C’est une très grande chance pour les jeunes auteurs et autrices de mettre en avant leur travail sans se lancer directement dans une guerre acharnée de création d’un album, qui leur prendrait un temps fou pour une publication bien loin d’être acquise. Ça permet aussi de montrer, à travers différents projets de quelques pages, une gamme variée de ce qu’une autrice ou un auteur peut faire. En somme, il est très important que ce genre de revue continue à exister.

Mathilde. En plus de tout ce qui a très justement été décrit, je pense aussi que cela peut être l’occasion pour de nouveaux auteurs ou autrices de se frotter au monde de la publication et de l’édition, potentiellement pour la première fois, et de travailler sur un projet au cadre clair, comme ça a pu être le cas pour moi. En plus des retours et de l’expérience acquise, c’est un support qui reste crucial pour la visibilité des artistes de ce milieu.

Gérald Hanotiaux. Plus largement, comment imaginez-vous les possibilités de se faire connaître dans un contexte d’édition souvent présenté comme « encombré » ?

Johan. En plus des quelques revues qui existent encore, je pense que les réseaux sociaux sont le moyen le plus efficace pour montrer son travail à un maximum de personnes et ainsi se faire connaître. Néanmoins, il faut aussi fournir un gros travail pour publier des choses régulièrement et, de ce fait, rester visible.

Mathilde. Effectivement, si on souhaite se faire connaître, il peut être bon de regrouper son travail sur une plateforme ou un média accessible et de savoir se mettre en avant, pour atteindre le plus de monde possible. Les réseaux sociaux facilitent bien cette démarche, même s’il peut être difficile de garder de la régularité et de se distinguer dans le flot de très bon contenu déjà exposé.

Gérald Hanotiaux. Avez-vous d’autres projets ensemble en bande dessinée ?

Johan. Pour l’instant rien de concret. Ça a été un réel plaisir de créer ces trois pages ensemble et quand une idée nous retombera dessus, j’espère que nous nous relancerons dans cette aventure ensemble !

Mathilde. J’espère bien, oui ! J’ai adoré faire ce projet et en ai profité un maximum. Même si pour l’instant on ne travaille sur rien de précis, si l’inspiration frappe encore, il est probable qu’on revienne avec un nouveau projet.

Gérald Hanotiaux. Quelles seraient vos envies, plus largement, dans la bande dessinée ? Ensemble ou respectivement… ?

Johan. Pour l’instant, j’espère continuer à partager ma passion pour la BD avec mes lycéennes et lycéens. D’un autre côté, mon plus grand souhait serait qu’un jour Mathilde publie un album, avec ou sans moi. Elle a un talent fou et j’aimerais énormément avoir un exemplaire du fruit de sa créativité dans ma bibliothèque !

Mathilde. Merci énormément, c’est un très bel objectif pour moi, et ça me touche beaucoup de me savoir aussi soutenue ! Pour le moment, j’essaie surtout, notamment par le biais de ce projet, de me perfectionner jusqu’à me sentir capable d’attaquer un travail de plus longue haleine. Ce qui est sûr, c’est que j’ai de plus en plus envie de mettre en scène et d’en arriver là un jour, à un album… Il serait alors certain que cette collaboration aura joué un rôle majeur vers ce but !

Pour finir, nous aimerions remercier l’équipe de 64_page de nous avoir donné l’opportunité de nous lancer dans cette aventure très enrichissante et d’avoir retenu notre projet.

Merci Mathilde et Johan !

Vous pouvez découvrir le travail de Mathilde Gonzalez sur Instagram : 

Mathilde : Instagram : machii.__

Johan : Instagram : johanfvbd 

TRÉFILIS – Mon ombre est moi

Interview Marianne Pierre

TRÉFILIS

J’ai toujours rêvé d’être publié en tant qu’auteur de bande dessinée et je poursuis cette quête sans relâche. J’ai appris le dessin en autodidacte avec une influence certaine du manga. Face à la difficulté d’être accepté dans le monde de l’édition, j’essaie de me faire une place dans l’océan d’Internet.

 

 

Marianne Pierre : Tu dis que ton histoire est une histoire d’horreur. Pourtant, cette ombre ne semble pas si méchante?

Tréfilis : Effectivement l’ombre ne paraît pas si effrayante, et elle ne représente aucun réel danger. C’est plutôt l’étrangeté, le mystère et l’altérité qu’elle évoque qui me paraissent effrayants. Elle représente une certaine part de nous-même avec laquelle on ne prend que rarement le temps de discuter. Mais cette inconnue fait déjà partie de nous même et ne nous veut aucun mal. Il est nécessaire de l’embrasser pour être entièrement soi-même.

©TRÉFILIS – Mon ombre est moi

Marianne Pierre : Ta BD s’inspire d’un cauchemar, lui-même inspiré par une lecture… Tes influences sont plutôt littéraires?

Tréfilis : J’ai des influences multiples. Elles viennent autant du cinéma, de la BD et de la littérature que du théâtre, de la musique ou du jeu vidéo. Quand une œuvre me parle, elle m’évoque des images, des séquences et des histoires quelle que soit sa provenance.

Marianne Pierre : Peux-tu nous parler de tes tentatives pour être publié?

Tréfilis : Me faire publier c’est une traversée du désert. Depuis un an j’ai envoyé le dossier de ma Bd Unisphère à une trentaine de maisons d’édition sans aucun retour positif. Entre les délai de réponse très long, les réponses « automatique », voir l’absence de réponse ; c’est difficile de garder courage. Pour le moment seule votre revue a accepté de diffuser un de mes projets et cela m’a fait beaucoup de bien. Pour Unisphère j’ai décidé de la diffuser sur le net et j’ai un autre projet récent pour lequel j’attend encore des réponses.

Marianne Pierre : Tu publies une BD, Unisphère, sur internet. C’est un moyen de se faire connaître?

Tréfilis : Effectivement, face au refus des éditeurs pour Unisphère j’ai décidé de la diffuser gratuitement sur le net pour gagner en notoriété. Mais ici aussi c’est difficile de tirer son épingle du jeu tant le nombre d’œuvres est conséquent. Pour le moment la tentative n’est pas très fructueuse. Les réseaux sociaux comme Instagram sont, eux aussi, difficiles à vivre. j’ai souvent l’impression d’envoyer des bouteilles à la mer.

Marianne Pierre : Tu es un dessinateur autodidacte: quelles sont tes techniques d’apprentissage?

Tréfilis : Les ressources pour apprendre le dessin sont très facile d’accès et internet regorge de tutoriaux en tout genre notamment sur youtube (je citerai les chaînes de Proko pour l’anatomie et de David Revoy pour le logiciel de dessin que j’utilise : Krita) Ensuite je m’astreins à une pratique journalière du dessin, c’est la seule manière efficace de progresser. J’essaie de connaître au mieux l’anatomie pour pouvoir la simplifier et dessiner sans référence quand je travaille sur ma BD et gagner du temps (car une Bd c’est énormément de dessin) sinon j’aime bien me mettre dans les position des personnage que je dessines pour « ressentir » le dessin de l’interieure. Pour le moment, j’ai encore du mal avec les décors et les paysages car je n’ai pas encore suffisamment d’entraînement

Pour lire ma BD Unisphère : https://www.mangadraft.com/bd/unisphere

Instagram : trefilis7

THÉ au VINAIGRE – Pudique

Interview Philippe DECLOUX

THÉ au VINAIGRE

« Mon nom de plume, c’est Thé au Vinaigre. Graphiste de formation et bédéiste autodidacte, je mélange mes fonds de tasse avec mes encres, pour parler de ce qui me tient à coeur, ou donner vie à mes personnages. »

64_page a repris deux histoires d’une planche pour notre nouveau projet UNE planche UNE histoire : Pudique de cette autrice passionnante et passionnée.

Découverte …

64_page : Dis nous qui tu es, quel est ton parcours personnel comme femme et comme créatrice, dessinatrice ?

