Découvrez les auteurs d’aujourd’hui et de demain !
Les auteurs du 64_page #27 se dévoilent :
Alice WION : Tard la nuit
Interview Gérald Hanotiaux
Aujourd’hui, nous partons à la rencontre d’Alice Wion, autrice dans le numéro 27 de quatre pages très colorées intitulées Tard la nuit. Elle se présente elle-même comme une éternelle rêveuse… Mais vers quel rêve a-t-elle décidé de nous emmener avec cette histoire ?
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs ?
Alice. Je m’appelle Alice Wion, mais je réponds sur les réseaux sociaux au doux (et bizarre) pseudo de Jolsma. Lorsque j’avais huit ans, en Bretagne, j’ai pu assister dans un ancien château au spectacle d’une conteuse d’histoires bretonnes. Cela m’a fait un déclic, et ma vocation s’est alors révélée à moi-même : je deviendrais conteuse d’histoires. Pas de chance, ce n’était pas un vrai métier… J’ai donc enfoui ce rêve au plus profond de ma mémoire, jusqu’à ce que la passion du dessin me frappe en plein visage, à l’âge de treize ans. Il m’a alors encore fallu plusieurs années pour réaliser la possibilité de mélanger le dessin avec la narration, pour créer au sein d’un medium jamais abordé : la bande-dessinée. Entre temps, j’étais entrée aux Beaux-Arts de Cambrai et, en 2023, j’en suis ressortie avec mon diplôme. Depuis la rentrée de cette même année, je suis inscrite à Bordeaux pour un master en bande dessinée, dans l’orientation « Édition, Théorie et Critique », au sein de laquelle nous étudions la bande-dessinée d’un point de vue plus universitaire et théorique.
Tu nous présentes quatre pages très lumineuses intitulées Tard la nuit. Histoire d’allécher les lecteurs, pourrais-tu nous présenter cette bande dessinée en quelques mots ?
Tard la nuit raconte l’histoire d’une petite fille, qui pourrait être n’importe laquelle d’entre nous lorsque nous étions enfants, rêveuse, curieuse et crédule. Un jour, voulant absolument prouver à ses amis – sceptiques – que les lampadaires sont allumés par les lucioles, elle décide de veiller, après l’heure du coucher… Pour savoir ce qu’elle a finalement aperçu : il va falloir lire la suite de la bande dessinée.
Au niveau de la réalisation de ces pages, pourrais-tu décrire ta manière de procéder ? Quels outils as-tu utilisés ?
Pour toutes mes bandes dessinées, albums et autres travaux graphiques, j’utilise un seul et unique carnet depuis octobre 2022. Il est d’ailleurs bientôt fini, je suis plutôt fière de moi… À l’intérieur, en premier lieu, je note le thème de la bande dessinée, suivi des contraintes techniques à prendre en compte. Ensuite, je note en vrac les idées qui me sont venues, souvent en marchant, ou en écoutant de la musique. J’écris ensuite le pitch de façon très littérale, en faisant très attention à avoir une vague idée de la fin. Ensuite vient le storyboard, qui respecte habituellement toujours le même schéma : une double page avec, à gauche, un découpage et des croquis très simplifiés, mais lisibles, du moins pour moi. Ensuite, sur la page de droite, on trouve le texte de chaque case, le tout numéroté. Pour certaines de mes bandes dessinées, il y a en bonus une ou deux pages de recherches de design de personnages ou d’éléments importants du récit.
Tard la nuit a été ma première bande dessinée réalisée en digital. L’année précédente, j’avais reçu une tablette graphique, mais je ne l’avais que très peu utilisée, étant toujours fermement attachée à mes feutres à alcool. Cela a été un véritable challenge pour moi, notamment pour me retrouver dans tous les « calques », mais cela m’a permis d’expérimenter de nouvelles techniques de colorisation. Bon, après avoir travaillé intensément sur la tablette, j’ai souffert du fameux syndrome, pendant quelques temps, de désirer pouvoir taper « ctrl+z » – retour en arrière – pour corriger des erreurs de mes dessins sur papier !
Procèdes-tu toujours de cette manière, ou t’arrive-t-il de développer d’autres styles ?
Pour trouver les idées, c’est souvent le même processus, je marche, j’écoute de la musique, je laisse aller mon imagination… En fonction de la musique écoutée à cet instant-là, les idées s’installent et évoluent. C’est un peu une variante de « La dérive », une promenade de l’errance appréciée par Guy Debord et ses camarades du mouvement Situationniste. Ou un peu comme dans cette scène de Ratatouille (2007), où Rémi entend différentes musiques en goûtant divers aliments !
Quant au genre de bande dessinée, j’adore expérimenter, donc ce n’est clairement pas mon unique style, tant graphiquement que narrativement. Il m’arrive de faire du cartoon, du semi-réaliste – enfin j’essaie -, ou encore du manga… Mais ce qui m’amuse le plus d’un point de vue graphique, c’est d’essayer différents médiums pour mes bandes dessinées : la risographie, les surligneurs, les crayons de couleur aquarellables, etc… Prochainement, je vais essayer de réaliser une bande dessinée en linogravure, souhaitez moi bonne chance !
Hé bien bonne chance ! Du coup, comme tu évoques un projet proche, d’une manière plus générale, quels sont-ils ? Notamment à plus long terme, vers quoi voudrais-tu te diriger ?
J’ai beaucoup trop de projets en cours, mes copines peuvent en attester. Je les remercie d’ailleurs au passage, de toujours écouter toutes mes idées délirantes… Actuellement, j’ai deux ou trois projets d’albums jeunesse, dont un en collaboration, à l’écriture, avec une de mes amies. J’ai aussi un projet, à plus long terme, d’une bande-dessinée sur des histoires familiales, avec un bon potentiel, selon certains professionnels du milieu. Cette année, j’ai également postulé pour participer à deux autres magazines, pour des bande-dessinées d’une bonne dizaine de pages. Et quand j’ai le temps, je cale par ci-par-là divers projets pour des concours : typographies, bande-dessinées courtes, logotypes, charadesigns (NDR. pour Character design, la création de personnages dans l’animation), affiches, illustrations …
Je suis quelqu’un de très touche-à-tout, j’adore l’expérimentation. Dès lors, pour l’avenir, je ne sais pas trop vers quoi me diriger, j’ai un peu envie de tout faire. Idéalement, vivre de la bande dessinée ou de l’illustration, ce serait formidable. Je serais aussi ravie de pouvoir travailler en charadesign, dans une entreprise d’animation ou de jeux vidéos. Mais je suis consciente de la rudesse du milieu. Si cela ne peut pas se faire pour une raison ou une autre, je serais tout de même contente de travailler en maison d’édition, ou dans l’univers du graphisme. Il y a quelques années, je disais souvent « Tant que j’aurai un crayon dans la main, je serai contente ». C’est toujours le cas.
Pourrais-tu nous parler de tes influences ? Et plus largement des auteurs/autrices qui ont marqué ton parcours de lectrice ?
Mes influences ne se limitent pas à une période, à un mouvement, ou même à un medium. J’aime observer, regarder autour de moi, lire, et parfois je me dis « tiens, j’aime cette idée. C’est vraiment chouette ». Je peux écouter de la musique électronique, et juste après de la musique folklorique d’Europe de l’Est. Je suis aussi capable de regarder un dessin animé, à la base destiné aux enfants, et juste ensuite enchaîner avec un film d’horreur très sanglant. En général, j’aime les choses étranges, hors-normes.
Pour la bande dessinée, je ne me considère pas comme une grande amatrice de franco-belge, mais la série Astérix, d’Uderzo et Goscinny, m’a énormément marquée par ses calembours, son humour très brillamment maîtrisé et son dessin compréhensible et beau. J’ai sinon beaucoup été influencée par les mangas : Junji Ito, Toru Fujisawa, Go Nagai, Mitsutoshi Shimabukuro, Kamome Shirahama, Boichi… Mais l’auteur le plus important pour moi a été Yoshihiro Togashi, découvert en 2013 avec Hunter X Hunter, alors que j’étais en sixième. Un véritable électrochoc. Cet univers, riche par sa narration et ses personnages, a permis de modeler la personne que je suis aujourd’hui, d’un point de vue artistique.
Cette année, j’ai découvert le travail de Paul Kirchner, auteur de bandes dessinées surréalistes et déjantées, à l’univers graphique fourmillant de détails. J’adore, cela me fait penser au travail de Giuseppe Arcimboldo, mon peintre préféré, qui a fait irruption dans ma vie, enfant, par la lecture d’un numéro du magazine Je lis des histoires vraies, qui lui était consacré.
Pourquoi as-tu répondu à l’appel de 64_page ? Quel rôle vois-tu pour cette publication dans ton parcours ?
Je l’envisage comme une expérience, en participant à cet appel j’ai vu l’opportunité d’acquérir une idée plus concrète du milieu de la bande dessinée. Lors des études, passées et actuelles, on parle des publications dans les magazines, du monde éditorial… La théorie, c’est bien, la pratique, c’est mieux ! C’est l’occasion de tester, de me lancer, et d’arrêter de parler en passant à l’action. Le milieu de la bande dessinée est malheureusement « difficile », commencer avec 64_page est un très bon début à mon avis, et peut être un tremplin pour la suite. Cela pourra peut-être m’ouvrir d’autres portes pour le futur.
Tu l’évoques un peu, mais de manière plus générale, comment vois-tu le secteur de l’édition ? Tu penses qu’il est facile de s’y insérer ?
Ayant actuellement des cours en relation avec le monde éditorial, je peux uniquement évoquer l’aspect théorique rapporté par mes professeurs, ou provenant de divers témoignages dont j’ai eu l’écho. Je trouve ce domaine très passionnant, mais aussi très sélectif. Le plus dur est de s’y faire une place, de réussir à convaincre. Un « réseau » personnel est extrêmement important dans ce genre de métiers, et il ne faut pas hésiter à y faire appel si besoin. Bien que le milieu du livre soit un peu en difficulté ces derniers temps, la petite bulle de la bande dessinée – sans mauvais jeu de mots – se porte mieux que les romans et autres textes plus littéraires. Néanmoins, il ne faut pas non plus se la couler douce si on compte entrer dans ce milieu-là. Le secret est de persévérer, ne jamais baisser les bras, ne surtout pas abandonner au moindre échec, bien au contraire. Il faut l’analyser, pour comprendre ses erreurs, et pouvoir corriger le problème afin de revenir à la charge, encore plus fort.
Que penses-tu, de manière générale de l’enseignement artistique ? Comment décrirais-tu ce que cela t’apporte ?
Je l’ai dit, je suis passée, de 2019 à 2023, par l’École Supérieure d’Arts de Communication de Cambrai, où j’ai pu avoir beaucoup de pratiques différentes : vidéo mapping, gravure, webdesign, design graphique, reliure, typographie… Paradoxalement, je n’ai pas eu tellement de cours de dessin, un petit peu en première année, un peu aussi en troisième année, mais on réfléchissait plus à composer un projet illustratif qu’apprendre à dessiner en soi… Et c’est tout. J’ai donc beaucoup plus pratiqué le dessin de mon côté, par moi-même, tout en y appliquant de temps en temps les informations et outils à ma disposition, grâce notamment aux cours. Mais, par exemple, je n’aurais jamais imaginé, seule, à un jour réaliser une bande dessinée en risographie !
Beaucoup de personnes apprennent l’art, l’illustration en autodidacte intégral, en n’ayant jamais mis les pieds dans une école d’art. C’est sujet à débat, mais d’un point de vue personnel, il me semble important de suivre des cours réguliers si on veut se professionnaliser, même si ça représente, je l’admets, une énorme pression, c’est une source de stress difficile à encaisser pour certains. Bien sûr, certains réussissent en ayant toujours été autodidactes, cela existe. Mais avoir un professeur régulier, qui nous suit personnellement, est selon moi un bonus non négligeable. Internet et ses tutoriels peuvent difficilement entrer en concurrence avec eux.
Un mot de la fin ? Quelque chose d’important que l’on n’aurait pas abordé ?
J’ai l’impression d’avoir beaucoup parlé, je suis à sec ! Si, vraiment, je devais donner un mot de la fin, je dirais de ne jamais lâcher la passion et la flamme, tant comme lectrice que comme autrice. Parfois, il faut arrêter de trop réfléchir, et se laisser aller pour revenir à ces émotions pures qui nous ont animé au tout début, quand nous avons commencé à dessiner ou lire, par simple plaisir…
Merci Alice !
Vous pouvez voir le travail d’Alice Wion en consultant ce lien: https://www.instagram.com/jolsma
Mechaa Fact : Les Esprits d’Edo
Interview de Gérald Hanotiaux
Mechaa Fact
Mechaa Fact. Je m’appelle Mechaa fact et je suis graphiste et illustrateur, mais il m’arrive également de travailler comme journaliste culturel. Assez récemment, j’ai pu aborder le milieu de l’art contemporain, je suis donc plutôt multitâches… Aujourd’hui, je me présente comme auteur de bande dessinée, « en démarrage ».
Vous pouvez voir le travail de Mechaa Fact en consultant ces liens : https://www.mechaafact.com https://www.instagram.com/in_loading_of https://magazine.culturius.com/author/mecha/
Les auteur.e.s du 64_page #26 – Oiseaux
PROMO jusqu’au 25 janvier 2024
Sortie fin janvier, numéro à 12,50€ (le coût postal est offert) sur le compte de 64_page : BE51 0689 4736 3762 – BIC: GKCCBEBB
Envoyez vos noms et adresses complètes à 64page.revuebd@gmail.com
Entretien avec Émilie REINEKE
La brigade des P.I.A.F.
Entretien Angela Verdejo
Merci Emilie Reineke pour ta participation avec cette brigade P.I.A.F., bravo pour ce travail et à bientôt !
Instagram : @zittelsasha
Entretien avec Pauline GOBERT
Syndrome du sauveur
Le coordinateur éditorial s'est pris les pieds dans ses papiers, deux interviews de Pauline ont été menées par Gérald HANOTIAUX et Marianne PIERRE, nous publions les deux.
Nous allons évoquer ici deux très belles pages présentes dans notre dernier numéro, dont la thématique est « Les Oiseaux ». Elles évoquent le temps qui passe mais aussi, avec un tout petit oiseau bien connu, le temps d’urgence qui s’écoule implacablement… Rendez-vous avec leur autrice, Pauline Gobert.
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter en quelques mots à nos lectrices et lecteurs ?
Pauline Gobert. Hum, ce n’est pas évident de se résumer en quelques mots… J’ai toujours aimé créer, depuis que je me sers de mes dix doigts. En grandissant, j’ai fait des choix plus « raisonnables », mais cela m’a fait tourner en rond. Je suis finalement revenue vers la peinture, puis j’ai découvert l’illustration. Depuis 2020, je suis les cours de bande dessinée et illustration à l’académie de Chatelet. Je me sens beaucoup plus épanouie depuis que j’ai renoué avec la créativité.
Qu’est-ce qui t’a poussé à te tourner vers notre revue 64_page ?
L’occasion s’est présentée dans le cadre de mes cours, justement. Beaucoup de mes camarades de classe ont déjà proposé des projets pour la revue. Le thème des oiseaux m’a inspiré, et j’ai osé proposer mon histoire.
Celle-ci tient en deux superbes pages en couleur, intitulées Syndrome du sauveur, peux-tu introduire cette bande dessinée en quelques mots ?
Je trouve que le monde ne tourne pas rond et, pour tenter de l’améliorer, j’ai envie d’assumer ma part du travail… J’ai du mal à comprendre les personnes qui disent « ce n’est pas à moi de le faire, ce n’est pas ma faute. » Cela dit, pour les questions écologiques comme d’ailleurs pour d’autres problématiques, il ne faut pas non plus se mettre trop la pression, ça peut devenir un problème si on se répète sans cesse « zéro déchet », « être un bon parent », « minimalisme », « écologie »… Je dois avouer que j’ai moi-même déjà frôlé l’épuisement. Le syndrome du sauveur s’adresse donc aux personnes comme moi, qui veulent faire leur part mais oublient parfois de prendre soin d’elles. Un équilibre est à trouver…
Dans ce cadre de pensée, tes deux pages sont particulièrement bien pensées ! J’y ai vu une allégorie du temps qui file, mais aussi du temps à « sauvegarder », on pourrait y voir une image liée aux mouvements écologistes, au petit qui fait ce qu’il peut pour redonner du temps au temps, au temps de vie de la planète, à présent compté…
Oui j’ai choisi le colibri pour cette raison. Comme le veut le conte raconté par Pierre Rabhi, cet oiseau symbolise ces personnes qui font leur part, même si le geste est minime. Ta réflexion est tout à fait pertinente, et initialement j’ai voulu représenter le risque d’épuisement lorsqu’on poursuit inlassablement un but inatteignable : la perfection. J’aime que mes histoires poussent la réflexion ailleurs que là où je voulais l’emmener… J’encourage vivement les gens à mener des actions concrètes pour aller vers un mieux, tout en étant indulgent envers soi. Un pas à la fois.
Techniquement, comment as-tu procédé pour ces pages ? Plus généralement, as-tu différents styles de travail en dessin ?
Paradoxalement, je ne me considère pas comme douée en dessin. Ne me demandez par exemple pas de dessiner quelque chose d’hyperréaliste ! Mes premières illustrations ont été réalisées en collant des morceaux de papiers colorés, découpés dans des magazines et publicités. Pour cette histoire, j’utilise des pinceaux en cahoutchouc, pour avoir ces effets dans la peinture acrylique. J’aime contraster ces effets par un trait minimaliste. De manière générale, j’aime expérimenter différentes manières d’illustrer. Qui sait, pour d’autres projets, si je trouverai encore d’autres moyens et outils…
Pourrais-tu nous parler des auteurs et autrices qui t’ont inspiré, font partie de tes influences ? Tant en bande dessinée qu’éventuellement en illustration ou dans toute autre discipline artistique.
Ma première inspiration c’est Elmer de David McKee, cet éléphant aux couleurs folles. Je me souviens, à quatre ans, avoir réalisé mon premier éléphant après la lecture de cette histoire. J’ai d’ailleurs toujours ce dessin chez moi.
Au niveau littéraire, j’ai toujours beaucoup aimé les histoires fantastiques et les romans dystopiques, tels que Harry Potter, L’apprenti épouvanteur, La quête d’Ewilan…. Globalement, j’aime sortir de ce monde quand je lis. J’aime que les histoires aient un brin de fantaisie. Je me suis intéressée très jeune à la mythologie, aux contes et légendes. J’aime trouver des sens cachés aux histoires, par exemple comment un symbole peut raconter tellement de chose à lui tout seul. Dans les autres disciplines de l’art, j’ai donc une préférence pour les artistes qui abordent ces sujets, notamment les peintres de la Renaissance.
Que penses-tu du secteur de la bande dessinée actuellement ? On parle souvent de surproduction, mais aussi d’âge d’or en matière de créativité. Qu’en penses-tu ?
Il me semble qu’il y a beaucoup plus de choix de bande dessinée actuellement, bien que je n’aie pas énormément de recul, ni une grande connaissance du secteur. Les genres et les styles graphiques se diversifient. Cela traduit également un phénomène de société plus global selon moi : l’hyperconsommation. Tellement beaucoup plus de choix dans tout, de même que la rapidité de consommation… Les gens se lassent plus vite. Je ne sais pas s’il s’agit d’une plus grande créativité ou plutôt d’une plus grande visibilité. Peut-être y avait-il autant de beaux projets il y a vingt ou trente ans, avec beaucoup moins auxquels on donnait leur chance… Je ne m’y connais pas suffisamment pour en dire plus.
Quels sont tes projets ? À court terme, sur lesquels tu travaillerais en ce moment, mais aussi à plus long terme, ce vers quoi tu voudrais aller…
Je travaille sur trois projets actuellement. D’abord un livre jeunesse destiné aux 8 à 12 ans, inspiré des livres-jeux que je dévorais dans ma jeunesse. Le lecteur y aura le choix, dans l’histoire, entre plusieurs pistes. Et trois fins possibles sont proposées. Ensuite, il s’agit d’un livre à destination des ados/adultes, dont mon mari a écrit le texte. Je suis occupée à l’illustrer. Parallèlement, je travaille également sur un oracle, un jeu de carte de type Tarot. Il s’agit de la version masculine de l’Oracle des copines, que j’ai autoédité et sorti cette année. À plus long terme, je me vois continuer cette activité en parallèle d’autres. J’illustre au gré des projets qui m’inspirent…
Un mot de la fin ?
Merci de m’avoir donné cette opportunité de publier dans la revue 64_page. J’espère que ma brève histoire plaira/aura plu aux lecteurs.
Merci Pauline !
Bonjour Marianne,
Merci, ça me fait plaisir qu’elles t’aient plus.
J’ai déjà été interviewée par Gerald. Je te met en pièce jointe le document de l’interview (il y a une version plus recente).
Pour répondre à tes questions:
Marianne : 1/ A lire tes deux planches, on pense au mythe de Sisyphe ou à celui du tonneau des Danaïdes: à savoir répéter sans cesse une tâche qui s’avère complètement inutile. J’y vois une allégorie du temps qui passe sans qu’on ne puisse rien y faire. C’était effectivement ton idée?
2/ D’où te vient cette image très poétique mais plutôt pessimiste?
3/ Pourquoi spécifiquement un colibri?
Pauline : J’aime beaucoup la mythologie, cela s’en ressent peut-être. Je suis partie du conte de Pierre Rabhi, dans lequel le colibri est l’animal qui fait sa part pour éteindre un incendie. C’est une histoire qui me touche beaucoup. Je trouve que c’est important de faire sa part dans ce monde. Chacun est responsable. Cependant, je suis déjà tombée dans le piège de vouloir faire la part de tout le monde, pas seulement la mienne. Et cela est épuisant. C’est ce que j’ai voulu représenter ici: mettre en garde ceux qui se mettent tellement la pression (zéro dechet, minimalisme, bio, parentalité positive, etc) qu’ils frôlent le burn out.
4/ Et puisque tu sembles d’humeur philosophique… quelle place occupe la peinture dans ta vie? Que fais-tu d’autres?
J’ai souvent eu du mal à gérer mes émotions. Je me suis souvent sentie à fleur de peau. À force de ruminer des questions sur le monde et le sens de la vie sûrement. La peinture est un support qui m’aide à m’exprimer autrement. On dit qu’une image est parfois plus parlante qu’un long discours.
En dehors de la peinture, je m’occupe de mon fils de 6 ans. Nous avons choisi de faire l’école à la maison, ce qui demande pas mal d’énergie et de temps. L’an prochain, j’aimerais me former pour devenir agent de pompes funèbres. Cela influencera sans doute mes prochains travaux.
Vous pouvez voir le travail de Pauline en consultant ces liens : Artiste peintre et illustratrice: https://paulinegobert.wixsite.com/website Facebook: https://facebook.com/pauline.gobert.artist Instagram : @paulinegobertartiste
Entretien avec Christophe PLAYFOOT
L’OISEAU S’EST ENFIN ENVOLÉ
Entretien Angela VERDEJO
© Christophe Playfoot
Angela : Bonjour Christophe Playfoot ! Enchantée de te retrouver encore une fois avec L’Oiseau s’est envolé enfin ! dans ce numéro spécial OISEAUX de 64_page. Afin de te présenter à ceux de nos lecteurices qui ne te connaissent pas encore, bien entendu, on commence par une petite présentation de ton parcours d’artiste ?
Christophe : Bonjour ! Alors pour parler de moi, j’aime le dessin et la bd (ainsi que le jeu vidéo, ceux qui verront mon Instagram s’en rendront compte) depuis petit, et après avoir fait des études dans le management (imposé, car j’étais nul à l’école), je me suis tourné vers des études d’art pour mes études supérieures. J’ai adoré cette période de ma vie, puis comme je voulais me spécialiser dans le dessin et la bande dessinée, j’ai fait un Master sur cette dernière à l’EESI à Angoulême. Dont je suis ressorti diplômé en 2022, j’ai beaucoup appris là-bas, sur la création d’une histoire et la culture générale autour de la BD, comment les différents Arts l’ont influencée et l’influence toujours aujourd’hui. J’ai aussi appris que j’étais très nul en dessin à cette période (c’est un peu mieux maintenant haha). Je me base toujours sur mes ressentis personnels et mon vécu pour raconter mes histoires comme pour celle que je vous ai proposée dans cette revue. Je connais 64_page, car j’ai représenté mon Master au festival d’Angoulême en 2022 et une représentante de la revue est venue nous en parler sur le stand (peut-être vous, je ne sais plus) (NDLR : il s’agissait de Marianne Pierre, envoyée spéciale de 64_page au Festival d’Angoulême). En sortant de l’école, je ne savais pas trop vers quoi me tourner et j’ai décidé de participer à la revue pour le numéro 24 ! Je suis revenu vers vous pour ce nouveau thème sur les oiseaux afin de m’essayer à quelque chose de nouveau. Sinon quand je ne dessine pas, je travaille en supermarché, je raconte mes anecdotes sur cet autre aspect de l’humanité que sont la grande distribution et ma découverte du monde du travail en bd aussi.
Ton scénario de « L’Oiseau s’est envolé enfin » semble se construire sur l’adage « partir pour mieux revenir », pourrais-tu nous parler de ton processus de création, de quoi es-tu parti, toi, justement pour aboutir à ce résultat et quel a été le processus ?
En général, quand je crée une nouvelle histoire, je fais une carte mentale du sujet, je décide des thèmes que je veux aborder avec, du nombre de pages et ce que je veux mettre dedans (scènes, événement, …), puis, je storyboard et si ça me convient, je la dessine. Vous avez complètement compris mon sujet. J’avais aussi envie de dessiner des paysages que j’aimais et le sujet était approprié haha. Pour moi, les oiseaux sont un signe de liberté et de légèreté
Pour cette histoire, j’ai gardé mon style « cartoon » que j’aime tant, j’ai fait des pleines pages et des arrière-plans gigantesques pour montrer l’évasion du récit. Maintenant, je fais des cases ondulées, car ça va bien avec mon dessin rond et un peu tordu, avant je traçais les cases à la règle, ça n’allait pas avec mon trait et ça me prenait un temps fou (comme dans mon histoire sur le magasin Waucquez). Pour les couleurs, j’adore faire des aplats numériques sur des teintes pâles pour le décor et les éléments importants (personnages, lieu, …) avec des couleurs plus vives
Est-ce que l’on pourrait lire dans ta BD une sorte de récit initiatique ? Un parcours d’artiste qui s’assimile à tout départ ou prise de décision dans la vie pour élargir le champ de l’esprit ? Quelle est ta posture, ou position, ou point de vue en tant qu’artiste ?
Je voulais parler de cette période où j’ai quitté ma famille pour me construire une nouvelle vie et mieux connaître le reste du monde, en bien comme en mal. Et je me suis rendu compte qu’avec le temps ça m’avait changé et que je n’avais plus rien à voir avec la personne que j’étais avant.
Pourrais-tu nous donner quelques tuyaux au sujet des réseaux sociaux où l’on peut suivre l’actualité de ton travail ? Que fais-tu en ce moment et quels sont tes projets à venir ?
Comme dit plus tôt, je suis actif sur Instagram où je publie des illustrations, sketchs, petit strip dans lequel je raconte des anecdotes de vie sur mon métier ou ma vie en général. Actuellement, je retravaille sur mon projet d’album qui parle de mon épilepsie lorsque j’étais adolescent. Je l’avais mis de côté, car je suis parti à l’étranger quelque temps.
Merci à toute l’équipe de 64 pages pour m’avoir donné cette chance !
Merci à toi pour avoir répondu à l’appel de 64_page, bravo pour ce bel envol ! Nous rappelons que L’Oiseau s’est envolé enfin ! de Christophe Playfoot est à découvrir dans le numéro 26 de 64_page qui devrait paraître pendant le festival d’Angoulême. A bientôt, Christophe Playfoot !
Instagram : chris_play_foot
Entretien avec Sandrine THERACES
Liberté de voler
Entretien Gérald HANOTIAUX
Nous partons aujourd’hui à la rencontre de Sandrine, autrice dans notre numéro consacré aux Oiseaux d’une histoire, qualifiée par elle-même de « douce-amère », intitulée Liberté de voler. Cinq pages de mélancolie bleutée…
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter en quelques mots à nos lectrices et lecteurs ?
Sandrine Theraces. Enchantée, je suis Sandrine, alias Wanwine sur instagram. Je suis illustratrice et graphiste de formation. J’ai vraiment commencé le dessin quand j’avais dix ans, lorsque j’ai rencontré mon mentor lors d’un stage, que d’ailleurs je ne voulaiss pas faire, hahaha… Finalement, j’ai été son élève jusqu’à mes 24 ans. J’aimais surtout l’ambiance de l’atelier, et c’est là-bas que je me suis faites mes amis les plus proches. L’illustration et la bande dessinée me permettent d’élargir mon cercle professionnel et celui de mes amis, mais surtout à m’amuser et me vider la tête.
Qu’est-ce qui t’a poussé à te tourner vers notre revue 64_page ?
L’envie de percer dans le métier ? Peut-être… Mais je dirais surtout que je voulais tester mes capacités, voir si mon travail pouvait plaire et être validé par des professionnels.
Tu proposes dans ce numéro une histoire en cinq pages intitulée Liberté de voler, peux-tu introduire cette bande dessinée en quelques mots ?
Je décrirais cette histoire comme étant douce-amère. D’un côté on parle d’une décision, d’un soulagement, d’un moment de bonheur… De l’autre, la réalité vient nous rattraper. L’histoire parle, à sa manière, d’un rêve d’évasion et d’un instant de bonheur.
La vie n’est pas toujours simple et beaucoup de personnes se posent parfois des questions ou font des choix en fonction de leur vécu difficile… J’ai fait le mien, m’exprimer sur le papier. Cela m’a beaucoup aidé lors d’une période sombre de ma vie. J’ai trouvé comment m’exprimer, ça me rend heureuse… Au passage, j’en profite dès lors pour souhaiter à tous les lecteurs et lectrices d’être heureux.
Tes pages sont très belles, marquées de nuances de bleu, pourquoi ce choix ?
Lors de mes cours en infographie, une enseignante m’a fait découvrir la symbolique des couleurs. Je dois bien avouer que sa passion a déteint sur moi. La couleur est un vecteur puissant pour faire passer des émotions, des messages. Je n’avais aucune idée de son importance pour créer des ambiances. Je vous laisse la joie de découvrir cet univers riche en messages.
Au niveau du style, ton dessin a peu de traits, les formes sont fixées directement par les couleurs, comment t’y prends-tu ? Dessines-tu toujours de cette manière ou as-tu différents styles… ?
Quand je travaille en camaïeu (NDLR. Peinture monochrome, recourant à un dégradé de valeurs d’une même couleur ou teinte), je préfère simplifier au maximum pour ne pas avoir un rendu trop lourd. Tout se joue sur les contrastes des couleurs, ou en fonction du fait qu’elles soient à tendance chaude ou froide. En fonction de la quantité de couleur, et de sa présence sur la planche, je trace ou pas des traits pour aider à la compréhension… En réalité, je dois dire que je ne réfléchi pas trop à ça quand je dessine, ça fonctionne comme ça, ça doit être mes cours qui sont enfin rentrés dans ma tête. La preuve : j’ai dû aller regarder mes planches pour vous répondre, haha.
J’ai deux styles, le « graphique », celui proposé dans la revue, et mon style jeunesse. Les deux sont très différents, mais chacun est important pour moi. Je m’adapte en fonction du message à illustrer.
Avec cette histoire, tu alternes en effet « légèreté » et « noirceur » et tu y parles de liberté en terminant par contraste avec l’inscription « police » sur le dos d’un agent. Ce type de messages en contraste est un bel exemple des possibilités propres au langage de la bande dessinée… Comment décrirais-tu ces possibilités propres à la bande dessinée ? Pourquoi le choix de t’exprimer par ce langage propre ?
La bande dessinée peut autant utiliser le langage graphique que le langage écrit, c’est ce qui fait sa force. Par rapport à l’illustration, on peut utiliser les cases comme un langage. Par exemple, les cases de libertés peuvent rester sans encadrement, alors que les cases ramenant à la dure réalité peuvent en contraste être encadrées par le blanc de la page.
Dans ta présentation tu parles d’un stage, à dix ans, avec ton « mentor »… Tu es ensuite restée dans cet atelier jusqu’à tes 24 ans. Comment présenterais-tu les acquis liés à un enseignement artistique ? Penses-tu nécessaire de passer par un tel apprentissage ?
Mon mentor est Manuel Tenret, il m’a presque tout appris. On était libre sur les sujets à dessiner, l’important était la pratique et l’envie de dessiner. Cependant, il prenait toujours le temps de nous enseigner les bases comme la construction de personnages, les cadrages,… Il passait aussi souvent près de nous et nous aidait quand on en avait besoin. Je dois bien avouer qu’on rigolait souvent ! Il s’adaptait à l’ambiance, parfois on dessinait en ne faisant que discuter et rigoler et d’autres fois, on était vraiment en mode travail. J’ai bien appris dans la liberté, mais je pense que le principal, c’est d’aimer dessiner et pratiquer. Certaines personnes sont autodidactes, elles s’en sortent très bien sans professeur.
Pourrais-tu citer les autrices ou auteurs de bande dessinée qui t’ont particulièrement inspirée ? Ainsi d’ailleurs, pourquoi pas, de personnes marquantes pour toi dans d’autres disciplines… ?
J’aime énormément le travail d’Alessandro Barbucci. Je le suis depuis que je suis petite, alors que je n’en avais même pas conscience, car je lisais déjà Witch, Monster alergy. Plus tard, quand j’ai lu Skydoll et Ekho, j’ai découvert que c’était un auteur que je suivais depuis longtemps sans le savoir. J’apprécie aussi beaucoup le travail de Marie Spénale, elle m’inspire beaucoup et me fait rêver. Elle a réussi dans le métier qui me fait rêver. J’apprends beaucoup de sa page YouTube. L’artiste Alix Garin, elle, me motive à parler de sujets parfois lourds, alors qu’auparavant je n’aurais peut-être pas osé, je ne faisais que des histoires « drôles », en évitant les sujets plus tabous.
Sur quoi travailles-tu en ce moment ? À plus long terme, quels sont tes projets, tant en bande dessinée qu’en illustration ?
Pour le moment je suis graphiste dans l’édition jeunesse. Sur le côté, je travaille sur un album jeunesse que j’aimerais soumettre à une maison d’édition. Pour le long terme, j’espère un jour pouvoir devenir illustratrice, à côté de mon métier de graphiste. On verra ce que l’avenir me réserve.
Un mot de la fin ?
Amusez-vous dans ce que vous entreprenez !
Merci Sandrine !
Vous pouvez voir le travail de Sandrine sur : Instagram : wanwine.illustration / www.behance.net/sandrintherace
Entretien avec Matthieu OSSANA DE MENDEZ & Nina BALDO
L’OISEAU REBELLE ?
Entretien Angela VERDEJO
Instagram : @_ninabaldo_ et @mattossona.
Entretien avec Enrique CROPPER
Les OISEAUX
Entretien Marianne Pierre
Marianne : On voit que tu aimes dessiner les oiseaux! Tes mésanges sont très jolies. Est-ce que tu aimes « croquer » d’après nature, dehors?
Enrique : Faire le dessin d’observation est l’une de mes rares activités en art, mais j’aime bien le faire quand j’en ai envie. Dessiner des animaux sauvages, tels que les oiseaux, n’est pas facile, parce qu’ils bougent tout le temps et ils se trouvent souvent éloignés. Pour cette raison, j’ai l’habitude de dessiner d’après des photos.
D’où t’est venue cette idée de scénario?
L’origine de mon inspiration pour mon projet « Les oiseaux » sont les enregistrements des chants d’oiseaux, faites par l’ornithologiste Geoff Sample. Quand j’étais jeune, j’écoutais un CD où il décrivait avec précision les chants d’oiseaux et depuis ce temps j’ai développé une grande curiosité pour les observer dans mon jardin. J’ai commencé à me demander quelles caractéristiques faisaient que chaque espèce soit si fascinante. Donc, depuis longtemps, j’ai eu un grand désir de vouloir expliquer ce qui avait rendu certains oiseaux si populaires.
Ta BD est clairement à visée pédagogique: c’est important pour toi de transmettre un message?
C’est important pour moi d’envoyer un message d’appréciation de la nature mais aussi un avertissement, parce que je suis très préoccupé par la menace qui pèse sur notre environnement. De nombreuses espèces animales, y compris des espèces d’oiseaux, ont disparu. Peu de gens semblent savoir qu’ils avaient existé. Par exemple, la colombe voyageuse, une espèce d’oiseaux qui existait en grand nombre sur la planète au 19ème siècle, s’est éteinte en 1914. Je n’en avais jamais entendu parler jusqu’à récemment.
Peux-tu nous dire où tu en es professionnellement, et si 64page t’a aidé à avoir un peu plus de visibilité?
Actuellement, je suis toujours à la recherche d’un emploi et je cherche aussi à faire publier certains de mes projets de BD. 64page m’a beaucoup aidé à me faire entendre dans le domaine de la bande dessinée et je suis très content d’avoir un troisième récit accepté pour le 26ème numéro.
Instagram : enriquecropper.wordpress.com
Entretien avec Marguerite Olivier
La fête de l’aube
Entretien Angela VERDEJO
© Marguerite Olivier
Angela : Bonjour Marguerite Olivier ! Pour commencer pourrais-tu nous esquisser une présentation de ton parcours artistique ?
Marguerite : C’est par l’aquarelle que j’ai commencé mon parcours artistique, il y a une vingtaine d’années lors d’un atelier hebdomadaire après-journée. Ce fut une révélation ! Depuis, j’ai appris à dessiner paysages, bâtiments et personnages et participé à diverses expositions. Intriguée par d’autres média, j’ai voulu tester l’utilisation directe de pigments, l’acrylique, la peinture abstraite, le mix-média. Puis d’autres matériaux, la mosaïque, le travail du verre et le vitrail (dont ma plus importante réalisation a pour thème la BD de mon enfance !)
Parallèlement à cela, en vacances, j’ai commencé à croquer les endroits que je visitais en racontant les anecdotes du séjour. Cette habitude ne m’a plus quittée.
En 2020, je me suis inscrite au cours de BD-Illustration de l’académie des Beaux-Arts de Namur où je concilie mon amour du dessin et mon intérêt pour la narration. C’est là que j’ai découvert la revue 64_page qui m’a tout de suite intéressée.
Dans ta BD La fête de l’aube, tu présentes une tranche de vie d’une famille de macareux, dans un lieu et à un moment bien précis, comment es-tu venue à « pondre » cette belle histoire ? Est-ce qu’il y aura une suite ?
En 2022, un des thèmes proposés par Benoît, notre professeur à l’Académie, était « entre chien et loup ». Ayant visité l’Islande en été, j’ai connu le bonheur du jour sans fin. Je me suis dit qu’a contrario, la nuit sans fin devait être terrible. Je me suis donc imaginé qu’au printemps, le premier lever de soleil devait être un moment salvateur où les êtres vivants ont envie de faire la fête. L’oiseau fétiche de ce pays étant le macareux, sympathique animal assez croquis-génique, c’est lui que j’ai voulu mettre en scène et représenter un même plan qui passe de la fin de la nuit au lever du premier soleil, ce qui répondait au thème.
Ces personnages, outre qu’ils sont macareux, pourraient-ils avoir un nom ? Je pose cette question parce que nous ne savons pas où cette scène a lieu, les personnages ne sont pas plus définis que le lieu, pourquoi avoir fait le choix de faire confiance au lecteur (pour remplir ce vide) ? C’est très bien fait, je me pose juste la question.
Au départ, j’avais indiqué le lieu (Islande) sur la première case. Ensuite, j’ai considéré que le lieu avait peu d’importance tant qu’on comprend que ça se passe au Nord, où le jour peut disparaître pendant plusieurs mois. Pour les personnages de l’histoire, il fallait représenter les oiseaux de façon réaliste et bien camper leurs attitudes pour que le lecteur puisse reconnaître le macareux sans avoir à le présenter.
Pourrais-tu nous parler de ton dessin et des techniques utilisées ici ? Pourrais-tu dire que tu as un style particulier pour dessiner ou pour raconter une histoire ?
Pour le dessin, je n’utilise que peu de médium «sec », crayon, fusain ou pastel car ils ne me correspondent pas. Par contre, j’aime toutes les autres techniques, dites à l’eau, c’est-à-dire l’encre, l’aquarelle, l’acrylique, le posca (mon autoportrait est d’ailleurs réalisé à l’encre rouge aquarellable).
Pour la BD, je varie les techniques en fonction du thème. Le plus souvent, comme pour les planches présentées, le croquis est effectué au fin marqueur noir et est colorisé à l’aquarelle. Le décor étant ici particulièrement important, il a été réalisé à l’aquarelle, en humide sur humide pour obtenir les fondus souhaités dans le ciel et la mer.
Je n’ai pas encore de style arrêté pour le graphisme. Pour le scénario, j’aime l’expression simple et directe. J’essaie aussi de varier les angles de vue et de soigner la chute de l’histoire quand c’est possible.
A quoi travailles-tu en ce moment ? Quels sont tes projets à venir ? Sur quels réseaux peut-on suivre ton travail ?
Pour l’instant, je travaille à un projet d’illustration assez sombre avec une double vision d’une même scène, en apparence et en réalité.
Après cela, j’aimerais participer à un projet d’édition sur le thème de « nos rêves du futur ».
Mes autres projets personnels ne sont pas assez concrets pour en parler mais ce qui est clair, c’est qu’à l’avenir, la BD prendra de plus en plus de place dans ma vie.
Je n’utilise pas encore les réseaux sociaux pour montrer mon travail, ce qui devrait se faire en 2024 (Instagram).
Merci Marguerite Olivier pour ta participation, bravo pour ta BD ! A très bientôt !
Entretien avec Julie MANDARINE
Gauthier le Majestueux
Entretien Angela VERDEJO
© Julie Mandarine
Bonjour Julie Mandarine,
Pourrais-tu dans un premier temps nous parler de ton parcours d’artiste ? Relation au dessin, à l’écriture, formation, travail, relation avec 64page… Cette rubrique est destinée aux lecteurices qui ne te connaissent pas encore. Les assidus de 64_page te connaissent déjà bien, d’ailleurs tu as été choisie pour réaliser la double couverture du prochain numéro spécial Japon « Soleil Rouge » , un vrai régal pour nos yeux ! Bravo !
Merci ! J’ai d’abord été surprise d’avoir été choisie pour réaliser cette couverture mais aussi très contente. J’ai travaillé avec un fabuleux illustrateur, Jean-Christophe T. Notre collaboration a été « comme sur des roulettes » et fluide !
Pour en revenir à la première question, je dessine depuis que je suis toute petite mais vers 20 ans j’ai décidé de suivre les cours de bd-illustration de Benoit Lacroix à l’académie des Beaux-Arts de Namur, en parallèle de mes études pour être prof d’arts plastiques.
Et maintenant, après avoir enseigné plusieurs années et après avoir travaillé dans le milieu culturel, je vais me lancer en tant qu’artiste professionnelle à temps plein.
Pour ma relation avec 64_page, elle a commencé justement à l’académie. Je croisais la pub dans les couloirs mais sans plus. C’est quand Benoit nous a proposé de travailler sur le thème « ensemble » (le 64 page n°25) que j’ai plongé dans le bain de l’édition.
J’avais justement une histoire en cours d’écriture qui pouvait parfaitement se glisser dans le thème proposé. J’ai adoré le challenge de réaliser un récit illustrée, même si ce n’est pas toujours évident de tenir le rythme.
Tu as choisi un personnage que j’aime tout particulièrement, le goéland… j’en connais un qui s’appelle Horace, le tien s’appelle Gauthier, pourquoi ce prénom ? Il ne manque pas de prétention ce Gauthier ! Ni ta BD d’humour ! Parle-nous du processus de création de ta BD…
Pour les noms, j’adore essayer de trouver des rimes. Dans cette histoire, j’ai nommé les différentes espèces de goélands suivant la rime de leur nom : Gauthier est un goéland argenté. Après avoir cherché plusieurs prénoms en « é », j’ai trouvé que Gauthier lui allait bien !
Comme je le disais plus haut, j’ai laissé une idée d’un récit complet pour une histoire plus courte. Cette histoire est partie d’une réflexion : mais que pensent les goélands, à la Mer du Nord, quand on les traite de mouettes à longueur de journée ? J’ai alors imaginé la réaction d’un goéland. Puis en construisant mon récit, l’idée du vol de frites m’est venue. La malbouffe des oiseaux (et des animaux en général) dans les lieux touristiques est un sujet important, qui affecte réellement leur santé et leur comportement. Mais en même temps cela faisait une chute amusante pour l’histoire.
Moi non plus, je ne résiste pas à l’appel de frites.
Voici les étapes de création de cette BD : d’abord, j’écris quelques brides d’histoire qui se construit au fur et à mesure. Puis vient le story-board ou je découpe mes planches en cases. Ensuite, après avoir réalisé des croquis sur base de beaucoup de documentation, je dessine mes planches au crayon. Je les scanne puis je les colorise sur Photoshop. Et pour ce projet, j’ai réalisé ma propre police d’écriture et j’ai pu écrire les textes avec elle ! Waouh !
Pour la page 3, je voulais un style graphique différent de celui des autres planches, plus expressif, j’ai dessiné mes goélands puis j’ai peint au couteau directement sur la planche.
Pour le thème des « oiseaux », j’ai eu une première idée mais elle s’est avérée être vraiment trop longue. J’ai alors viré de bord en réfléchissant à une histoire beaucoup plus courte et Gauthier le majestueux est né en un mois !
A la lecture, on comprend qu’il y a de la recherche, un intérêt particulier, peut-être, pour les mouettes et les goélands ? Pour ce récit graphique, avais-tu effectué des recherches auparavant ou c’est venu avec l’appel à contribution pour le numéro spécial oiseaux de 64_page ?
J’ai toujours adoré observer les oiseaux et je voulais que cette petite BD soit pédagogique, qu’on apprenne de nouvelles choses.
Je connaissais la différence entre un goéland et une mouette mais je ne connaissais pas du tout la différence entre les différentes sortes de goélands. Ce qui m’a permis de me renseigner et d’en apprendre, moi-aussi, plus sur ces oiseaux et ça a créé cette histoire.
On voit que dans ta BD tu cherches à rendre le mouvement je ne dirais pas réaliste mais il y a de ça, quand on lève le nez vers le ciel en bord de mer, on les voit voler majestueusement, se déplacer, planer, etc. Tardi dit, dans une interview, que le mouvement est forcément impossible à rendre dans une BD, que c’est ce qui fait la différence entre la BD et le cinéma d’animation, l’image dans la BD est forcément figée. Qu’est-ce que tu en penses?
Justement, c’est cette idée de faire transparaitre le mouvement dans cet art immobile qu’est la BD qui m’a inspiré cette mise en page où on peut suivre Gauthier dans son « planage ». J’aime quand je peux accompagner le personnage principal à travers les pages d’un livre illustré.
Quand je crée une histoire, dans ma tête, elle est animée, comme un film d’animation. Je fais des « arrêts sur image » que je retranscris sur le papier. Le but est de rendre le dessin suffisamment dynamique et fluide de sorte à ce que les lecteurices peuvent recréer facilement le mouvement dans leur tête lors de la lecture C’est tout un art mais quand ça marche, c’est génial.
Et que peux-tu nous dire au sujet de tes techniques?
J’aime travailler avec des techniques traditionnelles mais comme je manquais de temps, j’ai opté pour la colorisation numérique. Celle-ci permet de retourner en arrière, de changer la couleur si elle ne nous plait pas, ce qui est moins possible avec l’aquarelle pas exemple.
Pour le choix des couleurs, le bleu et le beige me faisaient penser aux côtes belges. J’ai restreint ma palette de couleur pour ne pas être débordée par l’énormité des possibilités.
A quoi travailles-tu en ce moment, quels sont tes projets à venir ? Sur quels réseaux sociaux peut-on suivre l’actualité de ton travail ?
Pour le moment, je me renseigne sur les démarches pour être artiste professionnelle et je poursuis une formation pour être animatrice nature.
Et je travaille également sur mon dossier d’édition du « renard qui pue » que vous avez pu suivre dans le précédent numéro, le 64_page n°25.
Je ne suis pas très assidue à la publication sur les réseaux sociaux mais je voudrais mettre à jour ma page instagram Julie.Mandarine et créer une page pro sur Facebook, où je posterai mes illustrations réalisées en sérigraphie, en gravure et des reproductions de croquis.
Merci Julie Mandarine pour ta participation à ce spécial oiseaux de 64_page, merci pour ton soutien, nous attendons la suite de ce Gauthier et attendons de voir sur papier ta belle couverture « Japon », Bravo à toi !
Instagram : Julie.Mandarine
Entretien avec Marc DESCORNET
Zina
Entretien Marianne Pierre
© Marc DESCORNET
Marianne : Pourquoi le Colorado? On sent, au niveau des paysages, que c’est documenté!
Marc : Cette BD se situe au Colorado, et plus précisément dans la petite ville de Ouray, surnommée « Switzerland of America » en raison de ses paysages montagneux particulièrement prisés pour les sports d’hiver mais aussi en toutes saisons pour des randonnées aux vues grandioses. Il ne s’agit pas vraiment d’un choix mais plutôt d’une
évidence étant donné que l’histoire que j’ai voulu raconter est celle, véritable, de Zina Lahr, une jeune femme très attachante, décédée lors d’une de ses escapades en montagne, à l’âge de 23 ans, et qui habitait précisément ce lieu.
Je me suis effectivement beaucoup documenté, notamment pour rester le plus fidèle possible aux paysages. De nos jours, il est possible de trouver foison d’images sur Internet. Le tout est de bien identifier à quels endroits elles correspondent et selon quel angle elles ont été prises, en quelle année, à quelle saison (pour la végétation, la
neige…), à quel moment de la journée (pour la direction de la lumière)… et il faut les interpréter, les adapter pour que le récit soit crédible.
Peux-tu nous expliquer la genèse de ton récit très « philosophique »?
Il y a un peu plus de dix ans, j’ai vu passer une vidéo qui m’a fort touché. Elle a été montée et diffusée à titre posthume alors qu’elle avait pour but initial de présenter les aspirations de Zina Lahr en vue de solliciter des collaborations dans les domaines qu’elle affectionnait. Zina s’autodiagnostique un trouble créatif compulsif (Creative Compulsive Disorder) qui l’a pousse en permanence à créer toutes sortes de trucs et de machins au départ de n’importe quoi, surtout des matériaux de récupération. Elle a notamment participé à la réalisation d’un film d’animation en stop-motion avec une grue royale de sa confection.
Son enthousiasme est particulièrement communicatif, fascinant et inspirant. Je ne pouvais qu’y trouver inspiration.
D’autant plus que Zina tenait aussi un blog dans lequel elle partageait ses pensées, d’une profondeur et d’une maturité rares pour une si jeune personne. J’y ai retrouvé une belle résonance avec certaines de mes propres réflexions. Il fallait que je porte cette voix.
A ce propos, je voudrais citer Zina : « Nous sommes tous des œuvres d’art, créées dans un but précis… et nous sommes tous des créateurs, car nous créons des mots et des actions destinés à être vus et entendus par d’autres, et à leur permettre de se faire une idée de l’immensité de l’art qu’ils contiennent. Lorsque ces deux éléments se
combinent et que notre identité, notre essence, la vision brute, entre en collision avec notre forme, la manifestation physique de qui nous sommes, le vaisseau, la partie de nous toujours laissée à l’interprétation… nous reflétons la lumière, l’art et l’artiste qui se cache derrière nous ».
La vie et les mots de Zina ouvrent notre esprit sur ce que nous sommes et sur le monde qui nous entoure. Elle nous incite à y réfléchir, et à nous réaliser au moyen de la création, à explorer et exprimer nos pensées. Elle vouait un grand intérêt à la notion de vaisseau, dans le sens de véhicule au sens large. Avec humilité, ma BD porte ses
réflexions.
Ton personnage un peu à la « Mad Max », cette ambiance « nuit américaine », et le cadrage de tes décors font penser que ton récit a des influences cinématographiques. A raison ou à tort?
J’ai choisi de respecter les écrits de Zina. Ce sont donc ses mots, et uniquement ses mots, qui sont repris dans la BD, bien entendu traduits le plus fidèlement possible. Etant donné sa vie à la fois palpitante et introspective, les images et la mise en page devaient apporter un contrepoids et insuffler du mouvement, sans dénaturer l’esprit. J’ai également pour principe de soigner les cadrages pour assurer la fluidité et le plaisir de lecture, imprimer des variations dans le rythme, des sensations. Ca fait partie intégrante de l’histoire. La BD est un art qui a acquis ses codes propres depuis belle lurette et évoquer des influences cinématographiques me semble dépassé. J’aime
explorer les possibilités du médium en toute liberté.
Zina avait créé son propre « outfit », c’est-à-dire son habillement, d’influence steampunk, portant parfois des accessoires comme une épée ou un pistolet antiques. Je m’y suis tenu. J’ai aussi repris une ombrelle munie de LED qu’elle a créée ainsi qu’un engin volant, un vaisseau, imaginé par Zina. Quant à l’ambiance, elle est à
l’avenant. Le récit démarre à l’aube alors que les lumières éclairent encore la ville. Zina arrive chez elle à bord de son vaisseau, un terme qui a une signification importante que je souhaite dévoiler lors d’un récit de plus longue haleine. Elle nous présente sa chambre-atelier, sa fascination pour les grues, puis, aux premières heures du jour,
elle prend son envol… au dos de la grue articulée qu’elle a fabriquée. Entre réalité et poésie, nous la suivons dans des décors de roche et de végétation, jusqu’à ce que sa ballade la mène doucement et inéluctablement vers son destin.
Quelles techniques as-tu utilisées (ou quel papier?) pour avoir ce rendu texturé?
J’utilise un vieux support papier un peu granuleux à la texture atypique. Je dessine au crayon puis je scanne le tout et travaille sur le rendu du graphisme tout en veillant bien à préserver le grain du support. Les couleurs et le texte sont également ajoutés digitalement.
Facebook : Marc.descornet - Instagram @marc_descornet
Entretien avec Marianne KOUTCHOUMOV
Une histoire de fous
Entretien Gérald HANOTIAUX
Nous menons aujourd’hui une discussion avec Marianne Koutchoumov. Sur la thématique des Oiseaux, sujet de notre numéro 26, elle nous propose deux belles pages bleutées intitulées Une histoire de fous. Devinez de quels fous il s’agit !
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter en quelques mots à nos lectrices et lecteurs ?
Marianne Koutchoumov. Toute ma vie, j’ai vogué entre les arts graphiques, les arts du spectacle et la musique, avec une passion pour les livres et la lecture. La branche italienne de ma famille paternelle était dans l’édition, le livre a en quelque sorte toujours été « sacré ». J’ai appris très tôt à tourner les pages d’un livre sans les corner ou les déchirer. Je suis, à présent et depuis une vingtaine d’années, lectrice à voix haute et animatrice autour du livre, jeunesse et adulte. J’ai également repris, il y a quatre ans, mes études d’Illustration & bande dessinée, à l’académie de Watermael-Boistfort sous houlette de Philippe Cenci. Écrire, illustrer, lire et diffuser, voilà mes objectifs-plaisirs !
Qu’est-ce qui t’a poussé à te tourner vers notre revue 64_page ?
Des exemplaires de la revue 64_page trônaient souvent sur les tables de notre atelier, à l’académie de Watermael-Boitsfort. Nous y avions accès dans nos moments de pause « méditative ». Plusieurs de nos étudiants y ont été publiés. En septembre, alors que j’exposais à Philippe Cenci mon projet pour la rentrée, il m’a annoncé que le thème du prochain numéro de la revue 64_page était Les Oiseaux. Il m’a suggéré de proposer mon projet quand il serait achevé. Je me suis dit : oui ! Pourquoi pas ?
Tu proposes donc une histoire en deux pages intitulée Une histoire de fous, peux-tu introduire cette bande dessinée en quelques mots, histoire d’allécher les lecteurs… ?
Je faisais des recherches sur les oiseaux depuis deux ans, en m’intéressant aux facultés remarquables de certains d’entre-eux telles que, par exemple, la capacité à imiter n’importe quel son… Le bruit de la tronçonneuse ou de l’appareil photo, pour l’Oiseau-lyre. La capacité à modifier et embellir son environnement, comme un architecte-paysagiste, pour le Jardinier Satiné ! Les mises en scène nuptiales fascinantes des Oiseaux du Paradis ! Ayant pratiqué la danse, le théâtre et la musique, cela m’a passionnée. Ensuite mon attention s’est arrêtée sur la famille des Sulidae dont je connaissais déjà le Fou de Bassan, et j’ai découvert le Fou à pieds bleus… Turquoise ! J’étais fascinée, c’était le parfait personnage burlesque à développer dans une histoire. J’aime son côté paradoxal : il a une démarche pataude, mais est également un « plongeur-kamikaze », un peu fou. Le titre de mon histoire est un jeu sur son nom et son comportement un peu dingue.
Au niveau des instruments de travail, comment as-tu procédé ? Dessines-tu toujours par ces moyens ? As-tu d’autres styles ?
Pendant deux ans, j’ai travaillé à l’encre de Chine, avec un stylo-pinceau. Et au crayon graphite. J’ai eu besoin de passer à la couleur. Depuis toute petite, je suis fascinée par les crayons de couleur, comme objet aussi bien que comme outil de mise en couleur. Je suis donc naturellement passée à l’illustration au crayon pour mon Histoire de fous.
Au niveau des cases, tes dessins ont l’air très précisément « cadrés » mais les lignes des cases n’apparaissent pas, ça donne ce qu’on pourrait appeler une « aération cadrée ». Pourquoi ce choix ?
À l’origine mon projet était de réaliser un album illustré. Mes illustrations originales sont de grand format, 20x55cm, de style « format-paysage ». Pour entrer dans le format de 64_page, j’ai modifié la présentation, en disposant quatre planches en réduction sur chaque page de la revue. Au final, c’est cette contrainte de format qui donne le séquençage bande dessinée, avec cette « aération cadrée ». Beaucoup d’albums illustrés intègrent certains codes de la bande dessinée, de nos jours. Et j’y suis sensible.
Pourrais-tu nous parler des auteurs et autrices qui t’ont influencé en bande dessinée ? Et aussi, pourquoi pas, dans d’autres disciplines artistiques ?
Il est difficile de déterminer pour soi-même ce qui nous a influencé. Les influences sont souvent inconscientes. Mais je peux dire ce dans quoi j’ai baigné, et les grosses « claques » esthétiques reçues au fil de mes lectures. Enfant, j’ai dévoré les Tintin, Gaston Lagaffe, Ric Hochet, Astérix et Obélix, Buddy Longway, Comanche, Blueberry… Plus tard, j’ai découvert Hugo Pratt et son fascinant Corto Maltese. J’étais subjuguée par sa technique et la poésie qui en émanait, la profondeur du silence dans les séquences sans parole. J’ai adoré ses aquarelles préparatoires! Puis Comès, même claque esthétique ! Un univers très différent et personnel. Tardi, Cosey, Dodier, Chabouté… mes goûts sont éclectiques. Récemment, j’ai découvert Joris Mertens et son surprenant Nettoyage à Sec, autre coup de cœur.
Dans le domaine de l’illustration, un des illustrateurs qui m’a le plus marquée est Carll Cneut. Son travail sur la couleur, la matière, ses mises en scène sont extraordinaires ! Un grand maître ! En ce moment je lis une monographie sur Tove Jansson, autrice, peintre, illustratrice et créatrice de bande dessinée suédo-finlandaise. Qui ne connaît pas les Moomins ? Au niveau du Street Art, j’ai acquis un livre sur Banksy, sur lequel je fais des recherches, ainsi que sur Blek le Rat et Jeff Aérosol. De grands artistes au pochoir du Street Art. J’aime également Marie Détrée, peintre officielle de la marine, dont le livre À la poursuite de Djibouti tient à la fois du carnet de voyage, du livre de bord, de l’album illustré et du roman graphique. Une belle découverte.
Que penses-tu du marché de la bande dessinée actuel ? On parle souvent de surproduction, comment faire sa place dans ce flot ?
En effet, depuis quelques années on entend parler de surproduction en bande dessinée. D’un côté, s’il y a beaucoup de sorties d’albums, cela signifie l’existence d’un lectorat important, ce dont on peut se féliciter. Mais d’un autre côté, plus il y a d’auteurs et d’autrices, plus cela devient difficile de vivre de sa plume… C’est un constat, pas un jugement. Comment faire sa place dans tout cela, je l’ignore… La recette est peut-être : du talent, beaucoup de travail, beaucoup de patience, des rencontres et de la chance. Et, également, un boulot alimentaire !
Sur quoi travailles-tu actuellement ? À plus long terme, quels sont tes projets ?