©THÉ au VINAIGRE – Pudique

 

Thé au Vinaigre : Je suis Lorraine, ou Thé au Vinaigre, ou encore Théo. Mon parcours en tant que femme et créatrice, c’était d’essayer d’être quelqu’un d’autre tout le temps. Quand j’étudiais à l’*Epsaa, je me sentais toujours en décalage avec les autres. Sur le plan créatif et personnel, j’essayais d’être aussi féminine que les autres filles, de rester sage, puis d’être un petit mec qui se fout de tout. Ça ne m’allait pas, et tout le monde le sentait. Je me censurais. Par la suite, j’ai écrit Kernel Stigmas, et ça m’a beaucoup débloquée, tout comme ça m’a aidée à sortir du placard sur bien des aspects. Mon parcours en tant que non-binaire qui assume ses goûts et ses coups de gueule est étonnamment plus enrichissant!

*École professionnelle supérieure des arts appliqués

64_page : Tu proposes deux histoires d’UNE planche pour notre nouveau projet, tu abordes avec humour et liberté des sujets très intimes, très perso, comment construis-tu tes récits ?

Thé au Vinaigre : Ce sont toujours des histoires qui me tournent beaucoup, beaucoup, beaucoup en tête, pendant des mois. Parfois j’en discute avec des potes qui se sentent concernées, je lance des appels à témoignages auprès de mes abonnées, ou je débats avec moi-même sous la douche ! C’est comme une discussion quasi constante qui me travaille, et ça ne se calme qu’une fois que c’est écrit sur le papier, pile dans l’ordre souhaité, avec les mots voulus. C’est lors de l’écriture que je vais doser ce que je choisis de montrer ou non aux lectrices, ainsi que la touche d’humour nécessaire à ce qu’on ne me prenne pas en pitié, car ce n’est pas le but.

64_page : Tu as un dessin très sensuel, très gourmand. Est-ce uniquement pour ces récits ou est-ce ton style habituel ?

Thé au Vinaigre : C’est la première fois qu’on me le dit, et j’en suis plutôt contente! Je crois que c’est la première fois que je m’autorise ce style là pour un de mes récits. Ça m’arrive de dessiner de cette façon pour des croquis de recherche, je trouve ça assez satisfaisant à faire.

64_page : Quels sont tes projets à court et à moyen terme ? Quels thème veux-tu aborder et avec quelles techniques ?

Thé au Vinaigre : Je vais me focaliser sur ma série de bande dessinée Kernel Stigmas, maintenant que j’ai terminé l’épisode pilote. On sera sur de la fantasy contemporaine, avec une héroïne qui a le vécu d’un peuple stigmatisé, avec l’éducation d’un peuple stigmatisant. Mais il y aura d’autres petites thématiques qui me touchent, comme la transidentité, la lutte des classes… En parallèle, j’aimerais bien faire un recueil de mes petites histoires, comme celles que je vous présente aujourd’hui.

64_page : Thé au Vinaigre, tu as le pseudo le plus surprenant, le plus drôle, il a une histoire ? Tu peux nous la raconter ?

Thé au Vinaigre : On me le dit souvent, ça me fait beaucoup rire! Il a une histoire, très très bête. Mon père a nettoyé la bouilloire au vinaigre blanc, et ne l’a pas rincée. Bien sûr il n’a prévenu personne et c’est sur moi et mon thé vert que c’est tombé..!

J’ai fais du thé au vinaigre mon pseudonyme, car je trouve qu’il résume bien ce que je suis : j’ai l’air zen, mais je suis très acide quand on gratte un peu la surface.

Pour suivre Tbé au Vinaigre : Instagram @the_au_vinaigre - @kernel_stigmas

PAVÉ – Des cartoons à éclat écarlate

Interview Cécile Bertrand

PAVÉ

« Pavé, ce jeune bruxellois, né en 1959, a travaillé dans le secteur associatif jusqu’à l’issue de sa carrière. Autodidacte, il tente de se faire l’écho de ce qu’il croise et parcourt, façon dessin de presse, en noir et blanc … avec un p’tit coup de rouge.  »

64_page : Tu as déjà été interviewé par 64_page, en quelques mots peux-tu nous rappeler ton parcours de cartoonist ?

Pavé : Pavé, c’est tant ma part abandonnée que ma part retrouvée. La part abandonnée pendant plus de trente années par un Patrick Verhaegen – c’est mon nom officiel – oblitéré par ses engagements professionnels et militants. C’est la part retrouvée sur prescription médicale et jardinée régulièrement depuis, y compris au-delà de ma carrière professionnelle. Façon dessin de presse, à travers Pavé, je fais écho de ce que je parcours tantôt méditant, tantôt souffrant, tantôt souriant… toujours aimant, toujours vivant.

© PAVÉ – Fin de partie

64_page : Quand tu dessines « Fin de partie » – ces joueurs de boules qui tendent d’approcher un cochonnet qui est le soleil couchant au bout d’un immense horizon – c’est toute une parabole de la vie, atteindre l’impossible pitchoune, comment se passe ton processus de création ? L’idée surgit comme une évidence ? Ou est-ce un processus par étape, par essai ?

Pavé : Il y a de l’ordre du surgissement autour de thèmes qui s’imposent régulièrement à moi comme dans « Fin de partie » :l’horizon, le soleil,… Une idée, une image survient en déclic que je m’efforce de capter, de griffonner dans le carnet qui m’accompagne afin qu’elle se pose une première fois, ne s’échappe pas. Ensuite, elle mijote, me revient en tête chroniquement jusqu’à ce que je la re-poseau net sur le papier et là, elle naît, vient au monde, s’apaise et m’apaise.

64_page : Comme on vient de le voir, tes cartoons ont souvent une connotation philosophique, en tout cas un regard décalé, narquois sur le monde qui nous entoure. Utilises-tu ta plume comme arme de décapage des cerveaux englués ?

Pavé : C’est, je crois, un regard sur l’homme vis-à-vis du monde qui l’entoure. Cet homme qui se croit surpuissant, se veut dominateur alors qu’il se doit plus d’être humble, sensible à ce qui l’entoure et le dépasse. Mais la compréhension de cela vient plutôt a posteriori qu’a priori. Je n’en ai pas conscience au début. C’est progressivement que le sens émerge dans ce qui s’est imposé à mon cerveau qui s’est englué tout comme bien d‘autres cerveaux de mes congénères le sont.

64_page : Ton dernier dessin n’amuse personne. Que te dis-tu ? Cela peut arriver ou ces idiots ne comprennent rien ?

Pavé : Cela peut arriver que ces idiots ne comprennent rien ! Là, je joue. Plus sérieusement, il y a certes de la déception. Emerge alors aussi un regard critique : qu’est-ce qui dans le dessin, dans la légende a manqué, fait défaut ? Mais il y a d’abord et surtout une reconnexion à ce que ce dessin m’a apporté, à moi-même. Et là, il y a certes un travail, un labeur et il y a surtout un plaisir profond, essentiel. Et c’est ce qui compte avant tout.

64_page : Par souci médiatique de greenbashing n’abandonnerais-tu pas le rouge (les socialistes ont déjà donné !) pour le vert ?

Pavé : Le vert est certes à la mode, politiquement correct. Le rouge devrait l’être aussi. Et quid du bleu, de l’orange, de l’amarante ? Quand le rouge s’est imposé à moi, il n’y avait aucune volonté de faire une référence politique. Il s’est ajouté au noir et blanc qui existait avant que j’abandonne Pavé. A sa reprise, le rouge a émergé en lien avec ma situation de santé du moment. Le rouge a un double sens qui me fait le conserver comme couleur de base. C’est à la fois une couleur de douceur et une couleur de douleur. C’est celle de l’amour, de la vie qui circule et c’est aussi celle de la blessure, du sang qui coule.
Alors, là-dessus, un p’tit coup de rouge ?!

 

Pour suivre Pavé : https://www.facebook.com/pavesurlenet/

Inès SANCHEZ ROYANT – Une autre opération

Interview Gérald Hanotiaux

Inès SANCHEZ ROYANT

Dans le numéro 23 de la revue 64_page, à paraître à la rentrée, nous retrouvons notre cadette Inès Sanchez-Royant, qui nous propose trois magnifiques planches en nuances de gris, rehaussées d’un élégant bleu. Elle nous livres quelques mots sur elle, cette histoire, et ses envies…

 

 

Gérald Hanotiaux : Bonjour Inès, pourrais-tu te présenter aux lectrices et lecteurs de 64_page?

Inès Sanchez-Royant : J’ai quatorze ans et je suis franco-espagnole. J’aime lire, dessiner et inventer des histoires depuis toujours. Je suis passionnée de bande dessinée, j’adore en faire tout comme les dévorer.

©Inès SANCHEZ ROYANT – Une autre opération

Gérald Hanotiaux : Pourrais-tu nous parler de l’histoire que tu proposes dans le nouveau numéro de 64_page, intitulée Une autre opération ?

Inès Sanchez-Royant : Il s’agit de ma première histoire entièrement autobiographique. À quatorze ans j’ai déjà été opérée neuf fois. J’ai adapté mon point de vue en bande dessinée. À chaque intervention médicale, les couleurs semblent disparaître du monde et je finis par associer la douleur aux tons grisâtres, à la lumière éblouissante et à l’obscurité intense. J’ai donc pensé à tout ça pour ce projet dans un numéro consacré au noir et blanc. Dans quelques semaines j’irai au bloc opératoire pour une dixième fois.

Gérald Hanotiaux : À ce noir et blanc, tu as décidé d’ajouter des touches de bleu. Pourquoi ce choix ?

Inès Sanchez-Royant : J’ai rajouté du bleu sur les anesthésistes pour leur donner de l’importance. Avant de sombrer dans le noir, les dernières couleurs que je vois sont essentiellement le blanc des lumières et des murs, et le bleu-vert qui recouvre les anesthésistes de la tête aux pieds. Ce bleu était donc important pour ces planches.

Gérald Hanotiaux : Es-tu particulièrement amatrice de noir et blanc en bande dessinée, de manière générale ?

Inès Sanchez-Royant : Je n’aime pas trop le noir et le blanc en bande dessinée, je préfère mettre et voir de la couleur. Je colore normalement mes planches avec des couleurs vives.*

Gérald Hanotiaux : Que t’apporte le fait de publier dans une revue comme 64_page ?

Inès Sanchez-Royant : 64_page me permet de me faire une petite place dans le monde de la BD et de commencer, peut-être, à me faire connaître par les éditeurs.

Gérald Hanotiaux : Comptes-tu te tourner vers un enseignement artistique ? Qu’attendrais-tu d’un tel enseignement ?

Inès Sanchez-Royant : Je souhaite faire des études supérieures artistiques après le lycée. Je pense me tourner plutôt vers une spécialisation en bande dessinée. J’attends simplement, de l’école que je choisirai, une possibilité de professionnalisation de ma passion.

Gérald Hanotiaux : Qu’aimes-tu particulièrement dans le fait de t’exprimer en bande dessinée ?

Inès Sanchez-Royant : M’exprimer en bande dessinée me permet d’utiliser l’ironie et la critique sociale avec l’écriture et le dessin. On peut projeter exactement ce qu’on a dans la tête très facilement, rapidement et visuellement. Ce format permet de raconter, tout comme au cinéma – avec les codes de ce dernier, plans, angles de vues… – mais avec des facilités en plus : on peut par exemple jouer sur la taille des cases pour accentuer la narration… Bien entendu, il est également plus rapide de dessiner les personnages et les décors d’une bande dessinée que d’organiser un tournage de cinéma. En puis, en bande dessinée, le résultat final est toujours exactement comme on l’a imaginé.

Gérald Hanotiaux : Quel(le)s sont les auteurs et autrices, et les dessinateurs et dessinatrices qui t’ont donné envie de te lancer dans la BD ?

Inès Sanchez-Royant : Les auteurs qui m’ont donné envie de me lancer dans la bande dessinée, il y a cinq ans, sont Jean-Michel Darlot et Johan Pilet pour leur série Ninn, et Alex Alice pour Le château des étoiles. Actuellement, j’apprécie particulièrement le travail de Giovanni Di Gregorio et Alessandro Barbucci pour Les sœurs Gremillet, de même que celui de Kid Toussaint et Aveline Stokart pour Elle(s).

Gérald Hanotiaux : Pour terminer, Inès, pourrais-tu évoquer tes éventuels projets immédiats en bande dessinée ?

Inès Sanchez-Royant : Nous nous étions vu l’an dernier lors de la journée de rencontres avec les éditeurs au Centre belge de la BD, je vais y retourner cette année présenter mes travaux récents. J’ai également présenté un nouveau projet au prix Raymond Leblanc, qui a d’ailleurs un lien avec Une autre opération. Dans cette nouvelle histoire, une jeune fille se fait opérer et se voit projetée dans un monde parallèle suite à l’anesthésie. Vous l’aurez compris, je me base sur mon expérience et j’y ajoute du merveilleux et du fantastique.

Nous te souhaitons de tout cœur le plus grand courage pour ce passage à l’hôpital, et…

Merci Inès !

Vous pouvez découvrir le travail d’Inès Sanchez-Royant sur internet :

losdibujosdeines.wordpress.com / Instagram : ines.sanchez.royant

 

* Vous pourrez voir les couleurs chatoyantes d’Inès dans Petit meurtre matinal, aux pages 45 à 47 de notre numéro 22, consultable à cette adresse :

64 Page – Papier


Nour HAÏDAR – Let’s dance

Interview Angela Verdejo

Nour HAÏDAR

Je suis une illustratrice de Beyrouth, Liban, de 22 ans. J’aime raconter des histoires en BD et je joue avec beaucoup de médiums, styles et sujets différents. Je saute entre illustration et bande dessinée, découvrant à chaque fois de nouvelles façons de m’exprimer.

 

64_page : Nour, tu fais partie des jeunes auteur.e.s sélectionné.e.s pour le spécial noir et blanc de 64_page qui paraîtra en septembre pour la Fête de la BD de Bruxelles et qui sera ensuite présent au premier festival « Beyrouth Livres » au Liban, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs.trices pour commencer cet entretien ?

Nour Haidar : Je m’appelle Nour Haidar. Je suis une illustratrice libanaise de 22 ans née à Beyrouth. Je dessine depuis que je suis petite, j’ai toujours aimé expérimenter avec toutes sortes de médiums. En 2018, j’ai intégré l’Académie Libanaise des Beaux-Arts (ALBA), section Arts Graphiques et Publicité. En 2019, je me suis spécialisée en Illustration et BD.

© Nour HAÏDAR – Let’s dance

 

Après ma spécialisation, et grâce à ma prof Michèle Standjofski, toute ma perception du dessin et de la bande dessinée a changé. Pour moi, le dessin est devenu un outil pour l’imagination. J’ai appris à observer correctement et à transformer non seulement ce que je vois, mais aussi mes idées en traits, en formes et en couleurs. Ensuite, j’ai appris à faire des bandes dessinées, et comment on raconte une histoire à travers des images. J’aimais construire des mondes et créer des personnages, et je savais que c’était ce que je voulais faire pour après passer ma vie à raconter des histoires. Le dessin, pour moi, est un langage universel et il m’a aidée à communiquer mes pensées et mes idées ; c’était comme si mon imagination avait enfin trouvé l’outil dont elle avait besoin.

Actuellement, je fais ma dernière année de master à l’ALBA, je me concentre donc sur mon projet de fin d’études, qui sera très probablement une BD de 48 pages. Je travaille également en tant qu’illustratrice chez Lebanon Alternative Learning (LAL).

64_page : pour revenir à ce numéro spécial noir et blanc, pourquoi, selon toi, dessiner en noir et blanc ?