En ce moment, je travaille sur plusieurs projets, notamment sur une recherche de paysages marins pour une reprise ultérieure de mon Histoire de fous. Je me suis également attelée à la rédaction d’un récit de Noël, non féerique et ancré dans le présent. D’autres projets à plus long terme se mijotent dans le plus grand des secrets !
Un mot de la fin ?
Mon mot de la fin tiendra simplement en un petit flottement chargé de mystère…
Merci Marianne !
Entretien avec Johanna GOUSSET
Les falaises de Moher
Marie-Pascale PEETERS
Les mouettes et le marin
Entretien : Gérald HANOTIAUX
Entretien : Gérald Hanotiaux
Entretien Gérald HANOTIAUX
Aujourd’hui, fait inédit dans l’histoire de la revue 64_page, nous proposons une rencontre croisée entre deux autrices qui nous proposent chacune une histoire dans notre numéro 26, dont la thématique portait sur « Les Oiseaux ». Ce qui est inédit, plus précisément, est que ces deux autrices sont liées familialement, elles sont mère et fille. La fille, Johanna Gousset, nous propose six pages très colorées intitulées Les falaises de Moher, alors que la maman, Marie-Pascale Peeters, propose une histoire en six très belles pages intitulée Les mouettes et le marin.
Entretien : Gérald HANOTIAUX
Gérald Hanotiaux. Pourriez-vous chacune vous présenter brièvement à nos lecteurs et lectrices ?
Johanna Gousset. Je suis illustratrice et artiste d’animation indépendante. J’ai grandi dans les montagnes des Pyrénées, entourée de parents artistes. J’ai obtenu mon diplôme d’illustration à Londres en 2017, et je travaille depuis comme illustratrice indépendante. En plus du monde de l’édition, je collabore régulièrement avec des musiciens à travers le monde, pour créer des clips animés. En 2023, j’ai notamment eu la chance de travailler avec Tom Odell, pour illstrer sa chanson Streets Of Heaven. Pour les lecteurs intéressés, il est disponible en ligne.*
Marie-Pascale Peeters. Après des études de gravure et de dessin à Bruxelles, j’ai choisi de vivre au soleil, d’abord en montagne au milieu de la nature, ensuite au bord de la mer Méditerranée. J’écris et illustre des albums jeunesse, dans lesquels je fais découvrir des artistes aux enfants. Parallèlement à mon travail d’artiste j’enseigne l’art au collège.
Johanna, tu proposes Les falaises de Moher, six belles pages en couleur, pourrais-tu présenter brièvement cette histoire ? Marie-Pascale, peux-tu faire le même exercice pour le joli conte Les mouettes et le marin ?
Johanna : J’ai découvert les falaises de Moher lors d’un voyage en Irlande, en début d’année. C’est un endroit magnifique, qui m’a beaucoup inspiré. Comme toujours lors de mes voyages, j’ai voulu dessiner la vue dans mon carnet de croquis, mais le vent était tellement fort que mes pages volaient dans tous les sens. J’ai finalement dû me résigner à terminer mes croquis un autre jour, bien au chaud dans un café ! L’histoire est venue de là, et de ce qui aurait pu arriver si les pages de mon carnet s’étaient envolées. Peut-être qu’un macareux curieux et bien intentionné serait allé les chercher pour moi. Ou alors, peut-être qu’il les aurait emportées pour décorer son nid ! Qui sait ?
Marie-Pascale : À l’académie des Beaux-Arts de Bruxelles, j’ai fréquenté l’atelier de gravure. La fable que je présente a été réalisée ici en gravure sur tetrapak, ce qui permet également du recyclage d’emballages… Elle met en avant cette « particularité » propre à la nature humaine, son éternelle insatisfaction et son désir d’être -ou de paraître- toujours plus. Sinon, pour le choix de l’oiseau : habitant dans un petit port, les mouettes sont mon quotidien…
Comment êtes-vous arrivée vers la revue 64_page ?
Johanna : Grâce à ma maman ! Elle a participé aux deux précédents numéros, donc je connais la revue. Cette fois le sujet m’inspirait particulièrement, je me suis donc également lancée.
Marie-Pascale : Au mois de septembre 2022, j’ai participé à la « rencontre éditeurs », organisée lors de la Fête de la bande dessinée, à la gare maritime de Tour & Taxis. Entre autres personnes, j’y ai rencontré un membre de 64_page, pour recevoir des conseils… J’ai ensuite proposé des projets et il s’agit aujourd’hui de ma troisième participation. Lors de présentations de la revue sur des stands, à des manifestations publiques, j’ai pu réaliser de belles rencontres…
Ce doit être un fait inédit dans l’histoire de la revue, cela vous fait quoi d’être toutes les deux, mais chacune avec son travail personnel, au sommaire de la même revue ?
Johanna et Marie-Pascale : C’est une première pour nous aussi ! On trouve ça à la fois drôle et génial ! Nous avons des styles graphiques très différents, mais nous consultons régulièrement l’une-l’autre sur nos projets respectifs… Nous échangeons beaucoup. Être publiées dans la même revue montre bien que 64_page encourage la diversité des styles, nous trouvons ça super.
Pourriez-vous chacune décrire comment, au niveau du style, vous avez procédé pour cette histoire ?
Johanna : Je venais d’acheter quatre crayons Derwent Inktense, j’ai donc décidé de les tester sur ce projet. C’est une technique un peu différente de ce que je fais d’habitude mais, depuis ce « test », je ne sais plus m’en passer ! J’ai également beaucoup aimé travailler avec une palette limitée de deux bleus et deux orangés. C’est un accord de couleur que j’aime vraiment beaucoup.
Marie-Pascale : J’ai souhaité faire quelque chose de moins traditionnel. Lors de ma dernière venue à Bruxelles, au BD Comic Strip Festival, j’ai assisté à un débat intéressant sur la bande dessinée alternative. Y participait notamment Martin Panchaud, qui a reçu le prix du meilleur album à Angoulème l’an dernier avec son livre La couleur des choses, publié aux éditions Ça et là et réalisé dans un style abstrait totalement inédit… Ça m’a conforté dans l’idée de tenter une autre approche de la bande dessinée. Comme je l’ai signalé plus haut, les images sont gravées sur tetrapak, des emballages de boissons, et imprimées ensuite sur papier. La mise en page des planches et les textes sont ensuite réalisés avec l’outil photoshop.
Pourriez-vous chacune nous parler des auteurs et autrices de bande dessinée qui ont marqué votre parcours, de lectrices d’abord, mais aussi de dessinatrices ?
Johanna : Étant enfant j’ai adoré lire Yoko Tsuno. C’était et c’est encore aujourd’hui ma bande dessinée préférée et, déjà enfant, je m’amusais à recopier les magnifiques dessins de Roger Leloup. Nous avons toujours aimé les bandes dessinées, dans ma famille. Chez mes grands-parents, nous avions la collection complète des Tintin. Ils ont été lus tellement souvent que ma grand-mère devait sans cesse refaire les reliures. Lors de nos visites à Bruxelles, je revenais systématiquement avec une dizaine de vieux Bob et Bobette sous le bras. Nous allions également beaucoup à la bibliothèque où je dévorais Papyrus, Natacha, Les Tuniques Bleues, Lucky Luke, Petzi, Les 4 As, et bien d’autres… Aujourd’hui, des choses magnifiques sont réalisées, surtout parmi ce qu’on appelle les « romans graphiques ». Je pense en particulier à Léonie Bischoff et son superbe travail sur Anaïs Nin, mais il y en a d’autres, et vraiment pour tous les goûts !
Marie-Pascale : J’ai grandi avec les bandes dessinées classiques franco-belges, que j’ai ensuite fait découvrir à Johanna… J’adore Cosey, Léo, Gibrat ou Loisel mais je découvre régulièrement de nouvelles bandes dessinées, des romans graphiques et même des Mangas, grâce à la médiathèque de ma ville, au rayon bande dessinée très bien achalandé.
De manière plus générale, toutes disciplines artistiques confondues, qu’est-ce qui vous fait particulièrement du bien ?
Johanna : J’aime les illustrations pour enfants. Ce sont elles qui me font le plus voyager. Les carnets de voyage, également ! Pour la même raison. Mais il y a dans les illustrations pour enfants une sensibilité qui parfois s’oublie dans nos vies d’adultes. J’adore la beauté du travail de Quentin Gréban ou la poésie des illustrations de Thibault Prugne. C’est vraiment dans ces mondes-là que j’ai envie de plonger…
Marie-Pascale : J’aime découvrir de nouvelles choses, vivre des expériences inédites, que ce soit grâce à une lecture, une exposition, un spectacle, une musique ou un film.
Quels sont vos projets respectifs ? À court terme, sur lesquels vous travaillez en ce moment, mais aussi à plus long terme, ce vers quoi vous voudriez aller dans le futur… ?
Johanna : J’ai beaucoup de projets devant moi ! Je viens de publier un livre pour enfants avec une maison d’édition au Royaume-Uni. Le livre a été écrit par Mike Thexton et s’appelle An Adventure. Il existe en version française et en version anglaise, et je suis très fière de l’avoir illustré. C’est une belle réussite. Au printemps, je publie mon premier livre dont je suis à la fois l’autrice et l’illustratrice, dans une maison d’édition belge qui s’appelle Bulles d’Albane. Je vous la recommande vivement, pour tous ses beaux titres déjà publiés. Dans la foulée, je vais me lancer dans la production d’un livre pour enfants en collaboration avec le site du Lac de Bambois, ainsi que dans la création de diverses expositions. En parallèle, je continue à travailler sur la création de clips animés pour des musiciens dont je ne peux malheureusement pas communiquer les noms pour le moment. C’est une facette de mon travail que j’adore et, d’ailleurs, si des musiciens belges me lisent, n’hésitez pas à me contacter ! Je suis toujours ravie de rencontrer de nouveaux artistes.
Marie-Pascale : Je souhaite continuer mes albums, en illustration et en bande dessinée, mais également installer un atelier de gravure avec organisation de stages, de résidences d’artistes et d’expositions, afin de pouvoir échanger davantage avec d’autres créateurs et partager avec le public. Début 2024, je déménagerai dans le Limousin pour mettre en œuvre ce projet.
Un mot de la fin?
Johanna : Merci d’avoir pris le temps pour cette interview, et merci aux lecteurs de nous avoir lues jusqu’au bout ! Il ne vous reste plus qu’à naviguer vers nos sites internet respectifs pour en savoir plus !
Marie-Pascale : Merci 64_page de nous publier, merci pour cet interview et, oui, idem, merci aux lecteurs de nous avoir lues jusqu’au bout !
Merci johanna et Marie-Pascale !
* Voir le clip à cette adresse : www.youtube.com/watch?v=2KU3mEDH4ig Vous pouvez aller voir leurs travaux sur : Marie-Pascale : Instagram : mariepascale_peeters Johanna : www.johannagousset.com / Facebook : johanna.gousset.artist / Instagram: goussetjohanna
Entretien avec Michel DI NUNZIO
Kirikik parade
Entretien Angela Verdejo
Qui es-tu ? Je sais, c’est un peu répétitif comme question pour toi qui es un assidu de 64_page, mais en même temps la répétition est une belle figure de style ! Et nous avons de nouveaux lecteurs qui ne te connaissent peut-être pas !
Oui, au fond, la répétition est une forme de mantra, en effet qui suis-je… je me pose encore la question…
J’espère ne pas trop me répéter !
Je m’appelle Michel Di Nunzio, je suis graphiste de formation et je me trouve, sans entrer dans la polémique des milléniaux, dans la case des boomers.
J’ai toujours voulu faire de la bande dessinée, et je me suis orienté très tôt vers le dessin et le graphisme.
Aujourd’hui, je dispose d’un temps « libre » inestimable que je savoure, je l’espère à sa juste valeur.
Passons à la BD, Kirikik Parade, sans spoiler, essayons tout du moins ! Le choix des couleurs passe par une symbolique bien marquée ici, tu peux nous parler de ce choix et surtout nous raconter comment tu as procédé pour dessiner tout ça et aussi d’un point de vue narratif, pour inventer cette nouvelle langue que personne ne connaissait jusque-là et que tout le monde comprend pourtant ?
Pour Kirik Parade, je voulais avoir des teintes sobres, sur un univers que je voulais baroque et luxuriant.
(De plus j’adore le thème des oiseaux. Et ce, même en céramique, que j’ai exposé récemment.)
Le gris et rouge, que j’aime beaucoup, me paraissaient graphiquement le plus adaptés, ce sont des teintes qui s’imposaient : rouge passion et gris neutre, calme et tempérance, tout moi quoi,
je travaille à l’ancienne, crayonné noir et blanc puis la colorisation. J’avais intégré le critère Oiseaux, Baroque, et tout ce que j’aime dessiner :
(étant d’origine italienne, ultra fan de Léonard de Vinci) les vêtements époque renaissance, j’adore. J’avais des images plus contemporaines en tête bien sûr.
« Tales of tales » de Giambattista Basile, le conte de tous les contes … un film extraordinaire, à tout point de vue.
(Pour une bd du même ordre …pourquoi pas !)
Et puis, le fait qu’il n’y ait aucun visage humain m’a obligé à penser un peu autrement, fini les regards frontaux, fini mâchoires serrées, etc… cela a entrainé une gestuelle différente, et qu’il ne fallait pas encombrer de textes compréhensibles… cela m’a permis de jouer sur la dramatisation sur les becs, serres, bref de changer de points de vue.
Pour le coté narratif, les humains tiennent beaucoup du paon et du coq et ce tournoi avec hippocampe, car on essaie toujours de renouveler, le genre s’y prêtait assez bien. Pour les dialogues, les onomatopées kirikik étaient d’une limpidité cristalline, plus je « caquetais », plus je trouvais cette langue universelle … très confortable,
tout n’était que cris, caquetages, surprises et parade, j’étais entré dans l’histoire.
Il y a du dramatisme dans ta BD mais aussi une chute bien choisie qui met en abîme l’humour et l’importance de la chute elle-même, mais aussi du décalage qu’elle provoque, un peu comme dans la littérature fantastique, ce moment essentiel où tout bascule… on retrouve cela dans les nouvelles fantastiques de Borges ou de Cortázar notamment. Comment as-tu pensé cette BD et comment l’as-tu construite ? Je veux dire comment un artiste se forge justement cette capacité d’invention et de créativité ?
Merci de m’associer à Borges et à Cortázar,
Ah oui, en effet, je lis sur Wikipédia, ses résumés de nouvelles, j’y adhère tout à fait …
Le format de l’édition (6 pages) a tout simplement structuré la chute… avec plus d’efficacité.
Avec le recul de cette question, entrer par le « toctoctoc » comme au théâtre c’est donner du bruit aux dessins. Cela modifie réellement la manière de dessiner.
En termes de construction et la capacité d’inventer, pour un dessinateur, c’est un peu dans sa nature d’essayer de construire des mondes et d’en en assurer leur réalité… ce sont des portes vers d’autres univers où j’ai quelques clefs mais pas entièrement, que cet univers soit ouvert, en laissant des fenêtres aux lecteurs… par exemple, Tiens ! Pourquoi des hippocampes ? Ah tiens ! là, il y a des vaisseaux spatiaux, etc…
Bref, pour ce qui est d’inventer en permanence, j’aime à penser que je suis une jeune âme ou je découvre encore et tout est toujours à faire …mais je ne pense pas être le seul.
Mes dessins de mes premières années étaient d’une lourdeur abyssale et il m’a fallu du temps pour devenir plus aérien.
L’histoire courte permet d’aller à l’essentiel.
C’est un format agréable, même si cela demande quand même pas mal de recherches et permet de « patauger » dans des univers dans lesquels je peux improviser.
Et de voir, au fond, ce que j’ai dans mes « tiroirs graphiques » je pense que mon travail antérieur où je dessinais des panneaux didactiques m’a été d’une grande utilité.
Pour ce qui est de l’invention et de la créativité c’est un vaste débat…
Mais c’est vrai, même si beaucoup d’autres dessinateurs en ont bien plus que moi, construire des mondes, m’a toujours plu…
Je suppose que cela remonte à mon enfance
La bande dessinée est un peu le résultat de ces réflexions qui intègre (du moins, j’essaie) la réalité d’aujourd’hui.
Mais cela ne se fait pas tout seul…
Et au fond, autour d’une planche BD, il y a pas mal de monde autour !
Je suis fan, entre autres, des univers de Leo pour Aldébaran, Bajram, de Delabby ;-( et, bien sûr, pour Duffaut pour la complainte des landes perdues où la sonorité de son texte me fait penser aux films d’Orson Welles lorsqu’il interprète William Shakespeare.
Ils sont de magnifiques moteurs à penser !
Tu es un artiste prismatique, avec des faces qui donnent chaque fois à voir ton art sous un nouvel aspect. Je ne suis pas assez calée pour entrer dans les détails de ton art, mais il y a une chose qui attire toute mon attention chez toi et c’est cette ouverture d’esprit dont tu témoignes en permanence. Alors, Michel Di Nunzio, peux-tu nous dire ce que c’est que d’être artiste pour toi, non pas justement en relation avec ton art mais plutôt avec une prise de position humaniste et d’ouverture d’esprit dans la recherche et la création ?
Merci pour ces compliments.
J’ai là aussi aimé mélanger les genres et ne pas m’enfermer dans des « milieux » mais voyager de l’un à l’autre.
J’ai un peu découvert, par hasard que j’étais « divergent » mais pas dans le sens superficiel des choses, et je voyais quand même que ce que je faisais, était une opportunité de rencontre et de collaboration, ces projets aboutissaient à une réalisation.
C’est un mélange d’audace, un coup de poker et de pari…
J’ai réalisé il y a quelques années une sculpture de 3m de haut pour un symposium alors que je n’avais jamais utilisé une disqueuse !
Les sculpteurs sur place en ont été surpris…
« Purée, il l’a fait ! » et… je me suis dit la même chose !
Elle existe maintenant à La roche en Ardenne.
Ce fut une aventure exceptionnelle qui m’a vraiment
donné l’impression que tout devenait possible.
Et je ne remercierai jamais assez Bastien (j’en ai parlé dans un post 64 précédent) pour ce challenge abouti.
A la question de ce qu’est un artiste …
Je ne sais pas au fond ce que c’est… sinon que c’est quelque chose qui vous pousse.
C’est assez mystérieux, vous semblez vous isoler du monde alors qu’en fait vous dialoguez dans un espace-temps différent… et vous êtes au cœur de tout, sensible à ce qui touche l’humain, je ne sais pas si je suis assez clair pour la jolie phrase que je me répète : en toute modestie, vous modelez l’espace qui vous appartient qui, en retour, modifie l’espace qui l’entoure… mais avec le plus de légèreté si possible.
La générosité est une chaine qui se met en route et qui ne s’arrête pas au fond … car cela fait partie du processus …Et en bd, c’est un moteur essentiel, parler avec conviction d’univers parfois abscons, y croire et convaincre, oui, il faut de la passion, car personne n’y croira si vous n’y croyez pas vous-même, c’est une certitude.
Il faut se mentir avec sincérité mais avec panache !
Le projet avec Inès Royant en était un aussi.
Magnifique rencontre.
Un pari, l’audace de Philippe d’y avoir cru et le coup de poker sur le fait de quelles cartes nous disposions.
Une prise de risque, même si nous ne nous casserions pas une jambe, importante.
Et là aussi, grâce à 64_page, car les difficultés étaient énormes, distances, génération et technologie.
Et nous l’avons fait ! Purée !
A quoi travailles-tu, en ce moment, et quels sont tes projets à venir ? Quels sont les réseaux où l’on peut suivre ton travail.
Cette année a été une année des plus intenses avec 4 expositions pour ma partie sculpturale dont le point d’orgue a été une foire à Singapour, pour des toiles en techniques mixtes sélectionnées pour un concours.
Avec Bastien, un gros projet éditorial a vu le jour, « Horrifique » dans un superbe écrin graphique, un univers Lovecraftien dans lequel je me suis plongé avec délectation. (Cf. pièces jointes)
Graphiquement d’une autre facture, plus frénétique et « incroyables bourgades » une petite série d’illustrations en noir et blanc
faites quasi entièrement à la tablette graphique, j’en apprends tous les jours encore !
Mais cette publication à 64_page, pour Angoulême, ce sont encore des bulles de champagne sur la création.
Ici donc, j’atterris doucement, ou pas, je ne sais pas si j’en fais trop… mais bon, cela m’est savoureux, grâce à vous bien sûr.
Et au passage à Philippe Cenci, d’un soutien sans faille et d’une justesse d’appréciation formidable. J’en apprends beaucoup encore.
Mes premiers contacts, cette année, et, grâce à vous, avec les équipes éditoriales Dargaud et Humanoïdes associés ont été vraiment bienveillants.
Oui, il y a encore du chemin à faire. Mais ils sont devenus « plus proches » !
Et ce serait vraiment avec plaisir si des choses se concrétisaient avec eux…
Je louvoie donc entre ces univers multiples avec délectation… bien sûr pas de quoi vivre dans une station orbitale, mais qui sait un jour…
En attendant pour l’année prochaine, de l’ordre sculptural, continuer mes projets, pour 2024-25 etc. j’ai une tonne de croquis qui attendent de passer à la 3ème dimension.
Et en BD, pareil, en fait, en mode roue libre, après Kirikik Parade, j’avais envie d’achever quelques ultimes histoires courtes, comme « tagliatelle hôtel », une petite histoire d’un très très vieux couple de milliardaires, qui veulent retrouver leur jeunesse à travers de nouveaux corps.
« Dernière zone », une histoire de boucle temporelle ou je voulais essayer l’atmosphère neigeuse et fantastique… mais je pense mieux faire, je suis en train de remanier le storyboard de l’enfant-monde qui été un peu mis de côté cette année, mais il est toujours là, j’ai mon introduction de 3 pages pour la suite de « fata morgana » !
Je voudrais aussi tenter l’aventure du concours Raymond Leblanc.
Entre d’autres instants dispos, j’ai une fenêtre de décollage pour de la photogravure … mais bon j’en suis qu’aux débuts.
En ce qui concerne mes réseaux de diffusion, rendez-vous en cliquant ici https://www.instagram.com/mich3000/
Voilà ! Je crois que c’est à peu près tout
Entretien avec DELCASY
Drôles d’oiseaux : Comme une oie
Entretien Angela Verdejo
Bonjour Sylvia Delcambe, tu es mieux connue comme Delcasy, donc bonjour Delcasy!
1/ Pour commencer, pourrais-tu te présenter aux lecteurices qui ne te connaissent pas encore et qui vont te découvrir dans ce 64_page spécial oiseaux ?
Hello ! Je suis indépendante à titre complémentaire dans l’illustration depuis décembre 2022. Je suis des cours du soir à l’académie des Beaux-Arts de Châtelet dans plusieurs disciplines pour me professionnaliser et acquérir davantage de techniques. Rien ne me fait plus plaisir que de raconter des histoires et donner vie à tous ces personnages qui peuplent mon imaginaire !
2/ On retrouve dans ta narration une volonté de recourir aux expressions, nombreuses dans notre langue, recourant aux oiseaux. Est-ce là ton point de départ, c’est-à-dire qu’au départ il y aurait eu la langue parlée avant le scénario ? Raconte-nous comment est née cette histoire, quel a été le processus de création… En quoi, le recours à l’humour, par exemple, a été important dans la construction de ce travail ?
J’ai acquis sur brocante un livre graphique « Gangsters à Chicago » de Robert Nippoldt (édité par Gerstenberg). Il relate la vie d’Al Capone, de ses généraux et rivaux sous un angle très original. J’ai alors découvert que beaucoup d’entre eux étaient affublés de surnoms en tout genre en relation avec leurs activités mais aussi de noms d’animaux…
Leurs histoires fantasques m’ont inspirée, la presse s’emparait volontiers de leurs « exploits » durant la prohibition mettant à mal la crédibilité des forces de l’ordre durant les poursuites tonitruantes dans les rues de Chicago et lors des procès très médiatisés.
J’ai réalisé des recherches sur les expressions recourant à des noms d’animaux. Puis les oiseaux m’ont paru être de bons candidats pour occuper les rôles dans cette histoire tant il existe d’expressions en relation directe avec leurs anatomies et comportements.
Je ne souhaitais pas que l’univers de ces gangsters soit trop violent toutefois, le recours à l’humour m’a paru nécessaire et approprié à l’utilisation de toutes ces images véhiculées par la langue française sur le thème des volatiles !
3/Cette histoire semble être « à suivre », as-tu déjà entamé la suite ? Ce projet existait déjà avant l’appel à projets de 64_page ou c’est lui qui l’a suscité ? Comment vois-tu ce projet dans son ensemble.
Je compte donner suite effectivement, quelques scénarios sont soigneusement conservés dans mon carnet et je dispose déjà de quelques visuels pour compléter cet univers en plus d’une belle galerie de personnages. Je le vois sous forme de courts chapitres successifs impliquant de nouveaux intervenants à chaque fois. J’ai adapté mon premier chapitre pour le 64_page lorsque j’ai vu l’appel à projet, 64_page m’a donné en quelque sorte l’impulsion nécessaire pour m’y atteler sérieusement !
4/ Ta BD est très « colorée », les personnages, encore une fois, semblent être engendrés par des coïncidences linguistiques, pourrais-tu nous parler du choix de la palette, de la ligne, des techniques utilisées dans ta BD ?
Les espèces d’oiseaux ont été choisies pour utiliser pleinement les expressions dans l’histoire effectivement ! J’ai cherché la cohérence au travers d’une même planche en me limitant à quelques crayons de couleurs seulement (choix de couleurs complémentaires majoritairement), j’ai colorisé en couches successives pour enrichir les couleurs. La palette des dernières planches a été choisie pour donner un effet désuet du mobilier.
5/ Raconte-nous aussi l’état de tes projets en ce moment, les projets à venir autres que celui-ci. Et dis-nous sur quels réseaux nous pouvons suivre l’actualité de ton travail.
Je travaille actuellement à l’élaboration d’un livre jeunesse dans la lignée de l’histoire « Otaka et les fourmis gourmandes » parue dans le précédent numéro du 64_page. Il se composera à priori de 24 pages hautes en couleurs et s’intitulera « Otaka et le monstre vrombissant ».
Nous avons également pour projet collectif à l’atelier de BD & illustration de réaliser un plateau de jeux Monopoly spécialement sur la ville de Châtelet.
Les lecteurs peuvent me suivre sur instagram @delcasy_drawings et si d’aventure quelqu’un souhaite me contacter pour un projet, il pourra le faire via le site www.delcasy.be !
Merci Delcasy pour ta participation et bravo encore pour ce chapitre, « Comme une oie », de Drôle d’oiseaux ! On attend la suite ! A bientôt!
Instagram : delcasy_drawings
Entretien avec Lucinne SALVA
Sam et Mauricette à la recherche de Rose
Entretien Gérald Hanotiaux
Rendez-vous est fixé aujourd’hui avec Lucinne Salva, autrice dans notre dernier numéro d’une histoire en six pages largement teintées de rose… Ses personnages sont frappés d’anthropomorphisme, ce qui s’explique bien entendu en partie par la thématique de ce numéro : Les Oiseaux. En route avec Lucinne, pour voir la vie en rose…
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter en quelques mots à nos lectrices et lecteurs ?
Lucine Salva. Je m’appelle Lucinne, j’ai 27 ans et je fais de la bande dessinée depuis que je suis arrivée en Belgique. Je suis une personne créative et solaire.
Qu’est-ce qui t’a poussé à te tourner vers notre revue 64_page ?
À la suite d’une rencontre entre auteurs-autrices et éditeurs-éditrices à la maison de la littérature jeunesse à Bruxelles, j’ai discuté avec un membre de la revue 64_page, ce qui m’a donné envie d’être publiée dans cette revue, pour montrer mon travail à un nouveau public.
Tu proposes dans ce numéro une histoire en six pages intitulée Sam et Mauricette à la recherche de Rose, peux-tu introduire cette bande dessinée en quelques mots, pour allécher les lecteurs et lectrices ?
Sam et Mauricette à la recherche de Rose est une histoire courte sur la disparition de Rose, pendant une visite touristique en Camargue. C’est une bande dessinée loufoque et, comme dirait Edith Piaf : La vie en rose !
Dans la thématique sur Les Oiseaux, tu as décidé d’utiliser un flamand rose, pourquoi lui ?
Je suis originaire du sud de la France et tous les étés, avec ma famille ou des amies et amis, je vais me baigner en Camargue. À chaque fois, je m’arrête pour observer les flamands roses et les marais salants. Quand j’ai appris le thème de la revue, j’étais justement en Camargue, l’idée m’est donc venue de mettre en avant ce bel oiseau bien rose ! (à prononcer avec l’accent)
Tu as choisi de représenter en majorité des personnages animaliers, qu’aimes-tu dans cette pratique ? Quels seraient tes influences dans le domaine du dessin animalier ?
Je m’intéresse beaucoup à la représentation des animaux dans la bande dessinée. J’ai d’ailleurs un projet en cours qui tourne autour de l’anthropomorphisme animal : Gary et Joon. Mes influences dans le travail de la bande dessinée anthropomorphique sont nombreuses, j’aime particulièrement le travail d’Oriane Lassus, notamment sa bande dessinée Les gardiennes du grenier. J’aime aussi le travail de Sophie Guerrive avec ses personnages anthropomorphisés, comme Tulipe, et pour finir Fabienne la super grenouille dans Animan, d’Anouk Ricard.
De manière plus générale, quels auteurs et autrices citerais-tu parmi tes influences majeures ? En bande dessinée mais aussi, pourquoi pas, dans d’autres disciplines artistiques…
Je ne sais pas si j’ai une inspiration précise, j’aime beaucoup de choses et lis et suis beaucoup de styles différents. J’ai l’impression que mes inspirations se portent plutôt vers des autrices et auteurs contemporains qui expriment leur force, leur humour, leur douceur, leur intelligence. Je pourrais citer Joanna Lorho, Tamos le termos, Élodie Shanta… Je travaille également avec des amies et amis, ainsi que le collectif Ginko Biloba, ils m’inspirent et me questionnent beaucoup sur mon travail.
Du point de vue du style, comment procèdes-tu ? T’arrives-t-il de travailler dans différents styles ?
Je travaille beaucoup à la ligne en utilisant un crayon mine HB, puis je fonce le trait sur l’ordinateur. Pour la couleur je suis encore en réflexion sur mon travail car j’aime le feutre, mais j’aime aller vite, d’où l’utilisation de couleurs numériques. Je travaille également aux crayons de couleurs et en niveaux de gris… Tout dépend du projet et du sujet.
Nous avons beaucoup aimé ton traitement très libéré des codes de la bande dessinée : les cases se touchent, leurs bords sont arrondis, c’est très réussi ! L’impression générale est hyper-joyeuse. Selon toi, les cases en bande dessinée sont trop anguleuses… ?
En effet, je suis une personne d’humeur joyeuse, et j’aime les arrondis ! La forme ronde est pour moi une forme réconfortante, je l’utilise dans mes bandes dessinées sans l’associer à une histoire précise, mais plutôt car elle correspond à ma personnalité. J’aime l’expérimentation et le monde du fanzinat, il y a plusieurs façons de faire des planches de bande dessinée, et heureusement, car ça permet énormément de variété !
Que penses-tu de la situation actuelle du secteur de la bande dessinée ? On le décrit souvent comme marqué par la surproduction, mais aussi comme traversant une sorte « d’âge d’or », avec une grande créativité dans tous les styles… Qu’en penses-tu ?
Je dirais que oui, nous assistons à une explosion de couleurs et de variétés stylistiques ! Tant mieux ! Je n’ai pas encore été publiée, donc je ne peux pas vraiment me situer personnellement dans ce secteur… Cela dit, oui, je ressens une inquiétude au sujet de la précarité des auteurs et autrices.
Pour terminer, parles-nous de tes projets proches, sur lesquels tu travailles, par exemple Gary et Joon, peux-tu nous en dire plus ? Aussi, quels sont tes projets sur un plus long terme, as-tu déjà des idées ?
Gary et Joon est un projet de bande dessinée jeunesse, de 120 pages. C’est l’histoire d’un chat et d’une chienne qui vivent chez Roger, leur « maitre ». Un jour, tous les humaines et humains disparaissent : ils vont devoir apprendre à vivre seuls. Par la suite, j’aimerais dessiner un peu plus d’illustrations et proposer mon travail à des maisons d’éditions jeunesse. Un autre projet d’album jeunesse est en début de construction.
Un mot de la fin ?
Même si la bande dessinée c’est chouette, et de temps en temps un peu moins, il faut s’accrocher aux branches !
Merci Lucinne !
Vous pouvez aller voir le travail de Lucinne sur : Instagram : lucinnesalva
Entretien avec Jean-Chistophe T.
Catalogues d’oiseaux
Entretien Marianne Pierre
Bon, très sympa tes planches, mais pas très optimistes! Tu es de la génération des « éco-anxieux »? Penses-tu que nous allions réellement vers ce genre de futur?
Jean-Christophe T. : Merci. Je suis plutôt optimiste sur l’avenir de l’humanité, ce qui tranche avec ma petite histoire. Elle ne reflète pas vraiment mes idées. D’ailleurs, ce n’était pas le but.
J’ai plutôt envisagé cette dernière comme émanant d’une vision passéiste du future, à la manière des pulp que les kids lisaient dans les fifties. En l’an 2000, les voitures volaient!
Avais-tu plusieurs idées de scénario pour ce thème?
Oui, deux ou trois. Avec le printemps, le bord de mer, le chant,… C’était trop évident.
Tout le monde s’attend à lire une histoire sur la nature avec un thème comme « les oiseaux » alors j’ai préféré me démarquer en choisissant l’exercice de style. Imaginer le futur du passé. Des oiseaux, oui. Mais des robots. Dans un monde post-apocalyptique et froid.
Par contre, j’avoue que le propos ou plutôt la morale de l’histoire reste très conventionnelle.
Est-ce difficile pour toi de soumettre tes planches au regard du public?
Tout à fait. Je reste peu sûr de mon dessin. Je le trouve encore malhabile. Mon style doit encore s’étoffer.
Pour être honnête, je ne montre mes dessins que depuis deux ans. J’ai attendu la presque quarantaine!
Sur le plan du scénario, c’est déjà mieux. J’adore la mise en scène.
Mais je travaille et je me vois progresser. Et ça, c’est bien!
Quels sont tes projets? (graphiquement parlant)
J’ai différentes idées de bandes dessinées sur lesquelles j’avance en vue de les présenter à des maisons d’édition. Pour les plus jeunes comme pour un lectorat plus âgé.
Sur le plan purement graphique, chercher ce style qui me fait tant défaut. En fait, trouver mon écriture, ma voix.
Instagram : jchristophe.t
Entretien avec Véronique SERAN
La vie dissolue du coucou
Entretien Angela Verdejo
Bonjour Véronique Seran,
Pourrais-tu te présenter à nos lecteurices ?
Bonjour, je m’appelle Véronique Seran. Je suis née à Toulouse et je réside à Namur, une ville que j’adore.
Avant, mon métier c’était la création de bijoux, mais j’ai toujours dessiné et rêvé d’en vivre un jour. Aujourd’hui l’illustration reste encore une activité accessoire. Je salue le travail de 64_ page qui publie jeunes et moins jeunes pour les faire connaître. C’est la deuxième fois que j’ai le plaisir de faire partie de l’aventure et j’en suis fière.
Ma première publication c’est en 2017 avec le collectif Les Harengs rouges et l’ouvrage BD « la ville rêvée » suivie de « la vallée rêvée » aux éditions namuroises.
Mais c’est surtout à partir de ma collaboration avec l’auteur de romans jeunesse Thierry Stasiuk que je rentre dans le métier de l’illustration avec la sortie du premier de nos quatre livres « la disparition de l’échasse d’or » en 2019.
Je suis maman de quatre enfants et j’ai un petit fils. J’ai peint le grand mur de sa chambre d’animaux de la savane et il adore.
Ma formation d’illustratrice, c’est à l’académie des Beaux-Arts de Namur que je l’ai suivie, avec Benoît Lacroix comme professeur. En plus du dessin, j’ai eu envie de raconter des histoires pour mes enfants, pour moi, pour le plaisir.
Je fais partie du groupe des Urban Sketchers Namur, des mordus du dessin in situ, d’après l’observation directe de la vie urbaine et quotidienne, mais des USK Il y en a partout dans le monde. On publie nos dessins sur le groupe Facebook.
Je dessine, je sculpte, je peins. Mon carnet de croquis m’accompagne partout, dans le bus, le train, dans les cafés et même au cinéma.
La première chose qui saute à mes yeux de lecteurice ce sont évidemment les nombreux mots d’oiseaux accolés à un sous-texte que l’artiste a volontairement plongé dans une espèce de flou pour créer une distance. On pense évidemment à une espèce de lynchage du « pauvre » coucou dont les explications savantes ne suffisent pas à l’en sortir… Cela n’est pas sans rappeler le fonctionnement de la cancel culture dans les réseaux sociaux… mais là, j’interprète. Cela crée un grand malaise chez la lecteurice que je suis néanmoins ! Loin de moi, tout jugement, évidemment. Le jeu est très bien mené, les mots d’oiseaux pris au pied de la lettre, l’enjeu linguistique est d’une grande importance, et l’effet stylistique crée un choc, raconte-nous comment as-tu procédé pour écrire ce scénario.
Les nombreux noms d’oiseaux accolés au sous texte sont volontairement exagérés pour amener le lecteur à la curiosité et à s’interroger. Mes recherches sur les oiseaux en vue du projet m’ont amenée naturellement à ce coucou si extraordinaire avec un comportement que l’on traduit humainement et du coup, ça choque, ça nous heurte , ça nous émeut et me donne le sujet idéal de mon histoire.
Continuons sur le processus de création, est-ce que tu peux nous en parler…
L’idée de départ, c’est le projet « minuscule » qui a fait suite à l’ exposition collective « inattendu » du 04.12.23 au 12.01.24 à l’académie des Beaux-Arts de Namur. Un petit livre construit par pliage d’une feuille d’un format A4. J’ai scanné la feuille A4 avec les huit cases que j’ai réparti sur deux pages pour coller au format du magazine de 64_ pages. J’ai donc dessiné tout petit, ce qui est une première pour moi.
Et pour ce qui est de tes techniques ?
Le choix du papier, sa couleur, le texte écrit à la main au stylo donnent à ce travail un côté naturel qui en fait un bel objet. Le dessin est encré à la plume avec une touche d’aquarelle. J’ai voulu garder cet aspect authentique et original pour le magazine .
A quoi travailles-tu en ce moment ? Quels sont tes projets ? A travers quels réseaux peut-on suivre l’actualité de ton travail ?
Je termine la couverture et les dernières illustrations du cinquième roman jeunesse « Les étranges magiciens de Namur en Mai » avec Thierry Stasiuk à l’écriture qui sortira en 2024 aux éditions namuroises.
Je commence des planches BD avec le collectif les Harengs Rouges pour notre prochain album aussi prévu pour 2024.
Mais avec ça j’ai des projets peintures, dessins, expos et peut-être encore une histoire pour 64_page.
On peut me suivre sur ma page Facebook Véronique Seran et depuis peu sur instagram seranveronique.illustration .
Merci Véronique Seran pour ta participation à ce spécial oiseaux de 64_page et bravo pour cette BD qui ne manque pas de piquant !A bientôt!
Instagram seranveronique.illustration
Entretien avec Inès SANCHEZ ROYANT
Pépito et Solange
Entretien Angela Verdejo
Bonjour Inès Sanchez Royant,
Pourrais-tu te présenter, pour ceux qui ne te connaissent pas encore, bien entendu ? A 64page nous te connaissons déjà à travers ton travail, tes nombreux prix et tes allées et venues entre l’Espagne, la France, la Belgique et l’Afrique. Raconte-nous tous ces épisodes de ta vie d’artiste, jeune artiste en herbe mais qui dessine depuis toujours.
Inès : J’ai 16 ans, je suis en 1re (NDLR: 5e en Belgique), je suis franco-espagnole et j’habite en Espagne. J’aime dessiner et inventer des histoires depuis toujours. Je lis beaucoup de BD, de romans et le cinéma me plaît aussi. J’apprécie l’originalité et la qualité du scénario. Mon attachement aux personnages joue de même un rôle important dans n’importe quelle histoire quelqu’en soit la forme.
Ta BD est une incursion des oiseaux dans le monde des humains à travers une astuce, que l’on ne va pas spoiler ici, mais qui dénote une connaissance, voire une conscience, non seulement du dessin mais aussi de la langue, cela attire mon attention car je sais que tu es bilingue espagnol-français. Je me demandais comment se passe le processus de création pour une artiste bilingue, pourrais-tu nous en parler ? En ce qui concerne ta BD, Pepito et Solange, comment as-tu fait pour baptiser ces personnages avec ces noms qui font aussi d’ailleurs état de ton bilinguisme (y compris pour Cornelio)? D’ailleurs, tu t’es posé la question de la traduction, par exemple, de ta BD ?
Cette histoire ne pourrait malheureusement pas se traduire, ce qui est dommage pour mon père qui ne peut donc pas la lire dans sa langue maternelle. Moi, je suis complètement bilingue et je ne me suis pas posé de questions. J’ai pensé au scénario en français et j’ai écrit les dialogues dans cette même langue.
J’ai choisi les noms des personnages selon leur ressemblance sonores avec les espèces des oiseaux respectifs. Solange est une mésange et Cornelio est une corneille. « Pépito », qui est en effet un prénom hispanophone, n’ a rien à voir avec la « huppe fasciée » mais je trouve que ça lui va bien et je lui ai mis ce nom instinctivement.
Sur la BD encore, après nous avoir exposé ton processus de création narratif et linguistique, raconte-nous quelles techniques as-tu utilisées pour le dessin.
J’ai utilisé des feutres à encre de Chine pour l’encrage et pour la couleur j’ai utilisé des aquarelles et des feutres à alcool. Les bulles sont faites à l’ordinateur cette fois-ci.
Est-ce que tu t’étais déjà intéressée aux oiseaux ou c’est l’appel à BD sur le sujet qui t’a fait te plonger dans cette thématique ? Est-ce qu’il y a d’autres thématiques qui éveilleraient, plus particulièrement, ton intérêt et que tu voudrais que 64_page vous propose ?
Je trouve les oiseaux très beaux et des fois, j’aimerais être comme eux quand je les vois voler ou se poser sur un rebord périlleux d’un bâtiment sans avoir peur de tomber. 64_page nous surprend toujours avec des thématiques que je trouve très inspirantes. Ce sont des thèmes que je n’aurais pas forcément abordés et je pense que c’est bien. Il y a des thèmes qui m’attirent en effet plus que d’autres, mais je ne suis pas sûre de vouloir les voir dans 64_PAGE. C’est des fois intéressant de sortir de sa zone de confort.
Et raconte nous, ce que tu fais en ce moment, sur quoi tu planches et comment tu concilies cette passion pour la BD qui t’anime si fort avec la fréquentation de l’école ? Des projets, nous savons que tu en as beaucoup, quels sont-ils dans un avenir proche ? Te reverra-t-on à Angoulême ? Et encore, pour ceux de nos lecteurs qui ne te connaissent pas encore,pourrais-tu nous rappeler les réseaux sociaux où l’on peut suivre ton travail ?
Je poste mon travail sur Instagram ( @ines.sanchez.royant). Je viens de finir des planches que j’ai envoyées au concours hippocampe et je serai là à Angoulême. Cette année et la prochaine, je ferais sûrement un peu moins de BD, car il y a plus de travail en terminale au lycée (NDLR: 6e, rhéto en Belgique) et il faut aussi que je prépare un book et que je m’entraîne au dessin d’observation pour passer les concours d’entrée aux écoles supérieures.
Merci, Inès pour ta participation fidèle et très active à 64_page et bravo pour ton Pepito et Solange !Bonne chance pour Angoulême!
Instagram ( @ines.sanchez.royant)
Entretien avec Alexandre KONSTANTATOS
Avancer hors du temps
Entretien Gérald Hanotiaux
Aujourd’hui, nous rencontrons Alexandre Konstantatos, qui propose dans notre numéro 26 une histoire en quatre pages noir et blanc, dont l’action démarre à Liège pour finir à Thuin… Une déambulation sentant bon la nostalgie…
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter en quelques mots à nos lectrices et lecteurs?
Alexandre Konstantatos. Je suis Alexandre Konstantatos, aspirant auteur. Comme expliqué dans mes planches, je suis originaire de la campagne entourant Charleroi. J’ai fait des études de sciences et de mathématiques et j’ai intégré l’université en agronomie, avant de me rendre compte que ça ne correspondait pas à ce que je voulais faire de ma vie. Mon parcours m’a beaucoup appris et je suis toujours passionné par la nature et tous ses secrets, mais la bande dessinée me rend heureux et je suis fier d’avoir choisi cette voie. Raconter des histoires est une si belle passion !
Qu’est-ce qui t’a poussé à te tourner vers notre revue 64_page ?
J’avais besoin d’écrire et de dessiner quelque chose, une histoire courte, pour me mettre en selle. Ce n’est pas simple de sortir de l’école, où on nous donne un énoncé pour créer, et de soudain devoir le faire à partir de rien. Votre revue à l’avantage d’être ouverte à tout le monde, sans être une grosse machine éditoriale. Ce qui m’a permis de créer librement sans trop de pression, juste ce qu’il me fallait pour remettre le pied à l’étrier.
Tu proposes dans ce numéro une histoire en quatre pages intitulée Avancer hors du temps, peux-tu introduire cette bande dessinée en quelques mots ?
Comme je le signale dans la petite introduction dans la revue, j’aime réaliser des récits sur le voyage et dessiner les quatre coins du monde… Cette fois, cependant, j’ai décidé de me concentrer sur moi et mon patelin. J’avais envie de revenir chez moi durant cette petite parenthèse. Cet été j’ai dessiné un récit qui se déroule en Grèce, car j’y suis retourné après une longue absence et j’avais envie d’exploiter mes racines. Pour Avancer hors du temps, c’est un peu pareil, je suis fier d’où je viens, et j’avais envie de le montrer aux gens. J’ai tendance à beaucoup réfléchir en marchant, ça m’aide à clarifier mes pensées. Cette bande dessinée montre cette part de moi.
Ta bande est sans couleur, travailles-tu toujours en noir et blanc, privilégies-tu cela ?
En réalité, je ne travaille jamais en noir et blanc ! En fait, j’essaie même de le supprimer de mes planches, au point d’encrer avec des encres colorées… Mais pour cette histoire, j’avais envie de revenir aux bases. J’ai voulu travailler avec de belles masses de noir, pour jouer avec la lumière, donner un contraste fort entre ce paysage paisible et magnifique, et mes pensées sombres qui m’empêchent de le voir.
Le narrateur de l’histoire cite Jiro Taniguchi, est-ce un auteur que tu apprécies particulièrement ? Si oui, pourquoi ?
C’est un de mes auteurs préférés, si pas le « number one ». C’est clairement une de mes références, malgré qu’en général je ne sois pas dans le même genre narratif. Quand je l’ai découvert, ça a été une claque, sur le mode « Wouaw, on peut faire ça en BD ! ». Depuis, je ne peux m’empêcher de m’inspirer de sa façon de mettre en scène et de montrer le monde, car je m’y retrouve complètement.
Quels auteurs et autrices de bande dessinée, ou d’autres disciplines, citerais-tu comme source d’inspiration ? Ou simplement que tu apprécies particulièrement… ?
Pour les auteurs récents, je citerais Jérémie Moreau dont le livre Les Pizzlys représente ma dernière claque en date. Il y a aussi Guillaume Singelin, Julien Lambert, Julien Neel et Shigeru Mizuki. Avec Taniguchi, ce sont mes principales sources d’inspiration. J’en ai plein d’autres, notamment parmi les anciens de Saint-Luc-Liège, comme Aniss El Hamouri, Lisa (keuponof sur instagram) ou Jean Cremers. Je peux aussi citer Maxime Gillot, un auteur liégeois… Ou encore, dans l’animation, le studio Ghibli. Personnellement, je suis encore à la recherche d’une façon de synthétiser la réalité et mes personnages en dessin et tous ces auteurs ont trouvé une solution, que j’admire et qui me donne envie de faire pareil.
Ton histoire commence par Liège, où le personnage est allé s’installer pour ses études… Il s’agit donc de ton parcours personnel. Selon ton expérience, comment présenterais-tu l’enseignement artistique reçu dans cette institution ?
J’ai en effet obtenu le diplôme de bachelier en bande dessinée à l’ESA Saint-Luc-Liège, en juin 2023. Je suis à présent installé dans une colocation avec des personnes rencontrées lors de ces études, qui pratiquent également le dessin, en attendant de trouver un travail ou de décrocher un contrat éditorial. Je conseille ces études à toutes les personnes désireuses de faire de la bande dessinée leur métier. Selon moi, c’est l’endroit idéal car on y découvre tout ce qu’il faut savoir : la théorie, les outils de la narration et de la mise en scène, et des lectures et références insoupçonnées. On y rencontre aussi -et surtout- des artistes inspirants, dont les profs, qui sont là pour nous soutenir et nous conseiller, même une fois le diplôme en poche.. J’y ai vécu trois années géniales !
Tu es très enthousiaste sur l’enseignement à Saint-Luc, mais penses-tu que cela puisse également aider sur le terrain de la publication, en agissant en quelque sorte comme une « carte de visite » ?
Je ne sais pas, les profs nous soutiennent et nous aident en montrant notre travail à certains éditeurs, mais notre diplôme ne nous permet pour autant pas de montrer patte blanche et de signer un contrat immédiatement. Je dirais que l’avantage d’y avoir fait nos études est que ça permet aux éditeurs de savoir qu’on sait travailler, ils seront donc plus confiants pour nous faire signer un contrat si un projet leur plaît. Plusieurs anciens étudiants ont sorti quelques bijoux en bande dessinée, certains ont remporté pas mal de prix ces dernières années, cela crée une sorte de réputation collective qui peut se répercuter sur nous, lorsqu’on sort de l’école… Si ça permet d’être mieux écouté, c’est déjà beaucoup dans le milieu de la bande dessinée… Donc, d’une certaine façon oui, ça peut aider, mais il reste toujours à chacun de prouver sa valeur.
Que penses-tu de la situation de l’édition en bande dessinée, souvent décrite comme marquée par la surproduction, de manière générale mais aussi en tant que jeune auteur qui doit se faire une place… ?
Il est vrai que je suis un peu dégoûté par la tonne de livres qui sortent annuellement, privilégiant la quantité et le public existant pour certains auteurs, plutôt que la qualité… Mais l’édition ne se résume pas à cette situation, les éditeurs ont aussi besoin de nous, en quelque sorte. Les auteurs vieillissent et la demande ne diminue pas. Au contraire, ils essaient en permanence d’attirer des jeunes lecteurs, pour ça ils comptent sur nous, les jeunes auteurs. Ce n’est pas simple d’y entrer pour autant, et le petit revenu qu’offre ce métier en décourage plus d’un. Une phrase que j’ai entendue résume assez bien la réalité : « ce ne sont pas les plus talentueux qui réussissent en bande dessinée, ce sont les plus motivés ». Tant qu’on travaille, qu’on n’abandonne pas, on a sa chance. Ces derniers temps, j’ai l’impression que les bandes dessinées sont toutes les mêmes, c’est un peu déprimant… Mais certains auteurs sortent du lot, j’espère pourvoir me joindre à eux pour créer une vague de renouveau, dépoussiérer tout ça.
Sur quoi travailles-tu en ce moment ? Quels sont tes projets ?
J’ai plusieurs projets longs sur le feu, des romans graphiques comme diraient les éditeurs, mais j’ai envie de bien préparer mes dossiers de présentation, alors je prends un peu mon temps. Je vise l’échéance du prix Raymond Leblanc pour finir les dossiers, histoire de ne pas trop tarder non plus… En parallèle, je dois chercher un travail car je suis inscrit au chômage. J’ai un petit projet de 34 planches, pour une résidence à l’Atelier du Toner, à Bruxelles. Si vous êtes habitué des salons de bande dessinée, vous me croiserez peut-être pour au stand de Guerre Molle, un fanzine collectif réalisé avec des amis.
Un mot de la fin ?
J’avoue ne pas savoir comment conclure une interview étant donné que c’est ma première, mais je compte bien en faire pleins d’autres tout au long de ma longue carrière… N’hésitez pas à suivre mon travail pour constater si j’y parviens, la prochaine fois. Ça fait toujours plaisir de se sentir soutenu alors si vous êtes curieux, allez voir mon compte instagram (@drawaka), ou celui de Guerre Molle.
Merci Alexandre !
Vous pouvez voir le travail d’Alexandre sur : Instagram : drawaka
Entretien avec Masha Vander Kelen
Le grand vol
Entretien Angela Verdejo
Bonjour Masha Vander Kelen,
Bonjour Angela 🙂 !
Pourrais-tu dans un premier temps nous parler de ton parcours d’artiste ?
Masha : Petite, j’aimais beaucoup me mettre dans ma bulle et créer. Je passais parfois des récréations entières à dessiner, à écrire des poèmes sur une histoire qui m’avait touchée (comme celle d’Helen Keller), à peindre une mésange charbonnière, à écrire des histoires (dont l’une d’elle fut transformée en dictée par mon institutrice pour le plus grand bonheur de mes camarades…).
Ado, j’ai commencé à faire des caricatures. C’était comme si je donnais le sourire à mes idées. Caricaturer les gens qui m’agaçaient me permettait de mieux les accepter. J’adorais aussi les dissertations. M’emballer sur un sujet puis m’envoler littérairement vers un magnifique ciel ouvert sur tous les possibles. Quelle belle évasion des quatre murs de la salle de classe… ou de retenue.
À mes 18 ans, j’ai voulu m’inscrire en bande dessinée à la Cambre (une école artistique bien connue à Bruxelles). Mon papa m’a plutôt conseillé de faire un parcours universitaire. J’ai donc choisi d’étudier la psychologie sociale et interculturelle, qui est un domaine passionnant. Bien occupée, je n’ai quasiment plus touché à un crayon ni à un pinceau. Cependant, j’ai utilisé des planches de BD faites par un ami talentueux dans mon travail de fin d’études. Elles ont servi de matériel expérimental.
Après cela, je suis partie étudier quelques mois les primates (non-humains) dans une station biologique en Bretagne. Puis, j’ai travaillé comme psychologue et animatrice dans un planning familial. Ensuite, comme psychologue indépendante. J’exerce comme psychologue depuis 17 ans maintenant et j’y ai intégré l’hypnose et la walking therapy en forêt.
Suite à quelques soucis personnels, j’ai diminué ma charge de travail et j’ai replongé dans… l’art! Comme s’il avait fallu cette contrainte pour m’autoriser ce plaisir. J’ai donc commencé des cours de peinture il y a 4 ans chez la très chouette Isabelle Malotaux. Il y a deux ans, je me suis inscrite aux cours de BD/illustration à l’académie des beaux arts de Namur. Mon prof de BD, Benoit Lacroix, est assez exceptionnel. Merveilleux transmetteur, motivant, pertinent et honnête. À chaque fois que le « 64_page » était mentionné durant les cours, j’éprouvais une profonde admiration pour les sélectionnés. Je n’aurais jamais imaginé en faire partie un jour. C’est Aurélie, une copine de mon cours, qui m’a motivée à tenter ma chance. Merci à elle, et à Benoit qui a supervisé mon histoire. (Benoit Lacroix est interviewé dans L’atelier des maîtres du 64_page #25)
Nous nous sommes envolés avec tes personnages et avons beaucoup apprécié l’humour et l’ironie qui se dégage de leur envol… pourrais-tu nous parler de ton processus de création, comment en viens-tu à créer cette BD?
Le thème des oiseaux migrateurs est une idée soufflée par mon fiston avant même de savoir que c’était le thème du prochain 64_page. Grande passionnée d’observation éthologique, c’est avec plaisir que j’ai pris mon envol pour les dessiner, même si leurs attitudes ne sont évidemment pas typiques de leurs espèces. Parfois, je trouve que c’est plus facile de se projeter dans des animaux que dans des humains. Le phénomène de la migration chez les oiseaux me fascine. Cette aventure de navigation complexe, longue et difficile qui se répète chaque année. Dans mon récit, j’ai rajouté quelques quiproquos et embûches qui participent à l’aventure de nos comparses, sinon il n’y a pas d’histoire…
Les touristes, dans ta BD, ont des ailes mais se comportent comme des touristes humains… On promet la lune, on fait chez les autres ce que l’on ne fait pas chez soi, on devient bonimenteur… on fait dans la pub… est-ce dire que tu as créé une BD volontairement engagée en quelque sorte ?
La psychologue sociale que je suis a toujours aimé observer les phénomènes de groupe, « les influenceurs » et les influencés par exemple, tous ceux chez qui on crée aisément des désirs qui sont si facilement confondus avec des besoins. Peut-être ai-je voulu illustrer ce phénomène si courant chez nous les humains? Aller voir si l’herbe du voisin n’est pas plus verte. Et c’est sans jugement. A l’image des oiseaux migrateurs qui cherchent un milieu plus favorable, certains d’entre nous fuient le froid et le gris, mais… pour d’autres raisons que celles liées à la survie. Dans l’autre sens « migratoire », pour celles et ceux qui trouvent refuge chez nous, c’est une autre histoire.
Dans ce grand vol, j’ai plutôt voulu illustrer de manière légère l’histoire d’amitié entre Gérard et Raoul. J’ai cherché le contraste entre ces deux personnages; l’un est plus naïf et se laisse guider, l’autre prend ses désirs pour des réalités mais ça le rend plus moteur. Comme entre Don Quichotte et Sancho Panza. Ils sont faillibles, comme nous tous. Et puis n’oublions pas la finalité de l’histoire: c’est l’amour qui nous sauvera ! Moins de petite criminalité, plus de liens, et … plus de petits oisillons !
Pourrais-tu parler de tes choix techniques dans ton dessin?
Dans cette histoire, j’ai d’abord travaillé toutes les cases au crayon, puis j’ai assez vite voulu intégrer l’une de mes toiles acryliques en dernière case. Dans un souci de cohérence au niveau du style et des couleurs, j’ai choisi d’en mettre d’autres (de mes peintures) en « toile de fond » des autres cases. Puis, j’y ai ajouté mes croquis et j’ai travaillé les couleurs à la tablette. C’était un défi parce que j’ai commencé à manier cette tablette et Procreate un an auparavant. Un mélange de crayon, d’acrylique et de tablette donc. J’ai vraiment adoré ce travail des couleurs, j’ai senti ce fameux « flow » artistique dans lequel les minutes se transforment joyeusement en heures sans s’en apercevoir.
Tu travailles dans un projet actuellement ? Quels sont tes projets à venir ? Est-ce qu’il y a d’autres thématiques qui t’intéressent plus particulièrement ? Sur quels réseaux sociaux peut-on suivre l’actualité de ton travail ?
Pour le moment, je travaille sur le job 2 de l’année à l’académie et qui a pour thème « didactique ». J’ai envie d’illustrer des métaphores que j’utilise souvent en psychologie pour mieux faire comprendre certaines choses. Avec les années, j’ai quelques « classiques ». Et comme un petit dessin vaut parfois mieux qu’un long discours, ce thème me motive.
Maman de deux enfants à l’école primaire, je reçois aussi pas mal de matos de ce côté là. Ils nous ramènent leurs joies, leurs frustrations, leurs défis et autres cocasseries qui m’ont déjà inspiré quelques récits. J’ai, entre autres, écrit une histoire pour enfants qui me tient fort à cœur et que j’ai envie d’illustrer prochainement et qui pourrait s’appeler « La petite étoile qui n’osait pas briller »… A suivre!
Tout nouveau site (en cours d’amélioration) : www.matieresapenser.be
Instagram: matieresapenser.be
Merci, Masha Vander Kelen, pour ta participation , bravo pour ton travail et à bientôt !
Entretien avec Émilie Reineke et François Jadraque
Les oiseaux
Entretien : Angela Verdejo
Bonjour Emilie Reineke. Bonjour François Jadraque
Commençons par le début, qui êtes-vous ?
François : Je suis un graphiste à la retraite qui a toujours aimé à la fois dessiner et raconter des histoires. Que ces histoires se déroulent dans le cadre d’un scénario de BD ou fixées dans une illustration, il est important pour moi qu’une proposition graphique ou picturale raconte quelque chose. Mon fil conducteur étant de tenter de jouer sur le questionnement de la personne qui lit ou qui regarde en souhaitant interpeller son regard.
Dans mes études, je suis passé par l’ESAG (l’Ecole Supérieure d’Arts Graphiques) et l’Ecole Saint-Luc, sans pouvoir en finaliser les cycles d’études. Je suis diplômé d’un Master en Arts Plastiques.
Ma rencontre avec 64_page s’est faite en 2020 lors d’une présentation de projets BD aux éditeurs présents au Centre Belge de la BD à Bruxelles. Cette rencontre s’est coordonnée ensuite de façon progressive, naturelle et amicale avec son coordinateur le plus éminent. Je veux dire Philippe Decloux.
Emilie : Je suis Game Designer et je travaille pour une entreprise de jeux vidéo. Je fais de la BD depuis toujours, dessiner est quelque chose de très naturel pour moi même si l’aspect narratif m’a toujours beaucoup plus intéressé que l’aspect technique ou graphique. Je n’ai pas de formation professionnelle dans ce domaine même si j’ai eu quelques cours, j’ai préféré aller dans le game design pour pouvoir faire un métier créatif qui ne risquerait pas de me dégoûter du dessin.
J’ai rencontré Philippe en 2022, lors du BD Comic Strip Festival. J’aime bien l’ambiance autour de la revue, alors j’essaye de participer quand j’en ai l’occasion et l’inspiration.
Comment décide-t-on de créer une histoire à quatre mains ?
François : Notre rencontre avec Émilie s’est faite justement par le biais de Philippe Decloux qui nous a proposé cette collaboration à quatre mains. Le flair implacable du coordinateur sus-cité. Ma collaboration avec Émilie s’est déroulée à distance en nous contactant par téléphone, par mails et par l’envoi de fichiers. Nous avons choisi de travailler avec les outils numériques (Tablette, stylet, scans, Photoshop et Procreate…) plus adaptés dans ce contexte de travail. Mais nous avons véritablement réalisé nos 6 planches à quatre mains puisque d’emblée l ‘élaboration de cette histoire a été un mixed entre nos deux scénarios initiaux combinés en une seule narration. Après avoir réalisé un crayonné assez précis de l’ensemble, nous nous sommes répartis les encrages. Le chasseur, l’oiseau et la dernière planche pour Émilie et les décors pour moi-même. Le plus contraignant à été de garder une homogénéité dans la progression graphique de nos deux styles pour que l’ensemble du rendu reste cohérent jusqu’à la superbe dernière planche dessinée par Émilie.
Emilie : Nous voulions vraiment que l’on ressente la présence de deux artistes et deux styles, tout en limitant un contraste trop fort. On ne voulait pas se contenter d’avoir une personne pour faire l’encrage et une personne pour faire la couleur, par exemple. J’ai croqué le storyboard initial à partir de l’idée de scénario que nous avions élaboré ensemble. Puis, François l’a refait à la bonne taille en adaptant le dessin à son trait que je trouve très dynamique et fluide. La progression d’un style à l’autre s’est faite naturellement au cours de la BD par la disparition progressive des éléments encrés par François et l’apparition de ceux que j’ai encrés moi-même.
Le titre de l’histoire, et même son atmosphère et ambiance, n’est pas sans nous faire penser au célèbre film de Hitchcock… Qu’en est-il ?
F: En fait, le titre des Oiseaux n’avait pas pour moi l’idée de rappeler le célèbre film d’Hitchcock, à moins qu’il y ait eu comme un lapsus révélateur car c’est vrai que j’aime beaucoup ses films. Je crois que sans nous le dire vraiment nous n’aimons pas les chasseurs et l’idée d’une sorte de vengeance ou de revanche de la gente volatile nous a inspirés. C’est vrai que le choix d’un découpage et d’un cadrage en longueur peut faire penser à des prises de vue cinématographiques car l’objectif premier était surtout de maintenir un certain rythme visuel dans le déroulement de l’action jusqu’à sa chute finale. Comme il n’y a pas de dialogues il fallait dynamiser le mouvement et l’action de l’histoire. Deux sources d’inspiration personnelles pourraient être Tarantino et Tex Avery. Quant au choix du noir et blanc, il s’est imposé tout de suite car l’histoire a une trame de fond plutôt sombre.
E: J’avoue: Je ne suis pas du tout cinéphile (à tort, je sais bien) et je n’ai jamais vu les films de Hitchcock. Cela dit, c’est un parallèle très intéressant. En rétrospective, j’aurais plutôt nommé la BD “Chasseur”, puisque c’est sur ça que repose toute l’ambiguïté de l’histoire: qui est chassé par qui?
Pourriez-vous approfondir au sujet des techniques et style employés dans votre BD ?
F: Le découpage et le crayonné préparatoire des planches ont été faits au crayon sur papier de façon traditionnelle. L’ensemble a été scanné et nous avons chacun de notre côté travaillé notre encrage respectif sur les différents calques que proposent des logiciels graphiques comme Photoshop et Procreate. L’avantage du travail sur calques, c’est que nous pouvons modifier autant de fois que nous le souhaitons notre encrage et le partager lorsque c’est nécessaire. C’est un mode opératoire à la fois souple et précis pour travailler en binôme et à distance. En ce qui me concerne, j’ai utilisé un outil pinceau pour l’encrage. Il permet de développer un style ample et dynamique qui apportait un bon contraste avec le style d’Emilie dont l’encrage est réalisé avec un outil plume plus précis et plus minutieux. On s’est rapidement rendu compte que finalement nos deux styles étaient complémentaires, je trouve.
E: J’avais envie de faire un style avec des ombrages très marqués, en utilisant le moins d’outils possible. Tout est porté par le même trait, il n’y a pas de variations des niveaux de gris, sauf dans les décors. J’aime bien cet effet de “bruit” visuel qu’il y a quand l’encrage est utilisé pour les gradations d’ombre, je trouve que ça rappelle cet aspect que prend notre vue quand on est presque dans le noir. À l’avenir, j’essaierais peut-être d’avoir une ligne plus brouillonne pour accentuer cette sensation.
Quel est l’état actuel de votre travail, quel sont vos projets à venir ? Avez-vous des réseaux sociaux sur lesquels on peut vous suivre ?
F: Actuellement je m’essaie à la peinture en testant différents médiums et je vais m’initier à la gravure dont j’aime beaucoup le rendu. Pour autant, je continue de dessiner et de réfléchir sur des projets BD personnels et sur les prochains thèmes à venir de 64_ page qui m’inspireront. Je suis inscrit sur un site de vente en ligne The Art Cycle et j’ai un compte Instagram jadraque9 mais de façon générale je ne suis pas très actif sur les réseaux sociaux. Merci pour cet entretien.
E: Je suis active sur Instagram (@zittelsasha) où je poste des dessins. Pour l’instant, je n’ai pas grand chose à montrer de mes projets mais je compte bien changer ça en 2024! Merci pour cet entretien, et merci à toute l’équipe de 64_page pour tout leur travail.
Merci, François Jadraque et Emilie Reineke pour votre participation et votre enthousiasme, bravo pour le travail accompli à quatre mains et à très bientôt !
Pour suivre Émilie : sashazittel.wordpress.com et Instagram ; @zittelsasha
Pour suivre François : francoijadraque.canalblog et Instagram : @jadraque9
Les auteur.e.s du 64_page #25
Trefilis – Praxographies
J’ai toujours rêvé d’être publié en tant qu’auteur de bande dessinée et je poursuis cette quête sans relâche. J’ai une attirance particulière pour le dessin des corps et des muscles ainsi qu’un goût pour le clair-obscur, les nuances de gris et le noir et blanc.
Praxographies
En étudiant l’anatomie et le mouvement avec des références photographiques prisent par Muybridge, j’ai trouvé que ses travaux avaient quelque chose de bédéesque. Je me suis donc attelé à une expérience stylistique sur la représentation d’un mouvement de snatch en haltérophilie.
Instagram : @trefilis7 Pour lire ma Bd Unisphère : https://www.mangadraft.com/bd/unisphere
Praxographie
Maurice T – Au mauvais endroit, au mauvais moment
Je m’appelle Maurice Tilman, élève à l’académie de Watermael-Boitsfort depuis longtemps. La bande dessinée et le dessin en général sont un de mes hobbys que je continue d’apprécier encore aujourd’hui.
Au mauvais endroit, au mauvais moment
« Cette histoire a été inspirée par le thème donné par Philippe Cenci: Au mauvais endroit, au mauvais moment. Et je voulais une histoire courte et sans texte pour rester simple, j’ai été jusqu’au bout de ce principe avec des couleurs en nuance de gris. »
https://www.artstation.com/momotard Interview Philippe Decloux
Au mauvais endroit, au mauvais moment
Philippe : Ton style rappelle un peu le manga. On pense aussi à l’animation. Est-ce une inspiration?
Maurice T. : Les mangas en plus de la BD franco-belge m’ont beaucoup inspiré quand j’étais plus jeune, pareil pour l’animation (c’est même devenu mon métier!)
Quelle est la difficulté du dessin muet d’après toi?
La composition des cases. Savoir garder l’action claire et lisible peut parfois être délicat en fonction de ce qu’on a à raconter.
As-tu des envies, des projets, une fois que tu auras fini tes études artistiques?
J’ai fini mes études il y a un an. Pour le moment je cherche du travail en tant qu’animateur 3D, mais je garde des projets de bandes dessinées quand j’ai du temps (et de la motivation).
Virginie Daix – Pacôme et Titou
Petite, j’aimais inventer des histoires que j’accompagnais des mes dessins enfantins. Au fil du temps, je me suis abreuvée à diverses sources sur l’illustration (académie, cours en ligne,…) afin de me former. Jouant principalement avec l’aquarelle, je me suis essayée au digital avec ce projet.
Pacôme et Titou
Titou ne vit pas comme Pacôme et Pacôme, lui, vit comme tout le monde. Tous les deux, pourtant, ont des difficultés à trouver leur place. Cette petite histoire parle de la difficulté d’oser être soi, de la peur d’être différent et de l’importance de l’autre et de l’amitié dans la vie.
Instagram : vibulix Interview Gérald Hanotiaux
Pacôme et Titou
Nous partons aujourd’hui à la rencontre de l’autrice d’une charmante histoire intitulée Pacôme et Titou, proposée au sein de la thématique de ce numéro 25, qui tenait en un mot : Ensemble. Elle nous emmène au pays des Mwaossis, où tout le monde fait tout le temps comme tout le monde, mais aussi au pays de Mwatousseul ! Jouant en général principalement le jeu de l’aquarelle, elle a cette fois choisi d’expérimenter les outils digitaux.
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs. De manière générale, mais aussi en tant que dessinatrice-autrice ?
Virginie Daix. J’ai un parcours plutôt scientifique, et suis actuellement enseignante, mais j’ai toujours aimé dessiner et inventer de petites histoires, pour le plaisir. Avec le temps, l’envie de raconter des histoires et les illustrer a grandi, mais je me rendais compte ne pas disposer de toutes les bases. Je me suis donc formée en autodidacte, avec des cours en ligne, mais également un peu à l’Académie. Avec 64_page, il s’agissait d’une superbe occasion de tenter de sauter le pas de la publication ! Je suis super contente que ça ait pu aboutir, merci pour cette belle opportunité.
Dans notre numéro 25 tu proposes six très jolies pages intitulées Pacôme et Titou, pourrais-tu en parler en quelques mots, histoire d’allécher les lecteurs… ?
Pacôme et Titou est l’histoire de deux petits personnages qui, bien que ne vivant pas très loin l’un de l’autre, ne se sont jamais rencontrés. Pacôme vit entouré de tous ses semblables, alors que Titou vit tout seul, avec ses questions pour seule compagnie. L’histoire évoque notre besoin d’appartenance, couplée en parallèle à notre besoin d’être unique. Ça parle d’aller à la rencontre de l’autre et de nos différences… qui n’en sont peut-être pas vraiment. Le tout dépend du point de vue choisi.
Tu nous le disais, tu es principalement autodidacte… Que dirais-tu des difficultés pour les jeunes autrices de faire connaître leurs travaux, dans l’état du monde de l’édition d’aujourd’hui ? Est-ce plus difficile pour les autodidactes ?
Je suppose que c’est plus difficile car, souvent, on ne sait pas vraiment comment faire. Les réseaux sociaux, c’est devenu assez compliqué de s’y faire connaître, notamment à cause des nouveaux algorithmes. Il y a bien les salons, mais comme on a tendance à ne pas se sentir légitime, en tant qu’autodidacte, c’est difficile de sauter le pas. Dans ce cadre, les initiatives comme celle de 64_page représentent une véritable opportunité.
Tu parles d’opportunité, comment as-tu connu notre initiative ? Souvent on nous dit qu’avoir son travail imprimé en main, ça change un peu la donne, ça rend en quelque sorte le travail « concret ». Tu aurais des choses à dire à ce sujet ?
Pas encore grand-chose, non, car c’est la première fois que je vais être publiée. Cela reste abstrait, pour le moment… Mais je suppose que oui ! J’ai hâte d’en faire l’expérience, de l’avoir en main ! Je pourrai en dire plus quand le numéro sortira. Je pense qu’une connaissance m’a parlé de la revue, lors d’une rencontre du CRC, le Comptoir des Ressources Créatives. Mais comme il s’agissait cette fois-là plutôt de projets en bande dessinée, j’avais rangé l’idée dans un coin de ma tête, au cas où l’opportunité viendrait de proposer des travaux plutôt orientés vers l’illustration jeunesse. Et voilà, chose faite !
Penses-tu que voir ton travail au sein d’un ouvrage collectif, avec les pages d’autres auteurs et autrices sur la même thématique, pourrait avoir un effet « stimulant », galvanisant ?
C’est très stimulant, j’ai hâte de voir ce que les autres ont imaginé sur le thème, et de pouvoir peut-être en discuter ! C’est impressionnant de voir la variété infinie d’histoires et d’illustrations qui peuvent être générées sur une thématique identique. Et apprendre comment ces histoires ont pris forme est passionnant.
Pourrais-tu nous décrire ta manière de travailler, avec quels outils, sur cette histoire-ci mais peut-être aussi d’autres, si tu développes d’autres styles ?
Pour cette histoire, j’ai travaillé d’abord le texte à partir du thème proposé, mais très vite, de petits personnages sont apparus en bord de page puisque je commence tout sur papier, même l’écriture… J’ai besoin d’écrire plusieurs fois, parfois en ne changeant que quelques éléments, puis de lire le texte à haute voix, histoire de constater comment ça sonne, puis enfin réécrire et dessiner. Ensuite, il s’agit de laisser reposer, puis d’y revenir, encore et encore… L’histoire et le dessin se construisent finalement ensemble, petit à petit. Ensuite, il me reste à passer à la composition et à la mise au propre des illustrations. Pour cette histoire-ci, c’est la première fois que je travaille en digital. J’avais déjà fait des projets complets de livre jeunesse, à l’aquarelle, pour l’Académie. Après cette expérimentation, je pense qu’à l’avenir je pourrais combiner les deux.
Qui citerais-tu parmi les auteurs et autrices qui t’ont influencé ? Tant en bande dessinée, qu’en illustration, en littérature ou dans d’autres disciplines ?
Si je devais donner le nom de trois livres qui m’ont marquée enfant, je dirais sans hésiter Bébé de Fran Manushkin et Ronald Himler, Porculus d’Arnold Lobel et Trois petites filles de René Escudié, illustré par Ulises Wensell. Je les relis encore avec autant de plaisir et d’émerveillement. J’adorais aussi Sempé. Son Marcellin Caillou est une perle. Concernant les artistes plus récents, j’aime beaucoup les travaux d’Oliver Jeffers, Olivier Tallec, Tim Warnes, Annick Masson,… et tellement d’autres ! Je m’achète encore des livres jeunesse régulièrement.
En bande dessinée, j’adore le duo italien Teresa Radice et Stefano Turconi, ainsi que les œuvres de Vicomte, Delaby, Loisel et Le Tendre… Mais j’ai également été biberonnée aux albums de Lambil et Cauvin, Goscinny et Uderzo ou Tabary.
En littérature, si je devais citer des ouvrages qui m’ont marquée adolescente, je dirais Arthur Rimbaud, L’enfant de sable de Tahar Ben Jelloun ou Le chercheur d’or de Le Clézio mais plus récemment, après quelques années de désintérêt ,j’ai repris goût à la lecture de romans avec Sauvage de Jamey Bradbury. Ils ont tous cette poésie de l’instant indicible, qu’ils ont pourtant su décrire chacun à leur manière, et qui me transperce à chaque fois que j’en relis un passage.
Dans les autres disciplines, j’ai été bercée par les musées avec mes parents, très sensibles à l’Art. Je me rappelle avoir été subjuguée par une œuvre de Salvador Dali, vers mes cinq ans. Je suis restée littéralement scotchée devant. Me voyant, mon père s’est approché et m’a parlé de l’auteur de cette peinture qui me fascinait tant… Mes parents m’ont offert la carte postale du tableau, à la sortie du musée, j’étais si fière de mon trésor !
Quant au cinéma, je suis du style Truman Show, Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, La vie rêvée de Walter Mitty, Cinema Paradiso, ou des styles plus sombres comme les films La leçon de piano de Jane Campion, Mommy de Xavier Dolan ou American History X de Tony Kaye.
Question logique enfin, quels sont tes projets, à très court terme sur lesquels tu serais occupée à travailler, mais aussi à plus long terme, tes envies d’autrice et de dessinatrice ?
Je vais tenter de retravailler certains projets, qui dorment depuis trop longtemps dans mes tiroirs. Et enfin me lancer, tenter de les envoyer aux éditeurs, même si j’ai bien conscience qu’il y a peu d’ « élu(e)s ». À long terme, j’aimerais pouvoir consacrer plus de temps à dessiner, inventer des histoires et apprendre de nouvelles techniques.
Merci Virginie !
On peut voir le travail de Virginie Daix en suivant ces liens : Instagram : vibulix
Véronique Seran – Le rêve de Maman
Je suis née à Toulouse et réside à Namur, une ville que j’adore et qui m’inspire. C’est à l’académie des Beaux-Arts de Namur que j’ai suivi ma formation d’illustratrice. Je dessine, je sculpte, je peins. Mon carnet de croquis m’accompagne partout dans le bus, le train, dans les cafés et même au cinéma.
Le rêve de Maman
Marie-Lou est en maternelle. Aujourd’hui elle part en classe de forêt et passe sa première nuit loin de la maison. Dans son lit, l’enfant est inquiète. Mais maman fait un rêve et tout va devenir magique.
Instagram ©seranveronique.illustration Interview Gérald Hanotiaux
Le rêve de Maman
Comme à notre habitude, nous partons à la rencontre des autrices et auteurs du numéro à paraître très prochainement… La thématique proposée tenait en un mot : Ensemble. Les développements ont été riches et variés. Rencontre aujourd’hui avec Véronique Seran, toulousaine établie à Namur. Le dessin est très présent dans sa vie, comme elle le signale : « Mon carnet de croquis m’accompagne partout dans le bus, le train, dans les cafés et même au cinéma. » Dans sa ville d’adoption, elle connaît bien les cours de Benoît Lacroix, auteur-professeur invité dans notre rubrique « Les ateliers des maîtres », au sein du même numéro 25 dans lequel paraît son histoire. Comme un écho à cette interview du professeur, voici la rencontre avec l’élève !
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs. De manière générale, mais aussi en tant que dessinatrice-autrice ?
Véronique Seran. Je suis née à Toulouse, j’ai étudié à Charleroi et je vis à Namur depuis 25 ans. Je suis maman de quatre enfants et j’ai un petit-fils depuis peu. Avant, mon métier était la création de bijoux. J’ai suivi les cours de bande dessinée et illustrations avec Benoît Lacroix, professeur à l’Académie des Beaux Arts de Namur. J’ai également participé, avec lui et le collectif Les Harengs rouges à de premières publications en bande dessinée : La ville rêvée, en 2017, suivie de La vallée rêvée, en 2019. Je pratique la sculpture, le dessin, la peinture, j’ai toujours un carnet de croquis sur moi, je dessine partout et tous les jours. J’ai illustré plusieurs romans jeunesses avec l’auteur Thierry Stasiuk, le premier en 2018, La disparition de l’échasse d’or, puis en 2019 Le trésor du fantôme de Félicien Rops, en 2020 Les fabuleuses histoires culinaires, et en 2021 Malédiction sur le FIFF. Le prochain livre Le magicien de Namur en Mai, sortira fin 2023 aux Éditions Namuroises.
Dans notre numéro 25 tu proposes cinq pages très colorées intitulées Le rêve de maman, pourrais-tu en parler en quelques mots, histoire d’allécher les lecteurs… ?
J’ai souvent adapté mes histoires à l’âge de mes enfants. Dans ce cadre Le rêve de Maman est une histoire ressortie de mes cartons, inspirée de la première fois où ma fille, encore en maternelle, est partie en classe de forêt. Marie-Lou était inquiète, elle passait sa toute première nuit hors de la maison. L’institutrice avait demandé aux parents d’envoyer une carte pour rassurer les enfants, j’avais choisi une fée et écrit que je lui envoyais pleins de bisous et de câlins. La carte, le mot et le récit de ma fille au retour de son séjour ont inspiré cette petite histoire toute douce que ma fille, de quinze ans aujourd’hui, relit encore avec nostalgie.
Tu évoques ton professeur de l’Académie de Namur, Benoît Lacroix, dont une interview paraît dans le même numéro où paraissent tes pages. Cela fait un beau duo professeur-élève dans les mêmes pages ! Comment qualifierais-tu tes années passées avec lui, et sa méthode de travail ?
Benoît est un professeur extraordinaire, c’est un professionnel qui transmet généreusement. J’ai passé des années à suivre ses cours et j’ai toujours appris et progressé, à chaque étape, chaque année. Sa méthode se base sur de la théorie, avec de la perspective, de l’anatomie, du scénario et beaucoup de croquis pour le côté vivant du dessin. Chaque année il suggère trois sujets, avec pour chacun trois propositions, accompagnées d’une technique de colorisation différente pour chaque travail. On a le choix, bande dessinée ou illustration. Les anciens peuvent aussi proposer un travail personnel. Parfois, nous réalisons un projet commun, publié sous le nom du collectif Les Harengs rouges, comme La Ville Rêvée et La Vallée Rêvée, évoqués plus haut, dans lesquels j’ai publié plusieurs planches de bande dessinée.
Dans le local où nous avons cours, toutes les années sont mélangées, il y a une belle énergie et une entraide, des critiques bienveillantes, on s’ intéresse aux projets des autres et c’est d’un très bon niveau. Benoît est un prof exigeant, il demande un respect des délais et un réel investissement, mais c’est également quelqu’un de très humain. Quand on suit les cours de Benoît, on fait partie du collectif, il y a les anciens et les nouveaux, mais on reste un Hareng Rouge toute notre vie.
Que penses-tu, plus généralement, de la nécessité ou non de passer par des écoles pour les matières artistiques ?
Les domaines de la bande dessinée et de l’illustration demandent beaucoup de compétences et de connaissances. Il ne suffit pas de savoir et aimer dessiner. Les cours en académie, selon moi, n’apportent pas seulement en connaissance, mais aussi des acquis au contact des autres étudiants et de leurs différences. On est porté par le groupe, on sort de sa zone de confort, on ose des choses, donc on apprend et on progresse ! Je n’ai pas fait d’école supérieure en art, mais pour ce qui est de l’Académie, j’applaudis des deux mains !
Dans l’interview de Benoît Lacroix, nous ne faisons, faute de place, qu’évoquer brièvement son implication dans l’organisation du week-end Urban Sketching, auquel tu as participé début juillet. Pourrais-tu nous expliquer en quoi cela consiste ? Et ce que tu en retires comme expérience, dans ta pratique du dessin ?
Je suis membre de Urban sketchers Namur depuis sa création il y a cinq ans, un groupe dont Benoît Lacroix est un des fondateurs. Beaucoup de ses élèves l’ont suivi dans cette initiative. Être un Urban sketchers, c’est dessiner sur le vif, en milieu urbain, un paysage, un bâtiment, une scène, des personnes dans leur activité du moment… On publie ses dessins sur internet, ou pas, c’est selon, mais le principe est de partager nos expériences. C’est gratuit, ouvert à tous le monde, convivial et bon enfant, pour qui aime et veut dessiner avec d’autres mordus du dessin. Pratiquer le croquis urbain apporte le côté vrai du dessin, un trait plus souple. On est tributaire du temps, du soleil, du vent, de la pluie, de la lumière qui change, des gens qui bougent, ça fait partie des défis et ça oblige à être inventif.
Le week-end des 8 et 9 juillet se déroulait à Namur un rassemblement international pour les Urban sketchers, Benoît était un des organisateurs. 250 dessinateurs urbains ont croqué des lieux et des évènements dans Namur. On a par exemple dessiné suspendu dans les airs, dans les cabines du téléphérique à l’arrêt. On a dessiné des groupes folkloriques en action : les échasseurs namurois à l’entrainement, un concert des Molons, un combat de la Malemort… 150 endroits nous étaient proposés pour dessiner. On a eu des démontrations par des pros du croquis, à des endroits magiques comme la Citadelle, on a dessiné des anciennes voitures en bord de Meuse. Le week-end fut bon, inspirant et intense, il a permis de très belles rencontres.
Pourrais-tu décrire ton (ou tes) style de travail ? Ta manière de procéder en bande dessinée et illustration ? En général dans ta pratique, mais aussi plus précisément pour cette histoire-ci ?
Je me concentre d’abord sur le sujet, pour écrire l’histoire et décrire les scènes que j’imagine. Des images me viennent rapidement, que je dessine directement dans un carnet. Je vais ensuite décider comment varier les plans et la place des textes. Je cherche la documentation pour peaufiner mon dessin, le rendre plus vrai, comme par exemple pour le hibou dans les planches proposées pour ce numéro. J’utilise parfois des modèles réduits, comme pour le bus, très pratique pour choisir l’angle de vue et dessiner ce que je vois. Parfois je fais une maquette en carton pour le dessin de l’angle du toit par exemple.
Avec une table lumineuse, je retranscris tous mes crayonnés sur une feuille de papier aquarelle, et j’encre. Ici je l’ai fait avec un bic brun, donnant selon moi un côté plus doux, mais le plus souvent j’encre à la plume avec de l’encre de chine. Ensuite je fais la mise en couleur à l’aquarelle. Pour certaines illustrations j’ai encré après l’aquarelle, juste les personnages à l’avant, et enfin, j’utilise le logiciel pour mettre le texte et accentuer les contrastes. Ici j’ai pratiqué surtout l’illustration parce que l’occasion d’éditer s’est présentée. Pour la bande dessinée c’est le même travail, en plus long, avec la difficulté que la planche contient plusieurs dessins qui doivent s’harmoniser et pouvoir se lire de manière fluide.
Que penses-tu du monde de l’édition, aujourd’hui en 2023, en bande dessinée ?
La bande dessinée et l’illustration sont des métiers et un art à part entière, mais dans un contexte de surproduction. Les artistes sont mal payés et doivent pour s’en sortir avoir une activité professionnelle complémentaire. Personnellement, l’illustration est une activité accessoire, je travaille avec une petite maison d’édition, je suis payée avec un pourcentage de droits d’auteurs sur les ventes une fois par an, c’est loin d’être à la hauteur du travail fourni mais les livres sont publiés et me servent, en quelque sorte, de « portfolio » pour montrer mes travaux. J’élargis aussi mes compétences avec d’autres domaines artistiques.
Pourrais-tu nous parler de tes influences, les auteurs et autrices qui t’ont marqué ? Tant en bande dessinée qu’en illustration, ou pourquoi pas aussi en littérature ou dans toute autre discipline… ?
Petite, chaque semaine, Maman ramenait les magazines Tintin et Spirou et c’était la fête pour moi, ma sœur et mon frère. J’ai lu les Schtroumpfs, Tintin, Lucky Luke, Michel Vaillant, au départ parce que mon père était fan, et tous les Bob et Bobette, dont ma meilleure amie avait une collection. Plus grande, j’ai été bousculée par le dessin de la série Les passagers du vent de François Bourgeon et depuis, mon rêve serait d’atteindre ce niveau. J’aime le dessin de Jean-Claude Servais, de Marcel Marlier, de Gabrielle Vincent. En peinture, je citerais Manet, Degas, Van Gogh, Toulouse-Lautrec, Matisse, Rik Wouters ou Lucian Freud. Ces peintres me touchent par leurs couleurs, leurs touches et leurs sujets. Si en plus le peintre sculpte, j’admire… En ce qui concerne la littérature, je dois avouer en lire peu et être surtout attirée par le visuel, mais s’il fallait retenir un seul livre, alors je prends Le petit Prince de Saint Exupéry.
Pour terminer, question logique, quels sont tes projets, actuellement ? Ceux de court terme, sur lesquels tu travailles, mais aussi à plus long terme, vers quoi tu voudrais te diriger pour la suite…
Mes projets sur le court terme, ce sont les illustrations, une par chapitre et la couverture, du prochain roman jeunesse évoqué plus haut, Le magicien de Namur en Mai, avec l’auteur Thierry Stasiuk à l’écriture, dont la sortie est prévue fin 2023. J’envisage un projet bande dessinée de quelques planches pour le prochain album du collectif Les Harengs rouges, et peut-être, pourquoi pas, un autre projet pour 64_page ! À plus long terme, je verrais des livres jeunesses, du dessin et de la peinture à plein temps.
Merci Véronique !
Le travail de Véronique Seran peut être découvert en suivant ce lien: https://www.facebook.com/profile.php?id=100013649321511
Xan Harotin – Ensemble
Xan Harotin vit et travaille à Bruxelles.
Elle dessine pour différents magazines et anime des ateliers artistiques pour petits et grands.
Elle aime la nature, dessiner des animaux, créer des fanzines et imaginer des histoires.
Ensemble
C’est être là pour l’autre, quoiqu’il arrive.
https://xanharotin.ultra-book.com Interview Philippe Decloux
Ensemble
Philippe : Tu nous proposes en 6 pages un moment de douceurs, de tendresses, de douces chaleurs, quelques secondes apaisées d’amours universelles … Comment est né ce récit sans parole où pourtant tout est dit par ton trait ?
Xan Harotin : J’aimais bien le thème « Ensemble ». J’ai cherché sur ce thème différentes relations pour être ensemble, ce que cela pouvait apporter, le texte m’est venu ainsi, un soir où j’y réfléchissais.
L’anthropomorphisme est une des caractéristiques de tes récits, une autre est la ‘ligne claire’, peux-tu nous en parler ? Il est évident que ce sont des choix particulièrement adaptés à un très jeune public…
L’anthropomorphisme j’y suis arrivée lorsque je me suis rendue compte que je préférais dessiner des animaux plutôt que des humains. Ensuite, tout le monde peut facilement s’identifier à un animal qu’il apprécie. Par rapport à la ligne claire, j’imagine que j’ai été influencée par pas mal d’artistes. Ainsi je pense plutôt mes dessins au trait, et ma technique à la plume le renforce.
Quels sont tes projets d’album(s) ?
J’en ai un pour 2024, mais je préfère garder la surprise.
Qu’aimerais-tu dire aux jeunes autrices qui se préparent à faire le grand saut, vers l’école d’art ou de celle-ci vers la vie professionnelle ?
Vers l’école d’art, rien n’est jamais fixé ni l’avis des professeurs, ni votre dessin, vous êtes là pour apprendre et avoir des doutes c’est normal. Le plus important c’est d’oser, continuer et persévérer.
Vers la vie professionnelle, j’ai envie de dire qu’il faut aussi oser et persévérer, il faut voir les choses sur le long terme. On va semer des choses petits à petits, et la récolte se fera au fur et à mesure des années.
Sandrine Crabeels – Boumboumboum
Illustratrice et graphiste, je suis sortie de l’ERG en 1997 avec une licence en communication visuelle. En 2004 j’ai ouvert mon studio, aujourd’hui j’y propose essentiellement des illustrations et des identités visuelles. Mais depuis quelque temps, je reviens aussi à mes premières amours, l’illustration narrative et la BD !
Boumboumboum
Nous partageons les pensées d’une enfant… où nous emmèneront-elles ? Peut-être à une meilleure compréhension de soi et de l’autre.
www.instagram.com/sandrine.crabeels
Interview Philippe Decloux
Boumboumboum
Philippe : Histoire vécue ? Ta proposition pour ce 64_page « Ensemble ! » me fait vraiment penser à du vécu ? Comment as-tu conçu (hihi !) ce récit et, surtout, imaginé qui des trois personnages sera la narratrice ?
Sandrine Crabeels : Je dirais plutôt « histoires vécues ».
> Une maman sur le parking d’un hôpital qui dit à son enfant « C’est ici que tu as été conçu ». Et moi qui pense « Elle veut dire c’est ici que tu es né, pas conçu quand-même ! »
> Mon propre souvenir lors d’une séance chez un psy, dans une demi-hypnose, où je me retrouve dans le ventre de ma mère et je vois tout en rouge/orangé.
> et puis, évidemment, mes expériences d’adulte, maman, amie, pour le « beurk le bisous tout nu » ou la course dans les couloirs, ou tous les trucs à penser.
> Et enfin, le fait que je passe mon temps depuis toujours à observer tout ce qui se passe autour de moi. (petite, dans la cour de l’école on m’avait chanté « Elle a les yeux révolver… » parce que j’observais toujours tout le monde)
Tu nous avais proposé une grande BD Jorinde – dont 64_page #23 avait publié les premières pages et qui avait plu – où en est-ce beau projet ?
J’ai repris depuis le début ! J’ai recommencé les pages que vous aviez publiées, pour ancrer plus dans le réel le début, avant que Jorinde ne saute et ressorte de l’eau. Et puis tant qu’à faire j’ai aussi peaufiné la suite. Aujourd’hui, là, je termine les planche 8 et 9.
Quand j’aurai une petite quinzaine de planches satisfaisantes je les proposerai aux éditeurs.
Tu as proposé l’expo « 1000 dossiers», fin mai, au Hangar à Liège, raconte-nous sa genèse et ses objectifs et ce que cela ta rapporté ?
Ça fait plus de 20 ans que je suis « devenue » graphiste, mais je suis illustratrice de formation, et avant tout ça, je voulais faire des bd. Jorinde a surgit pendant le Covid, mais je dessinais déjà beaucoup et proposais des illus à mes clients du studio graphique.
Cette expo, c’est un peu un tournant : fini le travail purement graphique pour les entreprises, je m’ouvre plus à qui je suis et ce que j’aime. Et je voulais partager cela avec tout le monde, l’occasion du 1000e dossier de crab’graphic s’est présentée !
J’ai ainsi montré à mes clients, amis, famille et tous au sens large, tout ce que je faisais (chacun ne connait que certains aspects de mon travail). J’avais aussi envie d’y ajouter un petit côté didactique : beaucoup pense qu’il suffit d’avoir un beau coup de crayon et en 1h max, l’image est faite. Or le travail d’une image c’est questionner, réfléchir, chercher, se tromper, recommencer, faire plein de propositions et seulement là, travailler et retravailler celle qui sera la bonne. J’ai montré cela concrètement.
Et pour ce que cela m’a apporté ? Le plaisir du partage, des nouvelles rencontres, de nouvelles idées, de nouvelles collaborations ! Encore du boulot !
Tu as créé ton atelier de graphisme – Crab’graphic – à Liège et tu es active dans l’associatif, tu animes des ateliers… Explique-nous comment Sandrine jongle avec toutes ses activités, sa vie personnelle ?
Oui, pas facile, du tout ! Je ne sais pas.
J’essaie la médiation, ça aide vraiment bien.
J’essaie de rester bien concentrée quand je bosse, de ne pas me laisser distraire au mauvais moment, de dire NON même si j’en ai envie, en gardant ma ligne directrice en tête, garder du recul.
Et lire l’histoire à la puce même si on va être en retard, en profiter aussi.
Tout est dans le « j’essaie ».
Et dormir assez.
Cela peut être assez flippant pour des jeunes autrices de s’engager dans un métier passion mais aussi peu sécure, les envies de vie de couple, d’enfant(s),… Que souhaiterais-tu dire à celles – et ceux aussi – qui s’apprêtent à faire le pas ?
De se faire confiance, surtout. D’avancer petit petat, comme Sophie Canétang.
Valentine Langer – Vassilissa
D’origine alsacienne, j’aime dessiner et raconter des histoires en images. Depuis deux ans, je me suis remise plus assidûment à l’art, l’illustration et la bande dessinée dans le but de développer une pratique artistique professionnelle.
Vassilissa
Vassilissa est un conte populaire russe, pour lequel on peut rendre hommage à la réinterprétation de Clarissa Pinkola Estés dans Femmes qui courent avec les loups. L’histoire est ici réinterprétée et concentrée autour du rôle de la poupée magique qui accompagne notre héroïne à travers les épreuves de la sorcière. Elle peut s’apparenter au symbole de l’intuition, l’instinct de chaque femme ou aux conseils de la mère défunte.
https://www.instagram.com/val_langer/ Interview : Gérald Hanotiaux
Vassilissa
Gérald Hanotiaux : Dans notre numéro 25 tu proposes six pages très colorées intitulées « Vassilissa », pourrais-tu en parler en quelques mots, histoire d’allécher les lecteurs…?
Valentina Langer : Vassilissa est librement inspiré du second conte, Vassilissa la sage, du recueil Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés. Ce recueil est unique dans le sens où il replace la Femme Sauvage que nous avons toutes en nous au centre de la vie. Sans même chercher à défendre une valeur au domestique ou à l’intériorité, Clarissa Pinkola Estés arrive à nous en faire voir toute l’importance, aussi bien que de cultiver sa créativité, inventivité et les projets qui nous tiennent à coeur (qu’ils soient ou non approuvés par notre entourage).
Ce conte m’a touché en particulier, car c’est l’histoire d’une jeune fille qui veut bien faire et à laquelle la vie apprend à écouter son intuition et à se faire une place. Quand je regarde mon parcours professionnel aujourd’hui, je ne peux que voir combien j’ai voulu « bien faire » également.
Cette histoire a aussi pour morale d’accepter que la vie soit faite de cycles, et que certaines choses doivent mourir pour que d’autres puissent vivre. La notion de cycles (règle, grossesse, ménopause, … – on parle bien de « pertes »), inhérente à la vie d’une femme, me paraît aujourd’hui extrêmement importante, et est encore peu comprise par notre société : de nombreuses féministes ont pu défendre cette idée que je trouve intéressante et que je souhaite à mon tour promouvoir (à l’inverse d’une vision de la vie comme linéaire).
La poupée qui guide et effectue en cachette toutes les taches symbolise l’intuition de chaque Femme et, c’est également elle qui sait tenir bon face aux épreuves de la dure mais juste sorcière, Baba Yaga. Enfin, c’est le cadeau de Baba Yaga qui permettra à Vassilissa de reprendre sa place dans la maison en brûlant la marâtre..
La marâtre peut être interprétée dans le conte comme un symbole de nos propres forces obscures, celles qui pourraient nous pousser à l’auto-sabotage par exemple : je suis certaine que cette interprétation fait sens pour beaucoup par les temps qui courent :).
J’ai tenu à alléger et colorer cette histoire en bande dessinée pour jeune public afin de pouvoir partager aux plus jeunes un conte qui ne finissent pas « bien », « comme il faudrait » et qui s’inscrit plus dans la tradition ancestrale des contes, à savoir une fin brutale. De même les passages dans la nature, forêt, où l’héroïne est seule, y occupent une place centrale, il s’agit aussi de ma vision des étapes d’un cycle, qui demandent de la solitude et un côté farouche.
Cette petite bande-dessinée, Vassilissa, est donc ma ré-interprétation et synthèse des leçons que j’ai pu tirer de cette histoire : accepter de s’écouter, s’aimer suffisamment pour se faire une place, savoir aussi partir et quitter certaines choses.
UNE planche UNE histoire
Thibault Gallet – Saison
Je m’appelle Thibault et j’habite à Bruxelles. Bruxelles est une ville que j’adore, parfois je m’y promène à vélo mais je ne crois pas que ce soit si intéressant (le fait que je m’y balade à vélo). Je dessine, j’écris des choses diverses dont le sujet m’échappe encore, vous m’excuserez de paraître aussi mystérieux. Promis ce n’est pas pour faire mon intéressant. J’aime bien dessiner.
Saison
Cette planche parle de climat, de santé mentale et peut-être de fin du monde. Mais pas de manière directe. Non : de manière rigolote. Merci de votre attention.
Instagram.com/thibaultlegallet Interview : Angela Verdejo
Saison
© Thibault Gallet - Saison
64_page : Bonjour, Thibault, pour nos lecteurices pourrais-tu te présenter et nous raconter les motifs qui t’ont poussé à répondre à l’appel de 64_page et, plus particulièrement, Une planche, une histoire.
Thibault Gallet : Je m’appelle Thibault, je vis à Bruxelles et je dessine. J’avais déjà fait quelques dessins d’actualité pour 64_page, un exercice très intéressant et intense si on essaie d’être régulier. Mais au départ c’est la BD qui me motive. Je poste parfois des petites histoires sur Instagram, et Philippe (NDLR : Philippe Decloux) m’a contacté puisque ce genre de format court semblait l’intéresser. L’idée me plaisait aussi !
64_page : Nous allons essayer de parler de ton projet sans trop spoiler le contenu (dur-dur), tu as fait le choix d’un certain type de narration, pourrais-tu expliquer les raisons de ce choix ? Procèdes-tu toujours de la sorte ?
Thibault Gallet : Le texte est en effet le fil conducteur. Je parle des saisons et je fais une simple liste que j’illustre. Le rythme est binaire et la redondance donne un ton « ahuri », ça me plait.
D’habitude j’aime travailler par les dialogues. J’ai fait quelques histoires où c’est une conversation qui mène le récit. Ici, c’est comme si je faisais subir à mon personnage des événements qui le dépassent.
64_page :Pourrais-tu nous parler de ton processus de création, quel est le point de départ, par exemple ?
Thibault Gallet : Je crois que j’avais une liste de saisons en tête. C’est très bête mais je trouvais ça amusant. Avoir une infinité de saisons. Ensuite, j’essaye de donner un peu de sens à cette liste. Deux choses se croisent : l’aspect cyclique, répétitif des saisons (et donc l’impact psychologique que ça implique pour moi) et l’aspect disons météorologique/climatique (qui a dit qu’il n’y a « plus de saisons » ?). D’où ce glissement inquiétant vers la fin : c’est une progression d’abord amusante, puis contemplative puis flippante.
64_page : Plus particulièrement, en ce qui concerne les illustrations, peux-tu nous expliquer comment tu as procédé, nous parler également du choix des couleurs et du choix du personnage qui apparaît dans toutes les vignettes sauf deux ! Pourquoi le choix aussi de ne pas mettre « saison » devant fleurs dans la vignette centrale ?
Thibault Gallet : J’essaye de confronter le personnage à des situations successivement agréables et difficiles. On le voit toujours seul, ou pire : à l’échelle des montagnes ou des volcans, il est insignifiant, inexistant. Dans tous les cas il est presque passif, il s’adapte comme il peut : nu quand il fait chaud, ou habillé en hiver.
Je crois qu’il me fallait juste gérer le rythme du récit : « les fleurs » est une métonymie (me semble-t-il ?). Une manière idiote et poétique de parler du printemps. Hop ! C’est expédié. Puis on passe aux saisons bizarres.
À propos des couleurs : je me suis mis récemment aux feutres, j’en utilise dans des carnets, par exemple. Là, je me suis imposé un nombre limité de couleurs, c’est plus simple. Ça bave un peu, j’aime beaucoup.
64_page : Pourrais-tu nous parler de ce que tu fais en ce moment ? Autrement, pourrais-tu nous indiquer les moyens que tu utilises pour diffuser tes créations ?
Thibault Gallet : Cette histoire s’inscrit dans un projet plus grand. Je construis une sorte de journal de ce personnage : une aventure ou anecdote par page. C’est en partie autobiographique, en partie complètement fantaisiste. Je poste petit à petit les planches sur mon Instagram (/thibaultlegallet) et je préfère ne pas trop révéler vers quoi je me dirige mais ça devrait être rigolo.
64_page : Merci beaucoup Thibault pour cette belle réflexion autour de ta planche ! A très bientôt dans le n°25 du 64_page qui doit paraître à la rentrée ! Pour connaître davantage sur l’œuvre de Thibault ou pour prendre contact avec lui, rendez-vous sur Instagram :
Thibault le gallet (@thibaultlegallet) • Photos et vidéos Instagram
Jean-Christophe T – En chœur
Bonjour, je m’appelle Jean-Christophe. J’ajoute un T quand je signe un dessin. Je suis illustrateur et auteur de bande dessinée.
En chœur
Se réveiller seul, perdu. Puis, découvrir l’autre, apprendre de lui pour se construire et avancer. Mélanger les couleurs, le bleu et le rouge. Savoir s’en nourrir. Se rassembler pour enfin vivre heureux, ensemble.
En chœur
64_page : Bonjour, Jean-Christophe, pourrais-tu te présenter et nous raconter les motifs qui t’ont poussé à répondre à l’appel de 64_page et à participer à notre projet « Ensemble » ?
Jean-Christophe T. : Bonjour. Je m’appelle Jean-Christophe Targa (mais je ne signe que d’un Jean-Christophe T. mes dessins). Je suis auteur de bandes dessinées, illustrateur. J’habite dans l’est de la France.
J’ai eu vent de 64_page lors du festival de la bande dessinée de Bruxelles l’année passée. Une collaboratrice de la revue m’a conseillé de proposer quelque chose. J’y ai alors vu une possibilité de publier une première histoire. C’était chose faite dans le numéro 24 et, ayant beaucoup apprécié l’expérience, j’ai choisi de répondre à nouveau à cet appel à projet.
Avec, cette fois-ci, l’envie de réaliser quatre pages dans un style très différent. Le projet « Ensemble », avec ses contraintes, serait alors pour moi un moyen d’aller vers d’autre possibilités graphiques et narratives.
64_page : Tu as fait le choix d’un certain type de narration, pourrais-tu expliquer les raisons de ce choix et nous parler de ta propre conception de la littérature jeunesse ?
Jean-Christophe T. : La littérature jeunesse est un continent sur lequel l’exploration graphique reste fascinante. La tectonique qui le traverse reste très puissante. Des pays entiers d’imaginaire(s) ; de Maurice Sendak à Tove Jansson, Quentin Blake, en passant par des illustrateurs comme Jean Jullien ou Serge Bloch). Depuis toujours, les auteurices jeunesses ont tenté d’inventer de nouveaux langages, de nouvelles formes d’expressions. S’adresser à des enfants est à la fois très difficile et très stimulant pour un.e créateurice. C’est un jeu passionnant.
Le choix d’une narration est la base du dialogue qui doit s’instaurer avec l’enfant. Ce dernier doit en comprendre les codes pour mieux progresser dans le récit. Développer l’empathie de l’enfant pour un personnage est la clé du concept à appliquer au récit.
Pour ma part, j’ai fait le choix d’une narration purement graphique. Grace à ce concept, je m’adresse au lecteur via le trait tout en gardant une dose de mystère tout au long de l’histoire.
64_page : Le concept de « création » (papier, crayon, jeux de mots, construction d’un monde imaginaire) trône au centre de ton récit graphique et semble en être sa colonne vertébrale qui le fait tenir « ensemble », pourrais-tu nous expliquer ce choix et ce que la « création » représente pour toi ?
Jean-Christophe T. : Quand je réponds à un appel à projet, je suis toujours très prosaïque. Quelles sont les contraintes ? Puis, je m’adapte à celles-ci. Je les utilise comme un cadre, une ligne directrice. Mon histoire, mes choix graphiques, sont la résultante de l’addition des contraintes de l’appel à projet. J’évite ainsi le hors-sujet mais surtout, je réponds clairement à mes commanditaires.
Ici, j’ai plus le sentiment d’une construction que d’une création. J’empile les règles à suivre, les mots-clés, puis je commence mon ascension. C’est très stimulant.
64_page : Dans la construction de ce récit, il y a aussi une grande part qui est accordée aux mots alors que, hormis le titre, il n’y en a pas d’autres pourtant ce texte nous « parle » et exploite vraiment le champ lexical d’ensemble, on entend les illustrations, c’est magique ! Tu peux nous expliquer comment tu as procédé et nous parler également du choix des couleurs ?
Jean-Christophe T. : Le dessin est un langage. Il possède son vocabulaire, sa grammaire. Surtout, c’est un langage visuel. Un langage universel. Toutes les cultures se sont d’abord construites sur un ensemble de signes (l’alphabet est ainsi une simplification graphique de symboles ancestraux).
L’art rupestre était déjà un moyen de représenter le monde sensible par le trait. Un moyen de raconter sa vie chez un homo sapiens qui ne connaissait ni Sennelier ni Proceate!
Quant au choix des couleurs, il me fallait un contraste, une palette binaire. Le bleu, le rouge. L’un pour l’intellect, l’autre pour le sentiment. Là encore, c’est une volonté de parler simplement, d’identifier, d’être dans le symbolisme.
64_page : Pourrais-tu nous parler de ce que tu as fait ou es en train de faire en ce moment ? Autrement, pourrais-tu nous indiquer les moyens que tu utilises pour diffuser tes créations ?
Jean-Christophe T. : En ce moment, je travaille sur des projets de bandes dessinées, un en particulier. Encore à l’étape de construction graphique, je les présenterai bientôt à des maisons d’éditions. C’est d’ailleurs dans l’édition jeunesse que je souhaite m’exprimer.
Dans le même temps, je travaille pour différentes revues qui sortiront ces prochains mois.
Pour voir une partie de mon travail et mon actualité, vous pouvez me rejoindre sur Instagram (jchristophe.t). Je suis d’ailleurs ouvert aux collaborations, n’hésitez pas à me contacter en DM.
Merci.
64_page : Merci à toi Jean-Christophe T. pour le temps que tu nous as consacré, à très bientôt dans le 64_page consacré à la littérature jeunesse sur la thématique « ensemble » qui devrait paraître à la rentrée 2023 ! Pour en savoir davantage sur l’œuvre de T. ou pour prendre contact avec lui, rdv sur insta jchristophe.t
Marie Pascale Peeters – Le jour où les poissons auront vraiment trop chaud
Après des études de gravure et de dessin à Bruxelles, j’ai choisi de vivre au soleil, d’abord en montagne au milieu de la nature et ensuite au bord de la mer Méditerranée. J’écris et illustre des albums jeunesse dans lesquels je fais découvrir des artistes aux enfants.
Le jour où les poissons auront vraiment trop chaud
J’ai souhaité parler d’un vrai sujet d’actualité : les problèmes engendrés par le réchauffement climatique. Les enfants seront les premiers concernés et c’est à eux que reviendra la lourde tâche de tenter de préserver la vie sur notre planète.
Instagram : mariepascale_peeters Interviews Marianne Pierre
Le jour où les poissons auront vraiment trop chaud
© Marie-Pascale Peeters- Le jour où les poissons auront vraiment trop chaud
Marianne Pierre : Comment t’es venue l’idée de ce récit ? Pourquoi parler spécifiquement d’une ville dans le Pacifique sud ?
Marie-Pascale Peeters : C’est un village inventé ! Peu de temps avant de commencer ce récit, j’ai travaillé sur un projet d’illustration de fables qui se passaient en Australie. Nombreuses recherches m’avaient plongée dans ce continent. À cela se sont ajoutées mes inquiétudes face au réchauffement climatique.
Le thème de la revue était Ensemble Nous sommes tous concernés par ce sujet et si on s’y met tous ensemble, nous pourrions peut-être faire évoluer les choses… Et voilà, mon histoire est née !
Selon toi, est-il du devoir d’un artiste de militer et alerter ?
Bien sûr ! La culture sert aussi à ça. Les enfants d’aujourd’hui sont les premiers concernés, il est utile de les informer. Les récits illustrés peuvent être un bon moyen de leur parler de ce sujet.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Principalement mon environnement, mon chien, ma petite fille. L’été dernier j’ai découvert le paddle, j’adore ! J’ai également ajouté un peu de (ma) culture avec l’artiste Jean Michel Folon. J’aime faire découvrir des artistes aux enfants, je fais toujours un clin d’œil à l’Art dans mes récits.
Ton récit est « à suivre ». Est-ce le début d’un nouveau projet ?
J’étais un peu frustrée par la longueur disponible. Je trouve que 6 pages ne suffisent pas pour parler du changement climatique, il y aura sans doute une suite.
Enexua – Ensemble
Salut ! Je suis Enexua ! Je suis un petit artiste qui dessine sur son temps libre, quand j’en ai ! Je dessine plutôt des dessins simples qui renvoient les messages que je veux faire passer !
Ensemble
Étant donné que mon univers est plus dans la personnification d’objets et de concepts, j’ai eu l’idée de faire en sorte que les lettres du mot « Ensemble » s’entraident entre elles, pour prouver qu’on a besoin d’être ensemble pour vivre. Voilà c’est tout.
Page instagram : Le_coin (enexua_x2) Interview Marianne Pierre
Ensemble
Marianne Pierre : Comment t’es venue cette idée à base de lettres ?
Enexua : Je n’ai jamais été bon à dessiner des êtres humains (ou des êtres vivants en général). Du coup j’ai dû chercher une idée sans humain. Et c’est en classe que j’ai pensé à un dessin du mot Ensemble avec des lettres « vivantes ». Je suis donc parti de cette idée et je l’ai détaillée.
Peux-tu nous parler de ton univers ? Qu’aimes-tu dessiner ?
Mon univers est très vague. Tant de choses m’intéressent que définir mon univers n’est pas facile. Mais si je devais essayer, je dirais que c’est majoritairement un univers d’objets humanisés qui vivent une vie plus au moins banale. J’essaye de créer des personnages simples à dessiner, satisfaisants à regarder et attachants. Et du coup, ce que je préfère dessiner, c’est deux de mes personnages : Triankl, un triangle mauve scientifique, et Berry, une petite baie rouge toute mignonne.
Tu n’es pas dessinateur professionnel. Quelle place a le dessin dans ta vie ?
Le dessin est certes assez important dans ma vie, mais il n’est qu’une des façons que je crée. Car ma plus grande passion est de créer de nouvelles choses et de voir les gens y réagir. Et même si je suis en académie de dessin depuis quelques années, j’ai aussi essayé l’écriture et la vidéo, deux autres de mes domaines préférés de création.
Nathalie Caccialupi – Enfin
Elève à l’académie de Châtelet depuis septembre 2021, dans la classe de M. Philippe Cenci, je cherchais un espace-temps pour souffler. M’extirper du bourdon-nement de la vie. Depuis, je gribouille, au marqueur noir, mes acouphènes : des cris de femmes (en maillot de bain), des miaulements de chats. Je voudrais passer à la couleur. Mais je ne l’entends pas encore.
Enfin
Ensemble. La thématique a tout de suite réveillé chez moi une histoire personnelle. Celle d’une adoption. Celle d’une attente longue, longue, en compagnie de nos chats. Malhabile avec la technique du portrait humain (misanthrope inavouée ?), c’est à un chat de gouttière que je fais revivre l’aventure. Merci 64_page de nous accueillir. Mon chat et moi. Ensemble enfin. Merci à bastidrk d’avoir calligraphié avec douceur ce texte.
Instagram nathalie_catch
Enfin
© Nathalie Caccialupi – Enfin
Interview - Gérald Hanotiaux
Nous poursuivons nos rencontres avec les autrices et auteurs du numéro 25 de la revue 64_page. La thématique proposée tenait en un mot : Ensemble. Aujourd’hui, nous discutons avec l’autrice d’une histoire en six pages intitulée Enfin. Afin de souffler et de « s’extirper du bourdonnement de la vie », Nathalie s’est inscrite à l’Académie de Châtelet, pour suivre les cours de Philippe Cenci, rencontré dans notre précédent numéro*.
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs. De manière générale, mais aussi en tant que dessinatrice-autrice ?
Nathalie Caccialupi. Je suis née en 1969 à Lobbes, et je travaille dans le milieu socioculturel depuis des années. Je fais du théâtre en amateur depuis l’adolescence, mon envie de raconter des histoires doit sans doute un peu venir de là… Avant de me mettre au dessin, j’ai fait du collage, une manière décomplexée de s’exprimer sans avoir besoin de savoir dessiner. Le dessin et le texte, finalement, sont des moyens d’acquérir de la confiance en soi. Il y a encore du travail…
Dans notre numéro 25 tu proposes six pages intitulées Enfin, pourrais-tu en parler en quelques mots, histoire d’allécher les lecteurs… ?
Enfin, c’est une histoire d’amour, l’histoire d’une rencontre, et c’est autobiographique. J’ai toujours pensé qu’on écrit mieux sur ce qu’on connait vraiment. J’ai adopté un enfant, et je voulais raconter ce no man’s land de l’attente…
Pourquoi ce choix du noir et blanc, relevé de quelques touches de couleur ?
C’est avant tout inconscient. Dans cette pratique, on est comme immergé dans sa pensée, et le dessin vient alors presqu’automatiquement. Des choses apparaissent, comme évidentes, on peut avoir l’impression de ne même pas avoir dû les imagnier… Dans un second temps, si je voulais l’expliquer, les touches de rouge sont liées pour moi à la « magie » apportée par le chat, comme des choses vues de lui seul…
Pourrais-tu décrire tes manières de travailler en dessin, techniquement ?
Autodidacte, j’affirmerais difficilement avoir une technique… Mais je collectionne les images, les vieilles cartes postales. Ça fait partie de mon processus de création, je crois. Sinon, je dessine d’un trait. Je reviens rarement sur une ligne ou une courbe. Comme je dessine au marqueur, la chance doit opérer. Et si c’est raté, et bien je recommence. Je dessine en général en très petit.
Que penses-tu du fait de pouvoir publier tes pages ici ?
C’est comme se décider à plonger la première fois, quand on ne sait pas très bien nager. C’est un peu flippant. Mais c’est une jolie occasion d’être confrontée à un public, de vérifier si l’histoire fonctionne.
Penses-tu qu’un ouvrage collectif, avec différents travaux sur un même thème, pourrait avoir un effet « stimulant » ?
Assurément. Voir son travail sélectionné en même temps que ceux de collègues, c’est d’abord valorisant. Ensuite, ça permet sans aucun doute d’être épaté et ému par les imaginaires des autres. Cela ouvrira sans doute des possibles auxquels on n’avait peut-être pas pensé.
Qui citerais-tu parmi les auteurs et autrices qui t’ont influencé ? Tant en bande dessinée, qu’en illustration, en littérature ou dans d’autres disciplines ?
Sempé. Simple, efficace et sensible. J’aime beaucoup aussi Edward Gorey qui m’inspire dans les thématiques. Et Kitty Crowther. Les photomontages de l’artiste toscan Claudio Chiavacci.
Question logique enfin, quels sont tes projets, à très court terme sur lesquels tu serais occupée à travailler, mais aussi à plus long terme, tes envies d’autrice et de dessinatrice ?
J’ai envie de travailler sur un carnet de voyage, et aussi envie de travailler en plus grand, de libérer mes traits. Il faudra juste oser.
Un mot de la fin ?
Je voudrais exprimer mes sincères remerciements à ceux et celles qui ont lu Enfin.
Merci Nathalie !
Le travail de Nathalie est visible sur: Instagram nathalie_catch
* Rubrique « Les ateliers des maîtres », partant à la rencontre
des professeurs de bande dessinées en Belgique. Vous pouvez trouver
le numéro 24 de la revue, contenant cette interview, sur notre site,
www.64page.com/revue/
Yi-Jing, Daran et Marc, et Xiao-Ba – Envols
Xiao-Ba, gentille toutou, a été surprise de voir un bébé rouge-gorge dans « son » jardin. Yi-Jing a assisté avec amusement à cette rencontre… stimulante. Elle l’a racontée à Daran qui a scénarisé l’histoire. Puis Marc l’a mise en images. Une histoire de famille, en famille.
Envols
Avec le printemps arrive la nidification. Un couple de rouges-gorges a fondé une famille. Trois oisillons sont nés. Le moment venu, les parents les ont laissés seuls. L’un après l’autre, ils ont pris leur envol. Le petit dernier a eu plus de difficultés. Il a reçu l’aide de sa fratrie, mais pas seulement.
https://www.facebook.com/marc.descornet/ Interview Philippe Decloux
Envols
Philippe : Comment fonctionne l’entreprise familiale quand elle se lance dans un projet BD ou d’illustration ? Quel est le rôle de chacun.e ?
Marc : Le projet « Envols » est apparu de lui-même, comme une évidence, limpide, fait de simplicité. Yi-Jing a eu le regard attiré par un drôle de manège dans la cour. Un couple de rouges-gorges s’affairait à construire un nid. Peu après, logiquement, des piaillements se sont fait entendre. A un moment, les parents prennent leurs distances, même s’ils restent dans les parages, attentifs. Ils incitent ainsi les petits à prendre leur envol. C’est toute une histoire qui se déroule devant nos yeux, l’histoire de la vie.
Notre petit jardin citadin est entouré de hauts murs, une véritable épreuve pour les oisillons. L’un d’entre-eux a dû s’y prendre à plusieurs reprises avant de prendre son véritable envol. Lors de l’une de ses sorties,notre petite Xiao-Ba, adorable bichon maltais, a été très surprise de voir un rouge-gorge dans « son » jardin. La rencontre fut intense pour tous les deux. Yi-Jing, mon épouse, en a été témoin. Et elle l’a raconté à Daran, notre fils.
Quand 64_page a lancé le projet de numéro spécial histoires pour enfants, ça tombait vraiment bien. C’est tout naturellement que l’idée s’est concrétisée et c’est ensemble, en famille, que nous avons permis à « Envols » de prendre forme.