Nour Haidar : Je dessine généralement en noir et blanc, puis j’ajoute les couleurs digitalement. Personnellement, j’ai toujours l’impression que si mes illustrations sont complètes uniquement en noir et blanc, cela signifie qu’elles sont prêtes à partir. Cela place la barre pour moi, il est beaucoup plus facile de repérer les erreurs en noir et blanc – le contraste est augmenté, de sorte que tout problème de forme, de composition ou de perspective saute aux yeux.

J’utilise le noir et blanc pour fixer la base de toutes mes illustrations, et je pense que le trait noir ajoute du charme. C’est toujours intéressant de voir deux versions d’une même illustration, une en noir et blanc et une en couleurs (tout comme le travail de Catherine Meurisse par exemple).

64_page : Le noir et blanc ou le blanc et noir ? Qu’exprime-t-on à travers ces couleurs ? Est-ce que ce sont des couleurs et donc à traiter comme des couleurs ? Que peut-on faire en noir et blanc qu’on ne pourrait pas faire en couleurs et vice versa ?

Nour Haidar : Le noir et blanc est une technique qui offre beaucoup de possibilités car elle peut être traitée en masses, ou simplement en traits. La capacité à développer des techniques d’expression est améliorée lorsqu’il faut trouver différentes façons pour suggérer les caractéristiques d’un paysage, plutôt que de simplement recourir à la couleur. Utiliser des morceaux de charbon de bois et les écraser sur le papier, utiliser du carton ou du ruban adhésif pour masquer des lignes blanches nettes, brosser la poussière pour créer des marques abstraites… Tous sont des exemples de différentes façons de décrire la texture et de transmettre le mouvement. Le noir et blanc simplifie tout, ce qui met en valeur toutes ces belles touches et l’impact qu’elles ont sur une pièce finie. Ce que vous perdez en n’ayant pas de couleur pour raconter pour vous, vous le gagnerez en qualité de composition, de forme et de ton, ainsi que la capacité de communiquer l’humeur et l’atmosphère d’une manière totalement différente.

Il est si facile de penser « terrain » et de commencer à utiliser la couleur verte, de penser « ciel » et de commencer à mélanger les bleus, mais lorsque vous décrivez ces mêmes caractéristiques en noir et blanc, cela donne une représentation tout aussi audacieuse, sensible ou descriptive d’une manière intemporelle et tout à fait unique.

64_page :Quel.le.s auteur.e.s et quels ouvrages citeriez-vous comme référence personnelle en ce qui concerne cette technique du noir et blanc et pourquoi ?

Nour Haidar : Je recommanderais « 676 apparitions de Killofer » de Patrice Killofer, qui a été ma principale inspiration pour cette BD. Ses planches sont si bien équilibrées et contrastées. Il utilise un mélange de masses et de lignes de manière intelligente. Parfois, ce sont des lignes noires sur du blanc, parfois des lignes blanches sur du noir, et parfois ce sont les deux. Ses pages sont surchargées de détails, mais il trouve un moyen de rester clair et lisible, ce qui est le plus grand défi quand il s’agit de noir et blanc.

64_page :Ton travail tourne autour du thème « let’s dance », du mouvement, nous venons de vivre une période pénible de cloisonnement, de confinement à cause de la situation sanitaire, en quoi cela a-t-il été important d’aborder ce thème justement en ce moment où l’on « déconfine » ? Pourquoi avoir choisi plus particulièrement la danse ?Pourrais-tu nous expliquer ton propre travail dans cette optique ?

Nour Haidar : Lorsque nous étions confinés, tout le monde au Liban rêvait de danser. Tout le monde voulait être à nouveau libre. Même si nous pouvions danser chez nous, les liens que nous ressentions avec les autres en dansant ensemble nous manquaient. Danser, c’est lâcher prise et suivre le courant, ce dont on avait particulièrement besoin dans les moments de désespoir, de stress et de confinement. Quand on a pu sortir à nouveau, et avec tout ce qui se passait au Liban, la première chose qu’on a faite c’est de repartir danser. Certains dansent pour oublier, d’autres dansent pour lâcher prise, et nous, on danse pour être ensemble et ressentir un sentiment d’appartenance quelque part.

64_page :Nour, pourrais-tu nous éclairer sur tes choix d’espace et de temps dans la vignette qui va être publiée (sans spoiler trop non plus… durdur), la décomposition du mouvement entre autres…

Nour Haidar : J’ai décidé de faire ma bande dessinée sans cases parce que je voulais exprimer la liberté de mouvement sans limite, l’espace surpeuplé, et fluidifier le flux de l’image. De plus, je voulais faire danser le regard du lecteur à travers le sens de lecture qui forme une courbe en S du début jusqu’à la fin. J’ai joué avec l’espace et le temps dans ma bande dessinée. L’espace est formé par les mouvements de mes personnages. Et la décomposition du mouvement ralentit le temps, et transpose la danse pas à pas.

64_page : Ces travaux font-ils partie d’un travail plus long ? D’une BD en cours de route ? D’un projet ?

Nour Haidar : Cette BD a été réalisée pour notre fanzine MAZZA que nous avons lancé récemment. Chaque artiste du fanzine a reçu deux pages pour créer une bande dessinée en noir et blanc sur le thème de la danse pour notre premier numéro. Donc, c’est juste une courte bande dessinée de deux pages.

64_page : Quels sont tes projets à venir ? À quoi travailles-tu en ce moment ?

Nour Haidar : En ce moment, je travaille sur une histoire pour mon projet de master l’année prochaine. En parallèle, je travaille sur de petits projets personnels en utilisant l’encre et la plume. Je développe toujours un style personnel et j’essaie d’aborder différents thèmes.

Je prévois d’apprendre l’animation aussi, pour l’avenir. Je veux pouvoir donner vie à mes illustrations et faire bouger mes personnages.

Pour suivre Nour Haïdar : Instagram : nourhaïdar_



Enrique CROPPER – La tragédie du Tsushima Maru

Interview Philippe Decloux

 

Enrique CROPPER

Je suis fan de bande dessinée depuis l’âge de 4 ans. J’ai étudié l’art à l’école à Saint-Gilles et à l’université de Canterbury. À présent, je cherche du travail. Entre-temps j’essaie chaque jour d’améliorer le style de mes BD et mes animations.

Philippe Decloux : Tu publies pour la première fois dans la revue 64_page, peux-tu te présenter ? Raconter ton parcours personnel, et comme dessinateur de BD ?

Enrique Cropper : Je m’appelle Enrique Cropper. J’ai 29 ans et j’habite dans la commune de Waterloo en Belgique. C’est la toute première fois que je publie un projet dans 64 page et je suis vraiment content de cela car je cherchais depuis un certain temps à me faire publier.

© Enrique CROPPER – La tragédie du Tsushima Maru

 

J’adore les bande-dessinées depuis très jeune. Les premières bande-dessinées que je lisais, c’était celles des aventures des Schtroumpfs. Je me souviens encore de la toute première aventure des Schtroumpfs que j’avais lu. C’était ‘Les Schtroumpfs et le Cracoucass’. Bien que je ne comprenais pas ce qui se passait dans l’histoire, je l’ai adoré. Depuis ce moment, j’étais attiré par toutes les histoires de Schtroumpfs que je pouvais trouver.

J’avais commencé à faire des dessins depuis que j’étais à la maternelle. Au début, c’était juste des petits dessins des petits robots qui se fracassaient l’un sur l’autre, des choses comme ça. Mais à partir de 11 ans, j’ai commencé à m’intéresser à faire de la bande-dessinée. Je dessinais des petites histoires sur une page, et après de plus longues histoires, sur des petites aventures avec des personnages en forme de bâton, des petits drames et des invasions extra-terrestres. Je dessinais ce qui me passait par la tête.

Après quatre ans d’enseignement secondaire en techniques artistiques à l’Institut Sainte Marie, à Saint Gilles, j’ai commencé un cours en ‘Animation et Illustration’ à l’Université de Creative Arts de Canterbury. Comme l’Angleterre n’était pas un bon milieu pour faire la bande-dessinée, la plupart du temps, je me focalisais plus sur mes animations, avant de revenu vivre en Belgique en 2018, et m’inscrire à l’atelier BD de l’Académie de Watermael-Boitsfort, donné par le professeur Philippe Cenci.

Ph. Dx. : D’où t’est venue l’idée de raconter l’histoire du ‘Tsushima Maru’ ? Connais-tu Les belles histoires de l’Oncle Paul que l’hebdo Spirou publiait entre 1951 et les années 1970 ? En quelques pages, le scénariste Jean Michel Charlier vulgarisait un épisode de la grande histoire de l’humanité ? Ta démarche me rappelle cette aventure historique et graphique qui a souvent permis à des dessinateurs de se faire connaître, d’avoir une première publication.

Enrique Cropper : A propos des belles histoires de l’Oncle Paul, non,je dois admettre que je n’ai jamais entendu parler de ce personnage de BD,avant que vous le mentionnez. Comme je n’ai jamais vu non plus d’exemplaires de l’Oncle Paul dans les magasins de bande-dessinées d’occasion, et je n’ai pas de membres de ma famille nés en Belgique, je ne les ai jamais croisé. Je viens de regarder certains de ses aventures sur internet et je dois avouer que c’est assez intéressant !

En effet, l’idée de raconter ’La tragédie du Tsushima Maru’m’étais venue parce le projet proposé était noir et blanc, et le noir et le blancpeuvent donner une ambiance dramatique. L’incident du ‘TsushimaMaru’ fut un incident dramatique des plus extrêmes. Je me suis alors dit que ce serait un bon thème. Ce que je trouvais très intéressant, avec ce navire, c’était à quel point les japonais attachentaujourd’hui de l’attention à son histoire. Il n’y a pas seulement un musée dédié aux victimes de la tragédie, mais aussi un mémorial. Il est consacré en particulier aux jeunes écoliers, dont leurs photos sont exposés dans le musée et pour tout vous dire, j’aimerais bien le visiter un jour.

Ph. Dx. : Puisqu’on parle comparaison, connais-tu le torpillage du « Wilhem Gustloff »? Il s’agit d’une histoire identique qui s’est passée en 1945 dans le mer Baltique. Il transportait plus de 4000 allemands, en majorité des enfants qui tentaient de fuir en Suède quand il a été coulé par un sous-marin soviétique. L’écrivain Günter Grass le raconte dans « En crabe » ?

Enrique Cropper : Même si le torpillage du navire ‘Gustloff’ fut un des incidents maritimes le plus dramatique de l’histoire de l’humanité,à cause de la grande perte de vies, je m’étais inspiré du ‘Tsushima Maru’pour le projet noir et blanc, car je pense que l’histoire d’autres navires doiventêtreaussi entendu.

Ce n’est pas la première fois que je raconte une histoire de la guerre dans le Pacifique. En 2014, comme partie de les études en animation, j’ai fait une animation, téléchargée sur Youtube, sur le navire japonais,le ‘Sinking of the TamatsuMaru.’En 2019, j’ai aussi autopublié une mini-BD de douze pages sur le navire japonais, le ‘Story of the MayasanMaru.’ Comme vous voyez, je suis très enthousiasmé par les combats navales !

Ph. Dx. : Tu as un dessin très descriptif, quasi documentaire et ton récit est très narratif. Tu racontes une histoire sans héros. Ce n’est pas courant chez les jeunes auteurs, explique ta démarche ?

Enrique Cropper : Le truc, c’est que je suis passionné par l’histoire et je me sers de documentaires comme inspiration. Bien que je m’intéresse beaucoup aux bande-dessinées, j’éprouve quelques difficultés quand j’essaie de faire une histoire courte de cinq pages. Une fois l’histoire commencée, j’ai beaucoup de mal à raccourcir ce que j’avais prévu pour l’histoire.

Avec ce type de récit, je m’étais aussi inspiré par certains ouvrages d’Alix, notamment celui de Carthage qui, en plus d’expliquer l’histoire de Carthage,présenteaussi une série d’illustrations, expliquant certains évènements dans lesquels Alix apparait parfois.

Bien que je sois un grand fan l’histoire, plus récemment je suis aussi attiré par la mythologie et les contes de fées. Pendant ma première entrée au cours de BD/illustration à Watermael-Boitsfort, je décidai de faire un projet de douze pages, concernant l’Odyssée, intitulé ‘Ulysse et Polyphème’ ou le grand héros et ses compagnons d’armes font la rencontre de l’effrayant cyclope. J’avais fait auto publier ce projet en 2020 pendant mes vacances d’été.

Ph. Dx. : Quels sont des projets en cours ? Et à plus long termes ?

Enrique Cropper : Depuis 2020, j’ai encore développé mon intérêt pour la mythologie, avec ‘L’histoire du roi Minos’, et j’ai aussi commencé à fairedeuxrécits en bande-dessinée sur des contes folkloriques : ‘L’oie dorée’ et ‘Le vilain petit canard’. Les trois projets sont à différents stades de réalisation et me prennent beaucoup de mon temps. Ainsi, pour le moment, j’ai beaucoup de quoi m’occuper !

https://enriquecropper.wordpress.com

Mes chaines YouTube : https://www.youtube.com/channel/UCpHg2fz-G5wZoo6d59PMbqA/videos

https://www.youtube.com/channel/UCRkJhCjjW9rSc7MPiOfOcgQ/videos?view=0&sort=p

Mes albums d’images : https://www.flickr.com/photos/116880412@N04/with/51828684861/

enriquecropper.wordpress.com

Facebook : enrique.cropper.9

 

 

Elsa LEONARDI – Oiseau (cartoons)

Interview Cécile Bertrand 

Elsa LEONARDI

Vous m’avez peut-être déjà aperçue attablée dans l’un ou l’autre bistrot liégeois que j’apprécie tant. Je tente d’en extraire l’atmosphère et les moments suspendus. J’écoute, observe et capte le mot, la phrase ou l’expression qui sous mes coups de crayon se transforme en dessin d’humeur.

Cet oiseau, c’est vous, c’est moi, c’est nous. Tantôt donneur de leçon, tantôt amoureuse passionnée, tout le monde s’y reconnaît ou y reconnaît quelqu’un.

Cécile Bertrand : Pourrais-tu te présenter en quelques mots, nous raconter quel est ton parcours ? Es-tu autodidacte en ce qui concerne le cartoon ? Ou bien tu as suivi des cours ? Si oui, où ?

Elsa Leonardi : Je n’ai pas vraiment de parcours dans la bande dessinée. Vous m’avez peut-être déjà aperçue attablée dans l’un ou l’autre bistrot liégeois que j’apprécie tant. Ce café c’est « La Casa Ponton » à Liège. J’ai commencé à dessiner, il y a 3 ans des rats et des chiens qui représentaient des clients puis l’oiseau s’est imposé comme personnage principal. Pour devenir le seul. Je suis complètement autodidacte. Et puis, il y a ce projet en gestation de réunir, un jour, mes dessins dans un livre.

© Elsa LEONARDI

 

Cécile Bertrand : Être née dans une famille d’artiste t’a-t-il aidé et dans quel sens ?

Elsa Leonardi : Au départ, non pas vraiment. J’ai plutôt mis du temps à trouver ma place et à définir mon style.

Cécile Bertrand : Qu’est-ce qui a été ta motivation/inspiration pour la création de ce personnage assis au bar ou vautré dans un Togo, buvant et fumant ?

Elsa Leonardi : Je tente d’en extraire l’atmosphère et les moments suspendus. J’écoute, observe et capte le mot, la phrase ou l’expression qui sous mes coups de crayon se transforme en dessin d’humeur. Cet oiseau n’est pas très beau mais pas moche non plus, mais je l’ai voulu attachant. Tantôt donneur de leçon, tantôt amoureuse passionnée. On aime ses petites lâchetés, ses coups de blues, ses doutes et ses certitudes. Il accompagne notre journée, nous fait sourire ou rire et parfois nous émeut.