Marc, tu es un dessinateur tout-terrain à l’imagination débridée, tous les sujets semblent t’inspirer, et pour chaque sujet, tu fais appel à une technique différente. Ton éclectisme est réjouissant dans notre monde de ‘spécialistes encasés’, mais n’est-ce pas, aussi, un handicap, le monde de l’édition ne semble pas trop aimer les risques éditoriaux ? Comment exister comme créateur créatif dans une industrie qui ne cherche que les certitudes et aime à se recopier infiniment ?
Alors oui, effectivement, l’art « reconnu » est un marché et il obéit à des règles de marketing, dont celle d’un produit qui doit être reconnaissable pour pouvoir se vendre. C’est la rengaine du produit qui doit se reproduire, de la recette qui plaît et qui fait recette et qui, donc, doit se répéter, indéfiniment. Rare sont les auteurs qui, comme Giraud – Moebius, parviennent à proposer deux univers graphiques et à les imposer au monde marchand.
Ma démarche est avant tout liée au plaisir, celui d’imaginer et de mettre en forme des histoires et de les dessiner, puis celui de partager ce plaisir avec celles et ceux qui y trouveront du sens, et du plaisir à leur tour. Et pour y arriver, je me laisse porter par mes envies, les opportunités, les rencontres… Quand l’inspiration vient, je visualise comment elle pourrait au mieux trouver sa traduction concrète. Dès lors, je ne m’impose pas de contraintes graphiques.
Exister en tant que dessinateur dans l’industrie de l’édition est différent d’exister en tant que personne portée par une nécessité de s’exprimer du mieux qu’il le ressent et par les moyens qui lui semblent convenir le mieux. Ceci dit, 64_page me permet d’exister dans le monde de l’édition et je lui en suis très reconnaissant.
Quel est ton rêve ultime dans le 9ème art ? Quand nous proposeras-tu le récit, la BD, qui concrétisera tous tes désirs d’auteur, de raconteur d’histoires ?
Comme tout auteur de BD, la prochaine œuvre est le défi ultime, sans cesse renouvelé. Quant à mes désirs d’auteur et de raconteur d’histoires, il y a sans doute une part de narcissisme comme chez tout artiste, et puis aussi de dépassement de soi et d’illusion d’immortalité… donc le fait d’être lu et apprécié est très agréable et gratifiant.
Mais l’essentiel réside plutôt dans la réalisation de soi. Mettre en images des situations et des récits inspirants, interpellants, y contribue. Chaque projet représente un défi très motivant. Certains exigent du temps pour mûrir, doivent décanter au travers du filtre des neurones, et ne trouveront leur concrétisation que des années plus tard, voire jamais. Mon rêve dans le 9ème art, je le réalise un peu plus à chaque jalon, et c’est ce cheminement qui le constitue.
Pour « Envols » en particulier, je souhaite que l’aventure se poursuive, qu’elle prenne aussi son envol, idéalement sous la forme d’un livre pour enfants. Je ne me mets pas la pression, c’est une envie ; nous verrons comment elle se concrétise… ou pas.
Que souhaites-tu dire à tes lecteurs et lectrices ?
Je voudrais d’abord remercier particulièrement Séverine De Schepper, logopède, une de mes premières lectrices pour « Envols », qui a « testé » cette histoire lors d’une consultation avec une petite patiente de six ans. Le retour qu’elle m’en a fait a permis d’ajuster le texte et certains aspects de l’image. Merci aussi à Sandrine Crabeels, qui l’a lue avec sa fille de sept ans, qui a bien aimé. J’ai pu ainsi constater que les enfants sont réceptifs à des éléments qui échappent aux adultes, ce qui me rassure quant aux lectrices et lecteurs à qui s’adresse « Envols », les enfants de trois à sept ans.
Plus largement, j’ai envie de dire : prenez du plaisir à découvrir ce que je vous propose. Lisez et relisez. Ensuite, dites-moi ce que ça vous a apporté, au-delà du simple plaisir de la découverte. Et si je vous ai inspiré, je serais ravi d’en savoir plus. Que vous disent mes BD ? Qu’avez-vous décelé ? Sans-doute davantage que ce que j’y ai volontairement insufflé. Alors étonnez-moi, inspirez-moi. Votre retour m’est précieux. N’hésitez pas à me contacter : descornet@yahoo.com
Merci beaucoup d’accorder à mes BD un peu de temps et d’espace dans votre vie.
Julie Mandarine – Le renard qui pue
Je suis Julie Smulders alias Julie Mandarine. Je suis le cours de BD-illu à l’académie des Beaux-Arts de Namur. Je suis une touche-à-tout et j’adore découvrir de nouveaux médiums: la gravure, la sérigraphie, l’aquarelle, le croquis dans la nature…!
Le renard qui pue
Cette idée du renard qui pue m’est venue en voyage, en découvrant les plantes qui lavent naturellement grâce à leur saponine. Le but de mon histoire est d’expliquer aux enfants la nécessité de communiquer entre eux pour mieux se comprendre.
Instagram @julie.mandarine Interview Gérald Hanotiaux
Le renard qui pue
Rencontre aujourd’hui avec celle qui signe du joli nom de Julie Mandarine. Dans notre numéro 25, dont le thème proposé tenait en un mot, Ensemble, elle propose six très belles pages animalières, composant l’histoire Le renard qui pue. Elle suit les cours de l’Académie de Namur auprès de Benoît Lacroix, dont une interview est également présente au sein de ce numéro 25. Elle se définit elle-même comme une « touche-à-tout » et elle « adore découvrir de nouveaux médiums : la gravure, la sérigraphie, l’aquarelle, le croquis dans la nature… » Que le dialogue commence !
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs. De manière générale, mais aussi en tant que dessinatrice-autrice?
Julie Mandarine. Je suis Julie Smulders, alias Julie Mandarine, j’ai 29 ans et j’habite à Namur. Je dessine depuis toujours, mais depuis quelques années, je développe vraiment mon niveau en illustration. Je suis animatrice culturelle, mais dans un avenir proche, j’aimerais devenir illustratrice professionnelle.
Dans notre numéro 25 tu proposes six très belles pages en couleur intitulées Le renard qui pue, pourrais-tu en parler en quelques mots, histoire d’allécher les lecteurs… ?
Depuis quelques jours, une odeur pestilentielle se répand dans la forêt au grand dam des animaux ! Ceux-ci décident de se regrouper pour trouver une solution. Comment parviendront-ils à faire partir cette odeur ? Vous le saurez en lisant les pages Le renard qui pue !
Tu fais partie de ces autrices qui utilisent un pseudo pour présenter leurs travaux artistiques, pour quelle raison ?
Mon nom de famille n’est pas si facile à retenir, et quand je me présente en tant que Julie Mandarine, les gens sont amusés et s’en souviennent facilement. Pourquoi Mandarine ? Je voulais un nom poétique, amusant, pétillant, ce qui correspond je pense à mon caractère.
Pour cette thématique Ensemble, tu situes ton histoire en forêt, avec des personnages animaliers, pourquoi ce choix ?
J’ai toujours apprécié représenter la nature. Et faire interagir les animaux comme des humains, je trouve ça rigolo. De plus, les lecteurs peuvent facilement se projeter dans ces animaux. Une autre raison est que l’histoire m’est venue spontanément de cette manière, avec des animaux comme héros principaux, je n’ai simplement pas pensé à les faire changer de forme.
Pourrais-tu exposer tes manières de travailler, au niveau de ton style et des outils que tu utilises ?
Ici, pour Le renard qui pue, j’ai réalisé mes dessins de base au crayon de couleur, sur des feuilles aquarelle A3. Ensuite, j’ai appliqué l’aquarelle en plusieurs couches, pour créer de la matière. Une fois satisfaite du résultat, j’ai recadré mes images en fines bandes, pour pouvoir en disposer trois par page.
J’ai utilisé un parti-pris, au niveau de la couleur : j’ai restreint ma palette, pour avoir une harmonie, un style particulier, et ne pas me perdre dans une multitude de teintes différentes. J’ai ainsi utilisé le bleu, l’orange et le violet, qui selon moi s’équilibrent bien.
Es-tu passée par un enseignement artistique ? Que dirais-tu des apports de l’enseignement dans ce domaine ?
J’ai suivi et je suis toujours des formations, à horaires décalés, à l’Académie des Beaux-Arts de Namur. J’y pratique la bande dessinée, l’illustration, la sérigraphie et la gravure. J’adore avoir l’opportunité de suivre tous ces cours. J’y ai rencontré de merveilleuses personnes, devenues mes amis. Le travail en groupe permet de se motiver l’un l’autre, et de partager des trucs et astuces. J’ai également fait des études pour devenir professeure d’arts plastiques en secondaire. J’ai enseigné quelques années, mais je n’ai pas trop aimé ça…
Que penses-tu du monde de l’édition, et des possibilités pour les jeunes autrices de se faire connaître ?
Comme c’est mon premier « vrai » projet, je ne me suis pas encore frottée au monde de l’édition. Ça n’a pas l’air facile, de nombreux projets arrivent sur le bureau des éditeurs. Il faut parvenir à se faire sa place.
Modestement, à 64_page, nous essayons de pallier la disparition de nombreuses revues dans lesquelles, dans le passé, les jeunes pouvaient tester des choses, montrer leurs premiers travaux… Que penses-tu que cela apporte de pouvoir présenter ses travaux à des lecteurs, sur du papier imprimé ?
C’est bien entendu très important d’avoir un endroit où publier, c’est également très valorisant pour les illustratrices débutantes, ce que je suis ! De plus, c’est un excellent exercice. La possibilité de publier me donne un but pour finir un projet, pour tenir la distance, pour respecter un délai… ! Merci encore !
Quels sont tes projets actuels ? À court terme, sur lesquels tu serais occupée à travailler, mais aussi à plus long terme, tes envies d’autrice ?
En septembre, avec des amis illustrateurs, nous nous installons en atelier partagé. À court terme, je voudrais paufiner et envoyer mon projet du Renard qui pue à des maisons d’édition, pour essayer de le faire publier en tant qu’album jeunesse. J’ai également plusieurs idées d’histoires à développer. Et pourquoi pas publier dans la prochaine édition de 64_page, sur le thème des Oiseaux… À plus long terme, je voudrais vivre à temps plein de l’illustration. C’est mon rêve !
Merci Julie !
Le travail de Julie Mandarine est visible sur: Instagram : @julie.mandarine
Inès Sanchez Royant – Un monstre sur le lit
J’ai 15 ans et je suis franco-espagnole. J’aime lire, dessiner et inventer des histoires. Je suis passionnée de BD. J’aime les dévorer, bien sûr, mais j’adore aussi en faire. Plus tard (ou très bientôt), je voudrais publier des albums.
Un monstre sous le lit
» Il était une fois, une petite fille qui avait du mal à s’endormir. Un monstre s’installait sous son lit chaque nuit. Elle ne trouvait le sommeil qu’à l’aube, une fois la bête partie. Mais que peut faire une petite fille contre un monstre terrifiant ? «
Instagram: @ines.sanchez.royant Interview Philippe Decloux
Un monstre sous le lit
64_page : Tu nous propose quatre pages lumineuses, sans parole mais dans un récit clair, simple et pourtant riche, parce que tout simplement tu vas à l’essentiel. Explique-nous ta façon de travailler, de l’émergence de l’idée à sa concrétisation ?
Inès Sanchez Royant : Comme c’est une histoire plutôt orientée pour de très jeunes lecteurs, je voulais que, même sans savoir lire, on puisse tout comprendre. Les cases sont aérées pour rendre la lecture plus fluide. L’environnement nordique permet de centrer l’attention sur les deux personnages. J’aime les monstres ; pour les plus jeunes, ils représentent souvent la peur à surmonter, ce qui les fait grandir. Les enfants sont curieux et aventuriers, mais ils ont aussi besoin de douceur et de tendresse. Tous ces aspects se reflètent tout au long de mes planches.
Une fois que j’ai l’histoire, je fais le découpage au brouillon. Ensuite, je passe au crayonné, à l’encrage et à la couleur.
Tu as une étonnante maturité, et singulièrement depuis quelques mois, on perçoit que tu as passé un cap. Es-tu consciente de cela ? Si oui à quoi crois-tu que cela est dû ?
Je ne sais pas, je suis contente de mon évolution, mais j’ai encore beaucoup à faire. Heureusement que je m’améliore, d’ailleurs.
Même si dans l’équipe de 64_page, nous nous y attendions, l’évolution de ton dessin et de tes récits est réjouissante et très rapide. Combien d’heures consacres-tu au dessin chaque semaine ?
Je ne compte pas vraiment le temps que je passe ; je dessine un peu tous les jours. Quand j’ai cours, je dessine très peu. Les week-ends, je prends le temps de faire de la BD quand j’ai fini mes devoirs. Je réserve souvent le dimanche pour ça. Une fois le brouillon terminé, je peux passer beaucoup de temps sur mes planches, presque toute la journée, 8/9 heures.
Dans les festivals BD où tu proposes tes planches, tu trustes quasi tous les premiers prix dans ta catégorie d’âge. Comment envisages-tu la suite ?
J’aimerais être autrice de BD et publier un album un jour.
Tu as fait un stage chez Dupuis à Charleroi, comment as-tu décroché ce stage ? Comment cela s’est passé et qu’est-ce que cela t’a concrètement apporté ?
J’ai rencontré Benoît Fripiat il y a un an lors de rendez-vous avec des éditeurs. Il m’avait donné son mail, je l’ai donc contacté directement. Au début, je ne pensais pas qu’il serait disponible. Je suis très contente d’avoir fait ce stage, c’était vraiment génial ! On m’a montré plein de choses et c’était super intéressant ! C’est un peu comme la chocolaterie de Roald Dahl, mais pour des fans de BD ! Ça m’a permis de voir comment on sélectionne les projets et de comprendre le fonctionnement d’une maison d’édition de bandes dessinées. Cette expérience me sera très utile quand je chercherai à être publiée après mes études.
UNE planche UNE histoire
Roman RG – SEAZEN, buffet à volonté !
J’ai 16 ans, je suis lyonnais, et j’aime dessiner depuis que je suis tout petit. Voulant devenir auteur de BD, je vous envoie ma participation, pour être édité dans la revue 64page. Cette BD est une histoire vraie, donc merci de ne pas vous moquer de moi ! : )
SEAZEN, buffet à volonté !
Un jour avec mes amis, on a décidé d’aller à Seazen, un restaurant japonais situé à Lyon. C’était un buffet à volonté et on a voulu le rentabiliser, alors on s’est enfilé au moins six assiettes chacun… grave erreur ! (résultat à découvrir dans la planche : ))
http://instagram.rooman.RG Interview : Marianne Pierre
SEAZEN, buffet à volonté !
Marianne Pierre : Clairement, ton histoire sent le vécu?
Roman RG : En effet, je me suis complètement inspiré d’une histoireque j’ai vécue avec deux amis ! Le restaurant s’appelle vraiment »Seazen buffet à volonté » ! On a voulu « goûter » à tout et voilà,on en a trop pris !Pourquoi ce point de vue vertical?
Concernant ce point de vue, je voulais rendre un aspect brouillonet plein d’informations, avec une lecture un peu difficile !Et puis de zigzaguer de cette façon me fait penser aux alimentsqui passent dans notre tube digestif (je sais, c’est tiré parles cheveux).Tu es encore au lycée. Qu’envisages-tu comme études?
Je vais prendre la spécialité Art en première, puis après le bacje ferai des études supérieures en dessin, peut-être l’école de BDd’Angoulême ou autres… Je ne sais pas encore vers quelle écolealler mais tant que c’est de l’art, ça me va !Que dessines-tu le plus souvent?
J’ADORE dessiner directement au feutre des personnages caricaturaux,avec des gros nez crochus, des yeux globuleux, pleins de rides dansdes positions super cheloues avec de la perspective à 70 points defuite ! Et le pire c’est que c’est pas une blague ! Mais bon, çac’est pour me détendre sinon j’essaie d’aller vers des stylesdifférents mais celui qui domine c’est le manga ! Oui c’est pastrès original, mais je veux être mangaka !
DELCASY – Otaka et les fourmis gourmandes
Ingénieure en mécanique le jour, illustratrice le soir : créativité succède à la rigueur scientifique ! BD et illustration sont pour moi le moyen d’exprimer pensées, émotions, interrogations, idées…mieux que des mots.
Otaka et les fourmis gourmandes
Il s’agit d’un récit très spontané sur un insecte qui par excellence travaille en collectif. Ensemble les fourmis accomplissent en permanence des tâches pour la survie de leur nid. L’entraide est donc bien naturelle !
Site : https://www.delcasy.be Compte instagram: delcasy_drawings
Otaka et les fourmis gourmandes
Interview : Gérald Hanotiaux
Comme à notre habitude désormais, nous partons à la rencontre des autrices et auteurs du numéro à paraître très prochainement, pour lequel cette fois la thématique proposée tenait en un mot : « Ensemble ». Thématique ouverte, et plutôt orientée vers l’illustration jeunesse, elle a donné lieu à des développements très variés. Rencontre aujourd’hui avec Delcasy, ingénieure en mécanique le jour, illustratrice le soir. La créativité succède à la rigueur scientifique ! Comme elle le signale : « BD et illustration sont pour moi le moyen d’exprimer pensées, émotions, interrogations, idées… mieux que des mots. »
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs. De manière générale, mais aussi en tant que dessinatrice-autrice ?
Delcasy. J’ai la quarantaine, je suis maman d’un grand garçon et j’exerce le métier d’ingénieure. Je suis une hyperactive plutôt enjouée. Je me suis fixé l’objectif de concrétiser les histoires qui me trottent en tête et d’illustrer ces univers qui peuplent mes pensées, un peu folles parfois, je dois bien l’avouer !
J’ai toujours dessiné mais j’ai voulu passer un cap supplémentaires en prenant des cours de bande dessinée et Illustration à l’Académie des Beaux-Arts de Châtelet. Récemment, j’ai démarré une activité complémentaire en tant qu’indépendante, afin de me lancer pour de bon en tant que dessinatrice et autrice. Plusieurs projets m’occupent en ce moment, dont fait partie la fourmi Otaka.
Dans notre numéro 25, tu proposes en effet six très belles pages en couleur intitulées Otaka et les fourmis gourmandes, pourrais-tu en parler en quelques mots, histoire d’allécher les lecteurs…?
Cette histoire m’est venue lorsque ces obstinés insectes ont élu domicile dans ma cuisine ! Dans un premier temps, quelques éclaireuses furetaient, mais ensuite une véritable colonie a débarqué, résolue à envahir l’armoire à provision. Leur capacité à communiquer et à s’entraider, bien qu’envahissante, était fascinante ! Les illustrations sont nées d’essais à l’écoline sur papier calque transparent. Ce qui, en quelque sorte, était pour moi une expérimentation.
Si l’écoline était une expérimentation, pourrais-tu décrire de manière plus générale ton style, ou tes styles de travail, ta manière de procéder en bande dessinée et en illustration ?
J’ai tendance à dessiner au trait de manière plutôt « réaliste », j’encre à la plume et favorise beaucoup l’aquarelle pour la colorisation. Qu’il s’agisse de bande dessinée ou d’illustration, je tâche d’être au plus proche du résultat final – quitte à recommencer plusieurs fois ! – avant de finaliser la planche sur un logiciel spécialisé.
Je sors à présent de ma zone de confort en explorant d’autres techniques, en travaillant plus dans la masse et les textures. Pour illustrer Otaka et les fourmis gourmandes, j’ai joué sur la superposition de couleurs en transparence, le calque m’a permis de rendre le tout plus lumineux en scannant les planches obtenues.
C’est symptomatique que tu parles d’expérimentation car, précisément, nous ressentons le manque d’organes de pré-publications, qui existaient beaucoup dans le passé et servaient de banc d’essai. Que dirais-tu des possibilités aujourd’hui, pour les autrices, de montrer et faire connaître leurs travaux ? Plus généralement, que penses-tu du monde de l’édition en bande dessinée en Belgique aujourd’hui ?
J’ai l’impression que le banc d’essai pour les auteurs-illustrateurs se situe surtout dans les écoles et académies, voire sur les réseaux sociaux. Mais se démarquer est difficile, pour un nouvel arrivant. Expérimenter implique aussi parfois d’échouer. Le monde de l’image en général est fort concurrentiel, et sur le web, une étiquette est vite collée sur un auteur…
Au sujet des éditeurs, j’imagine que c’est pour une raison de rentabilité et de bienséance, parfois, que certains hésitent à se lancer dans une publication atypique. Malgré cette situation, je suis émerveillée par toutes ces petites structures et éditions belges qui osent et parviennent à percer en proposant de l’inédit. Je remercie 64_page, notamment pour oser la démarche de publier des auteurs-illustrateurs « en devenir ».
Tu évoques l’Académie de Châtelet, quels apports ont pu t’apporter l’enseignement dans ce lieu ?
Mon apprentissage auprès de Philippe Cenci*, professeur à l’Académie de Châtelet, m’apporte beaucoup. Je citerais une exploration de techniques, des découvertes de références, et un regard critique : sur la finalité d’une illustration, sur comment agencer une histoire, sur le jeu de valeurs pour mettre en lumière des personnages et décors… Tout cela en plus, bien sûr, de l’ambiance conviviale de l’atelier !
Que penses-tu, plus généralement de la nécessité ou non de passer par des écoles pour les matières artistiques ?
Quel que soit le métier, les écoles transmettent des savoirs et savoirs-faire en vue de fournir les compétences nécessaires à exercer dans un cadre professionnel. Il me paraît normal de prendre conseil auprès de ceux qui savent… Même pour les plus doués, sans travail, méthode et curiosité, il y a peu de probabilité de réussir, à moins d’être extrêmement chanceux.
Qui citerais-tu comme auteurs et autrices parmi tes influences ? En bande dessinée, mais aussi éventuellement en illustration, en littérature ou dans toute autre discipline.
En illustration jeunesse, mon fils et moi adorions les bouquins de Antoon Krings, Drôles de petites bêtes, chez Gallimard Jeunesse. Nous suivions aussi assidûment l’auteur Géronimo Stilton, chez Albin Michel Jeunesse. En bande dessinée, j’ai flashé sur Colonisation, de Filippi et Cucca, paru chez Glénat, et sur Blacksad, de Diaz Canalès et Garnido, une série parue chez Dargaud. En littérature, mon livre fétiche est 1984, de George Orwell, qui a semble-t-il inspiré l’univers de bien des graphistes et illustrateurs…. BIG BROTHER IS WATCHING YOU !
Pour terminer cette rencontre, pourrais-tu nous décrire tes projets, les plus proches mais aussi les plus lointains, ou les envies…?
Je me partage actuellement sur trois projets. À court terme, j’ai entrepris une suite aux aventures de Otaka. À moyen terme, des Drôles d’oiseaux verront le jour, il s’agira d’une bande dessinée courte sur des gangsters aux noms d’oiseaux à Chicago, inspirée par les années 1920-1930, l’époque de la prohibition de l’alcool aux États-Unis. À plus long terme, je me suis lancée dans un projet de longue haleine, un album en bande dessinée intitulé Machiavélique. Le scénario est plus ou moins en place et, a priori, environ 90 pages sont prévues. J’avance petit à petit, et j’en suis au dessin de la seizième page. L’histoire sera bien sombre, avec des enlèvements d’humains et des monstres affamés en quête de nourriture facile… J’ignore si tout cela verra le jour sur papier, mais j’y travaille dur !
Un mot de la fin… ?
J’espère de tout coeur avoir un feedback des lecteurs du 64_page ! Pour progresser et offrir le meilleur travail possible dans de nouvelles futures aventures. Le défi est de taille !
Merci Delcasy !
* Philippe Cenci était l’invité de notre rubrique « Les ateliers des maîtres » dans notre numéro 24, dans laquelle nous rencontrons les professeurs de bande dessinée en Belgique. Il est disponible en ligne. www.64page.be, onglet « revue ».
On peut voir le travail de Delcasy en suivant ces liens : Instagram : #delcasy_drawings / www.delcasy.be
Michel Di Nunzio – Pas de pantoufle pour Amandine
Né au siècle dernier, mon actualité reste créative, suis en mode exposition et réalisations d’œuvres la prochaine exposition est prévue vers fin septembre. Mais la bd reste mon moteur essentiel elle s’insère et occupe tout mon temps , et permets de belles rencontres
Pas de pantoufle pour Amandine
C’était un autre défi que j’ai voulu tenter. Qui de nos jours s’intéressent à la forme des nuages ? Qui se rappellent des histoires que chacun et chacune se racontaient couché dans l’herbe à regarder défiler ces nuages qui s’effilochait devant nos yeux ou nous inventions mille histoires ?… J’ai voulu dessiner un conte … Tel un pont qui vous permettra de rejoindre le monde peut être pas si perdu de notre enfance…
Pas de pantoufle pour Amandine
Interview : Angela Verdejo
64_page : Bonjour Michel Di Nunzio, on ne te présente plus tant tu es bien connu des lecteurices de notre revue de récits graphiques, cette fois raconte- nous, en guise de présentation, les motifs qui t’ont poussé à répondre à l’appel de 64_page et, plus particulièrement, à participer à notre projet « Ensemble ».
Michel Di Nunzio : Bonjour. D’une autre génération, dixit Philippe Decloux, je suis un vieux gamin 😉 le projet Ensemble en bande dessinée, au départ, n’était pas pour moi. Le seul scénario que j’avais dans mes cartons c’était juste une ligne : le titre : Pas de pantoufles pour Amandine
Ensuite, toujours l’attrait du défi.
J’ai dessiné les premiers croquis. Ça m’a semblé convaincant pour tenter le coup.
Dans ma vie antérieure de graphiste et illustrateur, dans le secteur social et environnemental, j’ai beaucoup dessiné et pratiqué plusieurs niveaux de dessins à la fois pour enfants et en même temps pour des panneaux didactiques grand- public et autres trompe-l’œil. C’est donc un peu aussi par nostalgie pour mon ancien univers que je me suis lancé dans la proposition.
64_page : Pourrais-tu nous parler de Pas de pantoufle pour Amandine ?
Michel Di Nunzio : Le projet que j’avais fait précédemment avec Inès Sanchez Royant m’a été d’une très grande utilité pour la légèreté du trait et des caractères des personnages. L’humour est quelque chose de difficile que j’ai eu peu l’occasion d’aborder.
Le défi était de taille, car, en famille, je n’ai que des garçons, et dessiner le personnage central d’un jeune personnage féminin enfantin n’a pas été facile Je voulais quelque chose de léger au niveau du trait et je ne voulais pas encombrer la page.
Mais en même temps, l’univers floral et les petits lutins étaient la synthèse de ce j’avais déjà dessiné, à la fois pour les jeux de rôles, le magazine « jeux de rôle », et aussi, dans mon ancienne vie, pour la partie nature, j’ai une fascination pour les cabarets aux oiseaux, (cardère commune) j’ai agité le tout …
Je voulais un récit qui accompagne l’illustration à l’instar des contes pour enfants et qu’il puisse se lire par un adulte en donnant les intonations subtiles et le souffle pour créer l’atmosphère. Le pouvoir de la voix sur de (beaux) textes…
64_page : En quoi ce travail, le tien, fait partie de ce que l’on appelle « la Littérature jeunesse » ? Qu’est-ce pour toi la Littérature jeunesse ?
Michel Di Nunzio :De nos jours, il est important, c’est au fond mon fil conducteur permanent quel que soit le récit, de faire la part belle aux rêves d’enfant, la littérature jeunesse aborde beaucoup de problématiques contemporaines lourdes.
J’ai été très surpris par ces thèmes, je me suis dit que la distraction des enfants, en tant qu’adulte, il fallait l’autoriser, et la soutenir car elle permet de se construire, d’inventer sa vie et de trouver des alternatives.
Car c’est une erreur de penser que les rêves d’enfant sont détachés de la réalité.
Bien au contraire…
Sans vouloir faire de la sociologie, mais se construire un monde intérieur c’est modifier le monde extérieur…
Le monde de l’adulte impose des codes aux enfants parfois pour les enfermer dans un carcan qui au bout du compte ne correspondra plus à la réalité.
La littérature à un rôle à jouer ? La réponse est oui, évidemment, celui d’aborder ces sujets. Et en même temps, elle sert de passerelle de l’adulte à l’enfant et à les préparer à l’adulte qu’ils vont devenir.
Au niveau de l’écriture, j’ai essayé de raconter ces souvenirs d’enfant, quand j’observais les nuages, qui me sont toujours restés. Je voulais partager cela. Ça me changeait de mes univers plus lourds avec des personnages plus cyniques.
64_page : Comment arrive-t-on à la création de tel ou tel personnage, au choix des couleurs, à la création d’une atmosphère, ici le rêve, etc… ? Bref, parle-nous de ton processus de création.
Michel Di Nunzio : Par opposition à ce que je faisais, il me semblait bien de ne plus mettre de case pour la fluidité de lecture. J’ai écrit mon texte, et essayé de raconter l’histoire d’une petite fille. En gardant à l’esprit que c’était pour toucher un très jeune public.
J’ai voulu que la lecture soit fluide et sinusoïdale, c’était un grand risque de confusion mais la disposition de lecture en S me semblait la plus adaptée. Je me suis dit que la génération de jeunes lecteurs avait une acuité de perception formidable.
Quant aux couleurs froides bleues, c’est, bien sûr la couleur du ciel. Car quand on veut devenir Nuageologue, quelles autres teintes choisir ? 😉
Peut-être est-ce le monde vu à travers le regard d’Amandine ?… Qui sait 😉
La petite touche de couleur est le petit cochon qui accompagne Amandine, écho de ses humeurs et de la situation à l’instar de Milou et Tintin, ou ensemble, c’est cette notion de binôme qui m’a plu de dessiner, en donnant une touche plus dynamique.
D’autant que beaucoup d’enfants ont des petits animaux de compagnie un petit cochon c’est sympa à dessiner, pas facile quand même avec son groin, c’est aussi un clin d’œil aux trois très célèbres petits cochons.
Quant aux lutins Pololop, ils doivent leur nom au fait que lorsque mes enfants étaient petits et qu’ils avaient un petit bobo, on filait à la boite à sparadrap en chantonnant pololop qui correspondait à la sirène des pompiers ou ambulance pour dire qu’il y avait urgence…
Nb : tiens ? la couleur de la sirène est bleue… un hasard j’avoue
64_page : Et pour clore ce nouveau chapitre Michel Di Nunzio et 64_page parlons un peu « actualité Di Nunzio » ! Pourrais-tu nous parler de ce que tu as fait ou es en train de faire en ce moment et des moyens mis en œuvre pour la diffusion de ton travail ?
Michel Di Nunzio :
Mon actualité reste artistique, J’utilise Instagram pour diffuser mes meilleures 😉 créations, j’ai un blog que j’essaie d’actualiser car il reprend beaucoup de mes travaux diversifiés. Illustrations, BD, Sculptures, Photos, Tableaux
Dessin : J’ai achevé une série d’illustrations pour des jeux de rôles sortis pour Trolls et légendes « Horrifique » un projet superbe qui m’a fait sortir de ma zone de confort sur l’ambiance Lovecraft. Et d’autres à paraître.
Très agréablement mis en scène par Acritarche « Bastien Wauthoz ».
En BD, je termine une histoire courte, des mercenaires pris dans une boucle temporelle…sous une ambiance de neige, je voulais essayer quelque chose de plus proche de la réalité qui s’appelle : Dernière zone
Pour ma partie personnelle, et boucle temporelle, je remasterise une histoire que j’avais dessinée à la trame mécanique, un dessin hors norme, très réaliste impubliable à cause des moirages de trames… – il y a de très très nombreuses années, et que j’ai avec la technologie actuelle achevée. Une forme de lien avec le dessinateur que j’étais à l’époque
Titre : L’œil du démon (j’étais moins rigolo, c’est vrai 😉
Pour ce qui est des éditions, un tout grand merci à 64_page, car dans ce paysage graphique, il y a une dynamique et un espace dédié aux jeunes 😉 et nouveaux auteurs à faire exister et je suis très heureux d’en être de cette aventure. 64_page occupe une place particulière en termes de visibilité et mérite d’être soutenue. Et somme toute, il est un laboratoire de recherches visuelles magnifiques que peu d’éditeurs, me semble-t-il, ont le courage de réaliser.
En termes de projets : Une série d’histoires courtes (synopsis)
Un projet d’album
Multiplier des contacts éditoriaux
Je reste ouvert à des collaborations bien sûr, J
Mon actualité-bis : Art-Expo
Je termine une foire internationale d’art contemporain pour ma partie sculpture céramique sculpturale et tableaux en reliefs, j’expose au mois d’octobre. Et prépare en parallèle déjà 2024 pour mes futures créations… tous mes croquis préparatoires sont impatients de voir le résultat 😉
64_page : Merci, Michel Di Nunzio, merci pour ces belles paroles sur 64_page, cela nous touche beaucoup ! A très bientôt dans le prochain 64_page 25 à paraître à la rentrée !
Pour de plus amples informations ou/et pour prendre contact avec Michel Di Nunzio : BD - Di Nunzio Michel (eklablog.com)
Inès SANCHEZ-ROYANT & Michel DI NUNZIO – Les couleurs du temps
Sanchez-Royant Il y a un demi-siècle et 1.600 kilomètres entre eux. Inès a 15 ans et vit à Valencia, elle truste tous les prix BD dans les festivals où elle participe dans sa catégorie d’âge.
Michel a 50 de plus et vit à Tamines, près de Charleroi, il est passionné de BD fantastiques, d’univers aussi sombre que ceux d’Inès sont colorés. Pour son premier album, Michel adapte un roman de Henri Vernes Rendez-vous au Pelican vert.
64_page les a réunis sur un projet autour du lieu créé par Victor Horta pour les Magasins Waucquez et qui abrite aujourd’hui le Centre Belge de la BD.
Elle et il nous proposent Les couleurs du temps, six pages de folies graphiques. Auxquelles 64_page #24 a ajouté 4 pages de making of dont, plutôt qu’une interview, nous avons choisi de publier quelques dessins et croquis préparatoires.
Retrouvez tous les croquis d'Inès et Michel sur shorturl.at/wxzJK.
Christophe Playfoot – Art commun
Interview Angela Verdejo
Bonjour Christophe, la première chose que j’ai faite, après avoir lu ta bd, c’est un tour sur les réseaux sociaux pour apprendre davantage sur toi, dans ton insta chris_play_bd on prend connaissance notamment du fait que tu es dessinateur « amateur » de bd alors que tu suis un master BD en 2022.
Angela Verdejo : Ces deux concepts « amateur » et « master BD » me semblent en contradiction, est-ce que l’on est « amateur » quand les études sur la matière à laquelle « amateur » s’applique sont en cours ? Ou cela fait-il simplement référence au fait que tu n’as pas encore publié ? Je ne sais pas. Dans ce sens, ce serait intéressant que tu nous parles de toi, de ton parcours artistique, de tes études.
Christophe Playfoot : Ahaha, certes ce n’est pas clair mais j’ai obtenu mon Master cette année (je vais changer ma bio sur Instagram de ce pas). J’ai mis amateur étant donné que je ne suis pas encore professionnel et car je ne me trouve pas encore assez bon dans ce que je fais. Dire que je ne suis pas un amateur serait orgueilleux selon moi. J’ai d’abord fait les beaux-Arts de Grenoble à L’ESAD. C’est là que j’ai commencé à faire des Bandes dessinées, incité par mes profs à raconter mon vécu parce que j’étais quelqu’un d’assez réservé et que je voulais développer ma pratique du dessin en somme. Cela m’a conduit à faire le Master BD à Angoulême par la suite. Avant ça j’ai fait un bac STMG, mais rien à voir.
Tout d’abord une question sur le titre, en essayant de ne pas spoiler ta BD bien entendu, pourquoi « Art commun » ?
Mon histoire parle du lien fort des gens avec la Bande Dessinée et de ce que cette forme d’expression a comme particularités, c’est-à-dire d’être un des premiers Arts auquel on est confronté très jeunes.
Dans cette BD il semblerait que tu te mettes toi-même en scène avec ton père. Pourquoi fais-tu le choix du registre autobiographique ? Qu’est-ce qu’il te permet de faire de plus qu’un autre registre ?
J’ai commencé les bandes dessinées en études supérieures, où je racontais mon histoire et tout ce que j’ai vécu. C’est également un moyen pour moi d’extérioriser mes mauvais souvenirs.
Il y a dans ta BD des codes couleur, pourrais-tu nous les expliquer ?
La BD est en monochrome et les couleurs changent en même temps que les lieux, la temporalité et l’ambiance de la scène. Je me suis inspiré de « Une histoire d’homme » de Zep.
Qu’est-ce qui t’a emmené à répondre à l’appel de 64_page autour des Magasins Waucquez et qu’en as-tu tiré en termes d’expérience ? Je crois que ta BD est très parlante au sujet du rapport que tu entretiens avec l’art, pourrais-tu nous en parler également.
Je suis tombé dessus lors du festival l’an dernier, j’avais gardé le nom du magazine en tête et je me suis dit : « pourquoi ne pas tenter ma chance ». Ça m’a fait assez bizarre au début car je me suis mis une énorme pression mais je suis satisfait du résultat. Je maîtrise de mieux en mieux ma méthode de travail maintenant. J’avais commencé les BD petit pour apprendre à lire, j’adorais Titeuf de Zep puis après j’ai découvert Dragon Ball, Gaston, Spiderman et j’en passe. Peu après, je me suis mis à faire mes propres BD car ça me laissait un champ libre pour pouvoir m’exprimer comme je le voulais.
Pourrais-tu nous parler du rôle joué par les techniques utilisées dans ta BD ? L’usage de l’humour par exemple m’a paru très intéressant
J’ai un dessin assez « cartoon » car je souhaite que mes personnages soient très expressifs (et je suis nul en proportion, haha). Si j’utilise l’humour dans cette histoire, c’est pour toucher le lecteur et c’est l’émotion par laquelle j’aime débuter pour ensuite raconter quelque chose de plus profond qui peut mener à la tristesse, la joie ou d’autres émotions. Je vois mes BD comme une sitcom où l’on apprend à connaître les personnages au fur et à mesure des pages.
Un grand merci, Christophe et à bientôt.
Pour suivre Christophe : Instagram :chris_play_bd
Philippe Boulon – Cartoonist
Interview du Boulon par des Cloux
Nous ne pouvons que nous entendre, puisque nous sommes de la même quincaillerie ! J’ai été séduit par tes cartoons dans Le Semainier. De magnifiques dessins de presse sans complaisance, comme c’est si souvent le cas dans la ‘grande presse’ à force de ménager la chèvre, le loup et le chou on ne publie plus que de l’humour passe-partout, souvent vide de sens. Des histoires de Toto…
64_page : Découverte. Raconte-nous ton cheminement dans le dessin de presse. Et aussi, éventuellement, dans les autres arts ?
Philippe Boulon : En presse j’ai illustré des articles pour un trimestriel autour de la coopération au développement pendant plus de trente ans et bouché les trous dans les pages jeux du supplément « le 7ème Soir » du journal Le Soir, sinon j’ai un parcours assez éclectique je partage ma vie entre la gravure, le dessin , la réalisation de décors et la musique ( le « un peu de tout » du fromage Belge ha ha !)
Tu as un dessin physiquement dur, solide, noir et surtout décapant… Qu’est-ce qui se passe dans la tête de Philippe Boulon quand il conçoit ses cartoons ?
Je viens de la gravure ou pour moi on a les plus beaux noirs ( je ne suis pas très coloriste )
mes premières influences viennent des expressionnistes, de la gravure sur bois du moyen-age et la grande époque de Pilote / Charlie Mensuel avec des gens comme Alexis, Forest , Fred, Reiser, Munoz, Touîs et bien sur Pratt et Topor . Pour mes dessins j’aime bien l’idée « d’exorciser les diables » de passer par un dessin spontané ou plus travaillé, je n’ai pas de règles , j’ai un coté tourmenté que j’exploite via la dérision et l’humour noir, c’est un peu mon défouloir jouissif (sic)
Quelle est ton implication dans Le Semainier. Comment conçois-tu tes idées de cartoons ?
J’ai été invité par Olivier Lambert, ça tombait super bien car j’étais en plein arrêt des 35 ans de collaboration avec le trimestriel sur la coopération, j’étais un peu perdu même si les histoire sur les O.N.G, j’en avais un peu fait le tour, Le Semainier m’a donné une nouvelle dynamique et j’aime bien l’idée de travailler un peu plus prés de l’actualité, la Covid m’a bien fait tripper la guerre en Ukraine aussi, j’attends avec impatience une nouvelle catastrophe
C’est bateau, mais on a toujours envie de savoir comment les dessinateurs de presse vivent leur métier depuis la tuerie de Charlie hebdo. As-tu changé ta façon de travailler ? T’arrive-t-il de t’autocensurer ? Ou de renoncer à un sujet ? Au contraire, estimes-tu que tu dois pouvoir tout dire, que c’est le rôle de l’humour…
Ça a été un choc de voir qu’on pouvait tuer pour des petits Mickey , personnellement je n’ai pas changé ma manière de bosser, j’essaye de pratiquer depuis toujours une certaine nuance dans l’humour et un certain recul pour éviter qu’il soit mal interprété , l’humour n’est pas universel, on ne ris pas des mêmes choses d’un coté du globe a l’autre , on peut rire de tout mais en évitant l’insulte gratuite … je vois malheureusement de plus en plus sur les réseaux beaucoup de dessins souvent mal fait soit disant d’humour qui sont au ras des pâquerettes, vulgairement gratuit et xénophobe très loin de ce que fut l’esprit Charlie …
Parle-nous de tes projets, de tes espoirs ?
– Dessiner encore et encore, des concerts et un 5ème album avec mon groupe Volt Selector
– La paix dans le monde comme Miss Monde … (sic)
Pour vous "débouloner" à plein poumons :
https://www.facebook.com/groups/446961182716904
https://www.facebook.com/search/top/?q=Philippe%20Boulon
Dans nos interviews (donc plus bas dans ce texte)
vous découvrirez des interviews de Elsa LEONARDI, de Juan MENDEZ, d'Olivier LAMBERT et PAVÉ
Khowo et Marie Piret – Le guichetier
Interview Angela Verdejo
Bonjour Khowo et Marie, en nous promenant sur vos réseaux sociaux respectifs, nous avons pu avoir un aperçu de vos œuvres respectives mais cela ne nous a rien appris sur votre «parcours d’artiste», néanmoins beaucoup d’illustrations, de couleurs et même des tattoos nous ont parlé de votre œuvre.
64_page : La première question est donc liée à votre parcours artistique, pourriez-vous vous présenter chacun à votre tour ?
KHOWO : Marqué par Bédu et Dupa lors de mon enfance, je me suis dirigé vers des études artistiques en illustration/BD à Saint-Luc Liège. Diplôme en main, la vie professionnelle m’a davantage mené vers le graphisme mais je n’ai jamais perdu le goût du dessin et j’ai continué à produire pour moi ou pour de petits projets. Lors de la visite de la journée porte ouverte de l’académie de Châtelet, je me suis dit que c’était pour moi l’occasion de me replonger dans un environnement créatif où je pourrais échanger et m’ouvrir à l’univers d’autres personnes tout en continuant à faire évoluer mon dessin.
MARIE : Comme pas mal de gens du milieu, la légende dit que je suis née avec un crayon dans la main… J’ai donc toujours été sensible et sensibilisée à l’Art avec un grand A : mes parents m’ayant toujours poussée à la curiosité et à poursuivre mes rêves.
Je ne sais pas pourquoi cet attrait particulier pour la BD… J’en dessinais et en lisais déjà toute petite et j’ai continué pendant ma période manga, par conséquent, il m’était évident de poursuivre là-dedans.
J’ai réalisé pratiquement tout mon parcours scolaire dans l’art : de ma troisième à ma rhéto à Sainte-Marie Châtelet en pluridisciplinaire ainsi qu’une 7ème infographie tout en suivant les cours d’académie de Philippe Cenci et en commençant un apprentissage tattoo… J’ai ensuite terminé par un Bachelier en BD à Saint-Luc Liège où je me suis vraiment prise d’affection pour le croquis.
Ensuite, j’ai assez rapidement trouvé une place comme coloriste chez les Éditions Dupuis (le projet devrait sortir prochainement, je croise les doigts) et continué mon apprentissage tattoo.
64_page :Comment avez-vous eu l’idée de former ce tandem, Khowo, dessinateur et scénariste, et Marie Piret, coloriste ? Nous aimerions apprendre davantage également sur vos méthodes de travail ensemble et sur ce qui vous a motivé à répondre à l’appel de 64_page autour des Magasins Waucquez.
MARIE : On s’est rencontrés à l’académie de Châtelet où nous avons eu droit à une rencontre quelque peu cocasse ; à savoir que Khowo est quelqu’un de très doux et je suis tout l’inverse mais nous avons une histoire similaire et d’office, cela rapproche… Quand il a appris que j’avais fait de la colo chez Dupuis il m’a rapidement demandé (deuxième fois qu’on se voyait, je crois) si cela m’intéressait de participer à son projet « Le guichetier ». J’aimais le scénario et son dessin était (est) magnifique, c’était l’occasion pour moi de me remettre à faire de la couleur, sur un beau projet, après plusieurs mois d’arrêt.
Méthode de trav… quoi ? Disons qu’on a dû terminer le projet rapidement et que je suis arrivée en fin de course, par conséquent nous n’avions pas vraiment mis de stratégie en place et le pauvre, j’ai, probablement, dû lui faire faire du mauvais sang…
KHOWO : Quand Monsieur Cenci m’a parlé de la revue 64_page et du projet des Magasins Waucquez, j’ai été tenté d’écrire une histoire qui se déroulait au début du siècle car cette époque m’a toujours attirée. Au moment de l’encrage, comme je ne suis pas coloriste, j’avais en tête de réaliser les planches en niveau de gris à l’aquarelle.
J’ai ensuite rencontré Marie à l’académie où nous avons eu l’occasion d’échanger sur la BD et nos influences.
Comme Marie m’avait présenté son travail de coloriste et comme elle avait déjà une expérience professionnelle dans la mise en couleurs d’album, j’ai tenté ma chance et je lui ai demandé si cela lui plairait de faire les couleurs de l’histoire. Nous avons ensuite communiqué à distance sur certains éléments liés à la compréhension du dessin et au placement des ombres, mais mon rôle s’arrête là, toutes les décisions liées aux couleurs et aux ambiances lui reviennent.
64_page : Le guichetier est une histoire sans paroles (ou quasi) pourquoi ce choix du dessin qui est prépondérant (par rapport au texte) ? Comment dans ce cas travaille-t-on au scénario ? Comment se présente-t-il ce scénario avant de devenir BD?
KHOWO : Pour l’écriture de mon scénario, je me suis servi d’une technique de roue créative pour débloquer des idées, dès que j’ai eu mon synopsis et la chute de mon histoire, je me suis concentré sur le découpage et j’ai fait tester mon story-board auprès de Monsieur Cenci et des collègues de l’académie. Comme je ne me considère pas assez bon dialoguiste à mon goût, le choix du muet s’est imposé, cela représentait également un petit challenge de narration que je trouvais intéressant.
Je me suis ensuite mis aux croquis et à l’encrage à la plume et au pinceau traditionnel, je me suis servi de l’outil numérique uniquement pour scanner et nettoyer mes planches avant de les envoyer à Marie.
MARIE : Khowo s’est bien trituré les méninges. La BD muette est plus complexe mais tellement plus riche quand elle est bien réalisée. « Le guichetier » est clair, propre, lisible. Je suis en amour sur les expressions faciales de son robot qui aident beaucoup à la compréhension de l’histoire. Il a vraiment fait un super boulot ! Enfin, c’est mon avis personnel…
64_page : En ce qui concerne le choix des couleurs, pourriez-vous nous en parler ?
KHOWO : Pour les couleurs, je laisse la parole à Marie.
MARIE : Je suis encore un bébé dans la colorisation ; j’en apprends tous les jours et par conséquent je m’inspire beaucoup d’artistes et d’œuvres que je vois. « Le guichetier », que ce soit par son scénario, par son graphisme mais aussi par les échanges avec Eric, m’a tout de suite fait penser à la palette de couleurs utilisée par Margaux Mara dans « Spirit » Drakoo Éditions. J’adorais les ambiances,… Je trouvais que cela pouvait parfaitement coller avec le projet et les envies de Khowo.
64_page : Le choix du genre, de la science-fiction,nous a beaucoup intéressé aussi, le mélange des époques « technologiques » différentes qui permettent à la fois de raconter une histoire mais aussi d’exprimer une certaine position face au progrès technologique et aux relations nouvelles qui sont engendrées entre les êtres humains et les machines. Pourriez-vous nous éclairer sur votre position ?
MARIE : Khowo ? C’est pour toi ;p …
KHOWO : Le choix du robot guichetier et des robots vigiles a été pensé pour marquer le parallèle avec notre époque. En effet, l’anachronisme du robot situé au début du siècle sert à illustrer de façon ludique les avancées technologiques de nos jours qui tendent à réduire les contacts et les compétences humaines.
Maintenant, il ne s’agit que d’une petite histoire avec un robot fantasque et malhonnête que j’ai eu plaisir à créer et à dessiner et qui, j’espère, plaira surtout au lecteur de 64_page.
64_page : Un grand merci, Khowo et Marie, à bientôt !
Pour poursuivre avec Khowo et Marie : Vos insta : ttps://www.instagram.com/khowo.illustration/ Marie Piret (@le_bricabrac_doni) • Photos et vidéos Instagram fb : Le Bric à Brac d'ONI | Facebook
Vincent Grimm – Silure
Interview Philippe Decloux
Interviewé par notre intervieweur tous terrains Gérald Hanotiaux, dans le cadre de sa série « Les maîtres », Philippe Cenci présente ses ateliers BD et illustrations dans les Académies de Watermael et de Châtelet. Dans ce cadre, nous publions Silure de Vincent GRIMM dont c’est la seconde publication dans 64_page, Mauvaises langues (64_page #22 Polar),
64_page : Tu es un trait connu et reconnu par nos lecteurs. Je te propose de mettre l’accent sur ce travail dans l’atelier du « maître de BD ». Comment est née ta passion pour la BD et, surtout, le désir de raconter toi aussi des histoires ?
Vincent Grimm : C’est difficile à dire quand est née ma passion pour la BD vu qu’il y a toujours eu des BD chez moi. J’ai grandi fasciné par les dessins, qu’il s’agisse de BD ou de livres d’illustrations. Je me rappelle dessiner des livres et des BD quand j’étais petit mais je ne saurais pas dire à quel moment ça à commencé. En tout cas, l’envie de raconter des histoires n’est jamais partie !
Quand as-tu intégrer l’atelier de Philippe Cenci ? Et très concrètement comment se déroule les cours ? Ou est-ce plutôt du ‘compagnonnage’ ? Et le partage avec les autres compagnons de l’atelier ?
J’ai intégré l’atelier en 2018. Pendant les cours, Philippe vient regarder le travail de chaque élève un par un, et lui donne un retour sur son travail. Les autres élèves peuvent écouter les retours ou continuer à travailler chacun de leur côté. Philippe s’adapte à tous les styles et donne des conseils pour qu’on arrive à réaliser nos histoires le plus efficacement possible. J’ai énormément appris dès le départ dans l’atelier grâce à ses conseils. Contrairement à beaucoup d’écoles artistiques, il n’y a pas de style propre à l’atelier de Philippe. Du coup, chaque élève peut faire ce qu’il souhaite comme style de dessin. C’est génial parce que ça permet de ne pas se limiter à une seule vision et ça rend les travaux des élèves très variés. On est aussi encouragé à tester des techniques et des graphismes différents, ça permet de se renouveler sans rester sur nos acquis. Les élèves de l’atelier ont tous des parcours différents, discuter de BD avec des générations différentes m’a ouvert la porte à des artistes que je n’aurais peut-être pas découvert par moi-même. Puis j’ai aussi pu apprendre beaucoup d’astuces des autres élèves.
Il faut aussi préciser qu’il y a une bonne ambiance chaleureuse dans l’atelier, c’est toujours plus sympa de dessiner en rigolant !
Comment conçois-tu tes scénarios, en prenant l’exemple de Silure ?
Alors je n’ai pas écrit Silure, c’est le scénario de Bones, un auteur/dessinateur de BD. Pour les scénarios que j’écris moi-même, j’essaie de comprendre un maximum mes personnages afin que l’histoire suive et sonne juste. J’ai tendance à réécrire mille fois mes synopsis et de les faire lire par des proches qui ont une affinité pour les scénarios.
Pour les éditions du Tiroir, tu adaptes un roman d’Henri Vernes, – Luc D’Assault, les rescapés de l’Eldorado -, comment es-tu entré dans ce projet ? Comment travailles-tu ? Quels sont tes relations avec l’éditeur, André Taymans, par ailleurs l’auteur de la série Caroline Baldwin ?
Pour Luc Dassaut, j’avais répondu à une annonce des éditions du Tiroir qui cherchaient des dessinateurs. Je ne savais pas de quel projet il s’agissait au début, mais j’ai envoyé mon portfolio et puis ils ont pris contact avec moi. J’ai principalement travaillé avec Christian Lallemand des éditions du Tiroir. Il a été l’éditeur sur Luc Dassaut et me donnait des retours par rapport à mon travail. Quant à André Taymans, je l’ai surtout croisé aux séances de dédicaces des livres d’Henri Vernes. Pour ma méthode de travail, j’ai lu le roman et j’ai noté tous les moments marquants de chaque chapitre. J’ai choisi un moment par chapitre qui me semblait intéressant à dessiner. Il y avait des chapitres avec peu d’actions et beaucoup de dialogues, du coup j’ai fait certaines illustrations qui sont juste des simples décors pour montrer l’ambiance du récit. J’ai pu travailler en nuances de gris vu que les illustrations allaient être imprimées en noir et blanc. Au lieu d’utiliser des lavis, j’ai fait les nuances de gris avec des trames numériques. C’était plus facile à corriger si je faisais une erreur et je trouvais que l’esthétique des trames correspondait bien aux romans pulp.
Et quels sont tes projets pour la suite …
Je monte un nouveau projet de bande dessinée. Cette fois-ci, je me fais vraiment plaisir dans l’histoire et le style : il y aura des monstres, une grande ville futuriste, de l’action, du mystère et aussi des donuts.
Pour suivre Vincent : Instagram : grimm_vincent
PISICA – Ancre de chine
Interview Gérald Hanotiaux
Aujourd’hui, nous mettons à l’honneur Pisica, auteur dans notre numéro 24 d’une seule page… mais laquelle ! Toute en couleur, elle éblouit, et nous entraîne vers un rite initiatique permettant d’appartenir à la confrérie des auteurs de bande dessinée… Nous lui avons demandé plus de renseignement sur lui et son travail.
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs, de manière générale, mais aussi en tant que dessinateur ?
Pisica. Pisica veut dire « petit chat » en roumain. J’aime donc aller où je veux, être libre d’interpréter mes sujets. Mes planches font sourire (ou pleurer), mes récits sont accessibles et quand ils plaisent, je suis heureux, récompensé de caresses et de croquettes. Je fais pour le moment scénario et dessin, jusqu’à ce que je trouve un compagnon de route.
Je suis un enfant des années ’80, renvoyé du cours de dessin classique, à l’Académie, pour manque de concentration. J’ai trouvé refuge dans l’atelier du dessin publicitaire, j’y ai appris le design et la typographie. Les petites frappes qui s’y retrouvaient m’ont initié au graffiti.
À l’origine dessinateur, je penche aujourd’hui plutôt vers le scénario. Actuellement, le dessin sert donc davantage le récit, ou l’idée que je veux porter vers vous, cher Lecteur. Mes thèmes récurrents sont le malentendu, les plans douteux, l’innocence (perdue), la fidélité… Mon grand plaisir consiste à monter, avec des ‘zines et éditeurs indépendants, des petits projets graphico-créatifs, élaborés sur un coin de zinc et financé avec les miettes récoltées en dessous.
J’aime visiter des lieux historiques fermés pour travaux. Avant d’être évacué par la sécurité, je m’y sens pendant quelques moments chevalier, baron de textile ou espion soviétique.
Tu nous proposes dans le numéro 24 une très belle page, très colorée, et une étrange « confrérie souterraine », pourrais-tu présenter brièvement ce travail pour allécher les lecteurs et lectrices?
Merci ! Saviez-vous qu’il y a un bar louche dans le souterrain du CBBD ? Members only ! On dit que les âmes des grands de la BD y errent et que ceux qui s’y aventurent en sortent marqués pour la vie…
Je plaisante ! Dans Ancre de Chine, un auteur débutant, suite à un malentendu, se retrouve piégé… Ou pas ? Car ce que le jeune auteur de BD vit dans le souterrain du Centre Belge de la Bande Dessinée va le lancer sur sa voie de dessinateur. Attention, les bédéphiles : une référence à un des premiers albums de Tintin se cache dans « Ancre de Chine ». Je ne m’en suis rendu compte que par après. Le premier qui poste une référence vers cette interview-ci sur son Instagram, avec le nom de l’album en question, reçoit un petit cadeau de ma part !
Comment en es-tu arrivé à participer à ce projet de numéro où beaucoup d’histoires ont pour cadre le CBBD ?
Philippe Decloux et Marianne Pierre me l’ont proposé lors du Comic Strip Festival de Bruxelles (fête de la BD). C’était un sujet très concret et j’ai voulu le traiter de manière originale… On peut tout me proposer. Je travaille vite et je suis ouvert d’esprit. Je traite les sujets à ma sauce, « halfenhalf » loufoque-surréaliste. Ce que j’écris amuse, mais donne aussi à penser. J’aime les histoires en une page. Cela oblige à travailler « très compact », il ne peut y avoir une bulle de trop et on doit intéresser le lecteur en très peu de temps.
Finalement, la culture et les musées ont besoin de tout soutien pour se pérenniser, pas seulement des mécènes, mais aussi le soutien des artistes… C’est aussi pour cette raison que j’ai participé au projet CBBD de 64_page.
Qui citerais-tu dans ton panthéon personnel de la bande dessinée ? Quels sont les auteurs et autrices qui t’ont le plus marqué, voire t’ont donné envie de faire de la bande dessinée ?
Jean Van Hamme ! Ses scénarios sont accessibles mais jamais simplistes. C’est du bon cinéma en papier. Dernièrement, j’ai aussi fort apprécié Ghost Money de Thierry Smolderen (Dargaud). Ici également, il s’agit d’un scénario proche de la réalité, comme j’aime en créer. La Guerre Éternelle de Marvano et Joe Haldeman est la première BD qui m’ait fait verser une larme.
Malgré ceci, j’ai une affection particulière pour Raymond Macherot, j’adore ses récits. Simples mais rebondissants, et à double fond, arborant des thèmes sérieux comme les rapports de force, les travaux forcés… Le tout avec pleins d’animaux mignons !
Mais au final, ce sont les DirkJan de Mark Retera qui m’ont lancé sur ma voie actuelle : du nonsense réfléchi et très condensé.
As-tu suivi un enseignement en bande dessinée ? Comment décrirais-tu les acquis de cette formation ? Penses-tu nécessaire de suivre une formation ?
Aucun enseignement BD, à mon regret, à part les cours d’arts graphiques à dix-huit ans et les conseils et claques de mes collègues de travail au fil des années, parfois bien- et parfois malveillants. Je les remercie au passage tous et toutes pour leurs enseignements !
Avec les formations, c’est quitte ou double. Si le cours est bien, on avance nettement plus vite, on rencontre des partenaires ou des compagnons de route, on est soutenu. C’est merveilleux. Mais gare à vous : si la formation est mauvaise et si on ne la quitte pas à temps, on peut se retrouver, des années plus tard, face à des questions sur soi et sur son art. La créativité peut vraiment être tuée dans l’œuf. S’en remettre est difficile mais possible, j’en suis la preuve.
Les postes de professeur en arts devraient être dispensés exclusivement à des gens capables de coacher des créatifs. L’enseignement des arts est trop important pour le confier aux artistes. Au final, ce qui est plus important que des formations, c’est de faire ses premiers pas dans le monde des adultes au bon moment, donc pas trop tard. Aller bosser et partir explorer d’autres lieux, cultures. Cela permet d’acquérir le vécu, à la base d’un regard intéressant sur la société des hommes.
Pourrais-tu présenter ta technique artistique, comment procèdes-tu ? Pour cette planche-ci, mais aussi de manière plus générale. Explores-tu différents styles et manières de faire ?
Je note les nonsense autour de moi, en commençant par les miens… Je les rassemble dans une longue liste. Toutes les deux semaines j’y choisis un thème à développer. Parfois trois cases, parfois six, parfois une planche. Polyglotte, je les propose à des petits éditeurs à travers l’Europe.