Cécile Bertrand : Est-ce un autoportrait ?

Elsa Leonardi : Probablement mais pas que. Cet oiseau, c’est vous, c’est moi, c’est nous. Tout le monde s’y reconnait ou y reconnait quelqu’un.

Cécile Bertrand : Est-ce en regardant autour de toi que tu puises tes idées. Un café est-il un endroit que tu privilégies pour trouver tes idées ?

Elsa Leonardi : Oui, je puise les idées autour de moi mais avec le confinement et la fermeture des cafés, j’ai également trouvé mon inspiration dans des lectures, des films et internet.

Cécile Bertrand : Je pense que tu as à nous dire beaucoup de choses sur notre société. Es-tu engagée politiquement, pas dans un parti, simplement penses tu envoyer un message politique via tes cartoons ?

Elsa Leonardi : Non je ne pense pas. En tout cas, je n’en n’ai pas la prétention ni la volonté… Ou alors c’est inconscient. Mais il est certain que quand on parle des gens on parle forcément des problèmes de notre société.

Cécile Bertrand : Que penses-tu de l’énergie des jeunes contre le climat ?

Elsa Leonardi : J’aurais aimé avoir l’énergie de certains jeunes engagés pour le climat mais humblement, je trie juste mes poubelles.

 

Te sens-tu libre de dire ce que tu veux sur FB et penses tu que tu serais libre de dire tout ça dans un quotidien ou autre hebdomadaire ?

Oui mais je suis (presque toujours) attentive à ne blesser personne.

Instagram : elsa_leonardi

 


Guillaume BALANCE : 34 ans de vie

Interview Marianne Pierre


 

Guillaume BALANCE

Né en 1986 à Bruxelles, Guillaume Balance est passionné depuis son plus jeune âge par l’image et, plus particulièrement, par la bande dessinée. Il suit des cours de dessin depuis une dizaine d’années dans diverses académies. Parallèlement, il a poursuivi un cursus dans l’audiovisuel et est devenu cameraman-monteur.

 

 

© Guillaume BALANCE – 34 ans de vie

 

Marianne Pierre : Dans la vie, tu es également cameraman-monteur dans l’audiovisuel. Apparemment, cela t’est utile dans la bande dessinée, par rapport à ton cadrage et à ton découpage qui sont très cinématographiques?

Guillaume Balance : Oui, quand j’étais en rétho, j’ai hésité entre faire des études de BD ou de Ciné. Les deux ont toujours été assez mélangés chez moi, je me souviens qu’à l’époque j’avais par exemple storyboardé la scène de la douche du film « Psychose » pour essayer de comprendre l’intention des cadrages car il me semblait qu’ Hitchcock avait été dessinateur. Après, il y a de grosses différences entre les deux langages (rythme, répétition, audio…). Je dirais plutôt que c’est la BD qui a influencé mes cadrages dans l’audiovisuel car elle est plus ancienne chez moi.

Marianne Pierre : Comment organises-tu ton temps entre tes deux activités?

Je jongle de l’un à l’autre … pas toujours facile de trouver l’équilibre…mais j’ai besoin des deux.

Marianne Pierre : Tu parles du confinement. Est-ce que cela a été une période de création importante pour toi?

Guillaume Balance : Oui beaucoup, mes tournages ont été souvent annulés et je faisais principalement du montage, donc j’étais à la maison. J’ai aussi commencé à dessiner sur Ipad à ce moment-là. J’ai beaucoup fait de dessins d’observations à cette époque et puis mon fils est né aussi donc il y a eu beaucoup de créations pendant cette période haha.

Marianne Pierre : Tu évoques ton enfance, ta paternité… ta matière principale semble être ton vécu? Ou t’essaies-tu parfois à la fiction?

Guillaume Balance : J’ai toujours fait des BD biographiques. Avant elles étaient assez expérimentales et chacun pouvait y interpréter ce qu’il voulait, mais depuis quelque temps j’ai le souhait d’être plus lisible pour le lecteur, j’essaie d’être compris et que cela soit plus fluide. Je pense qu’il y a toujours une partie autobiographique dans n’importe quel œuvre de toute façon.

Je travaille actuellement sur un projet avec un scénariste donc je me consacre essentiellement sur dessin, à la mise en scène et au découpage.

Marianne Pierre : Peux-tu nous parler de tes projets dans la bande dessinée?

Guillaume Balance : Je suis occupé sur un gros projet de Bande Dessinée avec Jerry Frissen au scénario pour Les Humanoïdes Associés. J’en suis super content car l’histoire me touche tout particulièrement et c’est un beau challenge.

Pour suivre Guillaume Balance : Instagram : guillaume_balance

Sandrine CRABEELS : Jorinde

Interview : Marianne Pierre

Sandrine CRABEELS

Illustratrice et graphiste, je suis sortie de l’ERG en 1997 avec une licence en communication visuelle. En 2004 j’ai ouvert mon studio, aujourd’hui j’y propose essentiellement des illustrations et des identités visuelles. Mais depuis quelque temps, je reviens aussi à mes premières amours, l’illustration narrative et, surtout, la BD !

 


Marianne Pierre : Peux-tu nous raconter en quelques mots l’histoire de Jorinde, une histoire longue dont tu présentes ici les premières planches?

Sandrine Crabeels : Jorinde vit dans un immeuble le long d’un petit port de ­plaisance. Ses voisins sont peu liants. Elle est seule. Un jour son immeuble prend feu et elle doit sauter par la fenêtre pour échapper aux flammes. Elle tombe dans l’eau du petit port.

© Sandrine CRABEELS : Jorinde

En sortant de l’eau, elle arrive dans un univers différent (exprimé par la couleur). Elle y rencontre Tim qui vit à quelques centaines de mètres de là, dans une grande maison qu’il partage avec 4 autres enfants : Élée, Nella, Suzie et Coco. Avec eux, et souvent seule, elle va vivre des aventures qui la mèneront à se connaître mieux, à devoir se dépasser et s’ouvrir à l’imprévu. Tout le contraire de sa petite vie dans son petit appartement !

Elle va devoir trouver un papillon particulier dont elle a rêvé : les enfants sont persuadés qu’ils doivent le chercher. Elle va traverser des univers étranges, comme un brouillard qui ne lui permet plus de se voir elle-même, elle y perdra ses bras et ses jambes avant de les retrouver. Elle va traverser une grotte, découvrir un curieux jardin (allusion à Alice au Pays des Merveilles) et discuter avec une araignée géante avec laquelle elle apprendra à fabriquera une blouse (oui, elle avait perdu ses vêtements). Elle va sauver une puce d’une attaque de corbeaux et y perdre les yeux. Mais ça va, elle en retrouvera d’autres !

Il est question d’une sorcière aussi, d’un château, d’une forêt, d’un petit oiseau… Et puis, et puis… Vous le lirez !

Marianne Pierre : Tu essaies de faire publier Jorinde, peux-tu nous en dire plus?

Sandrine Crabeels : J’ai d’abord préparé un dossier (avec le synopsis complet, une note d’intention, quelques planches abouties, les études de personnages, des croquis de personnages et de recherches sur les décors etc. et le découpage des 17 premières planches, ah oui, mon CV aussi). Et puis, avec ça sous le bras, je me suis rendue au festival d’Angoulême. J’y ai rencontré quelques éditeurs sur les stands, j’ai discuté avec certains et aussi déposé mes coordonnées et un petit aperçu de ce que je fais. En faisant la file au pavillon Jeunes Talents, j’ai pu rencontrer des éditeurs assez prestigieux qui prennent le temps de regarder le boulot que tu prends avec toi et en discuter. Enfin, j’ai envoyé mon dossier à une petite vingtaine d’éditeurs susceptibles d’être intéressés par ce que je fais.

J’ai reçu quelques encouragements… du coup, là, j’espère et j’attends ! J’ai fais le max pour le moment.

Ensuite, si pas nouvelles d’ici fin de cette année (j’ai aussi beaucoup de travail avec mon studio graphique) je n’attendrai plus et je continuerai le travail, avec l’objectif de l’éditer moi-même. J’ai une petite expérience à ce niveau-là, je sais que je pourrai faire quelque chose d’intéressant, en m’inspirant aussi de ce que fait Lisa Mandel avec « Exemplaire » et/ou du grand Benoît Jacques, qui autoédite tout son travail.

Mais pour le moment je préfère travailler avec un (bon de préférence) éditeur qui aura certainement beaucoup de choses à m’apprendre, au niveau créatif et au niveau « diffusion ». J’aimerais vraiment que ce récit atteigne les personnes à qui il s’adresse. (les 8-15 ans)

Marianne Pierre : Toute ton histoire est à l’aquarelle. Cette technique représente-t-elle des contraintes en bande dessinée?

Sandrine Crabeels : Oui, sans doute, surtout au niveau des contrastes. Je les appuie en chargeant certaines zones des images, ensuite après le scan, je joue doucement avec les courbes de niveau dans Photoshop pour les marquer encore davantage, mais en en gardant l’esprit un peu éthéré qui me plaît dans cette technique.

Marianne Pierre : Pour exprimer la monotonie et la tristesse, tu as fait le choix du bleu et blanc, non du noir et blanc. Pourquoi?

Sandrine Crabeels : Au départ, je pensais effectivement au NB. Mais je ne voyais pas trop comment lier cela avec le style coloré des aquarelles qui allait suivre. Et puis le lavis c’est imposé, évidemment. Au départ, j’avais prévu de mélanger du bleu à du noir. Mais en travaillant, va comprendre, le noir a disparu…

Et pour le choix du bleu, cela s’est imposé petit à petit, le bleu, c’est le blues, c’est l’eau, élément important dans mon histoire. L’eau, c’est l’origine. Et puis Jorinde garde les cheveux bleus quand les couleurs apparaissent. Le bleu, c’est la tristesse (les larmes ne sont-elles surtout composées d’eau?) ; c’est aussi Jorinde.

Marianne Pierre : Le noir et blanc, pour toi, c’est un vrai challenge?

Sandrine Crabeels : Non, juste que ça ne me correspond pas dans cette période de ma vie. Et aujourd’hui, je me laisse aller vers ce qui me parle le plus, ce qui est juste pour moi. Je tâche d’être « alignée » par rapport à ce que je fais. Sinon, on force, ça coince, ça fait mal et on est déçu. J’utilise de mieux en mieux mon intuition. Elle a toujours raison. 🙂

Marianne Pierre : Pour ton récit « Une planche/Une histoire », qui sent évidemment beaucoup le vécu, on a l’impression que tout a été dessiné et mis en couleur d’un seul trait. Est-ce le cas ou as-tu fait un crayonné?

© Sandrine CRABEELS:

 

B.I.M. – Les collantsSandrine Crabeels : J’ai commencé les BIM (Brefs Instants M pour Mignons, Magiques, Mauvais, etc. ) pour m’exercer à travailler rapidement, à la fois au niveau du dessin (comme je suis lente!!!!) et au niveau du récit. C’est très différent de faire un récit sur une page plutôt qu’un long projet comme Jorinde. Je m’amuse beaucoup avec mes petits BIM. La motivation : garder pour toujours des petits moments de ma vie de famille, qui passent si vite !

Pour te répondre, il y a un léger tracé au crayon dessous, mais plus pour organiser l’image que vraiment pour le dessin. Et puis oui, je trace à l’encre directement, et je place quelques couleurs fissa à la brush écoline. Ça se voit, hein ! c’est du rapide !

Pour suivre Sandrine Crabeels : www.crabgraphic.com 
Instagram :sandrine.crabeels


 


Manon DELOBBE : Même pas peur

Interview Gérald Hanotiaux

Manon DELOBBE

Pour saluer la sortie prochaine du numéro 23 de la revue 64_page, nous rencontrons aujourd’hui Manon Delobbe, autrice de onze pages réalisées dans un très beau noir et blanc rehaussé de touches de rouges. Titre de l’histoire : Même pas peur. Elle nous en dit plus sur elle et sur son travail.

Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter en quelques mots aux lecteurs et lectrices de 64_page ?

Manon Delobbe : je m’appelle Manon, j’ai 24 ans. Je viens de finir mon Master en Bande dessinée à Saint Luc ESA à Bruxelles.

© Manon DELOBBE – Même pas peur

Pourrais-tu nous parler de cette formation en bande dessinée ? Qu’apporte l’enseignement dans cette discipline ?

Manon Delobbe : Personnellement, l’enseignement dans la bande dessinée m’a beaucoup apporté, dans tous les domaines. Je ne suis pas entrée dans ce milieu de façon autodidacte, donc avoir des gens formés pour nous transmettre certaines clefs me semble non négligeable, pour le dessin d’observation, les perspectives, la cohérence entre les cases ou encore sur les manières d’agencer un scénario qui tient la route… Les profs que j’y ai rencontrés étaient bienveillants et engagés dans notre apprentissage. Néanmoins les écoles ont chacune leur style et il est important de s’ouvrir à d’autres types de bandes dessinées, d’avoir confiance en son travail et à la direction qu’on veut qu’il prenne. En bref, il faut apprendre à avoir confiance en soi.

Pourrais-tu présenter à nos lectrices et lecteurs ton histoire intitulée Même pas peur ?

Manon Delobbe :Cette histoire vient en fait d’un projet réalisé dans le cadre de mes études, dont le thème était l’autobiographie. Comme je ne suis pas très à l’aise avec le principe de raconter des événements réels de ma vie, j’ai simplement choisi de parler du jour où, petite, où je me suis perdue dans un parc…

Tu publies cette histoire dans un numéro spécial noir et blanc, es-tu coutumière du noir et blanc, ou bien tu t’es adaptée pour ce projet ?

Manon Delobbe : En effet, j’ai plutôt l’habitude d’utiliser cette technique du noir et blanc, en y ajoutant souvent une couleur, le rouge en général. J’ai un peu de mal dans la gestion des couleurs et, comme mes dessins sont très denses dans les décors, cette solution me paraît y être la plus adaptée. Le rouge est une couleur que j’apprécie beaucoup et comme, dans mon histoire, la petite fille se fait distraire par une coccinelle, je voulais montrer cette couleur comme étant joyeuse ou angoissante, en fonction des situations.

Qui citerais-tu parmi les maîtres de la bande dessinée en noir et blanc ?

Manon Delobbe : Je citerais Franquin – pour ses Idées noires, bien-sûr – et Craig Thompson avec son livre Habibi, ou encore Bill Watterson, Hugo Pratt, Kazuko Koike et Kamumira, ou encore Kentaro Miura.

Comment as-tu eu l’idée de proposer ces planches à la revue 64_page ? Et comment vois-tu le rôle de ce type de revue, dont la vocation est précisément de publier les premiers travaux de jeunes auteurs ou autrices ?

Manon Delobbe : Un ami de ma famille est proche de Cécile Bertrand, membre de votre rédaction, et il m’a conseillé de présenter mes travaux… Ce type de revue est pour moi une opportunité et un défi pour faire publier un de mes travaux. Je n’avais jamais osé proposer quoi que ce soit à des revues ou des concours et je suis très heureuse qu’on m’ait permis d’être publiée.

Est-ce plus difficile aujourd’hui de se faire publier, selon toi, dans un contexte décrit comme de « surproduction » ? Comment vois-tu le paysage éditorial contemporain ?

Manon Delobbe : Au niveau de l’édition, ça dépend du type de publication désirée, mais la grande difficulté est, selon moi, de pouvoir vivre de ce métier.

Quels sont tes projets en bande dessinée ?