Je dessine partout, tout le temps. Jamais dans un café branché, plutôt sur les toilettes entre deux boulots, dans ma caisse et partout où je dois attendre. Les bouts de papier, prescriptions, tickets de caisse et bons de livraison couverts de gribouilles sont ensuite scotchés ensemble, cela donne une première outline de mon récit. Je dessine ensuite un brouillon avec dialogues, dont je vérifie la cohérence avec des amis. Si ça « colle », je dessine la dernière case, ensuite la première. Ensuite je dessine le milieu d’un trait, souvent la nuit. De ce marathon sortent, à part un lumbago et une conjonctivite, des « accidents heureux », des nouvelles idées… Après les avoir intégrés, j’arrive à mon récit définitif. Je demande ensuite à mon gentil ami Olivier de relire. Je récompense ce dernier par une quiche lorraine et une bouteille de rouge qu’on consomme en faisant le procès du monde.
Quels sont tes projets ? Sur quoi travailles-tu ?
Je travaille sur Rififi à Porto Cocorico, un policier en quinze planches, une histoire d’attentat dans un petit port méditerranéen habité par des animaux. Ayant toujours plus de casseroles sur le feu que ce que je parviens à gérer, je termine également une planche sur la « singularité technologique », portant pour titre La sagesse des poissons.
Un mot de la fin?
Cela a été difficile, cette interview. J’ai vraiment dû réfléchir à ce que je crée, les fils rouges, le pourquoi de tout ça, et mes méthodes…
Merci à 64_page, et à Philippe, Marianne et toi. Merci à Benoît Fripiat de Spirou et Kim Sanders des éditions Standaard, rencontrés également en septembre, pour leurs avis sur mes premières planches, et sur les aspects commerciaux de la BD.
Pour terminer, je lance un appel à Delphine Houba, échevine de la culture à Bruxelles, et plus largement à tous les politiciens en charge de la culture, pour encourager à soutenir les jeunes et moins jeunes auteurs, et à maintenir les initiatives autour de la BD dans un contexte économique difficile. On peut faire beaucoup avec peu, mais il faut nous donner une place.
Merci Pisica !
Le travail de Pisica est visibles à cette adresse : https://www.instagram.com/studio_pisica/
Sandrine Crabeels – Bruxelles 1920
Interview Angela Verdejo
Bonjour Sandrine, commençons cet entretien par le commencement…j’ai visité ta page crabgraphic.com et ton Insta : sandrine.crabeels, il en sort un tas de belles informations, tu as ton propre studio à Liège depuis 2004 et tu te consacres surtout à l’illustration et à la publicité.
Angela Verdejo : Partant de là, ma première question est simple, pourrais-tu nous expliquer comment et pourquoi as-tu répondu à l’appel de 64_page autour des Magasins Waucquez ?
Sandrine Crabeels : Comme illustratrice, je dessine beaucoup. En 2020, année du confinement, je me suis retrouvée quelques mois sans travail, tout le monde faisait le gros dos. Alors, j’ai dessiné. Petit à petit ce sont des planches de BD qui ont émergé avec des scénarios. Un projet de roman graphique est né : « Jorinde ».Quand j’ai découvert le 64_page, un peu plus tard, j’ai envoyé quelques planches qui ont été publiées (« En animal » dans le 64_page #20). Le travail au studio était entre-temps revenu, mais cette envie de roman graphique, elle, est restée bien ancrée.Je tâche d’améliorer Jorinde, de le rendre « publiable ». J’ai quelque chose à dire avec Jorinde, je voudrais que ce soit lu !
J’ai vu dans le thème lancé par le 64_page « Magasins Waucquez » l’occasion de m’essayer à développer un récit de façon à la fois fluide et dense sur seulement 3 ou 4 planches.
Pourrais-tu, sans spoiler bien sûr, nous présenter ta Bd Bruxelles 1920qui sera publiée dans ce numéro spécial Magasins Waucquez ?
Willy accompagne sa maman qui se rend à Bruxelles, aux grands magasins de tissus Waucquez. Elle ne va pas y acheter de tissus, mais elle va y voir sa sœur qui y travaille. Le petit Willy s’ennuie un peu de la conversation des adultes, c’est un petit garçon plein d’imagination…
Et le choix des pastels à dominante bleue dans ta BD, est-ce un choix technique, esthétique ? Quelles sont les techniques pour lesquelles tu as opté et quelles en étaient les intentions derrière tout ça ?
C’est une technique que je développe pour Jorinde : aquarelles rehaussées de traits de crayons de couleurs. Ici le bleu – surtout sur la première planche – c’est l’entrée de Willy dans un univers particulier qui va le révéler à lui-même. Un bleu onirique, comme s’il plongeait dans un grand aquarium. Ce bleu c’est aussi ma perception de l’univers d’Horta, beaucoup de verre, d’ouvertures vers le ciel.
Ce qui m’a frappée dans ton scénario c’est le choix de la ville d’origine de tes protagonistes et les signes linguistiques, le petit Willy c’est aussi Willetje et je n’en dis pas plus ; qu’est-ce qui a induit ce choix et comment as-tu procédé pour construire ton scénario ?
J’ai émis plusieurs hypothèses à partir du bâtiment. Je l’avais visité de fond en comble avec d’autres invités du 64_page, sans encore savoir vraiment si j’allais en faire quelque chose. Quand je me suis décidée, j’ai d’abord pensé aux années de sa construction, plus proches du « Bonheur des Dames » de Zola, que j’ai relu. Puis j’avais envie de lier le premier destin du bâtiment avec son usage actuel, centre belge de la BD. Comme d’autres l’ont fait aussi, d’ailleurs, c’était tentant!
J’ai alors pensé à un enfant dont le destin aurait pu être lié au bâtiment. J’en ai choisi un qui me replongeait dans mes propres sensations de petite fille… Et je me suis documentée sur la ville d’origine de ce petit-là : Anvers. Il fallait une raison pour qu’il aille à Bruxelles, dans ce bâtiment à cette époque où ilavait 6 ou 7 ans… et la suite s’est construite un peu d’elle-même.
J’ai été particulièrement émue en découvrant ta BD et les petits oiseaux qui surgissent comme une pointe réaliste dans ce décor historique aux hauts, très hauts plafonds, mais aussi comme une pointe onirique qui ouvre vers une porte de l’enfance, qu’est-ce qui a inspiré cette histoire ?
Ces mésanges sont importantes, effectivement. C’est l’enfance et l’imagination de Willy. Je ne sais pas trop comment elles sont venues. J’ai pensé à un oiseau je crois, parce que moi, pour les suivre, je n’ai que mon imagination… (bon, ok il ya les drones, mais je n’y joue pas.Avec les autres caméras espions non plus. Pour m’envoler avec eux, je n’ai qu’un seul remède, les pieds sur terre et la tête dans les étoiles !). En dessinant des oiseaux, la mésange s’est imposée. Et c’est elle qui en volant de plus en plus haut a emmené le petit Willy si haut sur les toits. Moi je n’y pensais pas de prime abord !
Si les oiseaux sont les passeurs d’un temps à un autre, la conversation des deux sœurs ne l’est pas moins, et ouvre aussi vers des luttes actuelles, on sent un certain engagement de ta part, ou peut-être simplement un profond ancrage dans certaines luttes très actuelles qui pourtant trouvent leurs racines loin dans le passé, pourrais-tu nous parler de cet engagement si tu le vis comme tel ou de ce sujet tout simplement.
Oui, oui, je suis féministe, je pense qu’on ne le sera jamais assez ! Les deux sœurs étaient pour moi une occasion en or d’exprimer cela. C’est à la fois un ancrage au fond de moi, dont j’ai pu (relativement) profiter les premières années de ma vie. Adulte, c’est devenu une prise de conscience de l’importance d’avancer encore ! parce que les progrès qui sont derrière nous ne sont pas forcément acquis pour nous tou·te·s et sont très insuffisants.
Quelle femme/fille n’a jamais eu été tripotée dans le métro ou dans un ascenseur ? Combien d’hommes à côté ? Quelle femme/fille n’a jamais entendu, « bon t’es une fille, c’est moins important » ? faut l’encaisser quand-même… Quelle mère ou père n’a pas dû défendre les préjugés de genre à l’encontre de ses enfants ? (Tiens, dernièrement, un ami nous a dit que je menais mon mari à la baguette parce qu’il parlait du repassage… ???? heu… ?)
Jorinde, pour en revenir à elle, propose un personnage féminin, héroïne ordinaire, dans une aventure extraordinaire à destination des jeunes de 8-14 ans et plus, bien sûr ! Je voudrais leur offrir un personnage féminin de plus, réaliste, avec forces et faiblesses et courage, dans une aventure imagée, propre à les faire rêver et avancer.
Un grand merci, Sandrine, à bientôt !
Pour découvrir plus Sandrine : www.crabgraphic.com Instagram : sandrine.crabeels
Serna – Exolombia
Interview Marianne Pierre
Fan de gros lézards et de science-fiction, je lis des BD et dessine depuis toujours. Je me remets vraiment au dessin après mes études en sciences et m’inscris aux académies de Charleroi et de Châtelet (dessin et illustration/BD). Je m’intéresse aussi au concept art pour le jeu vidéo et le cinéma.
Marianne Pierre : Peux-tu nous « pitcher » ton histoire de marsupilamis extra-terrestres?
Serna : Tout d’abord, un grand merci de m’accueillir à nouveau dans 64_page ! Dans mon histoire, il s’agit effectivement d’un peuple extra-terrestre dont les individus ressemblent beaucoup à des marsupilamis (mais ça, on ne le découvre qu’à la fin). Ils sillonnent l’univers à bord de leurs vaisseaux, car ce sont des explorateurs dans l’âme. Un jour, ils arrivent sur la planète Terre et le hasard fait qu’ils survolent la ville de Bruxelles… Voilà pour le « pitch ». Je préfère ne pas en dire plus, les lecteurs auront l’occasion de le découvrir dans la revue !
Le CBBD, tu connais bien?
A vrai dire, je ne connaissais pas bien le Centre Belge de la Bande Dessinée, mais j’ai eu la chance de m’y rendre l’année passée au mois d’avril, lors de la visite guidée organisée par Isabelle Debekker, l’équipe du musée et Philippe Decloux. C’était vraiment une belle opportunité pour commencer à imaginer une histoire se déroulant dans ce lieu magnifique. Je suis très reconnaissant pour cette belle journée !
Quelle est ta technique graphique?
Je garde la technique utilisée pour le précédent numéro de 64_page (Noir & Blanc), sauf qu’ici l’histoire pouvait être en couleurs. Je travaille en digital pour la plupart des étapes, plus précisément à l’aide d’une tablette graphique et d’un logiciel très similaire à Photoshop (Gimp). La particularité est que je garde malgré tout le contact avec le papier pour le premier jet, celui du storyboard.
L’idée du scénario me prend en général plusieurs mois. Je pars d’une image clé qui apparaît assez spontanément dans ma tête et qui me motive pour une histoire. Je la mets sur papier et puis je laisse tout ça « mijoter » dans un coin de mon esprit.
Une fois que j’ai tous les éléments du récit bien articulés, je mets ça sous forme de storyboard sur papier. En général, je dessine cette étape au bic, pour m’obliger à aller droit au but et obtenir ainsi un premier jet de l’histoire. Je note alors quelques premières corrections, puis scanne la feuille et réarrange le « puzzle » dans le logiciel Gimp. Ce sont des actions qui pourraient être faites sur papier en photocopiant et en découpant ou à l’aide de transparents, mais c’est beaucoup plus rapide à l’ordinateur. J’aime bien aussi le format des 4 pages, car ce n’est pas trop long et ça me permet d’avoir en permanence une vue d’ensemble sur les planches et de « zoomer » et « dé-zoomer » à ma guise.
Une fois que le storyboard est suffisamment efficace, je passe au crayonné, toujours dans Gimp. Je m’arrange pour avoir mes traits finalisés sur un calque séparé, pour ensuite pouvoir tester facilement sur d’autres calques les ombres et finalement les couleurs. Souvent j’ai déjà placé quelques ombres et lumières assez tôt, juste après l’étape du storyboard. C’était le cas cette fois-ci aussi, mais globalement j’essaie d’avoir un document le plus organisé possible à l’ordinateur, même si sur la fin les dernières retouches augmentent inévitablement le nombre de calques de manière disproportionnée !
Quand j’ai terminé, j’imprime le résultat final ainsi qu’un crayonné intermédiaire, pour pouvoir les comparer avec les croquis de départ… et surtout pousser un soupir de soulagement !
Je constate que beaucoup d’auteurs font des histoires muettes. Est-ce plus facile ou est-ce que cela implique d’autres contraintes?
On pourrait croire que c’est plus facile a priori, mais cela demande d’être le plus clair possible au niveau de l’histoire. Il faut que l’étape du storyboard soit parfaitement lisible au niveau de la narration. Dans mon cas, la couleur allait permettre de faire comprendre certaines choses à la fin, mais mis à part ce genre de détails, il faut que l’histoire soit compréhensible dès le croquis initial. J’aime bien d’avoir à ce moment-là un retour de Philippe Cenci (mon professeur à l’atelier BD/illustration de Châtelet) et au passage, j’en profite aussi pour montrer l’histoire sous cette forme à mes amis auteurs/dessinateurs de l’atelier.
Dialogues ou pas dialogues, ça reste de toute façon l’étape la plus importante dans l’élaboration d’un récit (en d’autres termes on parle de mise en page, choix des cadrages, composition de chaque case, etc). Dans mon histoire, je trouve que l’absence de dialogues accentue le côté mystérieux. Le temps est comme suspendu dans certaines cases et ça collait assez bien avec ce que je voulais raconter, avec l’impression que je voulais donner au lecteur. Je pense que ce ressenti serait assez différent si des bulles de dialogues avaient été présentes. Finalement, je simplifie aussi le scénario en procédant de la sorte parce que je ne fais pas intervenir d’autres personnages et ça m’aide pour arriver à raconter une histoire dans un format court. La dernière fois, j’avais utilisé un narrateur (une « voix off »), mais ici je trouvais que ça fonctionnait mieux avec les images seules
Quels sont tes projets (scénario, dessin…)?
En ce moment, je travaille sur un jeu de société avec mon meilleur ami. Il s’occupe des règles du jeu et je mets le tout en images. Pour l’instant on a une ébauche des règles, une bonne base visuelle pour le plateau et une belle illustration en cours pour présenter le projet. Notre première idée serait de lancer un financement participatif, mais on n’y est pas encore : on va d’abord passer par une phase de test sur un prototype, avec des amis connaisseurs et je finaliserai alors les illustrations principales du jeu
A côté de ce projet, je réalise des aquarelles qui représentent des décors imaginaires souvent mystérieux et organiques, avec des touches plus ou moins importantes de fantasy et de science-fiction. Cela me permet de garder un contact avec un médium « traditionnel » (l’aquarelle et plus récemment le brou de noix), surtout quand j’ai un projet en cours à l’ordinateur. De toute façon je continue quotidiennement à dessiner sur papier. J’ai presque toujours une feuille et un bic à portée de main pour me changer les idées quand je fais une pause.
Pour ce qui est d’un éventuel scénario BD, j’avais accumulé pas mal d’idées dans des petits carnets, il y a 4 ou 5 ans. Ca fait longtemps que je n’ai pas relu toutes ces notes. Je suis maintenant en mesure de représenter cet univers fictif de manière beaucoup plus convaincante qu’à l’époque. Je ne suis pas certain de la qualité du scénario, mais je dessine déjà petit à petit ces lieux et personnages sur une feuille ou sur mon écran d’ordinateur. Peut-être qu’en les voyant, un scénariste s’y intéressera pour monter ensemble un projet d’album de bande dessinée. Je garde toujours cette porte ouverte au cas où… Par ailleurs, si le scénario de quelqu’un d’autre m’intéresse (idéalement dans un univers fantastique, de science-fiction ou de fantasy…), je serais également partant pour me lancer dans l’aventure !
Avant de terminer l’interview, il y a un sujet que je dois absolument mentionner car il concerne beaucoup d’artistes illustrateurs et même des auteurs. Ce sont les intelligences artificielles (IA) qui récemment sont devenues capables de générer des images de plus en plus impressionnantes sur la base de quelques mots clés et en utilisant internet comme une énorme base de données pour les références visuelles. Le souci c’est que ces références sont des illustrations mises en ligne par des artistes et sont utilisées la plupart du temps sans leur consentement. Il semble bien que le site Artstation et l’entreprise Adobe (Photoshop) aient facilité cet accès aux images pour les entreprises concernées. Je voulais parler brièvement de ce sujet, car il va forcément impacter les illustrateurs, ces logiciels devenant des outils beaucoup plus compétitifs pour créer rapidement des images et c’est assez inquiétant pour l’avenir. J’espère que 2023 verra l’application de textes de lois pour établir des copyrights pour protéger le travail des artistes. J’en parlerai bientôt sur ma page Instagram. Bref, je vais malgré tout cela essayer de rester positif…
Un grand merci à toute l’équipe de 64page pour le travail que vous accomplissez et félicitations pour la sélection de la revue à Angoulême ! Merci de m’avoir lu… j’ai hâte d’avoir le nouveau numéro de la revue dans les mains !
Pour en connaître plus sur SERNA www.artstation.com/serna6 - Instagram : serna_art_
Marc Descornet, Aurore écarlate
Interview Angela Verdejo
Angela Verdejo : Tu es un assidu de 64_page, un fidèle qui relève encore une fois le défi lancé par notre revue de récits graphiques, pourrais-tu, rappeler à nos lecteurs ton parcours d’artiste, comment en es-tu venu à la BD ? Pourrais-tu aussi développer le rapport que tu entretiens avec 64_page ?
Marc Descornet : Je suis né à Bruxelles en 1970, diplômé de l’Académie de Boitsfort en BD et illustration en 1989. J’ai longtemps dessiné, peint et raconté des histoires de façon confidentielle, par pur plaisir et par nécessité viscérale. La sensation d’urgence me porte. L’émergence de l’émotion m’importe. Le cap de la cinquantaine m’a donné envie de présenter mes productions à un plus large public.
La revue 64_page m’a offert l’occasion début 2020 d’y publier trois planches à l’acrylique 70x50cm qui rendent hommage à mon ancien prof de BD et d’illustration. Alors que Louis Joos donne cours à l’académie de Boitsfort, fin des années ’80, de grands noms du jazz font irruption, exprimant tour à tour par des citations authentiques leur vision sur le processus créatif. Joos partage également son ressenti. Y apparaissent dans l’ordre : Charles Mingus, Charlie « Bird » Parker, Bud Powell, John Coltrane et Thelonious Monk.
64_page m’a encore ouvert ses pages avec d’autres projets, dans d’autres styles, comme un numéro spécial Western dans lequel j’évoque en trois pages le tout premier film western « The Great Train Robbery » (1903), avec un traitement au crayon, des cases au ratio des dimensions de l’époque en gaufrier sur fond noir, un choix de mise en images évoquant le visuel des anciennes salles obscures.
Le numéro spécial Polar de 64_page a accueilli quatre planches réalisées avec mon fils Daran, 14 ans, au scénario. Père et fils, nous sommes partis d’une anecdote qui nous est réellement arrivée et nous avons développé un petit récit en y insufflant un esprit polar, que j’ai graphiquement accentué. La voix du gamin est l’écriture de mon fils ; l’autre est, en hommage, celle de mon papa, à ce moment décédé depuis peu.
D’autres projets sont en route, dont un, de longue haleine, qui me tient vraiment à cœur. C’est un personnage créé en 1988 à l’occasion d’une activité scolaire liée à la presse. J’avais alors réalisé un gag au format strip de trois cases, inspiré de mon prof de math qui aimait agrémenter ses cours de bons mots et de jeux de l’esprit. J’ai pris l’habitude de les noter et d’en tirer des strips. J’ai continué pendant des années, sporadiquement, en imaginant de nouveaux gags de mon cru. Je me suis attaché à ce personnage baptisé Abelard N. Nombrill. Un de ces gags a été publié dans 64_page. D’autres sont visibles sur les réseaux sociaux. L’asbl Le Grain a également publié une pleine page en quatrième de couverture de son périodique sous le titre « Abelard et l’abstraction relationnelle ».
Et puis, quand Philippe Decloux m’a invité il y a quelque mois, avec d’autres auteurs habitués de 64_page, à une visite du Centre belge de la BD, et qu’il nous a exposé des éléments de compréhension liés à l’émancipation féminine, ça m’a donné envie d’explorer le sujet. Le résultat est à découvrir dans le prochain 64_page, le #24 à paraître en janvier 2023.
A la lecture de ta BD Aurore écarlate on découvre des planches en noir et blanc avec des touches écarlates que tu appelles « le fil rouge », quelle est la ou les techniques que tu déploies dans ces pages et pourquoi ?
J’ai utilisé un support papier un peu granuleux, et j’ai travaillé au crayon, d’abord une construction grossière. Dans ce projet-ci, vu l’importance de l’architecture, je me suis basé sur la documentation photo que j’ai pu constituer lors de la visite du CBBD et au cours de laquelle la directrice nous a vraiment ouvert toutes les portes, jusque sur le toit. J’ai essayé de reproduire les décors dont j’avais besoin pour situer le cheminement de mes personnages le plus fidèlement possible. Ensuite, j’ai renforcé les traits au crayon plus gras et j’ai surtout beaucoup utilisé la gomme ; je crois que j’en ai consommée une bonne moitié sur ces cinq pages. J’ai scanné mes pages et nettoyé l’espace inter-iconique sur ordinateur, de même pour l’ajout des zones colorisées. Le rouge s’imposait vu l’hommage à Masquerouge et la symbolique liée à cette couleur (puissance, passion…), encore renforcée par l’absence de toute autre.
Je ne vais pas spoiler ton travail, c’est au lecteur de découvrir en suivant ce « fil rouge » ce qu’il en est, mais pourrais-tu nous parler du sujet que tu as choisis pour ton scénario, pourquoi ce choix engagé ?
Philippe Decloux m’a ouvert une voie dans laquelle je me suis aventuré avec curiosité. J’ai pu affiner ma compréhension de l’impact qu’a eue la première guerre mondiale sur le parcours d’émancipation des femmes. Je me suis documenté. Puisque la plupart des hommes étaient appelés au front, les femmes ont été mobilisées dans les usines pour soutenir l’effort de guerre. Quand les survivants sont revenus, les valides ont repris leurs fonctions et leurs épouses sont retournées s’occuper de leur foyer, mais pas toutes, et en particulier dans le secteur du textile. Il y a eu un tournant. Et puis, l’industrialisation et la recherche du rendement ont conduit à la centralisation du travail des couturières. Les patrons ont investi dans des machines et leur ont demandé de venir sur place, au lieu de rester dans les mansardes qui leur servaient la plupart du temps de lieu de travail auparavant. De fait, ces dames sont sorties de chez elles, ont intégré des équipes mixtes, ont été considérées comme des travailleuses à part entière. Puis, elles ont émis des revendications pour améliorer leurs conditions de travail, mais pas seulement pour elles-mêmes, aussi pour tous les travailleurs, donc les hommes. On peut dire que les suffragettes et les midinettes ont marqué les esprits par leur courage et ont permis davantage de progrès social que leurs homologues masculins.
Un mot encore sur les personnages : Masquerouge, dont une statue se trouve au CBBD, est une création de Patrick Cothias et André Juillard. La nature du justicier qui se cache derrière cette étoffe (encore un lien avec le textile) est hautement symbolique et renforce le propos. Je vous invite d’ailleurs à lire « Les 7 vies de l’épervier ». Et l’auteur en quête d’inspiration n’est autre que Cothias, mais n’est pas très ressemblant (désolé) car je ne disposais pas de photos le représentant dans les années ’80, époque du lancement de la série. Mes cinq pages, sorte d’anachronie onirique, sont aussi un hommage à cette BD aux thèmes porteurs.
Le titre que tu as donné à ta BD est très parlant, comment as-tu construit le scénario ? En quoi tes dessins sont-ils complémentaires de cette construction ? Et quelle est la voie que tu as prise en premier lieu, le dessin ou le texte ? Pourquoi ?
Le titre « Aurore écarlate » m’est venu assez rapidement, comme une évidence. Je voulais parler d’un éveil. Le rouge est important comme dit plus haut. Et puis l’aurore, incisive et tranchante, s’est imposée, plutôt que l’aube, nébuleuse et voilée.
Quant à la mise en page, elle m’est venue dans un éclair de lucidité. Car je voulais mêler trois éléments importants dans cette BD : les personnages (Masquerouge et l’auteur en recherche d’inspiration), le combat social et en particulier féministe, et l’atmosphère du bâtiment style Art-Nouveau. J’ai donc découpé toute cette narration de deux points de vue qui s’entremêlent et qui portent mon intention : d’abord un texte que j’ai voulu concis et complet, ensuite une action en contrepoint qui symbolise un combat (intérieur), et enfin un cheminement qui va crescendo et se termine par une chute. C’est au moment de la construction de la dernière page, et le défi technique qu’elle exige, lié au mouvement de l’action, que m’est venue l’idée des cases aux contours courbes, avec la plus-value du rappel du style Art-Nouveau. J’ai alors revu toutes les précédentes pages en poussant la logique un peu plus loin avec, notamment une double page en miroir.
Pour terminer je voudrais te poser la question qui ouvre ta BD, terminer par le commencement donc, en tant qu’artiste bédéiste, « que cherches-tu ? »
Quand j’étais enfant, j’aimais lire des BD et dessiner, deux activités assez casanières. Le contexte familial et mon tempérament m’ont encouragé à développer au fil du temps tout un univers graphique et des histoires divertissantes empreintes de gravité et de cynisme, en une recherche d’évasion, de liberté, de marginalité intègre et honnête, de perfection aussi. Cet idéal ne m’a pas quitté et c’est un de mes moteurs créatifs. 64_page est à ce titre un merveilleux stimulant qui me permet d’explorer, d’expérimenter, de proposer des approches que j’espère, modestement, agréables et inspirantes. Car, en définitive, exercer un art et titiller l’intellect devraient avoir pour but primordial de susciter, dans un esprit de partage… le plaisir, le mien et celui des lectrices et lecteurs.
Un grand merci Marc et à bientôt !
Pour suivre Marc Descornet : Facebook : marc.descornet
Corentin Michel – Pic & Pêche – Retour en 1906
Interview Marianne Pierre
Architecte aux heures de bureau et illustrateur le reste du temps, je cherche à exprimer dans la bande dessinée une créativité qui me manque dans ma première activité. La bande dessinée est devenue pour moi une cour de récré où je peux alterner le crayon, l’écoline, la tablette graphique…
Marianne Pierre : Quelle est ta technique graphique?
Corentin Michel : Je dessine mes bandes dessinées principalement sur Ipad. La partie croquis est assez similaire à du dessin sur papier, mais cela me permet de faire facilement toutes les modifications souhaitées, comme agrandir un personnage ou le déplacer dans une case, incorporer des photos ou des guides à la perspective. Cela me permet d’être plus précis et de gagner du temps. Ensuite, cela me permet surtout de dessiner directement en couleurs, en supprimant le trait qui correspondrait à l’encrage en traditionnel, comme dans ma dernière histoire. On pourrait arriver à un résultat similaire en techniques traditionnelles, mais cela serait plus laborieux pour moi.
Connais-tu bien le CBBD? L’idée t’est-elle venue tout de suite pour ce thème?
Je connais bien le CBBD, j’y avais déjà été quand je devais encore être à l’école primaire. Pour l’idée de l’histoire, je voulais y associer mes derniers personnages, Pic & Pêche, pour lesquels j’avais déjà écrit quelques scénarios. Leurs histoires ont pour thèmes la technologie, les réseaux sociaux, les jeux vidéos, … L’idée d’associer des hologrammes avec l’époque du magasin Waucquez est ensuite venue, par associations d’idées qui n’ont à priori pas de lien entre elles.
Quelles sont tes inspirations en BD?
Au niveau de mes inspirations graphiques, cela doit être un mélange de tout ce que je vois passer sur Instagram au niveau de l’illustration, du digital painting, … Ca ne correspond pas forcément aux bd que je lis, je pense que je conserve un dessin assez classique style ligne claire, sauf que dans ce cas-ci, les traits sont englobés dans la couleur.
Instagram : corentin_mitchoul
Jean-Christophe TARGA – Les Sœurs Spitanti
Interview Gérald Hanotiaux
Afin de plonger vers le contenu de notre prochain numéro, dont la plupart des histoires ont pour cadre le bâtiment du Centre belge de la Bande Dessinée (CBBD), nous partons aujourd’hui à la rencontre de Jean-Christophe Targa. Il signe quatre très belles planches en couleurs, pour une histoire intitulée Les sœurs Spitanti. Après avoir vu ces pages, nous l’encourageons vivement à continuer !
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs et lectrices ?
Jean-Christophe Traga. Je m’appelle Jean-Christophe. Je dessine un peu…
Pour allécher les lecteurs, pourrais-tu présenter l’histoire que tu nous proposes dans le numéro 24 ?
C’est l’histoire d’une petite révolte, au cœur d’un grand bâtiment aux multiples vies.
Tu as choisi de placer tes personnages dans le passé, lorsque le bâtiment de Horta était encore dans son activité première, un magasin de tissus. Pourquoi ce choix ?
Je souhaitais mettre en relation l’histoire du bâtiment et la place des femmes dans la société de ce temps là. Les grands magasins naissants étaient alors un lieu de rencontre pour les dames de la bourgeoisie mais demeuraient inaccessibles pour les petites mains ouvrières. Toutes demeuraient cependant réduites à leur condition première, bridées par les multiples injonctions de la société des hommes. C’est aussi une époque clé pour ce lieu fastueux et alors très attirant. J’utilise cette période de l’histoire, où j’ insère avec fantaisie un lien vers l’actualité du CBBD.
Pourrais-tu présenter, techniquement, ta manière de travailler pour cette histoire ?
Après quelques recherches et l’écriture, je dessine sur du papier avec une plume atome et de l’encre de chine. J’ajoute les couleurs avec l’outil informatique.
Comment en es-tu arrivé à proposer des pages dans la revue 64_page, et que penses-tu de ce type de publication, qui permet de publier des premiers travaux
Lors du dernier festival de la bande dessinée bruxellois, votre collaboratrice Marianne Pierre m’a abordé, un exemplaire de 64_page à la main, en m’invitant à y proposer des pages de bandes dessinées. C’est une belle opportunité pour montrer le travail d’auteurs en devenir, à la recherche de visibilité. Le monde actuel de la bande dessinée souffre de l’absence de tels magazines, journaux, fanzines ou illustrés, comme d’autres générations ont pu les connaître par le passé. Je profite d’ailleurs de cette interview afin de renouveler mes remerciements, pour me compter au sommaire de votre prochain numéro.
Quels auteurs ou autrices pourrais-tu citer parmi tes influences majeures, qui ont été des jalons dans ton intérêt pour la bande dessinée et qui ont accompagné tes étapes d’apprentissage ?
Je peux citer Peyo, Morris, Franquin, Uderzo, Goscinny, Hergé durant mon enfance, avec aussi beaucoup de presse jeunesse, comme le Journal de Mickey, Picsou, ou encore Spirou par la suite. Citons encore Dupuy-Berberian, Chaland, Le Gall, Stanislas, Avril, Clerc, Swarte, Sempé, Gerner, Schulz et Watterson, lors de l’adolescence. Aujourd’hui, j’apprécie également le travail de De Crecy, Evens, Blutch, Blain, Rabagliati, Seth, Roussin, Harari, Alfred, Guérrive, Ware, etc. En fait, il y en a beaucoup, et j’en oublie…
As-tu suivi un enseignement en bande dessinée, ou es-tu autodidacte ? Selon la réponse, que dirais-tu du fait de passer par une école ?
Je suis autodidacte. Concernant les écoles, je pense qu’il s’agit de lieux formidables pour apprendre des techniques picturales, développer des connaissances artistiques et surtout, point très important, se créer un réseau. Mais d’autre parcours existent, comme nous le montrent par exemple Baru, Baudouin, ou d’autres…
As-tu des projets actuellement ? Tu travailles sur de nouvelles bandes dessinées ?
Des projets ? Aucun. Sur quoi je travaille ? Rien. Pour l’instant, tout se résume à ma page Instagram, peu fournie, et aux quatre pages pour 64_page.
Merci Jean-Christophe !
Pour la page Instagram : jchristophe.t.
Lucas BOUVARD – Hypogée
Interview Gérald Hanotiaux
Nous rencontrons aujourd’hui Lucas Bouvard, qui publie dans le numéro 24 Hypogée, une histoire en trois pages se déroulant, comme la plupart des bandes dessinées de ce numéro, au Centre belge de la bande dessiné (CBBD). Les murs du bâtiment de Victor Horta l’ont orienté vers la science-fiction… Nous avons voulu en savoir plus avec lui.
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs et lectrices, de manière générale mais aussi au niveau de ta pratique de la bande dessinée ?
Lucas Bouvard. Je m’appelle Lucas Bouvard, j’ai 29 ans, je suis architecte du paysage et auteur de bande dessinée. J’ai toujours aimé lire des bandes dessinées mais je ne dessinais pas beaucoup jusqu’à mes 19 ans. C’est pendant mes études que je me suis vraiment mis au dessin et j’ai depuis appris en autodidacte, par des cours sur le net, des livres ou des cours du soirs. J’ai comme ambition de travailler autant dans l’architecture que dans la bande dessinée, ces deux passions se nourrissant l’une l’autre.
Comment es-tu arrivé vers la revue 64_page ? Et que penses-tu de ce genre d’espace de publication ?
J’ai découvert la revue 64_page grâce à mon professeur de bande dessinée, qui connaît bien Philippe Decloux. Je pense que le magazine 64_page est un très bon lieu d’expression et d’expérimentation ouverts aux auteurs débutants. En plus de pouvoir publier facilement leurs œuvres, les jeunes auteurs peuvent être confrontés aux impératifs de publication (délais de rendus, relectures, etc) ce qui peut les préparer pour de futures collaborations avec d’autres magazines ou maisons d’éditions.
Pourrais-tu présenter l’histoire que tu proposes dans notre numéro 24, pour allécher les lecteurs ?
Dans un lointain futur, une équipe d’archéologues tombe sur les ruines du musée de la BD, profondément enfouies sous terre et oubliées de tous. Alors qu’ils en explorent les salles et les couloirs, ils tentent de comprendre la signification de ce lieu et de ce qu’il renferme…
Pourquoi avoir voulu aborder ce lieu emblématique de la bande dessinée dans un cadre de science-fiction… ?
La science-fiction permet de prendre du recul. On a l’habitude de voir le centre belge de la bande dessinée comme un lieu commun. Grâce à la science-fiction, on peut redécouvrir ce lieu à travers les yeux de personnes du futur. Pour ces gens, la mémoire du musée est tombée dans l’oubli, ils peuvent alors le découvrir à neuf, comme les premières personnes redécouvrant la grotte de Lascaux. Ils vont essayer d’imaginer ce à quoi il pouvait bien servir, de la même manière que nous théorisons sur la fonction des monuments antiques. Mais surtout, ils vont pouvoir voir l’essence du lieu plus facilement. Ils vont pouvoir voir qu’au-delà des décorations Art Nouveau et des statues de Schtroumpfs, le CBBD est un lieu qui aime profondément la bande dessinée.
Tu parles plus haut de ton « professeur de bande dessinée », que pourrais-tu nous dire de l’enseignement en bande dessinée ? Dans le processus tel que tu le connais, comment cela te permet-il d’avancer dans ta pratique ?
D’après moi, qu’on soit diplômé d’une école ou autodidacte, la capacité d’apprentissage d’un auteur vient de trois qualités personnelles à cultiver : la ténacité, la curiosité et l’amour de la bande dessinée. La ténacité pour continuer malgré les échecs et les découragements, la curiosité pour toujours chercher de nouvelles voies de progression, et l’amour de la BD pour rester attentif à ce qui se fait dans le monde de la bande dessinée. Avec ça, on peut toujours progresser, qu’importe qu’on soit étudiant en cours du soir ou dans une grande école.
Quelles ont été tes lectures en bande dessinée, qui t’ont marqué et ont peut être joué un rôle dans ta prise en main des crayons à 19 ans ?
Voici une rapide chronologie des principales bandes dessinées qui m’ont donné l’envie d’en réaliser. À 10 ans : Kid Paddle, de Midam. À 15 ans : Calvin & Hobbes, de Bill Watterson. À 17 ans : Le combat ordinaire, de Manu Larcenet. À 18 ans : Tank Girl, de Jamie Helwett. Et à 19 ans : Saga, de Brian K. Vaughan.
Aujourd’hui, dans ta pratique, quelles autrices et auteurs pourrais-tu citer comme des « guides spirituels ou graphiques » ?
Pour le graphisme j’aime beaucoup les traits secs et anguleux des auteurs de comics « alternatifs » tels que Jamie Helwett, Mike Mignola et Fiona Staples. Plutôt du côté des USA donc. Pour la spiritualité, je suis sensible à cette vague tranquille de la bande dessinée, qui porte un regard nouveau sur la société, le féminisme, l’écologie, l’enseignement et la décroissance. Pour donner des noms, je citerais Pénélope Bagieu, Shaun Tan, Merwan Shaban, Riad Sattouf et Jean-Marc Rochette.
Quels sont tes projets ? Sur quoi travailles-tu ?
Mes prochains projets sont de continuer de travailler avec le magazine 64_page – je ne sais pas si tu connais, c’est super -, de prendre des projets toujours plus ambitieux et de continuer à apprendre à être auteur de bande dessinée.
Un mot de la fin?
Banane flambée
Merci Lucas !
Vous pourrez trouver les dessins de Lucas, et le contacter, via Instagram, à @bouvarddessin, ou par e-mail : bouvardessin@hotmail.com
TRÉFILIS pour L’invisible
Dans le cadre de notre rubrique défi "UNE planche UNE histoire".
Interview Marianne Pierre
Tréfilis nous avait présenté dans notre Noir&Blanc, Mon ombre est moi, une BD très bien conçue et dotée d’une atmosphère lourde et mystérieuse. Dans notre numéro #24, il s’attaque à notre rubrique « défi » UNE planche UNE histoire et nous dit sa passion pour le noir et blanc et la rigueur qu’exige cet exercice en une seule page et, qui plus est, muette !
Marianne Pierre : Une page, une histoire: en quoi cet exercice est-il difficile?
Tréfilis : Je crois que la principale difficulté c’est de savoir être succinct, on ne peut pas tout raconter en une seule page et une petite dizaine de cases. L’exercice pousse à aller à l’essentiel d’une idée, d’une histoire. La mise en scène doit être très efficace pour faire passer le plus d’information et d’émotion possible en un minimum de dessin. En cela le strip est sans doute un exercice encore plus difficile. Personnellement j’ai essayé de me concentrer sur l’ambiance dégagée par la page, notamment par la lumière, plutôt que sur l’action en elle-même, pour faire passer une émotion au lecteur.
J’ai deux lectures différentes de ta planche: une terre-à-terre (un « sauvetage » classique), une autre plus poétique, avec les deux oiseaux qui s’envolent … laquelle est la bonne?
Les deux lectures sont bonnes. Elles ne s’excluent pas l’une et l’autre. Oui la mendiante se fait sauver par un inconnu. Il y à une sorte d’espoir dans cette histoire. Mais la nature de cet inconnu aux gants blancs reste floue. Je pense que l’évocation d’une sorte d’ange de la mort est assez évidente, mais elle ne restreint pas l’interprétation, cela dépend surtout de l’optimisme du lecteur. L’envol des deux oiseaux, induit une idée de libération, qui peut avoir plusieurs interprétations également. Et puis il y a aussi un peu de moi en tant qu’auteur dans ce personnage de mendiant et l’interprétation en devient encore différente. Je crois que c’est ça la poésie, faire naître plusieurs émotions et plusieurs sens dans la plus terre-à-terre des situations.
Es-tu un adepte du noir et blanc et du muet?
Effectivement je suis un adepte du noir et blanc (c’est la raison pour la quel j’ai participé pour la première fois à la revue 64 pages dans le numéro consacré à cette technique), mais sans m’y restreindre. Dans ma BD Unisphere la couleur fait des apparitions dans des pages en nuance de gris pour souligner le surnaturel et mon webtoon L’âge du feu est en couleur. Mais je me sens bien plus à l’aise dans le noir et blanc pour exprimer les idées qui me passent par la tête, qui la plupart du temps ne respire pas la joie de vivre. Je suis toujours en recherche de style et de méthode de travail. Cette dernière planche est en hachurage, très chargée voir brouillonne avec un rendu très différent de mes autres BD plus « peintes », mais c’est aussi un style qu’on retrouve plus aisément dans mes autres dessins.
Quant au muet, l’idée de cette planche m’est venue sans texte il était donc inutile d’en ajouter. En plus la contrainte me paraît essentielle pour mieux aborder l’écriture BD et la spécificité de ce médium : raconter par succession d’images. En réalisant cette planche je me suis rendu compte que le muet me plaisait beaucoup et je compte essayer de réduire la présence de l’écrit au maximum dans mes créations futures. Pour le moment, on peut donc dire que je suis un néophyte du muet.
Pour découvrir Tréfilis : https://mangadraft.com/bd/unisphere Instagram : trefilis7
Zélie Guiot et Benjamin Jottard nous ouvrent les portes des Magasins Waucquez, futurs Centre Belge de la BD
Interview Philippe Decloux
Comme c’est devenu une belle tradition, 64_page propose à deux auteur.e.s de créer sa couverture. Zélie GUIOT a créé la Une et et Benjamin JOTTARD a conçu la quatre.
Comment ont-elle/il vécu cette collaboration ?
64_page. Comment avez-vous envisagé cette collaboration inédite ? Comment avez-vous défini le sujet de vos couvertures et vos choix graphiques ?
Benjamin Jottard : Nous ne nous sommes jamais rencontrés. J’ai pris contact avec Zélie sur les réseaux sociaux et nous avons un peu discuté. Je lui ai proposé ma vision du projet : noir et blanc pour le cadre, et couleurs pour les personnages, symbolisant le passé et le présent. Nous sommes tombés d’accord immédiatement car elle avait, à peu de choses près, la même idée que moi. Elle s’est proposée pour faire la première de couverture, ce qui m’arrangeait bien car, sans l’espace réservé au titre, cela me laissait plus de place pour aller dans les détails.
Zélie Guiot.De mon côté, quand on nous a annoncé cette collaboration, je suis directement allée feuilleter le 64_page « Polar » pour (re)découvrir le travail de Benjamin. J’ai adoré son style et son ambiance, qui faisait d’ailleurs écho à la mienne. On a principalement communiqué via Instagram et nos petites idées sont vite apparues et se rejoignaient. On a directement accroché à l’idée de ce bâtiment mythique en noir et blanc, symbole d’une architecture ancienne mais artistique, en y intégrant des personnages de la bande dessinée, ici en couleur. L’idée était vraiment de montrer que le lieu se transformait et mettait autant à l’honneur l’architecture d’Horta que le 9eart.
Qu’est-ce que cette collaboration vous a apporté ? Est-ce que vous pourriez, ou non, envisager une collaboration plus longue sur un projet de BD commun, par exemple ?
Benjamin : Nous avons pu travailler sans nous mettre des bâtons dans les roues. Dans une collaboration un peu plus étroite, l’autre peut à tout moment venir mettre son grain de sel. Ici, hormis le fil conducteur, nous étions libres de nos choix, ce qui était plutôt agréable. Nous n’avions pas besoin de l’approbation de l’autre pour proposer notre dessin à 64_page.Pour ce qui est d’une collaboration sur un projet BD, ce n’est pas prévu. En tout cas, nous ne l’avons jamais envisagé.
Zélie : C’était la première fois que je collaborais sur un projet professionnel en binôme. Voire même de collaborer avec quelqu’un tout cours. Finalement, on a principalement laissé l’autre travailler de son côté. Peut-être qu’on aurait pu discuter un peu plus, mais je suis la première à oublier d’envoyer des messages ou à y répondre ! La communication ce n’est pas encore mon fort.Mais c’est justement une collaboration comme celle-ci qui nous pousse un peu dans nos retranchements et nous force à aller vers l’autre. Je serais partante pour une nouvelle expérience !
La suite de l'interview dans le 64_page #24 à paraitre le 26 janvier 2023
Découvrir Zélie GUIOT : Instagram Zoou_Ze
Découvrir Benjamin JOTTARD : benjaminjottard
Dans le cadre de notre rubrique Une planche UNE histoire
Saysavath Sayamountry – Femme tirant une flèche
Interview Philippe Decloux
Sayamountry« Femme tirant une flèche, un exercice de style, raconter une histoire sur une seule planche puisque je devais ajouter une chute à la dernière case, aussi ce n’était pas nécessaire d’ajouter du texte, car dans genre de format, je voulais aller à l’essentiel. »
C’est ce que tu nous dis de ta planche, qui est en effet un exercice réussi, précis et efficace comme un archer.
64_page : Peux-tu te présenter plus longuement qu’en 250 signes ? Qui es-tu ? Comment es-tu venu à la BD ? Quelles sont tes formations ou écoles ? Et tes ‘maîtres’ dans le milieu du 9ème art, quels dessinateurs t’inspirent, ou de l’art en général ?
Saysavath Sayamountry : j’ai quitté mon pays, le Laos , à la suite du conflit qui sévissait à l’époque dans le sud est asiatique, la politique à cette période, nous a permis de venir en France avec ma famille au début des années 80, j’ai grandi sous le double septennat de François Mitterrand , je me suis donc forgé la base de ma culture artistique à ce moment là, je pense que ceux qui ont vécu dans l’ancien bloc soviétique auront une perception différente du monde artistique surtout si leurs gouvernements filtrent l’accès à la culture.
Je n’ai pas un grand souvenir de mon parcours estudiantin car je me considère comme un autodidacte, je remercie toutefois mes profs de m’avoir fait découvrir des techniques que je ne connaissais pas, comme celui de tendre une feuille avec des rubans kraft sur les bords après les avoir préalablement bien humidifier , on peut alors appliqué une technique de peinture à l’eau, après séchage le papier se retend comme une peau de tambour. Mes influences sur le média “Bd” , je ne vais pas chercher bien loin, car ce sont les grands noms reconnus : Franquin, Moebius…
La construction de ta planche est d’une précision et d’une efficacité redoutable. Peux-tu nous expliquer ton processus de création ? Comment l’idée t’est venue, comment l’as-tu construite ? Il y a aussi des trouvailles graphiques – comme ta neuvième case qui montre la course de la flèche – par exemple. Mais il y en d’autres, le style qui nous projette à la fois dans un passé mythologique et dans un avenir d’incertitude ? Ta façon de créer nous intéresse ! Raconte !
“Femme tirant une flèche” nous renvois à un monde ancien, la mythologie en fait parti. Dns une histoire sur une seule planche , il s’agit pour moi de simplifier au maximum avec des éléments simples qui doivent parler à tous : le soleil , un désert, une femme , un arc et des flèches, pas plus. Intervient alors un travail cérébral, que faire avec tout cela ? d’autres peuvent concevoir l’histoire différemment, mais de par ma propre sensibilité : voilà le résultat dans la planche.
oui, il y a des trouvailles, je dirais plus des inspirations, j’ai utilisé des codes graphique, pour qu’a la fois ,le lecteur ai une bonne compréhension et une vision esthétique dans la composition d’une planche :cadrages , découpage, équilibrage ; une zone dense en haut d’une planche doit être équilibré en bas comme par exemple la trajectoire d’une flèche entouré d’un rectangle noir ( case 9).
Comment vois-tu ton avenir ? As-tu des projets dans la BD ? Dans d’autres domaines de création ?
je vais reprendre un proverbe latin : “Audaces fortuna juvat” , la fortune sourit aux audacieux.
Pour en savoir plus sur Saysavath Sayamountry : Instagram : say_saya_1
Élodie ADELLE – Jeanne
Interview Philippe Decloux
Élodie est une artiste éclectique, toujours partante pour créer et se renouveler dans 64_page et aussi ailleurs. Spécialiste cette technique, elle a réalisé la quatre de couverture de notre revue #23 Noir&Blanc et dans un autre domaine, la littérature jeunesse, elle a publié Le bonnet vert pour les tous jeunes lecteurs.
64_page : Tu nous présentes une histoire très simple, très poétique même nostalgique, mais qui touche très juste. En tout cas, moi, chaque fois que je vais au Centre Belge de la Bande Dessinée, je ressens, moi aussi, la présence diaphane des vendeuses des Magasins Waucquez. Explique-nous la genèse de cette idée ?
Élodie Adelle : Pour ma part, j’ai appris il y a seulement quelques mois que le musée de la BD était un grand magasin de tissus. J’ai immédiatement commencé à imaginer ce qu’il pouvait s’y passer. Je suis très nostalgique et je pense que cela se voit assez souvent dans mes séquences ou illustrations. J’aime bien l’idée de partir d’un souvenir, et le ramener à la vie grâce au dessin.
Comment travailles-tu tes scénarios ? Qu’est-ce qui te vient en premier, un désir de dessin, d’inventer un univers ou la construction d’un récit ? Ou les deux en même temps ?
J’imagine l’histoire comme un film. Au fil du temps, les personnages commencent à prendre place dans le récit. Mais pour cette séquence, tout a débuté avec le grand lampadaire qu’il y a dans le hall en bas. Il m’a beaucoup inspiré. J’avais envie de le mettre en valeur.
Raconte-nous l’aventure du Bonnet vert comment l’as-tu conçu ? Comment se sont passées tes relations avec ton éditeur ? As-tu un autre projet pour les petits en préparation ?
Cette histoire est née pendant le confinement. Auparavant, cela faisait déjà quelque temps que je voulais faire une histoire avec de la neige. J’ai pris contact avec la maison d’Editions Atramenta et les échanges se sont fait par mail. J’ai eu quelqu’un qui a su m’aider surtout dans la réalisation technique à créer un livre. C’est mon premier album et je suis contente d’avoir pu réaliser ce projet jusqu’au bout. Oui, j’ai un autre projet en cours. Je l’ai commencé il y a plusieurs années. Toujours pour les enfants, mais cette fois-ci, il s’agit d’un conte.
Tu dessines beaucoup d’autoportraits. Est-ce que tu aurais un projet de récit où tu intégrerais cette qualité particulière ?
Dessiner les portraits est ma première passion. J’aimerai bien un jour intégrer des portraits dans un projet, mais pour l’instant, je n’ai pas d’idée précise.
Pour suivre Élodie Adrelle : Instagram : elodieadelle
Raoul LEONESI – Volle petrol
Interview Gérald Hanotiaux
Aujourd’hui, nous rencontrons Raoul Leonesi, auteur dans notre numéro 24 de Volle Petrol, une histoire de six pages réalisées dans un noir et blanc tramé totalement maîtrisé. On y découvre que la bande dessinée a plus que durablement marqué les pierres du bâtiment de Victor Horta, qui abrite depuis 1989 le Centre belge de la bande dessinée (CBBD) et constitue le décor de la plupart des bandes de ce numéro.
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter brièvement pour nos lecteurs et lectrices, comme personne mais aussi comme dessinateur et auteur de bande dessinée… ?
Raoul Leonesi. Je m’appelle Raoul Leonesi, j’ai 29 ans et j’ai fini il y a bientôt deux ans mes études à l’école nationale supérieure des beaux arts de Paris, où je me suis formé aux côtés des artistes Eric Poitevin et Joann Sfar. Aujourd’hui, je vis entre Paris et Bruxelles. Se présenter comme auteur ou dessinateur, n’est pas franchement une mince affaire… Il y a quelques années, alors que Taiyô Matsumoto (l’auteur génial de Amer Béton, Ping Pong, Number 5…) était l’invité du festival d’Angoulême, celui-ci proposait lors d’une conférence une définition du métier d’auteur de bande-dessinée, que je trouve aujourd’hui encore très pertinente et à laquelle je n’ai pas manqué de m’identifier. Ainsi, il suggérait que l’auteur de bande-dessinée n’est jamais tout à fait qu’un dessinateur, ni tout à fait un écrivain, mais qu’il est véritablement le mélange singulier de ces deux professions. Si cette définition peut sembler évidente de prime abord, je la trouve très juste en cela qu’elle précise d’emblée le caractère « multiple » de ce métier, ainsi que l’alchimie complexe que requiert l’écriture d’un récit en séquence. De fait, je fais assez peu la distinction entre mon travail de dessin et mon travail d’écriture et de réflexion. Ces différentes pratiques s’inscrivent quotidiennement, et avec un même niveau d’intensité, dans ce que je considère être le métier d’auteur.
Tu nous as envoyé six très belles pages de science-fiction, une ode à la bande dessinée… Pourrais-tu la présenter pour allécher le lecteur?
J’ai très rapidement décidé d’opter pour un récit silencieux qui se prête assez bien, je crois, à l’exercice du format court. Il s’agissait aussi d’un type de récit auquel j’avais envie de me confronter depuis un moment, et des revues comme 64_page sont des lieux précieux – mais trop rare hélas – pour expérimenter. Dès lors, il convenait de réfléchir à comment proposer aux lecteurs et aux lectrices un récit qui allait mettre l’accent sur une forme de contemplation silencieuse. C’est comme ça que s’est présentée l’idée de donner à voir le voyage d’un personnage traversant un Bruxelles en ruine. Avec comme point de chute, bien sûr, le centre de la bande-dessinée, et au cœur de celui-ci – quelle surprise – une bande-dessinée et des lecteurs, toujours là ! Si l’idée a été naturellement nourrie par la thématique de ce numéro de 64_page, je dois dire que j’étais ravi de pouvoir écrire un récit qui intègre un espace comme le centre de la bande-dessinée. Car en bon romantique de la BD et de son histoire, souvent discrète, des lieux comme celui-ci agissent à mes yeux comme autant de temples où se cristallise joyeusement notre passion pour cet art. Je remarque par ailleurs que nous sommes plusieurs à avoir proposé des projets qui gravitent tous autour de la même idée, celle de l’exploration d’un centre de la bande-dessinée qui aurait survécu aux catastrophes et aux affres du temps. J’espère ne rien prophétiser, mais si un jour nos sociétés s’effondrent, combien seront nous à affluer sous les colonnades des anciens magasins Waucquez… ?
Pourrais-tu expliquer comment tu as procédé techniquement pour la réaliser ?
Après quelques griffonnages dans des carnets, histoire de trouver la dégaine des personnages et le tempo du découpage, la première étape, bien sûr, c’est le crayonné. Pour celui-ci, j’utilise systématiquement un Blackwing Matte pour le dessin, un crayon incroyable que je ne peux que recommander… Dans mon cas c’est une étape critique parce que j’ai la fâcheuse tendance à faire des crayonnés trop riches graphiquement, ce qui a pour effet de me faire perdre du temps et, surtout, d’étouffer l’étape de l’encrage, au risque d’en faire un genre de repassage qui tuerait tout le dynamisme et la vitalité du trait.
Ensuite, donc, on passe à l’encrage, que je réalise à l’encre de chine, une bien épaisse – on dirait un genre de pétrole liquide ! – à l’aide de plumes, une plume G pour le gros œuvre, Atome pour les détails, et une vieille plume anglaise qui n’a pas de nom et qui est bien raide pour le tracé à la règle des cases… C’est l’étape qui révèle le dessin et, à mon sens, est la plus excitante. D’ailleurs je ne me lasse jamais du bruit de la plume sur le papier. En l’occurrence, pour celui-ci j’essaie d’éviter les papiers trop fins et trop blancs ou trop traités. Il s’agit ici d’un multi-techniques 200g tout ce qu’il y a de plus basique. À titre personnel j’essaie, autant que faire se peut, de tout exécuter à la main en matière de dessin. Ce n’est pas tant un choix dogmatique, mais plus le résultat de l’ambition que j’avais, enfant, de devenir moi-même un auteur et de pouvoir faire l’expérience pratique des dessins et des univers qui me fascinaient tant à l’époque.
Enfin, la dernière étape est celle de la trame « mécanique ». Ça n’aurait tenu qu’à moi, j’aurai adoré faire cette étape à la main aussi, mais c’est devenu un procédé franchement laborieux, et trouver du papier à trame de qualité coûte affreusement cher. Cela aurait relevé plus d’un fétichisme désuet que d’un bon sens professionnel. Les planches ont donc été scannées et nettoyées. Une fois faite la balance des blancs et des noirs, j’ai appliqué les trames en calques photoshop. C’est quand même drastiquement plus simple comme ça. Puisqu’on parle trame, c’était pour ainsi dire une première pour moi. J’ai donc copieusement épluché certaines planches qui ont recours à ce procédé. En particulier Les yeux du chat de Mœbius et Jodorowsky.
Pour ce qui est des références, je sortais de la lecture du catalogue de l’exposition d’Angoulême de Shigeru Mizuki. Son travail m’a beaucoup inspiré. Le groupe de personnages de la dernière case de l’histoire est d’ailleurs une référence directe à la couverture du catalogue. La capacité qu’a l’auteur a donner à voir des personnages graphiquement « pauvres », mais soumis à des décors complexes et riches en détails, est aussi un élément qui a inspiré l’élaboration de ma bande-dessinée. Enfin, si je n’ai pas pour habitude de trop nourrir mon dessin de références photographiques, de peur ici aussi de ramollir l’énergie du dessin, je suis quand même allé chercher un peu de matériel pour que l’on reconnaisse le Centre de la bande-dessinée… Mais je ne sais pas vraiment jusqu’où c’est réussi, la porte d’entrée ne me convainc pas tout à fait !
Personnellement je me suis senti comme aspiré dans une ambiance très « Métal Hurlant »… Connais-tu ce journal, qui vient de renaître?
Tout à fait ! Métal Hurlant, entre autres, est l’un des marqueurs principaux qui ont accompagnés ma découverte de la bande-dessinée. Quand j’étais enfant, en vacances, tous les prétextes étaient bons pour éviter la baignade ou les sorties, afin de plutôt plonger – un peu trop jeune parfois ! – dans la collection « interdite », mais très mal gardée, de mon oncle. Métal Hurlant, À suivre, Fritz the cat, Les Métas-barons, Den, et tant d’autres revues, bande-dessinées, auteurs… J’étais complètement fou de ces univers incroyables, et je le suis d’ailleurs toujours, même si le vernis s’est un peu écaillé ici et là…
Pendant mes études d’art je pense qu’un enjeu majeur a été de réussir à me défaire de ces références, afin d’éviter une forme de fétichisation tout en parvenant à garder l’essence de ces œuvres qui m’ont donné l’envie du métier. Pour cela il a fallu apprendre à regarder ailleurs, notamment du côté de la bande-dessinée japonaise. L’étiquette de manga, bien pratique pour ranger des bouquins dans les librairies, crée une distance complètement virtuelle entre la bande-dessinée franco-belge – disons plutôt aujourd’hui européenne – et japonaise, car une fois les contraintes éditoriales mises à part, il y a énormément à importer et à apprendre de l’intelligence graphique de certains auteurs et autrices japonais !
Cela étant dit, je suis ravi de savoir que Métal renaît de ses cendres. La formule est un peu curieuse de prime abord (NDLR. En alternance un numéro avec des travaux inédits et contemporains et un numéro avec du matériel du Metal Hurlant des années 1970-80, cinq numéros parus), mais c’est un plaisir de découvrir de nouveaux talents, et le coup d’après de pouvoir se replonger dans le travail de la vieille garde ! C’est d’ailleurs grâce à eux que j’ai découvert récemment Nicollet, dont je ne connaissais pas du tout le boulot. Les revues sont des espaces nécessaires, en ce sens qu’elles nous offrent des lieux pour se rencontrer, écrire, expérimenter et jouer avec nos pratiques… Autant d’éléments difficiles, à une époque où le métier est précaire et nous impose parfois d’autres impératifs.
Bon et puis attend… On n’y est pas encore mais… Ce qui hier était tout bonnement impossible, devient aujourd’hui une perspective dans l’univers, un mirage auquel il faut tâcher de donner corps, un véritable objectif de shōnen bordel : avoir peut être un jour la chance d’être publié dans Métal !
On le comprend un peu avec les références à Metal Hurlant, mais plus généralement qui citerais tu parmi les auteurs influents pour toi, celles et ceux qui t’ont marqués ? Que ce soit, d’ailleurs, en bande dessinée ou dans une autre discipline…
Des auteurs comme Tanino Liberatore, Das Pastoras, ou encore Richard Corben, me fascinent par le rapport qu’ils peuvent entretenir avec la couleur. Chez des géants comme l’ont été Hugo Pratt, Jean Giraud, ou encore Osamu Tezuka, il y a – outre l’intelligence de leur dessin, leur vocabulaire, et leurs nombreuses et singulières qualités d’auteurs – une élégance du trait qui ne cesse de m’inspirer. C’est d’ailleurs une particularité graphique que je retrouve chez des auteurs de la nouvelle ligne claire comme Ted Benoit, Yves Chaland ou, dans un registre un peu différent, Jacques de Loustal. Cela étant dit, j’ai une appétence particulière en ce moment pour le travail de Katsuhiro Otomo. Dômu et Akira sont deux œuvres absolument incroyables et qui m’ont marqué très fortement. Otomo est probablement l’auteur qui m’inspire le plus aujourd’hui. Il est à mon sens l’un des seuls à avoir su conjuguer avec brio toutes les qualités graphiques et narratives que l’on peut attendre d’un grand auteur, en y ajoutant une dimension sociale et politique qui, tout en restant subtile et jamais moralisatrice, structure fortement son travail. Le caractère politique de la science-fiction est d’ailleurs quelque chose qui me passionne, et des auteurs qui en explorent les potentialités comme Philip K. Dick, Frank Herbert, Alain Damasio, ou plus récemment Michael Roch, sont ici aussi des sources d’inspiration. Pour finir, et sur une note un peu différente, il y a quelque chose dans le cinéma de Bertrand Blier qui me fascine. Je ne sais pas tout à fait ce dont il s’agit, le ton peut être, l’humour noir, l’écriture des personnages, les dialogues… Il y a dans son cinéma une espèce d’anticonformisme feutré que j’adore.
Tu parles de 64_page comme d’un espace trop rare pour expérimenter, tu pourrais en dire plus ? Pratiques-tu des styles différents, et quels « critères » t’orientent vers tel ou tel style?
Si le style est toujours sujet à évolution, j’ai à cet égard un dessin qui me satisfait et avec lequel je suis assez constant. De fait ce n’est, aujourd’hui, pas tant le style qui chez moi est sujet à expérimentation, mais plutôt la question des outils et des procédés que l’on intègre ou pas dans son vocabulaire graphique. Je griffonne beaucoup dans des carnets, histoire d’explorer de nouvelles idées, formes, ou effets. Selon les résultats, il y a des choses que je confirme et d’autres qui disparaissent. Mais la question de l’espace d’expérimentation se pose dès lors que l’on souhaite justement confirmer des recherches, ou bien explorer concrètement de nouvelles idées. Un projet de livre c’est déjà énormément de travail, et les enjeux pour de jeunes auteurs et autrices sont énormes. Cela fait du livre, en particulier le premier, un objet avec lequel il n’est pas toujours facile d’expérimenter. C’est là, à mon sens, que les revues entrent en jeu. En proposant aux auteurs et aux autrices des espaces pour des récits courts et avec moins d’enjeux personnels et de contraintes, les revues nous permettent d’aborder nos pratiques avec plus de libertés. J’aurais même tendance à croire qu’il devrait s’agir, comme ça a pu être le cas par le passé, d’une étape professionnelle en soi.
Être publié une première fois, discuter comme nous sommes en train de le faire, voir le travail des autres, etc, sont autant d’éléments qui permettent de mettre le pied à l’étrier, de gagner en confiance, et de nous sortir de l’idée du livre comme seule finalité. Par extension, il y a peut être aussi dans la revue une façon de remettre en perspective la relation – pour ne pas dire le rapport de force, parfois inégal – entre auteur et maison d’édition. En nous donnant les moyens de dessiner ailleurs et autrement que dans un espace conventionnel et commercial, le principe de revue rend aux auteurs de bande-dessinée la possibilité d’être dans une forme de jeu pur, tout en offrant l’opportunité d’inscrire son travail dans un principe collectif, un principe dont la bande-dessinée, qui est une pratique tout de même très solitaire, peut cruellement manquer. Peut être y a t-il d’autres espaces qui verront le jour, peut être y en a t-il déjà que je ne connais pas… Mais pour le moment les outils numériques et les réseaux sociaux, que l’on nous imposent souvent comme étant des éléments désormais constitutifs de nos pratiques, ne sont à mon sens pas de véritables alternatives au principe de revue.
Que dirais-tu du monde de la bande dessinée aujourd’hui, souvent présenté comme « saturé » de sorties ? Comment y faire sa place ?
Que dire… ? Si la saturation est flagrante, je crois qu’elle est le résultat d’un abandon total de discussion autour du statut du métier d’auteur de bande-dessinée. En l’occurrence, les rares à monter au front font des constats assez alarmants. Si on prend l’exemple du travail qui a été mené lors des états généraux de la bande-dessinée (francophone) en 2016, le résultat était sans appel en terme de précarisation du métier, de médiocrité de revenus, de difficulté à faire carrière, de faiblesse en terme de protection sociale… Maintenant, je dirais qu’il y a aussi une absence de discussion sur l’objet bande-dessinée en lui même. Si l’on peut se réjouir de la reconnaissance du statut de 9ème art attribué à la bande-dessinée, force est de constater que le milieu souffre d’une absence presque totale d’environnement critique. Dès lors, j’ai le sentiment qu’on ne fait jamais que constater les phénomènes dont est sujette la bande-dessinée, au lieu de les penser et de les combattre. C’est quelque chose qui évolue, lentement, mais qui évolue tout de même… Et c’est peut être dans l’invention d’un espace critique sain que l’on trouvera comment engager et résoudre les problématiques du métier. En ce qui me concerne, il faut juste baisser les yeux, bosser un max, sortir un premier livre et après… ma foi, on verra bien. J’imagine que la meilleure façon de se faire une place c’est en étant endurant, et en tâchant de bien s’entourer. Qu’il s’agisse d’amis qui partagent nos pratiques et nos galères, et dont le regard est précieux pour nourrir son travail, mais aussi de professionnels. J’ai eu la chance dans mon parcours de rencontrer des auteurs confirmés, et ce sont eux qui m’ont aussi énormément fait progresser. Tant au niveau du dessin, de l’écriture, mais aussi pour m’aider à comprendre le microcosme de la bande- dessinée et les attentes éditoriales.
Quels sont tes projets ? Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
En ce moment, je travaille d’arrache-pied sur un projet de bande-dessinée. J’ai écrit l’histoire et je suis actuellement en train de réaliser le story-board. Le dossier sera prêt courant janvier, après ça partira dans les boites mails des éditeurs ! Histoire de donner le ton : on suit, dans un futur proche et le temps d’une journée, le dernier ministre de France, dont la particularité est de ne jamais rien dire. Alors qu’il se retrouve à jouer le baby-sitter d’une petite fille, et que la capitale disparaît sous une tempête de neige sans précédent, la population renverse le gouvernement en place et promulgue une nouvelle Commune de Paris. Il s’agit d’un genre de road-trip urbain aux accents grand guignolesques, si je puis dire…
Un mot de la fin?
Merci pour cet entretien, il s’agissait d’un exercice nouveau pour moi, et je suis ravi d’avoir eu l’occasion de discuter autour de mon travail et de la bande-dessinée en général.
Merci Raoul !
Pour découvrir certains travaux de Raoul sur Instagram : @Raoul_Leonesi
François JADRAQUE – Une mise en abîme et ça rép’Art!
Interview Philippe Decloux
On ne va pas faire comme si… Il y a des mois que nous échangeons régulièrement des mails, sur la BD, le monde, la vie… On ne va pas faire, François Jadraque, comme si tu n’étais que 3 pages de BD et 250 signes de présentation.
64_page : Tu as proposé trois BD dans les trois derniers 64_pages. Trois BD courtes*, 10 planches en tout, qui fleurent bon le Paris des années 1960. Tes personnages ont des gueules de Robert Dalban ou de Francis Blanche, de toutes ces tronches immortalisées par le cinéma de Michel Audiard. Une de tes sources d’inspiration ?
Comme le sont aussi, j’imagine, les BD de Tardi, de Tillieux, de Goossens ?
François Jadraque : Hé oui ! Cette époque et les noms de ces personnages que tu évoques ne sont pas celle et ceux de ma génération mais pas loin non plus. Ce qui me fascine en eux c’est qu’ils étaient pour moi des personnages hauts-en-couleur presque toujours dans des fictions en noir et blanc. Et c’est ce contraste fort qui m’a toujours inspiré. En tout cas ce qui est certain pour moi, c’est que ces tronches ont baigné ma jeunesse sur les grands et petits écrans de mes nuits grises. Ces tronches à la gouaille bien salée, aux ambiances d’un autre temps et dans une truculence politiquement incorrecte très savoureuse. Un peu comme un bon plat qui se déguste. D’ailleurs, ces protagonistes là dégustaient aussi d’une certaine façon. Quand les pruneaux volaient bas, c’était ma madeleine que je m’envoyais avec délectation. Bref, une autre époque où les gens pouvaient s’allumer, se provoquer et se rentrer dedans, mais toujours avec la bonhommie placide du type qui vitriole…
Tardi, Tillieux et Goossens sont tout droit issus de la même lignée et d’une certaine façon les derniers mammouths d’une époque en voie de disparition.
Tes scénarios sont gouailleux, tes héros agités, voire speedés, énervés et énervants, et comme écrasés par le poids du monde, de leur vie, de leur quotidien absurde, invivable. Quelle est la proportion de François Jadraque dans tes personnages ? J’ai l’impression qu’ils sont comme une boule à facettes qui éparpille tes douceurs, tes peurs, tes désirs, tes colères, tes espoirs, ton énergie et tes amertumes ?
C’est une bonne question à laquelle il n’est pas facile de répondre. C’est un peu comme être en face d’une immense commode avec plein de tiroirs et qu’on te demande de tirer la poignée de celui qui contient la clé de toi-même alors qu’en vérité chaque tiroir en a une petite de toi. Pas pratique cette commode. Dali aurait certainement aimé représenter cette idée à la pointe de son pinceau ou de sa moustache malicieuse. Mais bien sûr qu’il y a un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout et à la folie… Une bonne proportion de moi-même dans chacun des personnages de mes histoires même si ma part d’imagination se nourrit de beaucoup d’observation sur les différentes espèces de bipèdes qui m’environnent. Il s’agit aussi d’un regard à la fois porté et emporté comme celui d’un yo-yo fou qui va et vient dans une bascule trépidante au gré des circonstances. Le principal truc consistant à trouver les bonnes circonstances.
Ton trait est rapide, comme toujours pressé, et énergique et en parfaite osmose avec tes sujets, comme d’ailleurs ton utilisation des noirs et des blancs, des pleins et des déliés … Comment as-tu acquis cette maîtrise ?
Je suis très touché par tes compliments, Philippe. En fait, ce qui donne cette ligne énergique à mon trait, je crois que c’est parce que j’encre au pinceau. En effet, la technique de l’encrage du pinceau demande une sorte de « lâché-relâché » rythmé qui donne cette souplesse nerveuse au tracé car elle induit une certaine rapidité d’exécution. J’ai toujours été impressionné aussi par les prouesses et la maîtrise du pinceau que réussissaient notamment les Giraud, Mézières, Pratt, Franquin ou Uderzo… Je me suis entraîné aussi pas mal pour essayer de leur ressembler, en rêve…
Tu es aussi un inconditionnel de Brel – vos univers s’imbriquent, toutes ces petites gens ordinaires à la recherche d’un idéal, de « l’inaccessible étoile » qu’ils savent inaccessible mais ils ne baissent pas les bras, fort de leurs rêves et de l’amour, même impossible, ils aventurent leurs vies. Parle-nous de ton travail de peinture, de tes singes ?
Brel, ses textes, ses chansons, ses mélodies, m’ont toujours accompagné dans ma vie et dans tous les différents moments de celle-ci. Les bons et les moins bons. Brel, c’est mon compagnon de fortune. Écouter la puissance et la force évocatrice de sa voix, c’est comme la lumière qui jaillit. C’est comme la palette de la vie colorée de toutes ses nuances de noir et blanc et qui rencontrerait ses accords de guitare et sa voix. La question de la joie ou de la peine n’existe plus. On sait que l’on n’est pas seul mais multiples face à l’incompréhension de l’existence. J’en rajoute un peu, mais pas tant que ça. Quant aux gorilles j’ai une tendre et lointaine affection pour eux. Un mélange encore de restes de l’enfance entre Tarzan, la Planète des singes et du Gorille a bonne mine … Ce fort contraste, encore, que dégage un gorille entre sa masse imposante et sa grande fragilité m’inspire. Quand je regarde la profondeur triste de son regard, j’ai envie d’essayer de capter, de traduire ou d’imaginer ce qu’il n’arrive pas à nous dire mais qu’il essaye de nous faire comprendre. C’est cet intervalle d’espoir que j’aimerais réussir à traduire et à inventer aussi par la peinture, par le dessin, par l’imaginaire…
Pouvons-nous espérer un premier album ? Quand est-ce que ton univers cruel et drôle, désespérant et décapant déchirera les bacs ensommeillés des libraires BD ?
Alors là, je suis incapable de te le dire. Je ne voudrais pas chanter comme la bonne du curé que « j’voudrai bien, mais que j’peux point… » car ce n’est pas le cas non plus. Mais la seule chose dont je suis certain, c’est que même si ça dépend de moi d’un certain point de vue, ça ne dépend pas de moi non plus d’un certain autre point de vue. Tout ceci pour avancer un peu plus sur le sujet et répondre le plus précisément possible à ta question qui me fait grandement plaisir et me flatte dans ta façon de la poser.
François Jadraque : Instagram jadraque9
Quentin HEROGUER – Bruxelles 2189
Interview Philippe Decloux
Tu es un auteur prolifique et tous terrains, tu nous as déjà proposé des BD, des cartoons, des gags en une planche, … On peut suivre, sur ton Instagram, tes histoires en 6 cases et tes aquarelles de lieux publics. Tu as d’ailleurs illustrés plusieurs beaux livres. Cette fois tu nous propose une histoire en deux pages, une dystrophie.
64_page : Bruxelles 2189, est quasi une synthèse de toutes tes facettes graphiques, tu mets en scène un jeune garçon dans un avenir lointain qui se déroule dans un bâtiment classé les Magasins Waucquez conçus par Victor Horta, une fois de plus à l’abandon après que le Centre Belge de la BD l’ait quitté. Mais qu’est devenue la BD en 2189 ? Question importante pour un créateur de BD passionné de patrimoine, comment t’est venue cette belle idée ?
Quentin Heroguer : J’avais envie de faire le bâtiment à l’état d’abandon. On a très peu de documents photo sur la période où il a été abandonné entre les Magasins Waucquez et le musée de la BD, donc je me suis bien amusé à l’imagier ainsi. Et je me suis dit que le futur est un point de vue intéressant. Donc c’est le mélange de ces deux idées. Au début, je voulais juste faire déambuler mon personnage, sans but, dans ce bâtiment vide et en ruine. Puis j’ai eu l’idée de la chute, et c’est devenu une évidence !
A mon avis, la BD existera toujours dans 267 ans, peut-être dans des formes différentes.
Mais je mets justement cette question en avant dans mon récit : est-ce que le 9eme art résistera dans le temps vu l’état de la planète en ce moment ?
Et par ailleurs, je travaille comme guide au CBBD, donc je connais très bien les lieux !
Au fait, comment te glisses-tu dans toutes ces techniques très différentes ? Il y a-t-il plusieurs Quentin ou est-ce ta palette graphique qui est multiple ?
J’ai toujours adoré tester plein de techniques différentes, chaque médium s’adapte à l’univers de ce qu’on veut raconter. Depuis 1 an et demi, je dessine aussi sur l’Ipad avec Procreat, donc il y a plein de style à encore explorer sur cet outil !
Comment travailles-tu tes aquarelles de bâtiments ou de lieu. Les petits films en accéléré, que tu publies nous montrent une facilité déconcertante… Mais nous savons tous que c’est le travail qui permet cette facilité apparente, comment prépares-tu tes aquarelles ? Es-tu un bourreau de travail ou un surdoué ?
Je fais de l’aquarelle depuis 13 ans et je redessine le monde qui m’entoure depuis mon plus jeune âge, donc les dessins que je poste sur Instagram n’est que le fruit de ce long apprentissage !
Quand je voyage et que je repère un beau paysage, je me pose dans la rue et dessine directement. Capter l’instant, l’ambiance, la lumière, l’architecture, les couleurs, la chaleur, l’angle de vue… C’est mon défi à chaque nouveau dessin. Et ce n’est pas toujours facile.
Mais c’est sûr qu’être très productif permet d’évoluer. Tout ceci est motivé par la passion.
Et passion rime avec patience.
Quels sont tes projets à court, à moyen et à long termes ? Peux-tu nous en parler ?
Je publie mes courtes histoires humoristiques sur Instagram, le but, c’est de les sortir en album un jour chez un éditeur.
Et pareil pour mes aquarelles de voyage : un jour, il y aura un livre. J’espère…
Découvrir Quentin Heroguer : Instagram : quentinheroguer
Marie-Pascale PEETERS – Ismaël et les pigeons
Nous continuons l’exploration des nouvelles venues dans nos pages par une rencontre avec Marie-Pascale Peeters. Dans notre numéro 24, elle signe six pages en noir et blanc, rehaussées d’un agréable bleu ciel. Ces six pages ont pour cadre, comme le veut ce numéro, le bâtiment dessiné par Victor Horta, qui abrite aujourd’hui le Centre belge de la bande dessinée (CBBD).
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs ?
Marie-Pascale Peeters. Née en 1969, je passe mon enfance et adolescence en Belgique où j’étudie la gravure à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, et le dessin à l’Académie de Saint-Gilles. Je vis actuellement dans le sud de la France et rêve de vivre de mon travail d’artiste. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours lu des bandes dessinées, nous étions quatre enfants et l’immense bibliothèque de la maison en regorgeait, ainsi que de comics. Il m’a fallu du temps pour passer de lectrice à autrice. Je suis venue à cet art parce qu’il a une manière bien à lui d’inventer, de raconter et d’explorer des territoires qui sont inaccessibles aux autres domaines de l’art.
Pour allécher les lecteurs et lectrices, pourrais-tu présenter l’histoire Ismaël et les pigeons, que tu proposes dans ce numéro 24 de 64_page ?
Au numéro 20 de la rue des Sables vit Ismaël, homme solitaire qui partage son temps entre la création de récits graphiques et ses pigeons. Dans les fabuleux bâtiments de l’architecte Victor Horta, un drame s’organise… Un artiste peu scrupuleux échafaude un plan diabolique pour s’approprier le travail d’une concurrente, et transforme ses pigeons en drones. Sur ceux-ci, plus tard, la caméra sera échangée contre une petite bombe…
Comment es-tu arrivée vers notre revue ?
Au mois de septembre, j’ai participé à la « rencontre éditeurs » organisée lors de la Fête de la BD, à la gare maritime de Tour et Taxi. Entre autres personnes, j’y ai rencontré Philippe Decloux, de 64_page, pour recevoir des conseils…
Que penses-tu de ce type d’espace de publication, qui permet de présenter ses premiers travaux ? Plus généralement, que dirais-tu des possibilités et difficultés aujourd’hui pour les jeunes autrices de se faire connaître ?
Ce type d’espace de publication peut être une opportunité pour se faire connaître et pour rencontrer d’autres auteurs ou acteurs de cette « industrie » qu’est le monde de la bande dessinée. C’est aussi la possibilité de concrétiser un projet, ce qui me semble important pour prendre confiance et continuer d’avancer, d’évoluer et de progresser.
Au départ, en découvrant tes pages, j’étais persuadé que tu avais visité le bâtiment du CBBD avec nous. En lançant l’idée de ce numéro, nous avions en effet organisé une visite collective et étions allés sur le toit ! Comment t’es venue l’idée de situer ton personnage sur le toit du bâtiment de Horta ?
Depuis longtemps maintenant, j’ai choisi de quitter les grandes villes pour une vie plus tranquille entre mer et montagne. Une vie plus confortable au quotidien, même si j’aime toujours passer quelques jours à Londres, Bruxelles ou Paris pour profiter de la culture. Ne vivant plus dans cet environnement, j’ai essayé de me projeter dans la ville et la présence de pigeons s’est imposée. Ensuite j’ai repensé au film de Jim Jarmusch, Ghost dog, la voie du Samouraï, et me suis inspirée de ce personnage colombophile évoluant en partie sur les toits. J’aime beaucoup l’architecture Art Nouveau de Victor Horta, j’aime la bande dessinée de Hergé et aussi le travail de Magritte. Voilà ce qu’étaient mes souvenirs de Bruxelles, que j’ai distillés dans mes pages.
Pourrais-tu décrire comment tu procèdes techniquement ? Pour cette histoire-ci plus précisément, mais aussi en général, dans ta manière d’aborder la pratique de la bande dessinée ?
Je travaille sur papier, et quand je découvre les autres planches présentes dans ce numéro, je me dis qu’il faudrait que je retravaille mes dessins digitalement, pour rehausser au moins les noirs. J’aurais besoin de me former aux techniques actuelles. Techniquement, je pense avoir besoin de m’améliorer…
Quels auteurs et autrices citerais-tu comme influences majeures ?
J’adore Cosey et aussi Leo, Gibrat ou Loisel. Et tant d’autres…
Pour terminer, quels sont tes projets en bande dessinée ? Sur quoi travailles-tu ou projettes-tu de travailler ?
Je travaille sur une bande dessinée en plusieurs tomes, avec pour héros un scientifique fourbe et fou, qui veut débarrasser la nature humaine de certaines tares.
Y a-t-il des éléments que tu voudrais livrer à nos lectrices et lecteurs, que nous n’aurions pas abordé plus haut ?
Je travaille également sur de la littérature jeunesse. Entre autres choses, j’invente et dessine des histoires destinées à initier les jeunes lecteurs à l’art, en particulier aux artistes qui sont passés dans le sud de la France, Chagall, Matisse et les fauves, le sculpteur Maillol et d’autres… Un livret pédagogique avec des activités termine chaque album.
Merci Marie-Pascale !
Instagram mariepascale_peeters
PAMANCHA – En te regardant…
Publiée dans le cadre de la rubrique UNE planche UNE histoire Interview Philippe Decloux
En regardant sur tes réseaux, j’ai été étonné par la diversité de tes inspirations, de tes approches. Notamment par tes dessins du vieux marché, le marché aux puces de la place du Jeu de balle, celui-là même où Tintin acheta la maquette de La Licorne. Un lien aussi subtil que puissant entre le père de la BD belgo-française et un étonnant créateur contemporain.
64_page : J’avais été scotché à ton Bill Keane dans vite ! (64_page #19, Western) et je le suis à nouveau par ton En te regardant (64_page #24 Horta, Magasins Waucquez, Centre Belge BD). La rencontre avec les deux univers très différents qui cohabitent en Pamancha est fascinante. Cela élargit ta palette et tes horizons ?
Pamancha : Je ne sais pas si je me pose tant que ça la question de ma palette. Quand je dessine librement, je préfère me laisser porter par des envies. Et comme je m’ennuie vite avec un style, j’en change d’autant plus vite. C’est en partie de là que viennent ces grands écarts de style (ou de ton dans les histoires, ce qui va avec), et c’est tant mieux si ça élargit mon champ des possibles.
Il y a aussi le simple fait que je m’attelle le plus possible à être curieux en art, et comme tu disais plus tôt, à diversifier les inspirations. Se confronter à des choses et des images très différentes les unes des autres, ça permet de toujours ajouter de nouvelles pistes à son arsenal. Le reste, ce sera un jeu d’associations d’idées. Je pense qu’être toujours curieux a son importance pour éviter de s’embourber dans une méthode machinale.
Qui est Pamancha ? D’où vient ce pseudo ?
C’est une drôle de question, « Qui est Pamancha? » On m’a beaucoup demandé d’où venait ce pseudonyme. Au risque de décevoir, il n’y a pas d’histoire particulière derrière. Je voulais simplement trouver un pseudo reconnaissable, qui ne soit pas connoté auteur sérieux ou auteur humoristique. Que ça ne suggère pas de personnalité claire, que ça pose un minimum question, ça me plaît. En résumé, Pamancha, c’est juste un nom qui me permet un certain espace de liberté, qui me permet d’être inattendu, voire contradictoire. Il ne faut pas y voir plus.
En te regardant est fascinant par l’angle que tu as choisi, le trois quart arrière – une sorte de « caméra sur l’épaule » qui suit, en gros plan, le personnage. Explique ce choix graphique ?
Comme je le dis dans la présentation de la planche dans le magazine, ça a d’abord été dessiné, puis écrit. De base, c’était un simple exercice d’attitudes, donc je cherchais à créer une image simple, dont les variations puissent être plus ou moins rapides à dessiner. Cet angle permettait de ne pas perdre de temps à dessiner le visage du personnage à chaque fois. Je pouvais plutôt utiliser les subtilités de son corps, ce qui m’intéressait plus.
Ce n’était pas prévu pour être narratif. En termes d’image, ça pourrait même plus se rapprocher d’une proto-animation. Cependant, c’est vrai que l’angle suggère quelque chose de plus sur le personnage, une distance pudique par rapport aux émotions décrites dans les attitudes, ou peut-être un autre personnage dont on adopterait le point de vue, qui chercherait, de loin, à capter le regard du premier. Je ne sais pas trop.
Revenons le temps d’une question à ses dessins sur le marché aux puces, quel est ton objectif ? As-tu un projet en préparation qui sous-tend ce travail d’observation ? Ou est-ce un exercice libre pour l’œil et la main ? C’est en tout cas, pour moi, une découverte d’un aspect de ton talent.
Les dessins auxquels tu fais allusion datent de 2017, et avaient été réalisés pour un projet de bande dessinée journalistique durant mes études. Ce projet avait été mené à son terme mais n’avait pas vu de débouché propre à l’époque, et depuis la période Covid, me semble ne plus être d’actualité.
J’ai fait ces dessins pour me familiariser avec le marché aux puces comme endroit, pour avoir des repères, me construire une image mentale. De mémoire, aucun d’eux n’a été utilisé dans le reportage final, je les avais donc postés sur ma page Facebook, pour en garder une trace. Aujourd’hui, je n’utilise plus cette page.
Ça fait longtemps, cependant, que je ne suis pas allé au marché aux puces. Peut-être que j’y retournerai dessiner un de ces jours, quand il fera moins froid.
Tu parles souvent d’un ‘grand projet’ sans préciser. Peux-tu nous dévoiler un peu ? Juste un petit peu ? Tu es un étudiant dans l’atelier de Philippe Cenci, parle nous de ce maître qui apporte beaucoup de nouveaux talents au 9ème art ?
Je dis souvent « UN grand projet » mais il y en a eu plus d’un avec le temps. J’ai travaillé sur plusieurs projets d’album qui ont suscité leur part d’intérêt chez certains éditeurs, mais qui n’ont finalement été retenus nulle part. Dans ces cas-là, je ne préfère pas rester accroché à un projet, donc je suis plusieurs fois reparti de zéro avec une nouvelle idée, un nouveau sujet, un ton différent…
Ces idées refusées referont peut-être leur apparition à l’avenir, mais pour l’instant je suis concentré sur le présent.
Ce qui est intéressant avec l’apport de Philippe Cenci, c’est qu’en plus de maîtriser les codes techniques du travail d’illustration ou de bande dessinée, il a l’expérience pratique du terrain, des contacts à donner, ou des pistes à explorer pour toujours au mieux faire aboutir l’un ou l’autre projet, et peut-être, justement, le faire publier. Ce qu’il anime n’est pas tant un cours en vase clos, il encourage toujours à penser à l’étape suivante, à comment faire sortir ce que l’on y produit de son atelier. En ceci, l’avoir derrière soi est très positif.
Émilie REINEKE – La fille du magasin
Interview Gérald Hanotiaux
Comme à notre habitude, nous partons à la rencontre des autrices et auteurs du numéro à paraître très prochainement, dont cette fois la plupart des histoires prennent leurs quartiers au Centre belge de la Bande dessinée (CBBD). Aujourd’hui, Émilie Reineke a répondu à nos questions, elle est l’autrice de l’histoire intitulée La fille du magasin, six pages en couleurs très lumineuses.
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter pour nos lecteurs et lectrices, de manière générale mais aussi plus particulièrement sur tes pratiques artistiques et tes bandes dessinées.
Émilie Reineke. J’ai 23 ans et je suis actuellement game designer à temps plein, je fais de la bande dessinée durant mon temps libre. Au départ, je comptais faire des études dans l’animation mais, au dernier moment, j’ai bifurqué vers le jeu vidéo. Je voulais travailler à des jeux narratifs et raconter des histoires, même si au final je réalise un travail beaucoup plus technique. J’ai eu quelques cours de dessin ici et là, mais mon parcours n’est pas du tout académique. Le dessin et la bande dessinée sont venus naturellement très tôt pour m’exprimer, développer des idées… J’aime dessiner des gens, j’aime montrer des expressions, suggérer une émotion. La vie intérieure des personnages m’intéresse beaucoup, et j’ai tendance à centrer mes histoires entièrement sur eux. Souvent je trouve qu’il n’y a pas vraiment besoin de dialogue… En terme de pratique artistique, je fait généralement des sketchs papier que je digitalise, mais la suite dépend surtout de ce que j’ai envie d’expérimenter. Ces temps-ci, je fais beaucoup de hachurage en noir et blanc, assez différent de ce que j’ai fait pour la revue.
Tu nous proposes une histoire en six pages, très colorées. Pourrais-tu présenter cette histoire à nos lecteurs et lectrices, pour les allécher ?
Mon histoire parle d’une rencontre entre deux personnes, un facteur et une vendeuse férue de bande dessinée. À la sortie de chaque nouveau Journal de Spirou, ils se croisent dans le magasin et deviennent peu à peu intimes. Puis un jour, le magasin ferme…
Puis-je te demander de nous parler de tes influences en bandes dessinées ? Quels auteurs et autrices placerais-tu dans ton Panthéon ? Lesquels ont été des jalons personnels dans ton intérêt pour la bande dessinée, mais aussi dans ta manière de dessiner ?
Le premier qui me vient comme une évidence, c’est Manu Larcenet. J’aime énormément les thèmes qu’il aborde dans Le combat ordinaire, dont je trouve la subtilité de l’écriture et le ton contemplatif vraiment parlants. Mais son livre le plus marquant selon moi, est Crevaisons (dessiné par Daniel Casanave, dans la série Une aventure rocambolesque de, ici le soldat inconnu…). Je ne l’ai lue qu’une fois mais je me souviens encore de l’ambiance sombrement onirique et du décalage poétique qui en ressortait. J’aimerais bien réussir à créer des histoires dans ce ton-là. Je peux également citer Lewis Trondheim dont j’aime beaucoup l’écriture, surtout dans la série Lapinot, mais aussi l’écriture de Mathieu Bablet dans Adrastée, et celle d’Arthur de Pins dans La marche du crabe. J’avoue que je m’attache souvent plus aux œuvres qu’à leur auteurs… En tout cas, ce sont surtout des inspirations pour l’ambiance et l’écriture. Ma manière de dessiner est assez erratique, j’ai tendance à me sentir inspirée par tous les styles que je trouve beaux… Et il y en a beaucoup !
Comment es-tu arrivée à proposer des travaux à 64_page, et que penses-tu de ce genre d’espace de publication ?
J’ai participé aux « rencontres éditeurs » du dernier BD Comic Strip Festival de Bruxelles et j’ai découvert 64_page à cette occasion. C’est une super initiative, c’est chouette de pouvoir participer au monde de la bande dessinée sans avoir besoin de percer d’abord… Et travailler sur des projets plus courts, sur un thème défini, est rafraîchissant. Ça m’a permis de réfléchir à de nouvelles idées, de tester de nouvelles techniques, et de voir plein de travaux différents.
Tu évoques l’opportunité d’avoir testé de nouvelles techniques, ce qui était justement l’intérêt des revues de prépublication dans le passé, pour les jeunes autrices. Que dirais-tu des possibilités/difficultés aujourd’hui de se faire connaître en bande dessinée ? Et ce d’autant plus dans un contexte souvent caractérisé de « surproduction ».
Il est normal, ou du moins prévisible, qu’il devienne de plus en plus compliqué de se faire connaître. Ce serait naturel, même s’il n’y avait pas de surproduction, puisque le nombre croissant de nouveaux auteurs restera toujours en compétition avec les auteurs déjà établis. Ce que je trouve dommage, c’est l’effet de cette saturation sur le milieu de l’édition. Souvent les standards sont devenus très hauts, ou alors l’accent est mis sur la potentielle rentabilité plutôt que sur la valeur artistique. À la limite, on a parfois l’impression qu’il faudrait avoir déjà percé ailleurs pour avoir de l’attention… Là où je trouve que les revues ont leur niche, c’est qu’elles permettent cet entre-deux où l’on peut avoir une petite audience sans déjà être un maître ou avoir trouvé son style.
Tu l’évoques brièvement dans ta présentation, tu sembles aimer varier les techniques… Quelle fut ta méthode pour cette histoire-ci ?
Cette fois-ci, je voulais essayer de jouer un maximum sur les ambiances colorées et le clair/sombre. J’ai gardé un ombrage assez simple, avec un « pinceau » qui a un petit effet feutre, et très peu de hachurage. Dans le magasin, les scènes sont très chaudes et saturées, comme pour évoquer un souvenir enjolivé, puis par la suite la colorimétrie redevient un peu plus neutre, proche de la réalité… Jusqu’au retour dans le CBBD qui retrouve un peu des tons chauds d’avant.
Quels sont les « ponts », selon toi, entre ton travail de game designer et la bande dessinée ? Les deux pratiques se nourrissent-elles mutuellement, selon toi ?
C’est une question intéressante, parce que ce sont deux pratiques qui ne sollicitent pas du tout les mêmes compétences. En game design, il est surtout question de réflexion et de résolution de problèmes – techniques mais aussi abstraits -, alors que ma façon d’aborder la bande dessinée découle plutôt d’une sorte d’instinct créatif. La bande dessinée me semble avoir plus d’influence sur le game design que l’inverse, notamment au niveau de la communication et de la transmission d’idées. Le dessin et le storyboard peuvent être des outils très utiles. Dans mon métier, la question la plus importante est « Comment je rends mon jeu fun ? » et, souvent, la réponse est difficile à expliquer à l’oral. En contrepartie, j’imagine que la réflexion du game design m’aide à trouver la structure et les mises en page les plus pertinentes pour raconter au mieux mes histoires.
As-tu aimé placer tes personnages dans ce somptueux bâtiment, survivant Art Nouveau dans un quartier bruxellois extrêmement meurtri ?
C’était un exercice difficile ! J’ai eu beaucoup de mal à dessiner le bâtiment, et si j’avais eu plus de temps j’aurais revu beaucoup de détails de l’intérieur. Mais globalement, j’ai apprécié. Je trouve son histoire passionnante. J’ai beaucoup aimé en apprendre plus sur le contexte de sa construction et m’imaginer les gens qui ont vécu autour, entre les femmes que ça a émancipé, les opportunités que ça a créé pour les habitants… Ça a dû être un bâtiment important dans beaucoup de vies. C’est chouette que l’histoire du lieu ne se soit pas arrêtée en 1965, et qu’il ait pu être réhabilité.
Pour terminer, quels sont très projets en bande dessinée ? Vers quoi voudrais-tu te diriger ?
J’ai un gros projet, sur lequel je retravaille petit à petit depuis quelques années, que j’aimerais bien pouvoir publier… Son histoire mêle aventure onirique et introspection, où deux jeunes cherchent à retrouver un ami dans un monde qui se délite progressivement. C’est mon projet le plus important pour le moment, même si j’aimerais pouvoir explorer d’autres histoires dans le même ton, un peu sombre et flottant. Sinon, j’ai commencé à dessiner des nouvelles que je poste sur mon site. La plupart se passent dans le même univers médiéval fantastique et seront surtout pour moi-même, mais j’aimerais bien participer à plus de revues à l’avenir… Alors, qui sait ?
Y a-t-il des éléments que tu voudrais ajouter, que nous n’aurions pas abordés ensemble dans cette interview ?
Pas spécialement, mais je tenais à saluer 64_page pour l’opportunité, et pour leur gentillesse lors des rencontres éditeurs. Merci encore !
Merci Émilie !
On peut voir le travail d’Émilie en suivant ces liens: https://sashazittel.wordpress.com/ et https://mobile.twitter.com/sashazittel
Enrique CROPPER – Rencontre avec Horta
interview Angela Verdejo
Angela Verdejo : Bonjour Enrique, avant de rédiger ces quelques questions je me suis intéressée à tes réseaux sociaux, Enrique.Cropper pour FB, Enrique Cropper pour Flickr, Enrique Cropper sur Insta, et surtout enriquecropper.wordpress.com où tu expliques ton projet en long et en large. J’ai été ravie donc d’apprendre que ta BD Rencontre avec Horta a surgi d’une véritable rencontre-découverte avec Horta, l’architecte, son œuvre et aussi avec le CBBD que tu sembles avoir parcouru de nombreuses fois.
1/ Pourrais-tu nous expliquer comment tu as découvert Horta bien avant ce projet BD ?
J’avais entendu parler de Victor Horta et de l’art nouveau pour la première fois pendant mes études à l’école Sainte-Marie à Bruxelles. Même si je connaissais déjà Horta et son travail, j’ignorais jusqu’à maintenant qu’il avait fait construire le bâtiment utilisé pour le musée de la Bande Dessinée. Je l’avais visité pendant ma jeunesse à de nombreuses reprises, mais je dois avouer qu’à cette époque-là, je n’avais des yeux que pour les planches exposées et les bande-dessinées.
2/Une fois n’est pas coutume, normalement on commence par les présentations, mais pourrais-tu présenter en deuxième lieu l’artiste Enrique Cropper ? Comment devient-il bédéiste et à quoi travaille-t-il actuellement ?
Je me suis intéressé aux bande-dessinées très jeune. Quand j’avais entre onze et douze ans, je faisais des petites histoires courtes, soit d’une page ou de plusieurs pages. Pendant mon adolescence, je commençais à faire des histoires plus longues et je faisais tout aux crayons de couleurs. Je travaille actuellement sur des projets de bande-dessinées sur les contes de fée et les histoires mythologiques, tel que ‘L’oie dorée’ et ‘L’histoire du roi Minos.’
3/Comment t’es venu cette idée de scénario, question sources et inspiration bien entendu et surtout comment l’as-tu construit ?
Ma source d’inspiration pour mon récit, est l’histoire courte dans ‘Cédric 10’, intitulée ‘Réveillon tendresse’, quand le grand-père de Cédric, passe son réveillon de Noël avec sa défunte femme Germaine. Il entre directement dans l’époque où ils étaient encore jeunes. Cette idée de jouer avec deux temps dans la même histoire m’a beaucoup amusé.
4/Dans ta BD Rencontre avec Horta, il est beaucoup question pour la protagoniste de faire revivre l’art nouveau au XXIe siècle, elle cherche sa voie, son inspiration dans l’art qui lui préexiste, est-ce que l’œuvre originale existe vraiment, et selon toi, quelles sont ses caractéristiques ?
Je n’y avais pas pensé à ça. Tout ce que je sais, c’est que j’avais voulu raconter l’histoire d’une fille qui souhaitait faire revivre le style d’Horta, tout en utilisant le même matériel dont se servait Horta pour faire construire ses édifices. Mais quand elle fait la rencontre d’Horta, il lui conseille de ne pas employer le même style que lui et de plutôt suivre ses propres idées. Cette rencontre avec Horta, a été d’une grande aide pour Stella, qui réalise que ce qui l’inspire vraiment chez Horta, c’est sa façon de fusionner la nature et l’environnement dans ses édifices. Elle comprend alors qu’elle peut développer ses propres idées concernant l’architecture et l’environnement. Cela dit, je pense que l’œuvre originale n’existe pas, mais que les artistes du passé donnent de l’inspiration aux artistes d’aujourd’hui pour développer leurs propres idées. Cela leur permet de créer de l’art nouveau avec le matériel et leurs croyances de leur époque.
5/Tu as choisi des codes couleurs pour faire passer certaines idées dans ta BD, tu peux nous en dire plus, sans spoiler bien entendu, sur ce choix ?
Je me suis inspiré de la technique des deux temps de Laudec et Cauvin, qui ont joué avec deux codes couleurs dans ‘Réveillon tendresse’. Pour montrer que leur histoire se déroule dans le passé, Laudec l’a colorié en noir et blanc, tandis que le présent est multicolore. Comme je voulais faire un hommage à Horta et à l’art nouveau, et que les photos au début du 20ème siècle étaient en sépia, j’ai choisi des couleurs proches du brun quand Horta entre en scène.
6 /Ce qui a attiré mon attention c’est aussi, partant de ce code couleurs, une confusion voulue de l’espace et du temps, par exemple quand Stella dit « chez moi » elle ne se réfère pas forcément au lieu, à l’espace, mais plutôt au temps, à son époque, cette confusion espace/temps me paraît particulièrement « judicieuse » dans le contexte de ce projet, est-ce le fruit du hasard calculé ou bien c’était prémédité ? Si je pose cette question c’est parce que j’ai été particulièrement étonnée par toute l’analyse qui entoure cette création. Pourrais-tu nous dire plus sur cette démarche autour du processus de création ? (Je fais référence aux documents sur WordPress)
Je ne sais pas si le moment où Stella dit ‘comment faire pour rentrer chez-moi’ est le fruit du hasard ou de la préméditation ! Je cherchais un moyen de mener l’histoire à sa fin. Ce qu’elle veut dire, c’est qu’elle veut rentrer à son époque. D’une certaine manière, j’avais en tête qu’elle savait dès de le début qu’elle n’était pas dans notre temps, qu’elle parlait avec un fantôme du passé. Elle ne l’a simplement pas encore exprimé.
enriquecropper.wordpress.com Facebook : enrique.cropper
Aurélie VAN DER PERRE – Crépuscule
Interview Philippe Decloux
Après de trop longues années loin des pastels et des crayons, à m’occuper de ma famille et de ma carrière juridique, j’ai décidé de replonger quelques heures par semaine dans les arts. Le champ de création pluridisciplinaire du récit graphique m’enchante. Pure liberté.
64_page : Raconte-nous ton parcours personnel et ton parcours de dessinatrice ?
Aurélie Van der Perre : Enfant, je dessinais tout le temps, j’imaginais des histoires et tentais de les illustrer. Adolescente, j’ai suivi des cours de dessin (pastel) chez un vieux peintre, ami de la famille. Il n’avait pas d’enfant et je pense qu’il a voulu me transmettre son savoir-faire et surtout sa passion pour les arts (en plus sa femme me préparait des pâtisseries). Pendant mes études, j’ai continué à dessiner, à créer…pendant les heures creuses. J’ai travaillé, j’ai eu deux enfants et je n’ai plus trouvé le temps. J’ai arrêté. Et puis un jour, l’institutrice de ma fille m’a fait savoir à quel point elle la trouvait douée pour le dessin et m’a vivement conseillé de l’inscrire aux beaux-arts. J’étais évidemment très fière de cette probable transmission génétique. Il faut savoir que ma grand-mère peignait également beaucoup. De fil en aiguille, j’ai acquis cette certitude absolue que je devais moi aussi m’inscrire à un cours artistique et renouer avec mes premières vocations. Cela fait maintenant 3 ans que je suis le cours de BD et illustrations à l’académie des beaux-arts de Namur.
64_page : Tu as choisi de nous raconter une histoire inspirée d’un fait divers dramatique Comment as-tu eu connaissance de celui-ci ? Qu’est-ce qui t’a motivé à en faire une BD ? Comment as-tu organisé ce récit ?
Aurélie Van der Perre : En 2005, j’ai eu la chance d’être envoyée pour un stage professionnel de l’AWEX au Moyen-Orient et au Maghreb. Pour la seconde fois, je parcourais la Jordanie. Alors que je venais de quitter Amman pour Pétra, la fascinante ville antique, les journaux télévisés ont fait état des attentats qui venaient d’être perpétrés dans la capitale, visant des hôtels internationaux et provoquant un nombre élevé de victimes, en ce compris femmes et enfants. Un mariage jordanien était célébré dans l’un des hôtels cibles. Mis à part cet événement tragique, la Jordanie m’est apparue comme un véritable enchantement naturel, culturel et humain et lorsque l’un des thèmes proposés aux beaux-arts a été « Entre chien et loup », j’ai pensé aux images extraordinaires du désert de Wadi-rum, de Pétra et de la route des Rois. J’ai voulu les représenter. Certains éléments de l’attentat m’ont permis de créer ce court récit. Le passage à Pétra est par contre totalement fictif.
64_page : Ton dessin nous plonge dans un univers que nous connaissons peu ? Tes personnages et tes décors semblent inspirés par tes peintures anciennes, à la fois classique et décalé, explique ce choix ? Il donne une cohérence et un dépaysement, un mystère aussi…Comment travailles-tu ?
Aurélie Van der Perre : Pourquoi est-ce que je dessine de la sorte, d’où vient mon inspiration, mon style ? Il m’est difficile de répondre à ces questions. Il ne s’agit pas véritablement de choix. Disons que je ne prends du réel (faits, documentations, photographies, environnement,…) que ce qui m’intéresse et peut servir mon inspiration. Je ne me limite pas avec des prérequis ou avec des cadres préétablis. Si l’histoire ne correspond pas à la réalité ou si les vêtements, pour ne prendre qu’un exemple, ne sont pas tout à fait conformes au style vestimentaire de l’époque, je ne me formalise pas pour autant que le résultat final soit suffisamment esthétique et cohérent selon mes propres critères de qualité (étant assez perfectionniste, le résultat n’est généralement pas trop loufoque). Pour ce projet par exemple, je voulais éviter les cases afin de m’offrir une plus grande liberté dans le dessin. Il suffisait ensuite de trouver les limites naturelles entre l’un et l’autre dialogues ou textes narratifs. Pour le style, je pense qu’effectivement mes anciennes peintures m’ont donné le goût des zones marquées en noir, en blanc ou en couleur.
64_page : Quels sont tes projets dans l’immédiat et à plus long terme ?
Aurélie Van der Perre : Je projette à court, moyen et à long terme de continuer à me détendre et à profiter du temps imparti pour les arts afin de travailler sur les projets qui se présentent…et qui m’inspirent.
Pour suivre Aurélie www.arnific.be
François JADRAQUE – Stupeur et aboiement
Interview Marianne Pierre
J’ai 63 ans. Je suis graphiste. Dans ma vie estudiantine, je suis passé par Saint-Luc de Bruxelles et un master en arts plastiques. Mon parcours professionnel est à l’image de mon parcours estudiantin. Toujours en mouvement malgré une forte propension à un état contemplatif.
Marianne Pierre : Il y a un petit côté Tardi dans ton dessin… une référence?
François Jadraque : C’est vrai que Tardi est un auteur de bande dessinée que j’affectionne beaucoup et tout principalement son trait et son style qui collent si bien aux ambiances souvent sombres des univers qu’il aborde.
J’aime comment ses personnages se débattent dans des contextes narratifs et des scénarios toujours de haute volée et très documentés. Oui, Tardi c’est vraiment une belle référence pour moi.
Marianne Pierre : Dans la vie tu es graphiste. Que représente la bande dessinée pour toi?
François Jadraque : En fait, je suis un graphiste maintenant à la retraite, mais c’est vrai aussi qu’une grande partie de mon activité professionnelle s’est exercée dans la communication professionnelle proposée et présentée sous la forme de bande dessinée.
La bande dessinée se prête parfaitement à cette pédagogie visuelle.
En ce qui concerne mes intentions bédéistiques, la bande dessinée reste pour moi un moyen expressif incroyable pour raconter, exprimer, représenter, imaginer et proposer de façon unique ce que j’ai envie de dire, de raconter ou même de transmettre.
Ce qui est formidable également dans la bande dessinée, c’est qu’elle permet l’expression et la mise en œuvre de son propre univers graphique, dans une importante liberté créative mais sans toutefois jamais oublier que sa finalité est de rester toujours le plus compréhensible et le plus accessible possible pour les autres parce qu’elle est aussi dédiée aux autres. Le plaisir, comme toute création artistique est double. Le plaisir de créer et le plaisir de savoir qu’il peut être partagé. J’en profite au passage pour remercier 64_page de m’ouvrir cette petite fenêtre de partage.
Marianne Pierre : Bien que j’ai ma petite idée… rat des villes ou rat des champs?
François Jadraque : En fait, un peu les deux en même temps, mon capitaine !
Marianne Pierre : Ton histoire est quasi muette – bien que bruyante! Est-ce que cet « état contemplatif » comme tu dis est habituel dans ta narration ?
François Jadraque : Je dois préciser que l’état contemplatif chez moi précède toute réflexion et toute action. J’aime observer l’environnement dans lequel je me trouve tout en essayant de capter naturellement les ondes qui émanent de celui-ci. Ça me fait pas mal de données à assimiler avec, selon ce que je perçois, une forte tendance à hurler mon dépit ou au contraire à crier ma satisfaction. Le cri est toujours embusqué pas très loin dans mon expression et comme je suis une personne à la fois bien élevée et à la fois introvertie, je temporise avant de l’exprimer ou de l’expulser…
J’ai trouvé intéressant dans cette histoire de mettre en avant l’omniprésence du son et du vacarme sans que ne se profile la moindre amorce de réponse audible à ces nuisances.
Marianne Pierre : Le noir et blanc a-t-il été une vraie contrainte?
François Jadraque : L’emploi du noir et du blanc peut s’avérer être une contrainte un peu casse-gueule tant il est difficile de bien le maîtriser et de bien le doser. Personnellement ce n’est pas une technique dans laquelle je me sens particulièrement à l’aise car j’ai tendance à un peu trop forcer sur le noir et de sombrer trop souvent dans un mauvais choix d’équilibre entre le blanc et le noir. Ce n’est pas évident de bien définir d’où provient la lumière et donc de bien savoir vraiment comment en signifier ses ombres. Je le fais de façon aléatoire. Bref, rendre crédible le contraste entre le noir et le blanc dans des ambiances qui se déroulent en plein jour sans que personne n’imagine qu’elles se déroulent la nuit, n’est pas donné à tout le monde.
Pour autant, j’aime beaucoup la force que donne le noir et blanc et le clair-obscur en bande dessinée.
Instagram : jadraque9
Caterina SCARAMELLINI / KIKA – Jeux d’ombres
Interview Gérald Hanotiaux
SCARAMELLININée le même jour qu’Edgar Allan Poe, le destin a voulu que je
m’appelle presque comme son chat préféré, Cattarina. Comme
l’écrivain américain, j’aime avant tout raconter des histoires.
Je suis illustratrice, autrice de bande dessinée et, depuis quelque
mois, story artist pour l’animation.
Le numéro 23 de la revue 64_page nous arrivera prochainement. Nous partons aujourd’hui à la rencontre de Kika – pseudonyme de Caterina Scaramellini – qui propose dans ce numéro une histoire en six pages, au titre plutôt pertinent pour un spécial noir et blanc : Jeux d’ombres.
Gérald Hanotiaux : Pourrais-tu te présenter en quelques mots aux lecteurs de 64_page ?
Kika : Née le même jour qu’ Edgar Allan Poe, le destin a voulu que je m’appelle presque comme son chat préféré, Cattarina. Comme l’écrivain américain, j’aime avant tout raconter des histoires. Je suis illustratrice, autrice de bande dessinée et depuis quelque mois story artist pour l’animation.
Gérald Hanotiaux : Puisque tu portes ces trois casquettes, comment décrirais-tu les caractéristiques communes à ces trois disciplines, et leurs principales différences ?
Kika : Le lien principal entre illustration, bande dessinée et storyboard pour l’animation est de raconter une histoire. Les moyens sont différents, mais le but est le même. La différence principale est que dans le storyboard on peut dessiner plus vite, pour transmettre une idée fonctionnelle à la narration, c’est plus instinctif et libérateur. Par contre dans la bande dessinée et l’illustration il est nécessaire de fournir une belle histoire et un dessin soigné. Ces trois disciplines ont leurs propres codes et règles, mais elles visent toutes à « divertir », dans le sens latin du terme.
Gérald Hanotiaux : Pour allécher le lecteur, comment décrirais-tu l’histoire que tu proposes dans ce numéro de 64_page ?
Kika : Jeu d’ombres est, comme son titre l’indique, une histoire de lumières et d’ombres, un lieu presque imaginaire où on ne peut réellement identifier le coupable et l’innocent. Il s’agit également d’une référence à la dualité, la « lumière » et « l’ombre » qui cohabitent dans l’être humain. Mon histoire est un thriller psychologique, et se déroule vingt ans après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Ses personnages principaux sont des animaux anthropomorphiques avec des histoires de vie très différentes. Un jour le détestable Hans est trouvé assassiné. Qui est le coupable ?
Gérald Hanotiaux : Tu y joues particulièrement habilement des contrastes et des pénombres… Travailles-tu souvent en noir et blanc ?
Kika : Je travaille principalement en couleur ou en échelle de gris, en apportant une attention particulière aux ombres et lumières. Mais j’aime également beaucoup travailler en noir et blanc, car il est nécessaire de garder seulement les éléments indispensables à la narration. C’est un peu comme l’art japonais, où l’on utilise seulement l’essentiel pour transmettre des émotions. En noir et blanc on ne peut pas « tromper » l’œil du lecteur, c’est un dessin plus « nu ».
Gérald Hanotiaux : Quels seraient, selon toi, les maîtres du noir et blanc en bande dessinée ?
Kika : Il y en a beaucoup, mais si je dois mentionner les principaux, je pense instantanément à Dino Battaglia et à Sergio Toppi, qui m’ont beaucoup inspiré pendant mes années d’études.
Gérald Hanotiaux : Quelle a été ta formation artistique ? Penses-tu que le passage par une école soit indispensable ? Personnellement, qu’est-ce ça t’a apporté ?
Kika : A 23 ans j’ai fréquenté pour trois ans la « Scuola del Fumetto » de Milan, où j’ai étudié bande dessinée, illustration et animation. Cette expérience m’a apporté une méthode pour étudier et surmonter les problématiques liées au dessin, et j’ai pu vivre chaque jour avec d’autres étudiants ayant la même passion. En complément, je me suis professionnalisée en fréquentant des ateliers après l’école, et je continue aujourd’hui ! Je crois qu’étudier dans une école n’est pas si indispensable, cela dépend de l’école et du niveau artistique personnel, mais travailler avec des professionnels est indispensable.
Gérald Hanotiaux : Comment en es-tu arrivée à proposer une histoire dans 64_page ? Quel est son rôle selon toi, dans un contexte où la plupart des revues de prépublication ont disparu ?
Kika : Un ami scénariste m’en a parlé, et j’ai immédiatement aimé la philosophie de la revue. Je crois qu’une revue comme 64_page sert à créer des liens entre artistes, et à montrer et faire comprendre toutes les façons de réaliser une bande dessinée. C’est enrichissant pour les auteurs-autrices, pour voir d’autres styles de narration et de dessin et, bien entendu, si on n’a jamais publié on peut alors avoir des feedbacks professionnels. Une revue comme 64_page est importante pour ceux et celles qui y participent, mais aussi pour les lecteurs-lectrices qui peuvent découvrir des belles histoires qui autrement pourraient ne jamais être publiées.
Gérald Hanotiaux : Comment décrirais-tu le contexte de la bande dessinée aujourd’hui, que beaucoup décrivent comme « surchargé »…?
Kika : Oui, le contexte est en effet « surchargé ». Je lis beaucoup, et c’est de plus en plus difficile de trouver des histoires vraiment intéressantes. J’ai l’impression que l’importance du beau dessin fait parfois oublier l’importance narrative de la bande dessinée. J’ai eu beaucoup de désillusions en lisant certaines œuvres, car pour moi l’élément principal d’une bande dessinée doit être la narration. Il y a toujours des œuvres excellentes, bien sûr, mais il faudrait faire plus attention à la qualité, plutôt qu’à la quantité.
Gérald Hanotiaux : Tu as évoqué Battaglia et Toppi, d’autres dessinateurs et dessinatrices sont-ils à l’origine de ta vocation de dessinatrice ?
Kika : Ma passion pour le dessin a commencé quand j’étais vraiment petite, lorsque je regardais les dessins animés de Disney, en particulier le long-métrage La Belle au Bois Dormant, ou encore des séries comme Sailor Moon. Par contre, les premiers auteurs à m’avoir passionnée en bande dessinée sont Uderzo et Goscinny avec Astérix. Je peux également citer le moment précis où j’ai décidé de faire de la bande dessinée : j’avais neuf ou dix ans et, pendant un voyage en France, je suis tombée sur la couverture du tome 3 de la BD « Green Manor » de Bodart et Vehlmann. Suite à ce choc fondateur, et ce durant des années, la liste des auteurs-autrices et dessinateurs-dessinatrices qui m’ont inspiré est devenue très longue ! Mary Blair, Hugo Pratt, Morris, Cyril Pedrosa, Cyril Bonin, Enrique Fernandez, Claire Wendling… Et bien d’autres.
Gérald Hanotiaux : Quels sont tes projets actuels en bande dessinée ?
Kika : Actuellement je travaille à un projet personnel avec une scénariste, pour une maison d’édition française. Et dans mon temps libre je prépare un autre projet, comme autrice complète, que je proposerai aux maisons d’édition.
Gérald Hanotiaux : Voudrais-tu ajouter un mot de la fin ?
Kika : Je remercie beaucoup toute l’équipe de 64_page pour son travail, pour la gentillesse de ses membres et pour leur grand professionnalisme. Vive la BD !
Merci Kika !
Vous pouvez découvrir le travail de Kika sur internet, à ces adresses : kmera.myportfolio.com / Instagram : kika_caterina.scaramellini
Chloé SLEILATI – Head first
Interview Angela Verdejo
Je suis une illustratrice et auteure BD de nationalité franco-libanaise. Formée à l’Académie libanaise des Beaux-Arts, je m’inspire principalement de la faune et la flore à travers de multiples randonnées et voyages.
64_page : Bonjour Chloé, tu fais partie des jeunes auteur.e.s sélectionné.e.s pour le spécial noir et blanc de 64_page qui paraîtra en septembre pour la Fête de la BD de Bruxelles et qui sera ensuite présent au premier festival « Beyrouth Livres » au Liban, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs.trices pour commencer cet entretien ?
Chloé Sleilati : Bonjour ! Je m’appelle Chloé, je suis illustratrice et jeune auteure de BD franco-libanaise. Je m’inspire principalement de la faune et la flore à travers de nombreuses randonnées dans mon petit pays.
Je me suis spécialisée en illustration et bande dessinée à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts, acquérant une licence en 2019 et un master en 2021.
Je travaille en free-lance depuis plusieurs années déjà, ayant commencé à répondre à des offres professionnelles avant la fin de mes études.
Pour moi, dessiner est un moment de détente où je me concentre, je plonge dans mes illustrations/histoires et où j’oublie, le temps d’un instant, toutes les crises et les problèmes par lesquels on passe.
64_page : Pour revenir à ce numéro spécial noir et blanc, pourquoi, selon toi, dessiner en noir et blanc ?
Chloé Sleilati : Le travail en noir et blanc est plus rapide et me permet de mieux me concentrer sur les jeux d’ombres et de lumières. Quand je travaille en couleur, je suis souvent trop prise par les palettes, les mélanges, les teintes…
Il me permet donc de créer des contrastes plus forts, mais aussi d’aller droit au but, sans que le spectateur soit distrait par les couleurs.
64_page : Le noir et blanc ou le blanc et noir ? Qu’exprime-t-on à travers ces couleurs ? Est-ce que ce sont des couleurs et donc à traiter comme des couleurs ? Que peut-on faire en noir et blanc qu’on ne pourrait pas faire en couleurs et vice versa ?
Chloé Sleilati : Je trouve une sobriété dans le noir et blanc, un aspect pur et direct.
Je travaille tout de même la plupart du temps en couleur. Elle me permet de mieux définir l’espace-temps et l’ambiance, de faire passer des émotions à travers les palettes de couleurs utilisées, et de donner plus de vie au dessin.
64_page : Quel.le.s auteur.e.s et quels ouvrages citeriez-vous comme référence personnelle en ce qui concerne cette technique du noir et blanc et pourquoi ?
Chloé Sleilati : J’apprécie le travail de Lorenzo Mattotti et le sens du mouvement qu’on retrouve dans ses dessins. Parmi ses œuvres en noir et blanc, je citerais sa BD Guirlanda et son livre Patagonia, dans lesquels il montre sa maîtrise des ombres, des lumières, et de son trait.
64_page : Pourrais-tu (sans spoiler trop non plus… dur dur) nous éclairer sur l’humour dans tes dessins mais aussi dans ton texte ?
Je m’inspire souvent de ma vie réelle. Cette scène qui va être publiée s’est vraiment passée ! Certains aspects sont tout de même accentués pour mieux servir le scénario. Quand il y a plus de peur que de mal, autant en rire.
64_page : Ces travaux font-ils partie d’un travail plus long ? D’une BD en cours de route ? D’un projet ?
Chloé Sleilati : Non, c’était une petite histoire en deux pages uniquement.
64_page : Quels sont vos projets à venir ? À quoi travaillez-vous en ce moment ?
Chloé Sleilati : Je travaille actuellement en tant qu’illustratrice en free-lance. Je recherche en parallèle un éditeur pour une BD documentaire. On croise les doigts !
Instagram : chloesleilatiart
29 août – Olivier LAMBERT pour Ses cartoons
Interview Cécile Bertrand
Actuellement, Olivier ne dessine que des caricatures d’humour et de presse, ses dessins sont publiés uniquement sur sa page FaceBook et d’autres pages comme ≪L’Hebdo déchaîné≫, ≪Vive la presse satirique libre≫.