Manon Delobbe : Je pense me concentrer sur la finition de la bande dessinée présentée pour mon travail de fin d’études, et la proposer à des maisons d’éditions. Pour le reste, on verra ce que l’avenir me réserve !

Aurais-tu quelque chose à ajouter, que tu n’aurais pas pu évoquer plus haut ?

Manon Delobbe : Je voudrais juste remercier les gens qui m’ont soutenue pendant mes études, et m’ont aidée à me présenter à cette revue.

Merci Manon !

Vous pouvez découvrir le travail de Manon Delobbe sur internet.

Instagram :mister_pichon

 


Marc DESCORNET et Abelard N. Nombrill

Marc : Pour tout dire, c’est un anagramme du nom d’un de mes prof de math, et ça donne ABELARD N. NOMBRILL.

Marc DESCORNET est un des auteurs connus de nos lecteurs, il propose son personnage fétiche (« fait tiche! » à Bruxelles…) dans le cadre de notre nouveau projet UNE planche, UNE histoire.

Pour suivre Marc Descornet : Instagram : marc_descornet

©Marc DESCORNET - extrait Abelard N. Nombrill

interview Philippe Decloux

  1. Raconte-nous la saga que tu partages avec ton Abelard N. Nombrill ? C’est même une vraie passion. D’où vient-il ? Comment l’as-tu créé, dans quelle circonstance ? Tintin est un peu Hergé, Gaston un peu Franquin, es-tu un peu Abelard ?

Marc Descornet : Tout a commencé sur les bancs de l’école, en 1988. Au-delà de la ritournelle des dessins dans les marges des cahiers, c’est une activité sur la presse qui a été le déclencheur. Nous avions créé un faux vrai journal dont j’étais naturellement chargé de l’aspect graphique. J’ai illustré des articles par quelques cartoons et rehaussé notre mini gazette d’un strip de trois cases. Je me suis inspiré de notre professeur de mathématiques qui aimait agrémenter ses cours de bons mots et de jeux de l’esprit, que je notais soigneusement. Ca été fort apprécié et j’ai donc conservé le personnage pour développer d’autres gags, qui ont également rencontré leur petit succès, notamment dans le journal d’élèves.

Ensuite, je l’ai gardé avec moi tout au long de ma vie, le ressortant des cartons quand j’avais une idée de gag. Evidemment, ce n’étaient plus ceux de mon prof de math mais les miens. En réalité, dès sa naissance hors de mon crayon le personnage est devenu une partie de moi-même.

Ceci dit, je ne suis pas Abelard. J’ai beaucoup perdu de mes connaissances en mathématiques. Par contre, son côté un peu cynique est probablement le reflet d’un trait de caractère qui m’est propre, de même d’ailleurs que sa candeur, ses questionnements, son humilité, sa méticulosité tétrapilectomique…

  1. Tu es un dessinateur « tous terrains », tu abordes des thèmes très différents, tu utilises des techniques différentes le plus souvent adaptées au sujet et de la même façon tu réinventes ton récit à chaque projet ? Quelle est ton processus de création ?

Marc Descornet : L’essentiel est de raconter une histoire, c’est ainsi que se transmettent des émotions, des idées, des réflexions, des connaissances et tout ce qui façonne l’existence, faite de moments anodins ou graves avec toutes les nuances possibles entre les deux, ce qui meut la vie. La manière de le partager dépend du sujet. J’ai choisi de m’interroger sur le moyen, sur le récit et sa représentation. Par conséquent, j’adapte ma palette graphique pour que le résultat corresponde à ce que je souhaite communiquer.

Chaque projet naît d’une envie ou d’une nécessité. Le hasard étant le corollaire de la nécessité, il m’a souvent aiguillé sur des opportunités qui nourrissent mes envies et ma motivation. Je garde mon attention éveillée, j’accueille avec bienveillance ce qui se présente et je laisse mon esprit s’en imprégner. La décantation se fait naturellement et aboutit toujours à un enrichissement, qui alimente ma matière grise. Confrontées au réel, ces idées sommeillent gentiment ou s’articulent en un récit concret.

Je visualise assez vite et intuitivement l’aspect visuel, lui aussi confronté au réel, c’est-à-dire surtout les limites de mes compétences, un défi très clair à relever, un moteur qui me procure excitation et plaisir. En définitive, c’est peut-être ça l’essentiel : le plaisir, le mien et celui des lecteurs.

  1. Qu’est-ce qui est, selon toi, différent quand tu conçois une BD d’une planche ou un récit plus long de plusieurs pages ? Et puisqu’on en parle, tu fais aussi des strips de 3 cases et des cartoons, tu es une espèce de décathlonien du récit BD …

Marc Descornet : « Le sport nuit gravement à votre entourage » chantait Jacno. Donc décathlonien, j’évite. Cependant, varier des disciplines d’une même passion, avec modération, ça ne peut qu’être bénéfique. Dessiner et peindre sont des nécessités vitales pour moi.

Le facteur déterminant entre une BD de longue haleine qui constituerait un album, voire plusieurs, et un récit court ou un gag, c’est le temps. Je n’ai pas encore réalisé de récit de plus de six planches. J’ai bien quelques projets très clairs et qui me tiennent à coeur, mais je ne peux pas m’y atteler, faute de temps. On a le temps qu’on se donne. On a aussi le temps que la vie nous octroie. Entre les deux, je trouve ce qui me convient en termes d’équilibre et d’épanouissement personnel.

Les gags d’Abelard N. Nombrill tiennent en deux à six cases, voire une image. En un strip, une demi-page ou une planche unique, il peut se passer bien plus qu’en quatre ou quarante planches. Et comme la notion de temps est magique en BD, toute une vie peut s’écouler en moins d’une page.

  1. Comment vois-tu tes projets à court et à moyen terme ?

Marc Descornet : Mes projets existent en moi. Ils n’ont pas tous trouvé le moyen de voir le monde. Ceux qui sont en gestation actuellement en sont à des stades différents et peut-être n’écloront-ils jamais. Sans être exhaustif, il y a une « appropriation » d’un documentaire intimiste existentialiste, pour laquelle le réalisateur est emballé et patient, heureusement. Il y a aussi une illustration BD d’une chanson au sens profond, et puis un hommage à mes arrière-grands-parents reconnus Justes parmi les nations, un autre hommage à une personne atteinte de trouble créatif compulsif partie trop tôt, et puis quelques intentions de BD de science-fiction et d’anticipation.

De façon plus réaliste, la revue 64_Page m’a ouvert ses pages pour plusieurs projets et continue de m’inspirer. La rencontre-repérage au CBBD pour le numéro spécial sur ce lieu emblématique me fait cogiter. Le projet « Ensemble », d’histoires pour enfants, enthousiasme aussi mon épouse, 怡靜, et mon fils, Daran, avec qui j’avais déjà réalisé quatre planches pour le spécial polar. Quant au cartoon, après une période très productive, depuis le décès de mon papa qui était mon premier lecteur, j’ai du mal à m’y remettre, et à m’en remettre.

En ce moment, le projet le plus abouti et qui me porte, ce sont plus de quarante pages terminées de gags d’Abelard N. Nombrill et qui pourraient dès lors me permettre de concrétiser le rêve de jeunesse de publier un album et de rencontrer un public. Le BD comic strip festival, en septembre à Bruxelles, sera déjà une opportunité d’échanger avec les lecteurs de 64_Page.

  1. Et ceux d’Abelard N. Nombrill ?

 

Marc Descornet : Abelard a d’ambitieux projets. Il compte bien… ça c’est sûr, mais soit… il compte bien nous interpeller sur des sujets de société aussi utiles que futiles, aborder toutes les problématiques dures autant que les mathématiques pures. Tant que l’observation du monde qui l’entoure l’inspire il poursuivra son chemin, envers et contre tout, comme un borgne au pays des aveugles, pour nous ouvrir les yeux de façon subtile et nous le montrer, le chemin, et nous apprendre à observer, à réfléchir. Et ça, nous pouvons compter sur lui. Ben oui, il est prof de math tout de même !