Cécile Bertrand : Comment qualifierais-tu ton humour ?
Olivier Lambert : Surréaliste et aussi décalé parfois grinçant parfois satirique.
Cécile Bertrand : Quel est ton processus de création ?
Olivier Lambert : Je cherche quelque chose qui me fait rire soit dans une discussion, soit dans les infos des médias.
Cécile Bertrand : Quand tu tiens une belle idée, comment procèdes-tu ?
Olivier Lambert : Quand je tiens la scène du gag dans ma tête, ça va très vite, je prends une feuille de papier machine et au crayon je dessine le gag grossièrement avec les défauts et les ratures.
Cécile Bertrand : Le cartoon sort de tes doigts comme une évidence ?
Olivier Lambert : Oui, ça sorts tout seul, ça m’a pris 10 ans avant d’arriver à maitriser mes personnages
Cécile Bertrand : Ou Fais-tu des essais de mise en image, des recherches d’efficacité ?
Olivier Lambert : Oui, une fois que j’ai tout dessiner au crayon, j’encre au pinceau avec encre de chine, pour les détails je travaille au feutre noir mais le gros du dessin est fait au pinceau, ça donne un cachet personnel. Je scan le dessin et je le finalise en composition avec Photoshop… Un grand merci à la technologie.
Cécile Bertrand :Tes idées viennent par le choc des mots ou par le poids des cartoons ?
Olivier Lambert : En dessin de presse, c’est au feeling de l’information. En dessin de gag c’est feeling de mes inventions dans ma tête, j’imagine même des gags en dormant hahaha (véridique)
Cécile Bertrand : Quand tu as une idée « quelle est bonne », tu as envie d’en faire une série ? un running gag ?
Olivier Lambert : Non, chaque gag est unique, maintenant je n’ai jamais testé le running gag, peut être que j’aimerais ? Aller savoir (sourire)
Cécile Bertrand : Tu as lancé la page Facebook ‘Le semainier’ (https://www.facebook.com/groups/446961182716904/ qui rassemble de plus en plus d’auteurs. Comment opérez-vous une sélection ? Vous arrive-t-il de refuser des cartoons ? Si oui quelles en sont les raisons ? Tu dis que vous êtes, toi et tes complices du semainier, apolitiques. C’est vrai et pas vrai, beaucoup de vos dessins sont des coups de griffes ou même de gueule sur le monde où nous vivons ?
Olivier Lambert : Avant je publiais uniquement sur les pages des autres et puis je me suis dit, je vais faire la mienne. J’ai invité 3 amis dessinateurs : Alain Rorive, Jimm et Papybic. Mon but est de faire dans le Semainier du dessin de presse et du dessin humoristique noir et blanc et (ou) avec une touche de couleur. Le Semainier c’est une page qui se veut garder les valeurs des anciens dessinateurs qui publiaient dans les journaux noir et blanc, style Charlie Hebdo (première mouture) Psikopat, fluide etc. Puis sont venu s’ajouter d’autres dessinateurs de France, Argentine, Angleterre, Allemagne et Belgique. Nous sommes une équipe de 13 dessinateurs avec des dessinateurs qui produisent beaucoup et d’autres pas (rire) quand vous rentrez dans le Semainier vous n’en sortez plus (rire sarcastique) pour la sélection des auteurs … (Ce qui se passe à Vegas reste à Vegas) Aucun dessins n’a été refusés nous sommes tous administrateurs.
26 août – Alice ROUSSEL – Éveil
Interview Philippe Decloux
Après 4 ans d’études au Collège Pratique d’Ethnobotanique de François Couplan, j’illustre désormais sur mesure supports artistiques et pédagogiques tout en proposant des formations et balades botaniques aux particuliers et aux entreprises.
En attente d’un éditeur, rendez-vous sur www.lepinceaupissenlit.com
64_page : Tu fais partie des quatre auteurs qui vont lancer notre nouvelle rubrique UNE planche UNE histoire. Tu proposes une planche d’un énorme travail que tu as entrepris pour faire découvrir les merveilles de la nature. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet, son origine, tes objectifs, ta méthode de travail ?
Alice Roussel : Bonjour Philippe, et merci de cette chouette opportunité et de ton appréciation !
La BD consiste en une compilation d’histoires courtes témoignant de mon expérience en tant que botaniste, où on suit mes aventures au rythme d’1 à 5 pages par histoire, au fil des saisons. La page 16, que j’ai partagée ici, est celle qui ouvre la saison du printemps, sans bulle, en une seule page. Je l’aime beaucoup pour le travail qu’elle m’avait demandé sur la lumière et la quiétude qui s’en dégage.
Pour revenir à la BD dans son ensemble, il s’agit de mon mémoire de fin d’étude au terme de 4 ans de formation, dont 1 année à distance et 3 en classe, au Collège Pratique d’Ethnobotanique de François Couplan à Brindas, près de Lyon (promotion 2018). Ce sujet de mémorie ne m’est pas venu rapidement, j’étais partie pour faire des analyses des plantes à la base. Au fil du temps et avec le requis de dessiner nos propres planches botaniques, voyant l’enthousiasme que mes dessins suscitaient, il m’est revenu le goût du dessin et le plaisir de raconter des petites anecdotes sur le côté. Au bout d’un an, l’idée à commencer à faire son chemin.
J’avais commencé à partager quelques histoires humoristiques autour de ma vie de couple sur Facebook, à l’instar de Catana Comics que je suis d’ailleurs toujours, avec la petite touche personnelle que le ressort comique venait du décalage entre ma sensibilité de botaniste et celle de mon compagnon (qui reste un complice enthousiaste).
En parallèle, je me suis rendu compte que je ne retrouvais pas ce que j’aurais aimé lire dans les rayons de bande dessinée sur le sujet écologique en général et botanique en particulier. Il me manquait cette touche d’humour et de légèreté qui m’avait bercée dans mon enfance dès qu’il s’agissait de pédagogie, comme dans l’émission « C’est pas sorcier » par exemple. Comme si le manque de sérieux allait de pair avec le manque de rigueur…En plus je trouvais que tout cela manque de concret. Par exemple, j’entends parler aromathérapie de personnes que j’accompagne en balade mais qui n’ont encore jamais eu l’occasion d’identifier dans leur région les plantes dont elles utilisent pourtant les huiles essentielles. Nous nous intéressons à la « nature » sans forcément se rendre compte qu’elle reste sur les rayons des boutiques en centre-ville. Du coup j’ai décidé de donner le change !
Je voulais donc réaliser avant tout une bande dessinée qui rapporterait mes propres expériences vécues avec humour mais sérieux, pour présenter les 5 parties de la plante et davantage au fil des saisons. J’ai choisi le format court car j’ai toujours aimé le rythme périodique des albums Spirou (encore une référence), en particulier Mélusine dont les histoires étaient essentiellement sur une page, surtout au début.
Les premières pages qui me sont venues sont la couverture et la conclusion. A part cela, au début, je n’avais pas de plan. J’ai dessiné comme cela me venait non pas dans l’idée que ce serait ce que je voudrais faire mais simplement pour contourner le blocage de départ (saupoudré d’un gros symptôme de l’imposteur). Ce premier jet m’a permis de réagir une première fois sur ce qui me plaisait et me plaisait moins. De là, j’ai élaboré un stock d’idées organisées sur les 4 saisons, puis je me suis mise à dessiner au rythme d’une planche par semaine en me laissant de la place pour laisser venir d’autres idées au fil des balades.
Je suis ainsi passée de 27 pages ébauchées durant les 3 mois de l’automne 2019 à 65 pages finalisées chaque semaine pendant 1 an et demi de novembre 2020 à avril 2022, en devant me forcer à m’arrêter pour que la BD ait un début, un milieu et une fin. Mais je suis loin d’avoir fait le tour de tout ce dont je voulais parler.
Techniquement, j’utilise les stylos et marqueurs fins à l’encre indélébile et l’aquarelle sur papier à grain, puis retire les impuretés sur Photoshop, en couleur et lettrage directs (concernant le lettrage, je ferai différemment désormais).
64_page : Tu fais partie des quatre auteurs qui vont lancer notre nouvelle rubrique UNE planche UNE histoire. Tu proposes une planche, la dernière sauf erreur de ma part (en réalité c’est la page 16, sur 65, mais c’est l’une de mes préférées en effet qui se prêtait bien au thème), d’un énorme travail que tu as entrepris pour faire découvrir les merveilles de la nature. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet, son origine, tes objectifs, ta méthode de travail ?
Alice Roussel : Merci beaucoup ! De mon côté je me souviens aussi très bien de notre première rencontre et de l’attention que tu avais portée sur chaque page. Tes remarques et encouragements ont beaucoup compté dans l’amélioration de mon dessin par la suite.
En effet je ne suis pas dessinatrice de formation mais ingénieure en automatique à la base, même si j’ai en réalité toujours tenu un crayon. J’avais déjà « failli » me lancer dans la bande dessinée à Munich en 2013 au détour de mon Erasmus, sur un tout autre thème, mais à l’époque ma priorité était de terminer mes études. Par ailleurs, n’étant vraiment pas fan des concours j’ai toujours évité ce côté-là de l’expression artistique, dessinant dans mon coin et rendant service ici et là pour des logos, posters, sites web, pour des amis. J’ai continué mes recherches et à étudier les styles de différents artistes depuis, en particulier Uderzo, Moebius, Hayao Myiazaki et Jirô Taniguchi.
Pour reprendre le cours de la précédente question, suite à mes 27 premières pages qui n’avaient pour but que de « lancer la machine », j’ai été de nouveau bloquée, à cours d’idées cette fois-ci. J’ai surtout recommencé à douter de moi. Un ami qui se lançait dans le coaching à l’époque m’avait conseillé de proposer ce premier jet, aussi imparfait soit-il, à des éditeurs. Nous étions en janvier 2020. Une rapide recherche internet m’a fait tomber sur la rencontre éditeurs du Centre Bruxellois de la Bande Dessinée le 07 février 2020 si j’ai bon souvenir, où nous nous sommes donc rencontrés. Il était en effet très important pour moi que la rencontre se fasse en personne et non par email interposé (nous savons tous maintenant à quel point j’ai eu chaud vu ce qui nous est tombés dessus un mois plus tard).
Ce que j’ai retiré de cette première rencontre ont été des réactions extrêmement différentes, pas un seul éditeur n’a réagi de la même manière à ce premier jet. Avec le recul je trouve que c’était très bon signe. Pour quelqu’un comme moi qui pensait que les éditeurs auraient tous un regard assez standardisé sur ce que j’allais proposer depuis mon coin de table, j’ai eu le plaisir de constater que malgré leurs expériences ils avaient chacun des attentes très différentes, voire contradictoires. Cependant, j’ai quand même eu des observations communes qui, par conséquent, ont de l’importance pour moi car elles sont à peu près objectives : il s’agissait de bien remplir la page, choisir des vignettes plus conventionnelles que celles que j’utilisais, mettre en valeur mes personnages et travailler la narration.
Sur ta proposition de participer au projet Western de la revue numéro 19, j’ai décidé de mettre temporairement mon projet de côté pour travailler sur cette édition de mars à avril 2020. Une rapide recherche m’avait donné le nom de Marcus Eugène Jones, un botaniste du Far West à qui j’ai consacré 4 pages en traditionnel, à l’encre de Chine et en noir et blanc. J’ai utilisé ce projet comme exercice pour travailler un style réaliste et détaillé, biographique et sérieux, à l’opposé de ce que j’avais commencé à faire pour sortir de ma zone de confort. Cette période a été très intense car il était hors de question de vous fournir des pages dont je ne serai pas satisfaite moi-même, autant dire que j’ai souvent recommencé. Le 06 avril 2020, au lit avec le covid, je vous envoyais l’ensemble terminé. Avec le recul, je suis très fière de cette première chance en situation réelle, qui m’a montré la rigueur du dessin à l’échelle de l’édition.
Suite à cet exercice, j’ai passé 6 mois à tout reprendre de 0 sur mon projet botanique, à tester des registres plus sérieux, plus scénarisés, plus détaillés, etc. Jusqu’à confirmer mes souhaits de départ en novembre 2020 : le retour à un style périodique, humoristique mais détaillé, coloré, joyeux, pédagogique, sans autre fil conducteur que les saisons et les 5 parties de la plantes.
Finalement, ce que j’ai retiré de tout ça, outre une année d’exercices quotidiens, est l’affirmation de mon style avec des décors beaucoup plus travaillés, des pages bien pleines dans des vignettes claires et resserrées. Et je garde mes petits bonhommes cartoons. Non mais.
Après cette confirmation de mes choix, je me suis lancée au rythme d’une page par semaine revue et corrigée par François Couplan, publiée sur mes réseaux sociaux et mon site internet qui a vu le jour entretemps, sans interruption jusqu’avril 2022.
64_page : Selon toi, dans toute cette recherche, qu’est-ce que tu as découvert et qui t’a marqué le plus ?
Alice Roussel : Sur le plan personnel, j’ai découvert à quel point j’avais d’histoires à raconter, tout ce que la nature me donne envie de dessiner. J’ai découvert que la bande dessinée était pour moi une source de joie, de même que le sourire du lecteur qui s’amuse des gaffes de mes petits bonhommes, puis, en tournant la page, apprend sans crier gare que le pissenlit est parfaitement comestible.
Je me suis rendu compte que cette première BD répondait à un besoin réel, surtout en ce moment, de rire, de couleurs, de nature et de concret. Et que j’avais envie de continuer dans cette voie.
J’ai appris aussi à travailler vite et de mieux en mieux, mon dessin continue d’évoluer et aujourd’hui je dois me retenir de redessiner les premières pages, car il est aussi important pour moi d’apprendre à terminer ce que j’ai commencé pour pouvoir mieux recommencer ensuite !
Sur le plan botanique, je crois que ma découverte la plus marquante a été celle de l’ail des vignes : nous avons de la « ciboulette sauvage » qui pousse de partout et nous nous rendons même pas compte ! Je lui fais des clins d’œil à chaque fois que je la croise maintenant. Ainsi qu’à Ivan Louette qui m’avait aidée à l’identifier.
D’ailleurs, et je vais terminer de répondre à cette question là-dessus : une autre chose que j’ai découverte et pas la moindre est l’énorme soutien dont je bénéficie depuis le début de cette aventure. Vous verrez dans la bande dessinée que je ne suis pas toute seule, j’ai eu un vrai plaisir à redessiner mon entourage, tout en restant assez discrète pour ne pas les embarrasser.
64_page : Comment vois-tu ton avenir dans la BD ou l’illustration jeunesse ? Quels sont tes projets à court et à moyen terme ?
Alice Roussel : A court terme : je souhaite éditer cette BD, quitte à la reprendre redessinée, étoffée et relettrée dans la mesure où je suis cette fois-ci accompagnée d’un éditeur. Je n’ai pas encore soumis beaucoup de dossiers, m’étant concentrée sur le fait de terminer mes études en priorité et en parallèle à mon travail. Si vous êtes un éditeur intéressé par la thématique qui lisez ces lignes, je serai très heureuse que vous me contactiez.
Je suis aussi très motivée à l’idée de devenir dessinatrice chroniqueuse dans des revues écologiques, afin de poursuivre dans cette voie car les sujets sont infinis et les lecteurs se renouvellent en permanence, il faut toujours transmettre et continuer d’échanger.
A moyen terme, j’aimerais bien reprendre la biographie de Marcus Eugène Jones, ce botaniste bourru du Far West m’amuse beaucoup. J’ai aussi d’autres idées de biographies en tête mais il serait prématuré d’en parler maintenant.
J’ai aussi découvert au hasard d’un projet familial que je maîtrisais désormais le dessin avec aplats sur Photoshop à l’aide de ma nouvelle tablette graphique, et j’ai déjà illustré des histoires pour mettre en vie une peluche qui vit ses aventures à la maison. Je suis donc tout à fait disposée à poursuivre dans cette voie.
25 août – SERNA – Vestiges
Interview Marianne Pierre
Fan de gros lézards et de science-fiction, je lis des BD et dessine depuis toujours. Je me remets vraiment au dessin après mes études en sciences et m’inscris aux académies de Charleroi et de Châtelet (dessin et illustration/BD). Je m’intéresse aussi au concept art pour le jeu vidéo et le cinéma.
Marianne Pierre : En lisant tes planches, me viennent à l’esprit Indiana Jones, Jurassic Park, Tarzan, Donkey Kong… est-ce normal?
SERNA : Tout d’abord merci de me permettre d’être à nouveau dans 64_page! Oui, c’est normal. A vrai dire, j’ai débuté l’histoire avec le décor de la page 1 et puis la grosse bestiole. Comme il s’agissait de ruines cachées dans une jungle, j’ai rapidement pensé à Indiana Jones, mais j’avais déjà imaginé ce que le personnage allait faire en première page, alors il m’en fallait un qui soit nettement plus agile. Me vient alors l’idée de mettre Tarzan en scène, mais ce n’est pas nécessairement un personnage qui me plaît, en tout cas pas plus que ça… Comme je voulais avoir plus de liberté et aussi un narrateur, ça devenait plus simple que le héros ne parle pas, afin que le lecteur puisse se concentrer sur l’action. Le singe est alors apparu comme une évidence et en le dessinant plus en détails je reconnais que dans certaines cases, il fait penser à Donkey Kong! Ce n’est pas toujours conscient, mais j’irais plutôt vers ce dernier que vers Tarzan et davantage vers Lara Croft (Tomb Raider) que Indiana Jones, car durant mon adolescence j’étais un gamer très régulier.
Ici, je voulais représenter une belle scène d’action à l’image des capacités physiques du personnage principal. Ca me plaît de représenter la scène telle que je voudrais la voir se dérouler dans un film. Mon storyboard se construit de cette manière, une fois que j’ai réussi à construire dans ma tête le déroulement complet.
J’avais aussi envie de donner un côté très aérien, un sentiment de liberté, comme on pourrait le ressentir dans certains jeux vidéos. Je pense en particulier au Prince of Persia d’Ubisoft (2008), avec son graphisme si particulier. Je suis fortement influencé par les bandes annonces de jeux vidéos même si je n’y joue pas moi-même. Pour les ruines et leur verticalité dans le décor, j’avais pensé à The Last Guardian (2016), ainsi qu’à des ruines de style Maya ou précolombien en général.
Ah, il me manque Jurassic Park! Oui, ce sont des films qui m’ont marqué, même si j’étais déjà fan de dinosaures plusieurs années avant la sortie du premier film. Mais clairement, oui, les gros lézards en tous genres réapparaissent souvent dans ce que je dessine, ce que je raconte.
Marianne Pierre : Tu as fait des études scientifiques… est-ce que cela influence forcément tes histoires?
SERNA : Étudier les dinosaures et autres animaux préhistoriques, découvrir les mécanismes de l’évolution, tout cela était pour moi un but précis quand j’ai débuté mes études scientifiques. Même si à ce moment-là j’étais aussi très attiré par la 3D et les scènes cinématiques dans les jeux vidéos, je me suis orienté vers les sciences. C’est quelque chose d’inconscient, mais ça se ressent dans mon travail – on me l’a déjà dit – que ce soit par l’apparition de créatures préhistoriques, de grande taille très souvent, ou bien même au niveau des designs, lorsque je travaille sur de la SF, les courbes, les structures de formes organiques vont apparaître naturellement sur la feuille ou à l’écran. Toutefois, je ne suis pas un puriste non plus. Je sais qu’en science fiction, certains préfèrent que tout ce qui se passe soit d’une exactitude scientifique complète. Je pense à des films comme Gravity où le réalisme est tellement poussé que l’aspect fun et imaginaire passe, à mon sens, à la trappe. J’orienterais nettement mes histoires vers un style à la Star Wars, pour avoir la liberté d’y intégrer des créatures en tout genre et que l’on puisse entendre les explosions, même si on est dans l’espace! Je ne suis ni physicien, ni astronome et je préfère raconter des histoires qui divertissent, plutôt qu’un documentaire… C’est peut-être aussi pour ça que je parodie un peu ce style de narration dans mes quatre planches. Mais j’aime beaucoup faire apparaître des animaux ou des animaux anthropomorphiques, ça stimule mon imagination et celle du lecteur, je l’espère!
Marianne Pierre : Cette jungle luxuriante, tu n’aurais pas envie de la mettre en couleurs?
SERNA : Je ne la trouve pas si luxuriante que ça (aha): je me suis arrangé pour que l’histoire se déroule dans la « clairière » où se trouvent les ruines. La contrainte du noir et blanc a finalement été un atout pour pouvoir travailler plus vite! J’avoue cependant avoir hésité à mettre quelques touches de vert ou à travailler carrément en teintes de vert. C’est à voir, ça pourrait effectivement être intéressant de représenter ce lieu en couleurs, même si ça risque d’être un fameux travail de représenter une jungle! Finalement je reconnais que j’adore représenter les décors, plus que les personnages. Ce sont ces cases-là qui captent le plus mon attention lorsque je vais feuilleter une bande dessinée. Je pense aussi que naturellement ça transparaît dans ce que je raconte. Alors oui, pourquoi pas mettre cette jungle en couleurs et si ce n’est pas dans des planches, en faire en tout cas une belle illustration.
Marianne Pierre :/ As-tu des références en matière de BD?
SERNA : Des références à proprement parler, c’est difficile à dire, car il y en a beaucoup. C’est un ensemble. Mais je pense en premier lieu à des grands classiques franco-belges comme Tintin, les Schtroumpfs ou Astérix. En particulier, je trouve que les deux derniers sont exemplaires en termes d’efficacité, de clarté narrative. Dans Astérix, Goscinny arrivait à ponctuer ses histoires par des gags avec une précision redoutable, le rythme était juste parfait et le dessin d’Uderzo était fantastique. Étant petit, j’aimais lire le magazine Spirou de l’époque. Je me rappelle ainsi de Mélusine, Kid Paddle, le Petit Spirou, mais aussi de Papyrus et de Billy the Cat. Dans cette dernière série, je me rappelle avoir été happé par les décors, les ambiances. Récemment, j’ai appris que le dessinateur du début de la série (Stéphan Colman) était justement très friand de ce genre de cases. Je suppose que je l’avais ressenti, malgré mon jeune âge.
Ensuite, en grandissant, début 2000, j’avais découvert la série Sillage de Jean-David Morvan et Philippe Buchet, que j’ai adoré. Je trouve qu’elle fait écho à la fois à Men in Black et à Star Wars au Cinéma.
Durant cette période, deux séries m’avaient vraiment tapé dans l’oeil. C’était Le Passeur des étoiles (édité chez Dargaud) pour les designs SF, ainsi que Les Lumières de l’Amalou (chez Delcourt) où les ambiances mystérieuses, fantastiques et le dessin de Claire Wendling étaient tout simplement magnifiques.
Quelques années plus tard, j’ai lu quelques mangas comme Gunnm et Berserk. J’avais aussi une fascination pour les décors de la série Blame! Au passage, j’ai découvert des auteurs plus près de chez nous influencés par cette narration particulière du manga. C’est très marqué chez Nesmo (dessinateur de Univerne et de Ronces) et deux auteurs espagnols qui ont travaillé ou travaillent encore chez Dupuis (José Luis Munuera et Kenny Ruiz). Je suis très fan du style de dessin de ce dernier. J’aime également beaucoup le dessin de Davide Tosello dans la série Blue. Enfin, je dois absolument citer Blacksad, ainsi que les séries Elfes, Nains,…et Conquêtes (chez Soleil-Delcourt).
Récemment je me suis intéressé à un dessin plus réaliste en général. Je pense à celui de Valentin Sécher qui a notamment dessiné Méta-Baron, série qui était initialement illustrée par le regretté Juan Giménez. Par ailleurs, j’ai découvert Requiem, une série plus ancienne très dark et gothique par ses ambiances de couleurs, mais avec du second degré, dessinée magnifiquement par Olivier Ledroit.
Il me faut citer finalement les dessinateurs comme Moebius, Frank Miller, Frank Frazetta et Geof Darrow (designer pour les premiers Matrix), même si ce sont pour moi des découvertes relativement récentes. J’ajouterai enfin Mike Mignola, dont j’ai pu découvrir le travail en discutant avec un ami à l’atelier illustration/BD de Châtelet.
Bref, je n’ai jamais cessé de découvrir de nouvelles séries, des albums de BD et à chaque fois, c’est que j’avais un coup de cœur pour le dessin et l’univers représenté (souvent de la SF, de la fantasy et parfois du steam punk), mais les influences les plus profondément ancrées sont probablement celles des années 90 : la BD franco-belge, mais aussi l’animation japonaise que je voyais à la télévision étant petit.
Marianne Pierre : Tes projets ?
SERNA : J’ai toujours ce rêve de publier un album de BD, mais je ne suis pas suffisamment confiant sur mes scénarios. Sur les formats très courts de quatre pages, je peux être très efficace, mais je préfèrerais travailler avec un scénariste pour une histoire de 40 pages! Il faudrait alors que l’univers me parle (science fiction, fantastique ou encore fantasy…), en tout cas qu’il y ait une part minimum d’imaginaire et de fun.
En parallèle, je mets les bouchées doubles pour lancer une carrière d’illustrateur et/ou de concept artist en visant en particulier le jeu vidéo où ils ont une grande demande d’artistes pour mettre en images de nouveaux univers, des décors de toutes sortes. Comme je suis de plus en plus à l’aise avec la tablette graphique, ça devrait le faire! Je vise aussi les jeux de société, les jeux de cartes ou même les couvertures de roman, les pochettes d’album musicaux.
Je voudrais vraiment arriver à stabiliser tout ça dans les 3-4 ans qui viennent, à réussir mon changement de carrière en somme. Mais je continuerai à dessiner des planches de BD pour m’amuser et évidemment j’ouvrirai une parenthèse (plus ou moins grande) pour me lancer dans l’aventure si une opportunité d’être édité se présente!
Marianne Pierre : Si ce n’est pas indiscret… pourquoi ‘Serna’ comme pseudo?!
SERNA : Alors le pseudo c’est assez personnel… Disons que ça représente une partie de moi et que je voulais marquer une sorte de rupture avec le « moi » d’avant (rassurez-vous je ne suis pas schizophrène.. enfin je ne pense pas!) et partir vers une voie artistique assumée complètement. Car j’ai toujours dessiné depuis tout petit et là c’était une manière symbolique aussi de marquer le coup, pour ce nouveau départ. En plus, je trouve que ça sonne bien et que c’est facile à retenir!
Merci de m’avoir lu et… j’espère que mes planches dans 64_page vous plairont!
Pour suivre SERNA : www.artstation.com/serna6 www.instagram.com/serna_art_
24 août – LIMCELA – Chatons
Interview Gérald Hanotiaux
Dans le numéro 23 de la revue 64_page, consacré au noir et blanc en bande dessinée, nous pourrons découvrir deux superbes pages intitulées Chatons, signées Limcela. Pour notre plus grand plaisir, elle a accepté de répondre à quelques questions, pour se présenter et nous attirer vers son travail…
Gérald Hanotiaux : Bonjour, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs et lectrices ?
Limcela : J’ai dévoré énormément de bandes dessinées et de mangas dès l’enfance. Je dessinais beaucoup et, à l’adolescence, j’ai commencé à songer à en faire mon métier. Cette idée, assez vague au départ, a pris une dimension réelle et concrète après une première année d’études en bande dessinée. J’ai pu là réaliser combien j’aimais écrire et illustrer des histoires.
Gérald Hanotiaux : Dans quel établissement as-tu suivi cette année d’études ? Comment décrirais-tu l’apport d’un enseignement artistique en bande dessinée ? Fréquenter des cours te semble-t-il important et pour quelles raisons ?
Limcela : J’ai fait mes études aux Beaux Arts de Tournai en bande dessinée. En ce qui me concerne, les études ont créé un contexte dans lequel j’ai fini par trouver ce qui me plaît graphiquement, en tout cas pour le moment. J’y ai rencontré des personnes avec qui je suis toujours en lien, et des disciplines que j’aurais certainement mis très longtemps à découvrir seule : la gravure et la sérigraphie.
Selon moi les études, les cours, ne sont absolument pas une étape indispensable. Tout le monde n’en a pas la possibilité ou l’envie et cela n’empêche rien. La différence cependant, selon mon vécu, est la rapidité de progression dans la discipline, et l’entourage artistique riche créé dans ce contexte. D’ailleurs, cela peut dès lors être difficile de le quitter… Personnellement, quand les études se sont arrêtées pour moi, je me suis sentie assez seule. Sur place on ne côtoie que des gens dans le même domaine, avec les mêmes problématiques, ce qui est très riche, fort et rassurant, mais en dehors de cet espace ça peut parfois être compliqué par la suite de retrouver l’émulation présente entre dessinateurs et dessinatrices.
Gérald Hanotiaux : Pourrais-tu présenter les pages de Chatons que nos lectrices et lecteurs pourront trouver dans le numéro 23 de 64_page ?
Limcela : Je travaillais sur l’expression « Sans état d’âme ». En fermant les yeux et en me plongeant dans mes ressentis au son de cette expression, l’idée de « cruauté » s’est imposée. Cette histoire est pour moi une illustration très juste de ce que je peux ressentir devant ces mots. Quelque chose de très cruel et froid. Je voulais également évoquer les chocs de l’enfance face à cette cruauté.
Gérald Hanotiaux : Ces -très belles- pages paraissent dans un numéro spécial noir et blanc, est-ce une technique habituelle pour toi, ou bien tu t’es adaptée pour coller à la consigne ?
Limcela : J’ai longtemps fait du noir et blanc, surtout en bande dessinée. J’ai même pensé que la couleur n’était pas à ma portée mais depuis quelques années je travaille aussi beaucoup en couleur. Toutefois, le noir et blanc a selon moi une force graphique et narrative énorme ! J’aime pouvoir passer de la couleur au noir et blanc, selon les envies et les sujets.
Gérald Hanotiaux : Comment as-tu eu envie de proposer des pages à la revue 64_page ?
Limcela : La première fois que j’ai envoyé des pages à votre revue j’étais encore aux Beaux-Arts. L’équipe était venue dans notre atelier présenter cette toute nouvelle revue, et on nous a alors proposé d’envoyer des histoires… J’ai eu très envie de participer et une histoire est parue dans le numéro 3, Santiags.* L’expérience a été vraiment chouette, j’ai été ravie de le faire et du contact créé avec des personnes motivées à accompagner les autrices et auteurs. Après cette première expérience, j’ai loupé tous les appels jusqu’à celui ci !
Gérald Hanotiaux : Comment vois-tu le rôle d’une telle revue aujourd’hui, dans une époque où la plupart des revues de prépublication ont disparu ?
Limcela : Je n’ai pas vraiment conscience de cette époque foisonnante des revues de prépublication, mais ce qui me semble important ici, c’est la présence de personnes très investies au sein de cette revue. Les liens ne s’arrêtent pas à la publication, il y a également du partage d’appels à projet, des expositions, des festivals… Donc pour ce qui est du rôle de la revue, je pense surtout qu’elle permet de se tester, et de constater qu’on n’est pas seule.
Gérald Hanotiaux : Qui citerais-tu comme auteurs ou autrices de bande dessinée parmi tes principales influences ou sources d’inspiration ?
Limcela : Une de mes inspirations ultime, c’est Taiyo Matsumoto. J’aime beaucoup le travail d’Anouk Ricard : une génie du rire ! J’apprécie également les livres des Kerascoët, le travail de Bernadette Després qui a illuminé mon enfance, et aussi Emma Adbage, Beatrice Alemagna et une foule d’autres personnes au travail magnifique ! La liste risquerait d’être infinie…
Gérald Hanotiaux : Sur quoi travailles-tu actuellement, en bande dessinée ? Et, plus largement, quels sont tes projets, vers quoi voudrais-tu te diriger ?
Limcela : Actuellement je travaille sur l’écriture d’une histoire d’enfants et de parents, j’espère pouvoir la concrétiser dans un futur proche. J’ai beaucoup de projets différents, je suis au travail sur des livres illustrés, certains à l’écriture et au dessin et d’autres uniquement au dessin, en collaboration avec d’autres. Je travaille également à la co-création d’un spectacle/exposition interactif. Pour répondre à la question, je me dirige donc… vers ce que je suis occupée à réaliser. Mon objectif serait surtout d’apprendre à bien m’organiser !
Gérald Hanotiaux : Y a t-il quelque chose que tu voudrais ajouter, que nous n’aurions pas évoqué ensemble… ?
Limcela : Simplement signaler que c’est toujours chouette d’avoir des espaces de rassemblement, des revues, des expo collectives, des festivals… Cela fait toujours beaucoup de bien. Et c’est important que ça existe !
Merci Limcela !
Vous pourrez trouver une présentation du travail de Limcela sur internet : https://limcela.ultra-book.com / Instagram : limcela * A cette adresse, en cliquant sur l’avatar de Limcela, vous pourrez accéder aux six planches de Santiags :
* A cette adresse, en cliquant sur l’avatar de Limcela, vous pourrez accéder aux six planches de Santiags :
23 août – Walter GUISSARD – La nouvelle mode (MASK)
Interview Philippe Decloux
Bruxellois et étudiant en master à la LUCA School of Arts, j’ai fini mon bachelier à l’ESA Saint-Luc. Étant un grand fan de culture américaine, j’espère un jour pouvoir donner au hip-hop la place qu’il mérite dans le 9e Art (et par la même occasion vivre de mes BD/romans graphiques).
64_page : Avec MASK, tu nous proposes quatre magnifiques pages dans un noir et blanc taillé au scalpel, une séquence intime avec de larges plans panoramiques de Bruxelles sous restrictions covid. Explique-nous comment tu as conçu ces planches et ce récit ?
Walter Guissard : J’ai toujours aimé dessiner dans les transports en communs car ceux-ci sont une source d’inspiration infinie. On y voit de tout : des gens grands, petits, pressées, avec différentes coupes de cheveux, de styles vestimentaires etc.. L’arrivée des masques m’a chamboulé car ceux-ci m’empêchaient de distinguer clairement les visages des personnes autours de moi, m’obligeant donc à me concentrer sur ce nouvel accessoire. Ces réflexions sur le masque, mêlés à mes histoires plus intimes, ont donnés naissance à ce petit récit loufoque.
64_page : Dis-nous qui tu es ? Comment es-tu venu à la BD ? Quel sont tes désirs ? Tes projets ?
Walter Guissard : Je suis un jeune illustrateur et dessinateur de BD bruxellois. J’ai découvert la BD très jeune à travers le monde des mangas, avant de m’ouvrir aux BD américaines et plus récemment au travail franco-belge. Je suis un grand fan de la culture américaine et j’espère un jour pouvoir insuffler un côté plus « hip hop » au monde de la bd qui, je trouve, en manque cruellement.
64_page : Avec Mask, tu nous fais une démonstration réussie de ta technique du Noir et Blanc, travailles-tu aussi la couleur ? ou d’autres techniques ?
Walter Guissard : Tester différentes techniques, c’est avant tout, pour moi, un moyen de ne pas m’ennuyer. Quand je commence une BD, je m’impose souvent des contraintes qui m’obligent à sortir de ma zone de confort, car c’est à que j’y trouve de la satisfaction. C’est en suivant cette démarche que j’ai réalisé des BD à l’aquarelle, à l’acrylique, au feutre ou encore à l’encre. Ma prochaine BD sera entièrement digitale, et en couleur !
64_page : Comment as-tu découvert 64_page ? Qu’est-ce que t’apporte une revue de ce type ? Et qu’aimerais-tu y trouver, qui, selon toi, serait utile pour les jeunes auteurs ?
Walter Guissard : J’ai découvert 64 pages à l’académie de Boitsfort, où j’étudie depuis longtemps. C’est pour moi une chouette façon de découvrir différents styles et différents artistes dans milieu. En tant que jeune auteur, je pense qu’il reste très important de mettre à l’honneur la variété graphique dans la BD pour montrer aux gens qu’ils ne doivent pas s’inscrire spécialement dans une case ou une autre.
Pour suivre Walter Guissard : Instagram : Waltsvibe
Émilie PONDEVILLE – Cauchemar
Interview Gérald Hanotiaux
Afin de lancer l’arrivée prochaine du numéro 23 de la revue 64_page, nous sommes parti à la rencontre des autrices et auteurs présents en ses pages. Aujourd’hui, Émilie Pondeville se confie à nous et nous présente son histoire de six pages, marquées d’un noir et blanc aux ambiances efficaces : Cauchemar.
Gérald Hanotiaux : Bonjour Émilie, pourrais-tu te présenter en quelques mots aux lecteurs de 64_page ?
Émilie Pondeville : Les mamans racontent beaucoup d’histoires à leurs enfants. La mienne m’a raconté que le jour de ma naissance, elle ne parvenait pas à ouvrir ma petite main serrée. Quand elle y parvint enfin, elle y trouva un crayon !
Dès l’âge de six ans, j’ai fait un vœu : devenir dessinatrice ! J’ai appris à lire dans les bandes dessinées, et c’est aussi là que mes rêves de dessin et de création ont vu le jour. À l’âge de sept ans, j’ai suivi des cours d’arts plastiques à l’Académie des Beaux Arts de Tamines. Je n’ai jamais fait de BD mais j’ai toujours porté une grande importance à l’aspect narratif des œuvres. À dix-huit ans, j’abandonnais les cours de dessin pour devenir infirmière spécialisée, en reportant à plus tard mes aspirations… Pour avoir un « vrai métier », selon papa.
Ensuite, j’ai suivi les cours en Bandes Dessinées et Illustration avec Benoît Lacroix à L’Académie de Namur. C’est là que j’ai rencontré l’homme de ma vie, un alsacien venu en Belgique pour apprendre la BD. Une évidence, donc ! Ensemble, nous avons eu le petit Léon. Et après une multitude de coups de crayon, de carnets de croquis remplis et d’histoires courtes, j’ai bientôt trente-six ans et c’est le petit Gaston qui est en gestation. Enfin, j’ai décidé de me lancer, je travaille sur une adaptation du roman 24 heures héro de Saphir Essiaf et Philippe Dylewski (Editions Nouveau Monde). Un roman graphique de 126 pages.
Gérald Hanotiaux : Pour allécher les lecteurs, pourrais-tu présenter ce projet d’importance, de 126 pages ? Quel en est le sujet ?
Émilie Pondeville : Pendant dix ans, j’ai travaillé avec des usagers de drogues vivant dans une grande précarité. Je connais bien le monde de la rue, des squats et des services sociaux… C’est un peu un monde parallèle, presque invisible et pourtant si proche de « Monsieur et Madame Toulemonde ». J’ai toujours eu envie de montrer ce monde dans mes histoires, sans tomber dans les clichés qu’on voit souvent dans les films. Je pense que ce récit permettra de mieux comprendre les usagers de drogues, loin de la diabolisation ou de la banalisation du phénomène. Saphir Essiaf, l’un des auteurs, est éducateur de rue à Charleroi et, avec une expérience similaire à la mienne, il a mis sur papier une histoire comme celle que je voulais raconter. Je l’ai donc contacté pour lui proposer une adaptation du roman, en cours de réalisation pour les Éditions du Tiroir. Un film devrait aussi voir le jour dans les prochaines années. Dans cette histoire, on passe 24 heures avec Nadia et Arnaud dans les rues de Charleroi. C’est une journée comme une autre pour eux, mais pas pour nous.
Gérald Hanotiaux : Son traitement graphique sera-t-il le même que pour les six pages de Cauchemar ?
Émilie Pondeville : Pas du tout. Cauchemar est une histoire à l’encre de Chine, et pour 24 heures héro je travaille au crayon avec une colorisation numérique… Pour l’instant je ne suis pas entièrement satisfaite, je trouve le résultat un peu froid, donc dans la suite du processus je vais tenter une technique mixte mêlant le crayon, l’aquarelle et le numérique. Je ne fais pas d’encrage pour ce récit.
Gérald Hanotiaux : Plus globalement, quelles sont les techniques que tu utilises?
Émilie Pondeville : J’adore varier les techniques et les mélanger : ombrage au brou de noix, encre de chine pour le trait et colorisation numérique, par exemple. J’ai déjà intégré des tableaux à l’huile dans une histoire à l’aquarelle. J’aime beaucoup les marqueurs « Kuretake » qui se diluent à l’eau. Je les utilise à la fois pour les traits, en aplat et pour la mise en couleur, en allant prélever l’encre au pinceau sur le marqueur, ou en diluant directement le trait sur la feuille. J’aime aussi les crayons, mais en général je n’en utilise que trois couleurs pour garder une cohérence. L’ecoline me plaît également, elle permet des ambiances très colorées. En réalité, tout dépend de l’histoire et de l’ambiance que j’ai envie d’y transmettre.
Gérald Hanotiaux : Ton histoire paraît dans un numéro de 64_page spécialement consacré au noir et blanc, t’es-tu adaptée au projet?
Émilie Pondeville : Il s’agit d’un travail réalisé pour le cours de Benoît Lacroix, il y a quelques années. Il faisait sept pages, je l’ai adapté en six pages et retravaillé numériquement, car je pense que mon dessin a évolué depuis. À l’époque, j’avais très envie de me frotter à un encrage noir et blanc plus poussé à l’encre de chine, en jouant avec les ombres et les textures.
Gérald Hanotiaux : En bande dessinée, quels seraient les grands maîtres du noir et blanc selon toi?
Émilie Pondeville : Chabouté, sans hésitation, pour de nombreuses de ses publications, Manu Larcenet pour Le rapport de Brodeck ou Blast. Georges Bess pour Dracula et Frankenstein ou encore Peter Van Den Ende pour Odyssée.
Gérald Hanotiaux : Qu’est-ce qui t’a donné envie de proposer tes pages à 64_page?
Émilie Pondeville : J’ai envie de le faire depuis un moment déjà. Le thème « noir et blanc » m’a permis de franchir le pas. J’adore raconter des histoires mais être lu, c’est encore mieux.
Gérald Hanotiaux : Comment imagines-tu le rôle d’une telle revue?
Émilie Pondeville : Je pense que c’est l’occasion pour des jeunes auteurs de se faire connaître et d’être parfois repérés par des éditeurs.
Gérald Hanotiaux : Plus globalement, comment décrirais-tu les « filières » pour se faire publier actuellement ? Tu es sur un travail pour un éditeur, donc c’est sur les rails mais cela a-t-il été facile ?
Émilie Pondeville : Je ne trouve pas ça simple car il y a un gros travail à fournir, sans aucune garantie. J’ai dû envoyer mon dossier une quarantaine de fois, j’ai reçu peu de réponse. Cela demande un temps colossal, pour lequel je ne compte pas mes heures et je saisis un maximum d’opportunités d’y consacrer du temps.
Gérald Hanotiaux : Que dirais-tu du paysage éditorial actuellement, que beaucoup décrivent comme « encombré »… ?
Émilie Pondeville : Je pense quand même que c’est une bonne chose. Malgré ce contexte, j’ai l’impression d’avoir plus de chances aujourd’hui que si j’avais voulu être publiée il y a trente ans. Les styles sont plus variés, et les femmes sont de plus en plus nombreuses dans la bande dessinée. Ce qui est compliqué, c’est de savoir si on va pouvoir en vivre…
Gérald Hanotiaux : Pour terminer, pourrais-tu présenter Cauchemar, que tu proposes dans ce numéro 23 de 64_page ?
Émilie Pondeville : Comme je le signalais, il s’agit de planches qui dormaient dans mes tiroirs, retravaillées pour 64_pages. Je dédie cette histoire aux insomniaques, si nombreux mais si seuls lorsque le sommeil ne vient pas. Lorsque j’ai imaginé Cauchemar, je vivais une période difficile. Suite à un stress post-traumatique, je ne parvenais plus à dormir… Mes nuits ressemblaient réellement à celle de Cauchemar. Si l’angoisse s’empare de vous la nuit, vous entendrez peut-être la nuit qui s’empare de vous. En hypervigilance permanente, vous guetterez le moindre bruit, sursauterez à chaque instant, votre cœur explosera dans votre poitrine, votre peau vous démangera comme si elle était trop petite, votre gorge aussi serrera de plus en plus et dormir, enfin, deviendra un vrai cauchemar…
Aujourd’hui, je vous rassure, je dors comme un bébé !
Merci Émilie !
Vous pouvez découvrir le travail d’Émilie Pondeville sur internet, aux adresse suivantes : Instagram : art-emi-9
Xan HAROTIN – 7 ans
Interview Philippe Decloux
Xan Harotin vit à Bruxelles. Elle dessine pour différents magazines et anime des ateliers artistiques.Elle aime la nature, dessiner des animaux et imaginer des histoires.
Philippe Decloux : Partons du postulat que nous ne nous connaissons pas, que dirais-tu pour te présenter aux lecteurs de 64_page ?
Xan Harotin : Je suis autrice et illustratrice. J’ai fait mes études à l’Académie Royale des Beaux-arts de Bruxelles et mon master à Tournai. Depuis j’ai publié deux livres et j’ai collaboré avec plusieurs magazines. Je réalise aussi des fanzines.
Philippe Decloux : Tu fais d’habitude vivre dans tes aquarelles de merveilleux petits animaux charmants, tendres et toujours un peu décalés avec une philosophie de vie accessible aux enfants, ici tu nous proposes quatre pages noir et blanc, une histoire autobiographique. Explique ton cheminement, tes choix techniques ?
Xan Harotin : Cette histoire est assez différente des autres car elle a été écrite lors d’un voyage que j’ai réalisé il y a quelques années. Quand je pars en voyage suffisamment longtemps j’aime garder une trace, dans ce cas-ci j’ai écrit ce passage en sachant que je voudrais le réaliser en bd. Il m’a fallu du temps après mon retour pour la réaliser. Habituellement, je dessine à la plume et à l’aquarelle mais là le noir et blanc s’est imposé naturellement. J’avais déjà dessiné une histoire en noir et blanc auparavant mais pas encore avec autant de détails.
Philippe Decloux : Toi qui nous émerveille par tes représentations de la nature, tu proposes cet univers plus réaliste, tu te confrontes à l’architecture des villes, aux objets modernes, à la mobilité avion, vélo, voiture… Pourtant toute ta poésie inonde ces « 7 ans », tu vas pérenniser cet aspect de ton travail ? As-tu d’autres projets dans ce style ?
Xan Harotin : Pour le moment je n’ai pas d’autres projets dans ce style, mais j’aime le noir et blanc et je n’hésiterai pas si cela se présente.
Philippe Decloux : Dans la revue précédente, tu nous as proposé un scénario dessiné par Noelia Diaz, est-ce que tu envisages d’autres collaborations ? Quels sont tes projets ?
Xan Harotin : J’ai un futur projet en tant qu’autrice avec une autre illustratrice à paraître en 2024 chez l’Etagère du bas…
Ainsi que d’autres projets personnels qui sont en développement.
Pour suivre Xan : https://xanharotin.ultra-book.com
Mathilde GONZALES & Johan FERRAND-VERDEJO – La guerre des oubliés
Interview Hérald Hanotiaux
Mathilde : Figurez-vous je que dessine depuis que je sais tenir un crayon (d’après ma mère, je ne m’en souviens pas). J’ai la chance d’avoir cette grande passion à travers laquelle je m’exprime, qui rythme mon quotidien, et qui m’offre un regard différent sur les choses qui m’entourent. Apparemment, je serai le De Vinci de cette époque (toujours selon ma mère).
Johan : Enseignant passionné de BD et membre de l’équipe de 64_page, j’essaye de travailler avec mes élèves autour de cet art en classe et dans un club dont j’ai la charge. J’apprécie de voir jusqu’où les mène leur imagination et les pousser à aller au bout de leurs projets. Pas dessinateur pour un sou, J’aime imaginer et inventer des histoires.
La guerre des oubliés
Pour saluer l’arrivée prochaine du numéro 23 de la revue 64_page, nous sommes parti à la rencontre des autrices et auteurs qui en constituent le sommaire. Aujourd’hui, cap vers le sud et l’Espagne, avec Mathilde Gonzalez et Johan Ferrand-Verdejo, qui nous présentent trois pages toutes en nuances de gris : La guerre des oubliés.
Gérald Hanotiaux. Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs et lectrices de 64_page ?
Johan Ferrand-Verdejo. Depuis trois ans, je suis enseignant d’espagnol en lycée, en banlieue parisienne. J’adore lire des bandes dessinées depuis toujours, et j’essaye de varier au maximum mes lectures afin d’explorer aussi bien ce qui s’est fait par le passé que les sorties récentes.
En tant qu’enseignant grand amateur de bande dessinée, j’ai voulu mélanger ces deux aspects de ma personnalité. En classe, je traite donc au moins un chapitre par niveau à travers des œuvres de bande dessinée hispanophone. En parallèle, j’ai mis en place pour les élèves du lycée un « club BD », dédié à la création de planches – publiées dans le journal du lycée – mais aussi à la discussion autour de thèmes de société traités à partir d’extraits d’œuvres graphiques. Grâce à ce club les élèves découvrent des œuvres qu’ils n’auraient peut-être pas connues autrement et, à l’inverse, ils me font découvrir des choses sur lesquelles je ne me serais pas penché par moi-même.
J’ai créé ce club après avoir travaillé, avec mes élèves de Terminale, les thèmes de la guerre civile et de la dictature espagnole à travers la bande dessinée. Ce sujet était au cœur de mon mémoire de master, centré sur le travail d’Altarriba et Kim dans El arte de volar (NDLR. L’Art de voler, paru en français chez Denoël Graphic). Dans ce cadre, à travers un travail de création de bande dessinée, j’ai pu découvrir un grand intérêt et un grand talent chez certaines et certains élèves. Pour être tout à fait honnête, le travail de Mathilde, ancienne élève, m’avait fait vraiment forte impression. La planche créée à cette époque est d’ailleurs à la base de notre travail pour ce numéro de 64_page, il s’agit de l’histoire du couple. Mathilde avait également créé la couverture du recueil du travail des élèves. On a gardé contact après son Bac, et quand j’ai vu le sujet « noir et blanc » pour un numéro de 64_page, j’ai tout de suite pensé à elle et au travail effectué dans le cadre de ce cours.
Dans mon mémoire de master j’ai également travaillé sur l’utilisation de la BD dans l’enseignement, aussi bien au niveau de sa fréquence d’utilisation que sur la façon de le faire. Par ailleurs, j’ai aussi co-écrit quelques articles dans 64_page, en lien avec l’œuvre de Jodorowsky que j’apprécie particulièrement, tant pour ses bande-dessinées que pour son cinéma.
Mathilde Gonzalez. Je m’appelle Mathilde, je suis étudiante et j’ai commencé à dessiner dès le collège, d’abord en reproduisant des personnages ou des lieux, puis de plus en plus en voulant trouver ma patte personnelle. Si la majorité de mes dessins sont des croquis à moitié finis sur des bords de pages, j’aime aussi travailler en digital pour des illustrations plus finies et détaillées. Par dessus tout, j’adore explorer les créations des autres artistes et auteurs, et échanger sur leur façon d’exprimer leurs idées et concepts.
Gérald Hanotiaux. Comment vous êtes-vous réparti le travail ? Par un classique scénario écrit transitant vers la dessinatrice, ou bien le processus a-t-il été différent ?
Johan. Le point de départ a été la planche faite par Mathilde en Terminale. À partir de là on s’est dit qu’on voulait présenter une histoire indépendante par page, tournant autour de personnages de différentes générations. J’ai proposé plusieurs idées générales à Mathilde qui a validé ou proposé des petites modifications de scénario. Ensuite, j’ai fait une mise en page grossière de ce que j’avais en tête et Mathilde a travaillé à partir de ces brouillons. Dans le cas de l’histoire de la petite fille c’est resté assez proche de ce que j’avais imaginé, dans celle de la personne âgée elle a amélioré le tout en repensant les différents angles de vue. Le résultat final est bien meilleur que ce que j’avais en tête !
Mathilde. C’est exactement ça, grâce aux brouillons et à tous les détails dont on a pu discuter, j’ai pu me faire une bonne idée de l’histoire et du déroulement de chaque scène. Après, j’ai modifié les plans pour suggérer certains éléments et varier les points de vue, pour donner un peu de profondeur. Ou bien au contraire, j’ai pu garder l’approche plus linéaire des brouillons, car elle se prêtait bien au scénario et mettait en avant l’évolution du milieu des personnages.
Gérald Hanotiaux. Cette histoire est publiée dans un 64_page spécial noir et blanc, est-ce une technique habituelle pour toi, ou cela t’a-t-il demandé une « adaptation » ?
Mathilde. Une certaine adaptation a été nécessaire, oui ! Au digital, j’apporte pas mal de soin au travail des couleurs, c’est une étape que j’aime beaucoup. Travailler uniquement avec des nuances de gris a été en quelque sorte une première, et il a fallu réfléchir à la façon dont j’allais recréer des ombres et des lumières, mais surtout du contraste entre les éléments. Mais au final, il a été très plaisant de remplir les planches et même d’inclure des petites touches de couleurs dans un décor en noir et blanc.
Gérald Hanotiaux. En effet, au sein du noir et blanc vous avez placé quelques touches de bleu ou de rouge, pourquoi ce choix ?
Mathilde. Ce n’était pas forcément prévu au départ… En avançant dans le croquis, j’ai trouvé intéressant de ponctuer certains détails d’une couleur bien particulière, pour évidemment les mettre en avant, mais aussi jouer avec l’attention du lecteur. Parfois pour ajouter de l’impact, pour faire un peu de foreshadowing – inclure des indices prenant leur sens plus tard – ou encore pour renforcer les contrastes. Dans le cas de ces trois planches, cela mettait en avant un renversement ou un changement de façon plutôt intéressante selon moi. J’ai alors présenté les deux versions à Johan, et ça a dû le convaincre puisqu’on a choisi les versions avec couleur.
Johan. En effet, dans un premier temps je n’avais pas non plus pensé à ajouter les couleurs, mais quand Mathilde m’a expliqué son idée et placé devant le résultat, j’ai tout de suite compris les apports à la construction de chaque histoire. Il m’a alors semblé évident que ces différentes touches de couleurs devaient être présentes.
Gérald Hanotiaux. Quels seraient selon chacun de vous les maîtres du noir et blanc en bande dessinée ?
Mathilde. Avec cette question, je me rends compte ne pas avoir lu une seule BD en noir et blanc, j’espère qu’on me pardonnera ! Par contre, si on se tourne vers les mangas, sachant que l’impression est quasi exclusivement monochrome, il y a plus de choix, et je vais pouvoir citer Takehiko Inoue et Hirohiko Araki, respectivement pour Vagabond et JoJo’s Bizarre Adventure. Ils font selon moi preuve d’une maîtrise et d’un style de dessin incroyables, je les admire particulièrement.
Johan. Beaucoup me viennent à l’esprit : Hugo Pratt, Comès, Frank Miller, Eduardo Risso, Keko… Et Taniguchi, si on part vers le manga. Difficile d’établir une liste restreinte ! Si je devais citer une œuvre en particulier je choisirais Habibi de Craig Thompson, une de mes plus belles lectures en noir et blanc
Gérald Hanotiaux. Plus largement, quels sont les auteurs ou autrices qui comptent pour vous ? Et celles et ceux que vous citeriez comme influences ?
Johan. Je vais essayer d’établir une liste plus courte ! Jodorowsky me vient spontanément à l’esprit ainsi qu’Antonio Altarriba dont je trouve les œuvres absolument fascinantes. Pour le coup, c’est vraiment son œuvre avec Kim sur El arte de volar et El ala rota (NDLR. L’aile brisée, paru chez Denoël Graphic) qui a inspiré notre proposition pour ce numéro de la revue.
Mathilde. J’ai commencé à lire de la bande dessinée avec Les Légendaires de Patrick Sobral, et le travail de la dessinatrice Nadou m’a vraiment donné envie de me lancer moi-même dans le dessin tellement il m’a plu. Aujourd’hui, en plus des deux déjà cités, j’aime énormément les histoires de ONE ou de Naoki Urasawa.
Gérald Hanotiaux. Mathilde, as-tu suivi un enseignement artistique ? Que penses-tu que peut apporter un tel enseignement ?
Pas du tout, je n’ai pas suivi de cours, même si je dois avouer que ça m’est déjà passé par la tête, ça me plairait beaucoup d’aborder le dessin et l’illustration sous un autre angle. Je suis certaine que cela peut vraiment aider à perfectionner un style, ou bien sortir d’une certaine zone de confort en expérimentant quelque chose de nouveau, mais surtout cela doit permettre de se diversifier et de s’enrichir techniquement.
Gérald Hanotiaux. Vous proposez cette histoire dans la revue 64_page, qui a pour vocation de montrer au public et aux professionnels de l’édition les premiers travaux d’autrices et auteurs. Comment voyez-vous un tel projet dans un contexte où la plupart des revues de prépublication ont disparu ?
Johan. C’est vrai que ce genre de revue n’existe quasiment plus et c’est vraiment dommage. C’est une très grande chance pour les jeunes auteurs et autrices de mettre en avant leur travail sans se lancer directement dans une guerre acharnée de création d’un album, qui leur prendrait un temps fou pour une publication bien loin d’être acquise. Ça permet aussi de montrer, à travers différents projets de quelques pages, une gamme variée de ce qu’une autrice ou un auteur peut faire. En somme, il est très important que ce genre de revue continue à exister.
Mathilde. En plus de tout ce qui a très justement été décrit, je pense aussi que cela peut être l’occasion pour de nouveaux auteurs ou autrices de se frotter au monde de la publication et de l’édition, potentiellement pour la première fois, et de travailler sur un projet au cadre clair, comme ça a pu être le cas pour moi. En plus des retours et de l’expérience acquise, c’est un support qui reste crucial pour la visibilité des artistes de ce milieu.
Gérald Hanotiaux. Plus largement, comment imaginez-vous les possibilités de se faire connaître dans un contexte d’édition souvent présenté comme « encombré » ?
Johan. En plus des quelques revues qui existent encore, je pense que les réseaux sociaux sont le moyen le plus efficace pour montrer son travail à un maximum de personnes et ainsi se faire connaître. Néanmoins, il faut aussi fournir un gros travail pour publier des choses régulièrement et, de ce fait, rester visible.
Mathilde. Effectivement, si on souhaite se faire connaître, il peut être bon de regrouper son travail sur une plateforme ou un média accessible et de savoir se mettre en avant, pour atteindre le plus de monde possible. Les réseaux sociaux facilitent bien cette démarche, même s’il peut être difficile de garder de la régularité et de se distinguer dans le flot de très bon contenu déjà exposé.
Gérald Hanotiaux. Avez-vous d’autres projets ensemble en bande dessinée ?
Johan. Pour l’instant rien de concret. Ça a été un réel plaisir de créer ces trois pages ensemble et quand une idée nous retombera dessus, j’espère que nous nous relancerons dans cette aventure ensemble !
Mathilde. J’espère bien, oui ! J’ai adoré faire ce projet et en ai profité un maximum. Même si pour l’instant on ne travaille sur rien de précis, si l’inspiration frappe encore, il est probable qu’on revienne avec un nouveau projet.
Gérald Hanotiaux. Quelles seraient vos envies, plus largement, dans la bande dessinée ? Ensemble ou respectivement… ?
Johan. Pour l’instant, j’espère continuer à partager ma passion pour la BD avec mes lycéennes et lycéens. D’un autre côté, mon plus grand souhait serait qu’un jour Mathilde publie un album, avec ou sans moi. Elle a un talent fou et j’aimerais énormément avoir un exemplaire du fruit de sa créativité dans ma bibliothèque !
Mathilde. Merci énormément, c’est un très bel objectif pour moi, et ça me touche beaucoup de me savoir aussi soutenue ! Pour le moment, j’essaie surtout, notamment par le biais de ce projet, de me perfectionner jusqu’à me sentir capable d’attaquer un travail de plus longue haleine. Ce qui est sûr, c’est que j’ai de plus en plus envie de mettre en scène et d’en arriver là un jour, à un album… Il serait alors certain que cette collaboration aura joué un rôle majeur vers ce but !
Pour finir, nous aimerions remercier l’équipe de 64_page de nous avoir donné l’opportunité de nous lancer dans cette aventure très enrichissante et d’avoir retenu notre projet.
Merci Mathilde et Johan !
Vous pouvez découvrir le travail de Mathilde Gonzalez sur Instagram : Mathilde : Instagram : machii.__ Johan : Instagram : johanfvbd
TRÉFILIS – Mon ombre est moi
Interview Marianne Pierre
J’ai toujours rêvé d’être publié en tant qu’auteur de bande dessinée et je poursuis cette quête sans relâche. J’ai appris le dessin en autodidacte avec une influence certaine du manga. Face à la difficulté d’être accepté dans le monde de l’édition, j’essaie de me faire une place dans l’océan d’Internet.
Marianne Pierre : Tu dis que ton histoire est une histoire d’horreur. Pourtant, cette ombre ne semble pas si méchante?
Tréfilis : Effectivement l’ombre ne paraît pas si effrayante, et elle ne représente aucun réel danger. C’est plutôt l’étrangeté, le mystère et l’altérité qu’elle évoque qui me paraissent effrayants. Elle représente une certaine part de nous-même avec laquelle on ne prend que rarement le temps de discuter. Mais cette inconnue fait déjà partie de nous même et ne nous veut aucun mal. Il est nécessaire de l’embrasser pour être entièrement soi-même.
Marianne Pierre : Ta BD s’inspire d’un cauchemar, lui-même inspiré par une lecture… Tes influences sont plutôt littéraires?
Tréfilis : J’ai des influences multiples. Elles viennent autant du cinéma, de la BD et de la littérature que du théâtre, de la musique ou du jeu vidéo. Quand une œuvre me parle, elle m’évoque des images, des séquences et des histoires quelle que soit sa provenance.
Marianne Pierre : Peux-tu nous parler de tes tentatives pour être publié?
Tréfilis : Me faire publier c’est une traversée du désert. Depuis un an j’ai envoyé le dossier de ma Bd Unisphère à une trentaine de maisons d’édition sans aucun retour positif. Entre les délai de réponse très long, les réponses « automatique », voir l’absence de réponse ; c’est difficile de garder courage. Pour le moment seule votre revue a accepté de diffuser un de mes projets et cela m’a fait beaucoup de bien. Pour Unisphère j’ai décidé de la diffuser sur le net et j’ai un autre projet récent pour lequel j’attend encore des réponses.
Marianne Pierre : Tu publies une BD, Unisphère, sur internet. C’est un moyen de se faire connaître?
Tréfilis : Effectivement, face au refus des éditeurs pour Unisphère j’ai décidé de la diffuser gratuitement sur le net pour gagner en notoriété. Mais ici aussi c’est difficile de tirer son épingle du jeu tant le nombre d’œuvres est conséquent. Pour le moment la tentative n’est pas très fructueuse. Les réseaux sociaux comme Instagram sont, eux aussi, difficiles à vivre. j’ai souvent l’impression d’envoyer des bouteilles à la mer.
Marianne Pierre : Tu es un dessinateur autodidacte: quelles sont tes techniques d’apprentissage?
Tréfilis : Les ressources pour apprendre le dessin sont très facile d’accès et internet regorge de tutoriaux en tout genre notamment sur youtube (je citerai les chaînes de Proko pour l’anatomie et de David Revoy pour le logiciel de dessin que j’utilise : Krita) Ensuite je m’astreins à une pratique journalière du dessin, c’est la seule manière efficace de progresser. J’essaie de connaître au mieux l’anatomie pour pouvoir la simplifier et dessiner sans référence quand je travaille sur ma BD et gagner du temps (car une Bd c’est énormément de dessin) sinon j’aime bien me mettre dans les position des personnage que je dessines pour « ressentir » le dessin de l’interieure. Pour le moment, j’ai encore du mal avec les décors et les paysages car je n’ai pas encore suffisamment d’entraînement
Pour lire ma BD Unisphère : https://www.mangadraft.com/bd/unisphere Instagram : trefilis7
THÉ au VINAIGRE – Pudique
Interview Philippe DECLOUX
« Mon nom de plume, c’est Thé au Vinaigre. Graphiste de formation et bédéiste autodidacte, je mélange mes fonds de tasse avec mes encres, pour parler de ce qui me tient à coeur, ou donner vie à mes personnages. »
64_page a repris deux histoires d’une planche pour notre nouveau projet UNE planche UNE histoire : Pudique de cette autrice passionnante et passionnée.
Découverte …
64_page : Dis nous qui tu es, quel est ton parcours personnel comme femme et comme créatrice, dessinatrice ?
Thé au Vinaigre : Je suis Lorraine, ou Thé au Vinaigre, ou encore Théo. Mon parcours en tant que femme et créatrice, c’était d’essayer d’être quelqu’un d’autre tout le temps. Quand j’étudiais à l’*Epsaa, je me sentais toujours en décalage avec les autres. Sur le plan créatif et personnel, j’essayais d’être aussi féminine que les autres filles, de rester sage, puis d’être un petit mec qui se fout de tout. Ça ne m’allait pas, et tout le monde le sentait. Je me censurais. Par la suite, j’ai écrit Kernel Stigmas, et ça m’a beaucoup débloquée, tout comme ça m’a aidée à sortir du placard sur bien des aspects. Mon parcours en tant que non-binaire qui assume ses goûts et ses coups de gueule est étonnamment plus enrichissant!
*École professionnelle supérieure des arts appliqués
64_page : Tu proposes deux histoires d’UNE planche pour notre nouveau projet, tu abordes avec humour et liberté des sujets très intimes, très perso, comment construis-tu tes récits ?
Thé au Vinaigre : Ce sont toujours des histoires qui me tournent beaucoup, beaucoup, beaucoup en tête, pendant des mois. Parfois j’en discute avec des potes qui se sentent concernées, je lance des appels à témoignages auprès de mes abonnées, ou je débats avec moi-même sous la douche ! C’est comme une discussion quasi constante qui me travaille, et ça ne se calme qu’une fois que c’est écrit sur le papier, pile dans l’ordre souhaité, avec les mots voulus. C’est lors de l’écriture que je vais doser ce que je choisis de montrer ou non aux lectrices, ainsi que la touche d’humour nécessaire à ce qu’on ne me prenne pas en pitié, car ce n’est pas le but.
64_page : Tu as un dessin très sensuel, très gourmand. Est-ce uniquement pour ces récits ou est-ce ton style habituel ?
Thé au Vinaigre : C’est la première fois qu’on me le dit, et j’en suis plutôt contente! Je crois que c’est la première fois que je m’autorise ce style là pour un de mes récits. Ça m’arrive de dessiner de cette façon pour des croquis de recherche, je trouve ça assez satisfaisant à faire.
64_page : Quels sont tes projets à court et à moyen terme ? Quels thème veux-tu aborder et avec quelles techniques ?
Thé au Vinaigre : Je vais me focaliser sur ma série de bande dessinée Kernel Stigmas, maintenant que j’ai terminé l’épisode pilote. On sera sur de la fantasy contemporaine, avec une héroïne qui a le vécu d’un peuple stigmatisé, avec l’éducation d’un peuple stigmatisant. Mais il y aura d’autres petites thématiques qui me touchent, comme la transidentité, la lutte des classes… En parallèle, j’aimerais bien faire un recueil de mes petites histoires, comme celles que je vous présente aujourd’hui.
64_page : Thé au Vinaigre, tu as le pseudo le plus surprenant, le plus drôle, il a une histoire ? Tu peux nous la raconter ?
Thé au Vinaigre : On me le dit souvent, ça me fait beaucoup rire! Il a une histoire, très très bête. Mon père a nettoyé la bouilloire au vinaigre blanc, et ne l’a pas rincée. Bien sûr il n’a prévenu personne et c’est sur moi et mon thé vert que c’est tombé..!
J’ai fais du thé au vinaigre mon pseudonyme, car je trouve qu’il résume bien ce que je suis : j’ai l’air zen, mais je suis très acide quand on gratte un peu la surface.
Pour suivre Tbé au Vinaigre : Instagram @the_au_vinaigre - @kernel_stigmas
PAVÉ – Des cartoons à éclat écarlate
Interview Cécile Bertrand
« Pavé, ce jeune bruxellois, né en 1959, a travaillé dans le secteur associatif jusqu’à l’issue de sa carrière. Autodidacte, il tente de se faire l’écho de ce qu’il croise et parcourt, façon dessin de presse, en noir et blanc … avec un p’tit coup de rouge. »
64_page : Tu as déjà été interviewé par 64_page, en quelques mots peux-tu nous rappeler ton parcours de cartoonist ?
Pavé : Pavé, c’est tant ma part abandonnée que ma part retrouvée. La part abandonnée pendant plus de trente années par un Patrick Verhaegen – c’est mon nom officiel – oblitéré par ses engagements professionnels et militants. C’est la part retrouvée sur prescription médicale et jardinée régulièrement depuis, y compris au-delà de ma carrière professionnelle. Façon dessin de presse, à travers Pavé, je fais écho de ce que je parcours tantôt méditant, tantôt souffrant, tantôt souriant… toujours aimant, toujours vivant.
64_page : Quand tu dessines « Fin de partie » – ces joueurs de boules qui tendent d’approcher un cochonnet qui est le soleil couchant au bout d’un immense horizon – c’est toute une parabole de la vie, atteindre l’impossible pitchoune, comment se passe ton processus de création ? L’idée surgit comme une évidence ? Ou est-ce un processus par étape, par essai ?
Pavé : Il y a de l’ordre du surgissement autour de thèmes qui s’imposent régulièrement à moi comme dans « Fin de partie » :l’horizon, le soleil,… Une idée, une image survient en déclic que je m’efforce de capter, de griffonner dans le carnet qui m’accompagne afin qu’elle se pose une première fois, ne s’échappe pas. Ensuite, elle mijote, me revient en tête chroniquement jusqu’à ce que je la re-poseau net sur le papier et là, elle naît, vient au monde, s’apaise et m’apaise.
64_page : Comme on vient de le voir, tes cartoons ont souvent une connotation philosophique, en tout cas un regard décalé, narquois sur le monde qui nous entoure. Utilises-tu ta plume comme arme de décapage des cerveaux englués ?
Pavé : C’est, je crois, un regard sur l’homme vis-à-vis du monde qui l’entoure. Cet homme qui se croit surpuissant, se veut dominateur alors qu’il se doit plus d’être humble, sensible à ce qui l’entoure et le dépasse. Mais la compréhension de cela vient plutôt a posteriori qu’a priori. Je n’en ai pas conscience au début. C’est progressivement que le sens émerge dans ce qui s’est imposé à mon cerveau qui s’est englué tout comme bien d‘autres cerveaux de mes congénères le sont.
64_page : Ton dernier dessin n’amuse personne. Que te dis-tu ? Cela peut arriver ou ces idiots ne comprennent rien ?
Pavé : Cela peut arriver que ces idiots ne comprennent rien ! Là, je joue. Plus sérieusement, il y a certes de la déception. Emerge alors aussi un regard critique : qu’est-ce qui dans le dessin, dans la légende a manqué, fait défaut ? Mais il y a d’abord et surtout une reconnexion à ce que ce dessin m’a apporté, à moi-même. Et là, il y a certes un travail, un labeur et il y a surtout un plaisir profond, essentiel. Et c’est ce qui compte avant tout.
64_page : Par souci médiatique de greenbashing n’abandonnerais-tu pas le rouge (les socialistes ont déjà donné !) pour le vert ?
Pavé : Le vert est certes à la mode, politiquement correct. Le rouge devrait l’être aussi. Et quid du bleu, de l’orange, de l’amarante ? Quand le rouge s’est imposé à moi, il n’y avait aucune volonté de faire une référence politique. Il s’est ajouté au noir et blanc qui existait avant que j’abandonne Pavé. A sa reprise, le rouge a émergé en lien avec ma situation de santé du moment. Le rouge a un double sens qui me fait le conserver comme couleur de base. C’est à la fois une couleur de douceur et une couleur de douleur. C’est celle de l’amour, de la vie qui circule et c’est aussi celle de la blessure, du sang qui coule.
Alors, là-dessus, un p’tit coup de rouge ?!
Pour suivre Pavé : https://www.facebook.com/pavesurlenet/
Inès SANCHEZ ROYANT – Une autre opération
Interview Gérald Hanotiaux
Dans le numéro 23 de la revue 64_page, à paraître à la rentrée, nous retrouvons notre cadette Inès Sanchez-Royant, qui nous propose trois magnifiques planches en nuances de gris, rehaussées d’un élégant bleu. Elle nous livres quelques mots sur elle, cette histoire, et ses envies…
Gérald Hanotiaux : Bonjour Inès, pourrais-tu te présenter aux lectrices et lecteurs de 64_page?
Inès Sanchez-Royant : J’ai quatorze ans et je suis franco-espagnole. J’aime lire, dessiner et inventer des histoires depuis toujours. Je suis passionnée de bande dessinée, j’adore en faire tout comme les dévorer.
Gérald Hanotiaux : Pourrais-tu nous parler de l’histoire que tu proposes dans le nouveau numéro de 64_page, intitulée Une autre opération ?
Inès Sanchez-Royant : Il s’agit de ma première histoire entièrement autobiographique. À quatorze ans j’ai déjà été opérée neuf fois. J’ai adapté mon point de vue en bande dessinée. À chaque intervention médicale, les couleurs semblent disparaître du monde et je finis par associer la douleur aux tons grisâtres, à la lumière éblouissante et à l’obscurité intense. J’ai donc pensé à tout ça pour ce projet dans un numéro consacré au noir et blanc. Dans quelques semaines j’irai au bloc opératoire pour une dixième fois.
Gérald Hanotiaux : À ce noir et blanc, tu as décidé d’ajouter des touches de bleu. Pourquoi ce choix ?
Inès Sanchez-Royant : J’ai rajouté du bleu sur les anesthésistes pour leur donner de l’importance. Avant de sombrer dans le noir, les dernières couleurs que je vois sont essentiellement le blanc des lumières et des murs, et le bleu-vert qui recouvre les anesthésistes de la tête aux pieds. Ce bleu était donc important pour ces planches.
Gérald Hanotiaux : Es-tu particulièrement amatrice de noir et blanc en bande dessinée, de manière générale ?
Inès Sanchez-Royant : Je n’aime pas trop le noir et le blanc en bande dessinée, je préfère mettre et voir de la couleur. Je colore normalement mes planches avec des couleurs vives.*
Gérald Hanotiaux : Que t’apporte le fait de publier dans une revue comme 64_page ?
Inès Sanchez-Royant : 64_page me permet de me faire une petite place dans le monde de la BD et de commencer, peut-être, à me faire connaître par les éditeurs.
Gérald Hanotiaux : Comptes-tu te tourner vers un enseignement artistique ? Qu’attendrais-tu d’un tel enseignement ?
Inès Sanchez-Royant : Je souhaite faire des études supérieures artistiques après le lycée. Je pense me tourner plutôt vers une spécialisation en bande dessinée. J’attends simplement, de l’école que je choisirai, une possibilité de professionnalisation de ma passion.
Gérald Hanotiaux : Qu’aimes-tu particulièrement dans le fait de t’exprimer en bande dessinée ?
Inès Sanchez-Royant : M’exprimer en bande dessinée me permet d’utiliser l’ironie et la critique sociale avec l’écriture et le dessin. On peut projeter exactement ce qu’on a dans la tête très facilement, rapidement et visuellement. Ce format permet de raconter, tout comme au cinéma – avec les codes de ce dernier, plans, angles de vues… – mais avec des facilités en plus : on peut par exemple jouer sur la taille des cases pour accentuer la narration… Bien entendu, il est également plus rapide de dessiner les personnages et les décors d’une bande dessinée que d’organiser un tournage de cinéma. En puis, en bande dessinée, le résultat final est toujours exactement comme on l’a imaginé.
Gérald Hanotiaux : Quel(le)s sont les auteurs et autrices, et les dessinateurs et dessinatrices qui t’ont donné envie de te lancer dans la BD ?
Inès Sanchez-Royant : Les auteurs qui m’ont donné envie de me lancer dans la bande dessinée, il y a cinq ans, sont Jean-Michel Darlot et Johan Pilet pour leur série Ninn, et Alex Alice pour Le château des étoiles. Actuellement, j’apprécie particulièrement le travail de Giovanni Di Gregorio et Alessandro Barbucci pour Les sœurs Gremillet, de même que celui de Kid Toussaint et Aveline Stokart pour Elle(s).
Gérald Hanotiaux : Pour terminer, Inès, pourrais-tu évoquer tes éventuels projets immédiats en bande dessinée ?
Inès Sanchez-Royant : Nous nous étions vu l’an dernier lors de la journée de rencontres avec les éditeurs au Centre belge de la BD, je vais y retourner cette année présenter mes travaux récents. J’ai également présenté un nouveau projet au prix Raymond Leblanc, qui a d’ailleurs un lien avec Une autre opération. Dans cette nouvelle histoire, une jeune fille se fait opérer et se voit projetée dans un monde parallèle suite à l’anesthésie. Vous l’aurez compris, je me base sur mon expérience et j’y ajoute du merveilleux et du fantastique.
Nous te souhaitons de tout cœur le plus grand courage pour ce passage à l’hôpital, et…
Merci Inès !
Vous pouvez découvrir le travail d’Inès Sanchez-Royant sur internet : losdibujosdeines.wordpress.com / Instagram : ines.sanchez.royant
* Vous pourrez voir les couleurs chatoyantes d’Inès dans Petit meurtre matinal, aux pages 45 à 47 de notre numéro 22, consultable à cette adresse :
Nour HAÏDAR – Let’s dance
Interview Angela Verdejo
Je suis une illustratrice de Beyrouth, Liban, de 22 ans. J’aime raconter des histoires en BD et je joue avec beaucoup de médiums, styles et sujets différents. Je saute entre illustration et bande dessinée, découvrant à chaque fois de nouvelles façons de m’exprimer.
64_page : Nour, tu fais partie des jeunes auteur.e.s sélectionné.e.s pour le spécial noir et blanc de 64_page qui paraîtra en septembre pour la Fête de la BD de Bruxelles et qui sera ensuite présent au premier festival « Beyrouth Livres » au Liban, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs.trices pour commencer cet entretien ?
Nour Haidar : Je m’appelle Nour Haidar. Je suis une illustratrice libanaise de 22 ans née à Beyrouth. Je dessine depuis que je suis petite, j’ai toujours aimé expérimenter avec toutes sortes de médiums. En 2018, j’ai intégré l’Académie Libanaise des Beaux-Arts (ALBA), section Arts Graphiques et Publicité. En 2019, je me suis spécialisée en Illustration et BD.
Après ma spécialisation, et grâce à ma prof Michèle Standjofski, toute ma perception du dessin et de la bande dessinée a changé. Pour moi, le dessin est devenu un outil pour l’imagination. J’ai appris à observer correctement et à transformer non seulement ce que je vois, mais aussi mes idées en traits, en formes et en couleurs. Ensuite, j’ai appris à faire des bandes dessinées, et comment on raconte une histoire à travers des images. J’aimais construire des mondes et créer des personnages, et je savais que c’était ce que je voulais faire pour après passer ma vie à raconter des histoires. Le dessin, pour moi, est un langage universel et il m’a aidée à communiquer mes pensées et mes idées ; c’était comme si mon imagination avait enfin trouvé l’outil dont elle avait besoin.
Actuellement, je fais ma dernière année de master à l’ALBA, je me concentre donc sur mon projet de fin d’études, qui sera très probablement une BD de 48 pages. Je travaille également en tant qu’illustratrice chez Lebanon Alternative Learning (LAL).
64_page : pour revenir à ce numéro spécial noir et blanc, pourquoi, selon toi, dessiner en noir et blanc ?
Nour Haidar : Je dessine généralement en noir et blanc, puis j’ajoute les couleurs digitalement. Personnellement, j’ai toujours l’impression que si mes illustrations sont complètes uniquement en noir et blanc, cela signifie qu’elles sont prêtes à partir. Cela place la barre pour moi, il est beaucoup plus facile de repérer les erreurs en noir et blanc – le contraste est augmenté, de sorte que tout problème de forme, de composition ou de perspective saute aux yeux.
J’utilise le noir et blanc pour fixer la base de toutes mes illustrations, et je pense que le trait noir ajoute du charme. C’est toujours intéressant de voir deux versions d’une même illustration, une en noir et blanc et une en couleurs (tout comme le travail de Catherine Meurisse par exemple).
64_page : Le noir et blanc ou le blanc et noir ? Qu’exprime-t-on à travers ces couleurs ? Est-ce que ce sont des couleurs et donc à traiter comme des couleurs ? Que peut-on faire en noir et blanc qu’on ne pourrait pas faire en couleurs et vice versa ?
Nour Haidar : Le noir et blanc est une technique qui offre beaucoup de possibilités car elle peut être traitée en masses, ou simplement en traits. La capacité à développer des techniques d’expression est améliorée lorsqu’il faut trouver différentes façons pour suggérer les caractéristiques d’un paysage, plutôt que de simplement recourir à la couleur. Utiliser des morceaux de charbon de bois et les écraser sur le papier, utiliser du carton ou du ruban adhésif pour masquer des lignes blanches nettes, brosser la poussière pour créer des marques abstraites… Tous sont des exemples de différentes façons de décrire la texture et de transmettre le mouvement. Le noir et blanc simplifie tout, ce qui met en valeur toutes ces belles touches et l’impact qu’elles ont sur une pièce finie. Ce que vous perdez en n’ayant pas de couleur pour raconter pour vous, vous le gagnerez en qualité de composition, de forme et de ton, ainsi que la capacité de communiquer l’humeur et l’atmosphère d’une manière totalement différente.
Il est si facile de penser « terrain » et de commencer à utiliser la couleur verte, de penser « ciel » et de commencer à mélanger les bleus, mais lorsque vous décrivez ces mêmes caractéristiques en noir et blanc, cela donne une représentation tout aussi audacieuse, sensible ou descriptive d’une manière intemporelle et tout à fait unique.
64_page :Quel.le.s auteur.e.s et quels ouvrages citeriez-vous comme référence personnelle en ce qui concerne cette technique du noir et blanc et pourquoi ?
Nour Haidar : Je recommanderais « 676 apparitions de Killofer » de Patrice Killofer, qui a été ma principale inspiration pour cette BD. Ses planches sont si bien équilibrées et contrastées. Il utilise un mélange de masses et de lignes de manière intelligente. Parfois, ce sont des lignes noires sur du blanc, parfois des lignes blanches sur du noir, et parfois ce sont les deux. Ses pages sont surchargées de détails, mais il trouve un moyen de rester clair et lisible, ce qui est le plus grand défi quand il s’agit de noir et blanc.
64_page :Ton travail tourne autour du thème « let’s dance », du mouvement, nous venons de vivre une période pénible de cloisonnement, de confinement à cause de la situation sanitaire, en quoi cela a-t-il été important d’aborder ce thème justement en ce moment où l’on « déconfine » ? Pourquoi avoir choisi plus particulièrement la danse ?Pourrais-tu nous expliquer ton propre travail dans cette optique ?
Nour Haidar : Lorsque nous étions confinés, tout le monde au Liban rêvait de danser. Tout le monde voulait être à nouveau libre. Même si nous pouvions danser chez nous, les liens que nous ressentions avec les autres en dansant ensemble nous manquaient. Danser, c’est lâcher prise et suivre le courant, ce dont on avait particulièrement besoin dans les moments de désespoir, de stress et de confinement. Quand on a pu sortir à nouveau, et avec tout ce qui se passait au Liban, la première chose qu’on a faite c’est de repartir danser. Certains dansent pour oublier, d’autres dansent pour lâcher prise, et nous, on danse pour être ensemble et ressentir un sentiment d’appartenance quelque part.
64_page :Nour, pourrais-tu nous éclairer sur tes choix d’espace et de temps dans la vignette qui va être publiée (sans spoiler trop non plus… durdur), la décomposition du mouvement entre autres…
Nour Haidar : J’ai décidé de faire ma bande dessinée sans cases parce que je voulais exprimer la liberté de mouvement sans limite, l’espace surpeuplé, et fluidifier le flux de l’image. De plus, je voulais faire danser le regard du lecteur à travers le sens de lecture qui forme une courbe en S du début jusqu’à la fin. J’ai joué avec l’espace et le temps dans ma bande dessinée. L’espace est formé par les mouvements de mes personnages. Et la décomposition du mouvement ralentit le temps, et transpose la danse pas à pas.
64_page : Ces travaux font-ils partie d’un travail plus long ? D’une BD en cours de route ? D’un projet ?
Nour Haidar : Cette BD a été réalisée pour notre fanzine MAZZA que nous avons lancé récemment. Chaque artiste du fanzine a reçu deux pages pour créer une bande dessinée en noir et blanc sur le thème de la danse pour notre premier numéro. Donc, c’est juste une courte bande dessinée de deux pages.
64_page : Quels sont tes projets à venir ? À quoi travailles-tu en ce moment ?
Nour Haidar : En ce moment, je travaille sur une histoire pour mon projet de master l’année prochaine. En parallèle, je travaille sur de petits projets personnels en utilisant l’encre et la plume. Je développe toujours un style personnel et j’essaie d’aborder différents thèmes.
Je prévois d’apprendre l’animation aussi, pour l’avenir. Je veux pouvoir donner vie à mes illustrations et faire bouger mes personnages.
Pour suivre Nour Haïdar : Instagram : nourhaïdar_
Enrique CROPPER – La tragédie du Tsushima Maru
Interview Philippe Decloux
Je suis fan de bande dessinée depuis l’âge de 4 ans. J’ai étudié l’art à l’école à Saint-Gilles et à l’université de Canterbury. À présent, je cherche du travail. Entre-temps j’essaie chaque jour d’améliorer le style de mes BD et mes animations.
Philippe Decloux : Tu publies pour la première fois dans la revue 64_page, peux-tu te présenter ? Raconter ton parcours personnel, et comme dessinateur de BD ?
Enrique Cropper : Je m’appelle Enrique Cropper. J’ai 29 ans et j’habite dans la commune de Waterloo en Belgique. C’est la toute première fois que je publie un projet dans 64 page et je suis vraiment content de cela car je cherchais depuis un certain temps à me faire publier.
J’adore les bande-dessinées depuis très jeune. Les premières bande-dessinées que je lisais, c’était celles des aventures des Schtroumpfs. Je me souviens encore de la toute première aventure des Schtroumpfs que j’avais lu. C’était ‘Les Schtroumpfs et le Cracoucass’. Bien que je ne comprenais pas ce qui se passait dans l’histoire, je l’ai adoré. Depuis ce moment, j’étais attiré par toutes les histoires de Schtroumpfs que je pouvais trouver.
J’avais commencé à faire des dessins depuis que j’étais à la maternelle. Au début, c’était juste des petits dessins des petits robots qui se fracassaient l’un sur l’autre, des choses comme ça. Mais à partir de 11 ans, j’ai commencé à m’intéresser à faire de la bande-dessinée. Je dessinais des petites histoires sur une page, et après de plus longues histoires, sur des petites aventures avec des personnages en forme de bâton, des petits drames et des invasions extra-terrestres. Je dessinais ce qui me passait par la tête.
Après quatre ans d’enseignement secondaire en techniques artistiques à l’Institut Sainte Marie, à Saint Gilles, j’ai commencé un cours en ‘Animation et Illustration’ à l’Université de Creative Arts de Canterbury. Comme l’Angleterre n’était pas un bon milieu pour faire la bande-dessinée, la plupart du temps, je me focalisais plus sur mes animations, avant de revenu vivre en Belgique en 2018, et m’inscrire à l’atelier BD de l’Académie de Watermael-Boitsfort, donné par le professeur Philippe Cenci.
Ph. Dx. : D’où t’est venue l’idée de raconter l’histoire du ‘Tsushima Maru’ ? Connais-tu Les belles histoires de l’Oncle Paul que l’hebdo Spirou publiait entre 1951 et les années 1970 ? En quelques pages, le scénariste Jean Michel Charlier vulgarisait un épisode de la grande histoire de l’humanité ? Ta démarche me rappelle cette aventure historique et graphique qui a souvent permis à des dessinateurs de se faire connaître, d’avoir une première publication.
Enrique Cropper : A propos des belles histoires de l’Oncle Paul, non,je dois admettre que je n’ai jamais entendu parler de ce personnage de BD,avant que vous le mentionnez. Comme je n’ai jamais vu non plus d’exemplaires de l’Oncle Paul dans les magasins de bande-dessinées d’occasion, et je n’ai pas de membres de ma famille nés en Belgique, je ne les ai jamais croisé. Je viens de regarder certains de ses aventures sur internet et je dois avouer que c’est assez intéressant !
En effet, l’idée de raconter ’La tragédie du Tsushima Maru’m’étais venue parce le projet proposé était noir et blanc, et le noir et le blancpeuvent donner une ambiance dramatique. L’incident du ‘TsushimaMaru’ fut un incident dramatique des plus extrêmes. Je me suis alors dit que ce serait un bon thème. Ce que je trouvais très intéressant, avec ce navire, c’était à quel point les japonais attachentaujourd’hui de l’attention à son histoire. Il n’y a pas seulement un musée dédié aux victimes de la tragédie, mais aussi un mémorial. Il est consacré en particulier aux jeunes écoliers, dont leurs photos sont exposés dans le musée et pour tout vous dire, j’aimerais bien le visiter un jour.
Ph. Dx. : Puisqu’on parle comparaison, connais-tu le torpillage du « Wilhem Gustloff »? Il s’agit d’une histoire identique qui s’est passée en 1945 dans le mer Baltique. Il transportait plus de 4000 allemands, en majorité des enfants qui tentaient de fuir en Suède quand il a été coulé par un sous-marin soviétique. L’écrivain Günter Grass le raconte dans « En crabe » ?
Enrique Cropper : Même si le torpillage du navire ‘Gustloff’ fut un des incidents maritimes le plus dramatique de l’histoire de l’humanité,à cause de la grande perte de vies, je m’étais inspiré du ‘Tsushima Maru’pour le projet noir et blanc, car je pense que l’histoire d’autres navires doiventêtreaussi entendu.
Ce n’est pas la première fois que je raconte une histoire de la guerre dans le Pacifique. En 2014, comme partie de les études en animation, j’ai fait une animation, téléchargée sur Youtube, sur le navire japonais,le ‘Sinking of the TamatsuMaru.’En 2019, j’ai aussi autopublié une mini-BD de douze pages sur le navire japonais, le ‘Story of the MayasanMaru.’ Comme vous voyez, je suis très enthousiasmé par les combats navales !
Ph. Dx. : Tu as un dessin très descriptif, quasi documentaire et ton récit est très narratif. Tu racontes une histoire sans héros. Ce n’est pas courant chez les jeunes auteurs, explique ta démarche ?
Enrique Cropper : Le truc, c’est que je suis passionné par l’histoire et je me sers de documentaires comme inspiration. Bien que je m’intéresse beaucoup aux bande-dessinées, j’éprouve quelques difficultés quand j’essaie de faire une histoire courte de cinq pages. Une fois l’histoire commencée, j’ai beaucoup de mal à raccourcir ce que j’avais prévu pour l’histoire.
Avec ce type de récit, je m’étais aussi inspiré par certains ouvrages d’Alix, notamment celui de Carthage qui, en plus d’expliquer l’histoire de Carthage,présenteaussi une série d’illustrations, expliquant certains évènements dans lesquels Alix apparait parfois.
Bien que je sois un grand fan l’histoire, plus récemment je suis aussi attiré par la mythologie et les contes de fées. Pendant ma première entrée au cours de BD/illustration à Watermael-Boitsfort, je décidai de faire un projet de douze pages, concernant l’Odyssée, intitulé ‘Ulysse et Polyphème’ ou le grand héros et ses compagnons d’armes font la rencontre de l’effrayant cyclope. J’avais fait auto publier ce projet en 2020 pendant mes vacances d’été.
Ph. Dx. : Quels sont des projets en cours ? Et à plus long termes ?
Enrique Cropper : Depuis 2020, j’ai encore développé mon intérêt pour la mythologie, avec ‘L’histoire du roi Minos’, et j’ai aussi commencé à fairedeuxrécits en bande-dessinée sur des contes folkloriques : ‘L’oie dorée’ et ‘Le vilain petit canard’. Les trois projets sont à différents stades de réalisation et me prennent beaucoup de mon temps. Ainsi, pour le moment, j’ai beaucoup de quoi m’occuper !
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Elsa LEONARDI – Oiseau (cartoons)
Interview Cécile Bertrand
Vous m’avez peut-être déjà aperçue attablée dans l’un ou l’autre bistrot liégeois que j’apprécie tant. Je tente d’en extraire l’atmosphère et les moments suspendus. J’écoute, observe et capte le mot, la phrase ou l’expression qui sous mes coups de crayon se transforme en dessin d’humeur.
Cet oiseau, c’est vous, c’est moi, c’est nous. Tantôt donneur de leçon, tantôt amoureuse passionnée, tout le monde s’y reconnaît ou y reconnaît quelqu’un.
Cécile Bertrand : Pourrais-tu te présenter en quelques mots, nous raconter quel est ton parcours ? Es-tu autodidacte en ce qui concerne le cartoon ? Ou bien tu as suivi des cours ? Si oui, où ?
Elsa Leonardi : Je n’ai pas vraiment de parcours dans la bande dessinée. Vous m’avez peut-être déjà aperçue attablée dans l’un ou l’autre bistrot liégeois que j’apprécie tant. Ce café c’est « La Casa Ponton » à Liège. J’ai commencé à dessiner, il y a 3 ans des rats et des chiens qui représentaient des clients puis l’oiseau s’est imposé comme personnage principal. Pour devenir le seul. Je suis complètement autodidacte. Et puis, il y a ce projet en gestation de réunir, un jour, mes dessins dans un livre.
Cécile Bertrand : Être née dans une famille d’artiste t’a-t-il aidé et dans quel sens ?
Elsa Leonardi : Au départ, non pas vraiment. J’ai plutôt mis du temps à trouver ma place et à définir mon style.
Cécile Bertrand : Qu’est-ce qui a été ta motivation/inspiration pour la création de ce personnage assis au bar ou vautré dans un Togo, buvant et fumant ?
Elsa Leonardi : Je tente d’en extraire l’atmosphère et les moments suspendus. J’écoute, observe et capte le mot, la phrase ou l’expression qui sous mes coups de crayon se transforme en dessin d’humeur. Cet oiseau n’est pas très beau mais pas moche non plus, mais je l’ai voulu attachant. Tantôt donneur de leçon, tantôt amoureuse passionnée. On aime ses petites lâchetés, ses coups de blues, ses doutes et ses certitudes. Il accompagne notre journée, nous fait sourire ou rire et parfois nous émeut.
Cécile Bertrand : Est-ce un autoportrait ?
Elsa Leonardi : Probablement mais pas que. Cet oiseau, c’est vous, c’est moi, c’est nous. Tout le monde s’y reconnait ou y reconnait quelqu’un.
Cécile Bertrand : Est-ce en regardant autour de toi que tu puises tes idées. Un café est-il un endroit que tu privilégies pour trouver tes idées ?
Elsa Leonardi : Oui, je puise les idées autour de moi mais avec le confinement et la fermeture des cafés, j’ai également trouvé mon inspiration dans des lectures, des films et internet.
Cécile Bertrand : Je pense que tu as à nous dire beaucoup de choses sur notre société. Es-tu engagée politiquement, pas dans un parti, simplement penses tu envoyer un message politique via tes cartoons ?
Elsa Leonardi : Non je ne pense pas. En tout cas, je n’en n’ai pas la prétention ni la volonté… Ou alors c’est inconscient. Mais il est certain que quand on parle des gens on parle forcément des problèmes de notre société.
Cécile Bertrand : Que penses-tu de l’énergie des jeunes contre le climat ?
Elsa Leonardi : J’aurais aimé avoir l’énergie de certains jeunes engagés pour le climat mais humblement, je trie juste mes poubelles.
Te sens-tu libre de dire ce que tu veux sur FB et penses tu que tu serais libre de dire tout ça dans un quotidien ou autre hebdomadaire ?
Oui mais je suis (presque toujours) attentive à ne blesser personne.
Instagram : elsa_leonardi
Guillaume BALANCE : 34 ans de vie
Interview Marianne Pierre
Né en 1986 à Bruxelles, Guillaume Balance est passionné depuis son plus jeune âge par l’image et, plus particulièrement, par la bande dessinée. Il suit des cours de dessin depuis une dizaine d’années dans diverses académies. Parallèlement, il a poursuivi un cursus dans l’audiovisuel et est devenu cameraman-monteur.
Marianne Pierre : Dans la vie, tu es également cameraman-monteur dans l’audiovisuel. Apparemment, cela t’est utile dans la bande dessinée, par rapport à ton cadrage et à ton découpage qui sont très cinématographiques?
Guillaume Balance : Oui, quand j’étais en rétho, j’ai hésité entre faire des études de BD ou de Ciné. Les deux ont toujours été assez mélangés chez moi, je me souviens qu’à l’époque j’avais par exemple storyboardé la scène de la douche du film « Psychose » pour essayer de comprendre l’intention des cadrages car il me semblait qu’ Hitchcock avait été dessinateur. Après, il y a de grosses différences entre les deux langages (rythme, répétition, audio…). Je dirais plutôt que c’est la BD qui a influencé mes cadrages dans l’audiovisuel car elle est plus ancienne chez moi.
Marianne Pierre : Comment organises-tu ton temps entre tes deux activités?
Je jongle de l’un à l’autre … pas toujours facile de trouver l’équilibre…mais j’ai besoin des deux.
Marianne Pierre : Tu parles du confinement. Est-ce que cela a été une période de création importante pour toi?
Guillaume Balance : Oui beaucoup, mes tournages ont été souvent annulés et je faisais principalement du montage, donc j’étais à la maison. J’ai aussi commencé à dessiner sur Ipad à ce moment-là. J’ai beaucoup fait de dessins d’observations à cette époque et puis mon fils est né aussi donc il y a eu beaucoup de créations pendant cette période haha.
Marianne Pierre : Tu évoques ton enfance, ta paternité… ta matière principale semble être ton vécu? Ou t’essaies-tu parfois à la fiction?
Guillaume Balance : J’ai toujours fait des BD biographiques. Avant elles étaient assez expérimentales et chacun pouvait y interpréter ce qu’il voulait, mais depuis quelque temps j’ai le souhait d’être plus lisible pour le lecteur, j’essaie d’être compris et que cela soit plus fluide. Je pense qu’il y a toujours une partie autobiographique dans n’importe quel œuvre de toute façon.
Je travaille actuellement sur un projet avec un scénariste donc je me consacre essentiellement sur dessin, à la mise en scène et au découpage.
Marianne Pierre : Peux-tu nous parler de tes projets dans la bande dessinée?
Guillaume Balance : Je suis occupé sur un gros projet de Bande Dessinée avec Jerry Frissen au scénario pour Les Humanoïdes Associés. J’en suis super content car l’histoire me touche tout particulièrement et c’est un beau challenge.
Pour suivre Guillaume Balance : Instagram : guillaume_balance
Sandrine CRABEELS : Jorinde
Interview : Marianne Pierre
Illustratrice et graphiste, je suis sortie de l’ERG en 1997 avec une licence en communication visuelle. En 2004 j’ai ouvert mon studio, aujourd’hui j’y propose essentiellement des illustrations et des identités visuelles. Mais depuis quelque temps, je reviens aussi à mes premières amours, l’illustration narrative et, surtout, la BD !
Marianne Pierre : Peux-tu nous raconter en quelques mots l’histoire de Jorinde, une histoire longue dont tu présentes ici les premières planches?
Sandrine Crabeels : Jorinde vit dans un immeuble le long d’un petit port de plaisance. Ses voisins sont peu liants. Elle est seule. Un jour son immeuble prend feu et elle doit sauter par la fenêtre pour échapper aux flammes. Elle tombe dans l’eau du petit port.
En sortant de l’eau, elle arrive dans un univers différent (exprimé par la couleur). Elle y rencontre Tim qui vit à quelques centaines de mètres de là, dans une grande maison qu’il partage avec 4 autres enfants : Élée, Nella, Suzie et Coco. Avec eux, et souvent seule, elle va vivre des aventures qui la mèneront à se connaître mieux, à devoir se dépasser et s’ouvrir à l’imprévu. Tout le contraire de sa petite vie dans son petit appartement !
Elle va devoir trouver un papillon particulier dont elle a rêvé : les enfants sont persuadés qu’ils doivent le chercher. Elle va traverser des univers étranges, comme un brouillard qui ne lui permet plus de se voir elle-même, elle y perdra ses bras et ses jambes avant de les retrouver. Elle va traverser une grotte, découvrir un curieux jardin (allusion à Alice au Pays des Merveilles) et discuter avec une araignée géante avec laquelle elle apprendra à fabriquera une blouse (oui, elle avait perdu ses vêtements). Elle va sauver une puce d’une attaque de corbeaux et y perdre les yeux. Mais ça va, elle en retrouvera d’autres !
Il est question d’une sorcière aussi, d’un château, d’une forêt, d’un petit oiseau… Et puis, et puis… Vous le lirez !
Marianne Pierre : Tu essaies de faire publier Jorinde, peux-tu nous en dire plus?
Sandrine Crabeels : J’ai d’abord préparé un dossier (avec le synopsis complet, une note d’intention, quelques planches abouties, les études de personnages, des croquis de personnages et de recherches sur les décors etc. et le découpage des 17 premières planches, ah oui, mon CV aussi). Et puis, avec ça sous le bras, je me suis rendue au festival d’Angoulême. J’y ai rencontré quelques éditeurs sur les stands, j’ai discuté avec certains et aussi déposé mes coordonnées et un petit aperçu de ce que je fais. En faisant la file au pavillon Jeunes Talents, j’ai pu rencontrer des éditeurs assez prestigieux qui prennent le temps de regarder le boulot que tu prends avec toi et en discuter. Enfin, j’ai envoyé mon dossier à une petite vingtaine d’éditeurs susceptibles d’être intéressés par ce que je fais.
J’ai reçu quelques encouragements… du coup, là, j’espère et j’attends ! J’ai fais le max pour le moment.
Ensuite, si pas nouvelles d’ici fin de cette année (j’ai aussi beaucoup de travail avec mon studio graphique) je n’attendrai plus et je continuerai le travail, avec l’objectif de l’éditer moi-même. J’ai une petite expérience à ce niveau-là, je sais que je pourrai faire quelque chose d’intéressant, en m’inspirant aussi de ce que fait Lisa Mandel avec « Exemplaire » et/ou du grand Benoît Jacques, qui autoédite tout son travail.
Mais pour le moment je préfère travailler avec un (bon de préférence) éditeur qui aura certainement beaucoup de choses à m’apprendre, au niveau créatif et au niveau « diffusion ». J’aimerais vraiment que ce récit atteigne les personnes à qui il s’adresse. (les 8-15 ans)
Marianne Pierre : Toute ton histoire est à l’aquarelle. Cette technique représente-t-elle des contraintes en bande dessinée?
Sandrine Crabeels : Oui, sans doute, surtout au niveau des contrastes. Je les appuie en chargeant certaines zones des images, ensuite après le scan, je joue doucement avec les courbes de niveau dans Photoshop pour les marquer encore davantage, mais en en gardant l’esprit un peu éthéré qui me plaît dans cette technique.
Marianne Pierre : Pour exprimer la monotonie et la tristesse, tu as fait le choix du bleu et blanc, non du noir et blanc. Pourquoi?
Sandrine Crabeels : Au départ, je pensais effectivement au NB. Mais je ne voyais pas trop comment lier cela avec le style coloré des aquarelles qui allait suivre. Et puis le lavis c’est imposé, évidemment. Au départ, j’avais prévu de mélanger du bleu à du noir. Mais en travaillant, va comprendre, le noir a disparu…
Et pour le choix du bleu, cela s’est imposé petit à petit, le bleu, c’est le blues, c’est l’eau, élément important dans mon histoire. L’eau, c’est l’origine. Et puis Jorinde garde les cheveux bleus quand les couleurs apparaissent. Le bleu, c’est la tristesse (les larmes ne sont-elles surtout composées d’eau?) ; c’est aussi Jorinde.
Marianne Pierre : Le noir et blanc, pour toi, c’est un vrai challenge?
Sandrine Crabeels : Non, juste que ça ne me correspond pas dans cette période de ma vie. Et aujourd’hui, je me laisse aller vers ce qui me parle le plus, ce qui est juste pour moi. Je tâche d’être « alignée » par rapport à ce que je fais. Sinon, on force, ça coince, ça fait mal et on est déçu. J’utilise de mieux en mieux mon intuition. Elle a toujours raison. 🙂
Marianne Pierre : Pour ton récit « Une planche/Une histoire », qui sent évidemment beaucoup le vécu, on a l’impression que tout a été dessiné et mis en couleur d’un seul trait. Est-ce le cas ou as-tu fait un crayonné?
B.I.M. – Les collantsSandrine Crabeels : J’ai commencé les BIM (Brefs Instants M pour Mignons, Magiques, Mauvais, etc. ) pour m’exercer à travailler rapidement, à la fois au niveau du dessin (comme je suis lente!!!!) et au niveau du récit. C’est très différent de faire un récit sur une page plutôt qu’un long projet comme Jorinde. Je m’amuse beaucoup avec mes petits BIM. La motivation : garder pour toujours des petits moments de ma vie de famille, qui passent si vite !
Pour te répondre, il y a un léger tracé au crayon dessous, mais plus pour organiser l’image que vraiment pour le dessin. Et puis oui, je trace à l’encre directement, et je place quelques couleurs fissa à la brush écoline. Ça se voit, hein ! c’est du rapide !
Pour suivre Sandrine Crabeels : www.crabgraphic.com Instagram :sandrine.crabeels
Manon DELOBBE : Même pas peur
Interview Gérald Hanotiaux
Pour saluer la sortie prochaine du numéro 23 de la revue 64_page, nous rencontrons aujourd’hui Manon Delobbe, autrice de onze pages réalisées dans un très beau noir et blanc rehaussé de touches de rouges. Titre de l’histoire : Même pas peur. Elle nous en dit plus sur elle et sur son travail.
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter en quelques mots aux lecteurs et lectrices de 64_page ?
Manon Delobbe : je m’appelle Manon, j’ai 24 ans. Je viens de finir mon Master en Bande dessinée à Saint Luc ESA à Bruxelles.
Pourrais-tu nous parler de cette formation en bande dessinée ? Qu’apporte l’enseignement dans cette discipline ?
Manon Delobbe : Personnellement, l’enseignement dans la bande dessinée m’a beaucoup apporté, dans tous les domaines. Je ne suis pas entrée dans ce milieu de façon autodidacte, donc avoir des gens formés pour nous transmettre certaines clefs me semble non négligeable, pour le dessin d’observation, les perspectives, la cohérence entre les cases ou encore sur les manières d’agencer un scénario qui tient la route… Les profs que j’y ai rencontrés étaient bienveillants et engagés dans notre apprentissage. Néanmoins les écoles ont chacune leur style et il est important de s’ouvrir à d’autres types de bandes dessinées, d’avoir confiance en son travail et à la direction qu’on veut qu’il prenne. En bref, il faut apprendre à avoir confiance en soi.
Pourrais-tu présenter à nos lectrices et lecteurs ton histoire intitulée Même pas peur ?
Manon Delobbe :Cette histoire vient en fait d’un projet réalisé dans le cadre de mes études, dont le thème était l’autobiographie. Comme je ne suis pas très à l’aise avec le principe de raconter des événements réels de ma vie, j’ai simplement choisi de parler du jour où, petite, où je me suis perdue dans un parc…
Tu publies cette histoire dans un numéro spécial noir et blanc, es-tu coutumière du noir et blanc, ou bien tu t’es adaptée pour ce projet ?
Manon Delobbe : En effet, j’ai plutôt l’habitude d’utiliser cette technique du noir et blanc, en y ajoutant souvent une couleur, le rouge en général. J’ai un peu de mal dans la gestion des couleurs et, comme mes dessins sont très denses dans les décors, cette solution me paraît y être la plus adaptée. Le rouge est une couleur que j’apprécie beaucoup et comme, dans mon histoire, la petite fille se fait distraire par une coccinelle, je voulais montrer cette couleur comme étant joyeuse ou angoissante, en fonction des situations.
Qui citerais-tu parmi les maîtres de la bande dessinée en noir et blanc ?
Manon Delobbe : Je citerais Franquin – pour ses Idées noires, bien-sûr – et Craig Thompson avec son livre Habibi, ou encore Bill Watterson, Hugo Pratt, Kazuko Koike et Kamumira, ou encore Kentaro Miura.
Comment as-tu eu l’idée de proposer ces planches à la revue 64_page ? Et comment vois-tu le rôle de ce type de revue, dont la vocation est précisément de publier les premiers travaux de jeunes auteurs ou autrices ?
Manon Delobbe : Un ami de ma famille est proche de Cécile Bertrand, membre de votre rédaction, et il m’a conseillé de présenter mes travaux… Ce type de revue est pour moi une opportunité et un défi pour faire publier un de mes travaux. Je n’avais jamais osé proposer quoi que ce soit à des revues ou des concours et je suis très heureuse qu’on m’ait permis d’être publiée.
Est-ce plus difficile aujourd’hui de se faire publier, selon toi, dans un contexte décrit comme de « surproduction » ? Comment vois-tu le paysage éditorial contemporain ?
Manon Delobbe : Au niveau de l’édition, ça dépend du type de publication désirée, mais la grande difficulté est, selon moi, de pouvoir vivre de ce métier.
Quels sont tes projets en bande dessinée ?
Manon Delobbe : Je pense me concentrer sur la finition de la bande dessinée présentée pour mon travail de fin d’études, et la proposer à des maisons d’éditions. Pour le reste, on verra ce que l’avenir me réserve !
Aurais-tu quelque chose à ajouter, que tu n’aurais pas pu évoquer plus haut ?
Manon Delobbe : Je voudrais juste remercier les gens qui m’ont soutenue pendant mes études, et m’ont aidée à me présenter à cette revue.
Merci Manon !
Vous pouvez découvrir le travail de Manon Delobbe sur internet. Instagram :mister_pichon
Marc DESCORNET et Abelard N. Nombrill
Marc : Pour tout dire, c’est un anagramme du nom d’un de mes prof de math, et ça donne ABELARD N. NOMBRILL.
Marc DESCORNET est un des auteurs connus de nos lecteurs, il propose son personnage fétiche (« fait tiche! » à Bruxelles…) dans le cadre de notre nouveau projet UNE planche, UNE histoire.
Pour suivre Marc Descornet : Instagram : marc_descornet
©Marc DESCORNET - extrait Abelard N. Nombrill interview Philippe Decloux
- Raconte-nous la saga que tu partages avec ton Abelard N. Nombrill ? C’est même une vraie passion. D’où vient-il ? Comment l’as-tu créé, dans quelle circonstance ? Tintin est un peu Hergé, Gaston un peu Franquin, es-tu un peu Abelard ?
Marc Descornet : Tout a commencé sur les bancs de l’école, en 1988. Au-delà de la ritournelle des dessins dans les marges des cahiers, c’est une activité sur la presse qui a été le déclencheur. Nous avions créé un faux vrai journal dont j’étais naturellement chargé de l’aspect graphique. J’ai illustré des articles par quelques cartoons et rehaussé notre mini gazette d’un strip de trois cases. Je me suis inspiré de notre professeur de mathématiques qui aimait agrémenter ses cours de bons mots et de jeux de l’esprit, que je notais soigneusement. Ca été fort apprécié et j’ai donc conservé le personnage pour développer d’autres gags, qui ont également rencontré leur petit succès, notamment dans le journal d’élèves.
Ensuite, je l’ai gardé avec moi tout au long de ma vie, le ressortant des cartons quand j’avais une idée de gag. Evidemment, ce n’étaient plus ceux de mon prof de math mais les miens. En réalité, dès sa naissance hors de mon crayon le personnage est devenu une partie de moi-même.
Ceci dit, je ne suis pas Abelard. J’ai beaucoup perdu de mes connaissances en mathématiques. Par contre, son côté un peu cynique est probablement le reflet d’un trait de caractère qui m’est propre, de même d’ailleurs que sa candeur, ses questionnements, son humilité, sa méticulosité tétrapilectomique…
- Tu es un dessinateur « tous terrains », tu abordes des thèmes très différents, tu utilises des techniques différentes le plus souvent adaptées au sujet et de la même façon tu réinventes ton récit à chaque projet ? Quelle est ton processus de création ?
Marc Descornet : L’essentiel est de raconter une histoire, c’est ainsi que se transmettent des émotions, des idées, des réflexions, des connaissances et tout ce qui façonne l’existence, faite de moments anodins ou graves avec toutes les nuances possibles entre les deux, ce qui meut la vie. La manière de le partager dépend du sujet. J’ai choisi de m’interroger sur le moyen, sur le récit et sa représentation. Par conséquent, j’adapte ma palette graphique pour que le résultat corresponde à ce que je souhaite communiquer.
Chaque projet naît d’une envie ou d’une nécessité. Le hasard étant le corollaire de la nécessité, il m’a souvent aiguillé sur des opportunités qui nourrissent mes envies et ma motivation. Je garde mon attention éveillée, j’accueille avec bienveillance ce qui se présente et je laisse mon esprit s’en imprégner. La décantation se fait naturellement et aboutit toujours à un enrichissement, qui alimente ma matière grise. Confrontées au réel, ces idées sommeillent gentiment ou s’articulent en un récit concret.
Je visualise assez vite et intuitivement l’aspect visuel, lui aussi confronté au réel, c’est-à-dire surtout les limites de mes compétences, un défi très clair à relever, un moteur qui me procure excitation et plaisir. En définitive, c’est peut-être ça l’essentiel : le plaisir, le mien et celui des lecteurs.
- Qu’est-ce qui est, selon toi, différent quand tu conçois une BD d’une planche ou un récit plus long de plusieurs pages ? Et puisqu’on en parle, tu fais aussi des strips de 3 cases et des cartoons, tu es une espèce de décathlonien du récit BD …
Marc Descornet : « Le sport nuit gravement à votre entourage » chantait Jacno. Donc décathlonien, j’évite. Cependant, varier des disciplines d’une même passion, avec modération, ça ne peut qu’être bénéfique. Dessiner et peindre sont des nécessités vitales pour moi.
Le facteur déterminant entre une BD de longue haleine qui constituerait un album, voire plusieurs, et un récit court ou un gag, c’est le temps. Je n’ai pas encore réalisé de récit de plus de six planches. J’ai bien quelques projets très clairs et qui me tiennent à coeur, mais je ne peux pas m’y atteler, faute de temps. On a le temps qu’on se donne. On a aussi le temps que la vie nous octroie. Entre les deux, je trouve ce qui me convient en termes d’équilibre et d’épanouissement personnel.
Les gags d’Abelard N. Nombrill tiennent en deux à six cases, voire une image. En un strip, une demi-page ou une planche unique, il peut se passer bien plus qu’en quatre ou quarante planches. Et comme la notion de temps est magique en BD, toute une vie peut s’écouler en moins d’une page.
- Comment vois-tu tes projets à court et à moyen terme ?
Marc Descornet : Mes projets existent en moi. Ils n’ont pas tous trouvé le moyen de voir le monde. Ceux qui sont en gestation actuellement en sont à des stades différents et peut-être n’écloront-ils jamais. Sans être exhaustif, il y a une « appropriation » d’un documentaire intimiste existentialiste, pour laquelle le réalisateur est emballé et patient, heureusement. Il y a aussi une illustration BD d’une chanson au sens profond, et puis un hommage à mes arrière-grands-parents reconnus Justes parmi les nations, un autre hommage à une personne atteinte de trouble créatif compulsif partie trop tôt, et puis quelques intentions de BD de science-fiction et d’anticipation.
De façon plus réaliste, la revue 64_Page m’a ouvert ses pages pour plusieurs projets et continue de m’inspirer. La rencontre-repérage au CBBD pour le numéro spécial sur ce lieu emblématique me fait cogiter. Le projet « Ensemble », d’histoires pour enfants, enthousiasme aussi mon épouse, 怡靜, et mon fils, Daran, avec qui j’avais déjà réalisé quatre planches pour le spécial polar. Quant au cartoon, après une période très productive, depuis le décès de mon papa qui était mon premier lecteur, j’ai du mal à m’y remettre, et à m’en remettre.
En ce moment, le projet le plus abouti et qui me porte, ce sont plus de quarante pages terminées de gags d’Abelard N. Nombrill et qui pourraient dès lors me permettre de concrétiser le rêve de jeunesse de publier un album et de rencontrer un public. Le BD comic strip festival, en septembre à Bruxelles, sera déjà une opportunité d’échanger avec les lecteurs de 64_Page.
- Et ceux d’Abelard N. Nombrill ?
Marc Descornet : Abelard a d’ambitieux projets. Il compte bien… ça c’est sûr, mais soit… il compte bien nous interpeller sur des sujets de société aussi utiles que futiles, aborder toutes les problématiques dures autant que les mathématiques pures. Tant que l’observation du monde qui l’entoure l’inspire il poursuivra son chemin, envers et contre tout, comme un borgne au pays des aveugles, pour nous ouvrir les yeux de façon subtile et nous le montrer, le chemin, et nous apprendre à observer, à réfléchir. Et ça, nous pouvons compter sur lui. Ben oui, il est prof de math tout de même !
64_page #23 NOIR & BLANC – N° en prévente : www.64page.com/
Elles nous tirent les couvertures !
Sara GRÉSELLE et Élodie ADELLE
Elles ont réalisé la double couverture du 64_page NOIR et BLANC
64_page : La rédaction de 64_page vous a proposé de travailler ensemble sur ce projet de double couverture. Quelle relation existait, à ce moment, entre vous ? Vous connaissiez-vous ?
Sara : Quand on m’a proposé cette collaboration avec Élodie, je ne connaissais pas son travail. J’ai découvert par la suite ses dessins, notamment ses portraits en noir et blanc sur Instagram.
Élodie : On ne se connaissait pas au début. J’ai découvert sa page Instagram et puis je me suis rendu compte que j’avais déjà vu son album Bastien, ours de la nuit dans les librairies.
64 : Comment avez-vous construit votre relation de travail et conçu ce projet commun ? Comment avez-vous défini le sujet ? La technique ?
Sara : Je me rappelle avoir lancé quelques idées à Élodie, dont une qui nous a mises tout de suite d’accord.Le noir et blanc se prêtent bien à l’étrangeté, au mystère. L’intention première était que le fantastique puisse surgir dans des espaces quotidiens. J’ai envoyé à Élodie une référence que j’aimais bien pour l’atmosphère, un dessin de Nicolas de Crécy en noir et blanc.J’ai été fort marquée par un lieu dans lequel j’ai fait une résidence il y a plus d’un an. Un ancien pavillon de chasse, sorte de château, au milieu d’une forêt. L’immense escalier de l’entrée ainsi que des têtes d’animaux plein les murs m’ont inspiré. J’ai pris des photos de cet endroit et fait quelques planches au sujet d’une histoire d’amour adultère entre une femme mariée à un chasseur et sa passion secrète pour un homme à la tête de renard. Ce projet est resté en friche…Mais l’image du hall d’entrée n’a pas vraiment quitté mon esprit. J’avais envie de l’exploiter pour la couverture, en sachant qu’il fallait trouver à deux une petite narration et une cohérence visuelle. En partant sur l’idée que le fantôme d’un renard hante un lieu, je trouvais très chouette la proposition d’Élodie de dessiner un autre espace du château dans lequel on retrouve cet animal.Nous ne nous sommes pas imposées de technique particulière et j’ai aimé cette liberté. Je savais que mon illustration serait entièrement au crayon noir. J’ai découvert l’image d’Élodie qui, si je ne me trompe pas, s’appuie sur une technique numérique.
Élodie : On a eu notre premier contact par e-mail. Avant cela, je commençais déjà à réfléchir de mon côté sur les idées que je pouvais avoir concernant le noir et blanc. J’aimais bien l’idée de la vieille photo, les portraits d’avant en noir et blanc. Puis Sara a pris contact avec moi et m’a donné son point de vue sur la création de la couverture. Elle m’a montré quelques photos et j’ai directement suivi cette idée, j’aimais bien l’idée du lieu sombre, le hall. Ce que je voulais absolument, c’était faire des portraits. Puis Sara m’a montré son projet de couverture, et de là j’ai gardé le fil conducteur du renard pour ma partie. Pour la technique je suis restée avec le crayon et le stylo noir. Ce n’est qu’une fois terminé que je l’ai foncé sur Photoshop pour être en cohérence le plus possible avec le noir et blanc, le côté mystérieux et ajouter un brin de magie.
64 : Qu’est-ce que cette collaboration vous a appris ? Qu’avez-vous découvert dans ce travail commun ? Que retirez-vous de cette expérience ?
Élodie : Il y a bien longtemps que je n’avais pas travaillé en collaboration avec quelqu’un. On a été assez complémentaires, on s’est directement bien entendues sur ce que l’on voulait faire. Dès le départ, tout s’est bien passé.
- J’ai aimé cette complémentarité avec laquelle nous avons travaillée. Élodie est venue avec des propositions de portraits. Cela tombait bien car moi je n’aime pas du tout dessiner les visages de manière réaliste, je trouve cela très dur. J’ai l’impression que chacune a pu mettre en avant ce qu’elle savait faire de mieux !
64 : Sara et Élodie se posent l’une l’autre une dernière question … Et elles y répondent, bien sûr !
Élodie : Ma question est : qu’est-ce qui t’inspire le plus pour tes idées d’illustrations et/ou histoires ?
- Lorsque j’illustre, je m’inspire de la vie autour de moi. J’ai l’habitude de faire des photos, des repérages de lieux et d’ambiances. Je pose ou fais poser mes proches pour avoir la bonne attitude d’un personnage.Je trouve que l’imagination est parfois « traître » surtout quand on décide de dessiner quelque chose qu’on n’a jamais dessiné et qui nous est peu familier. Par exemple, pour mon prochain album Ismolène et Chipolata(en collaboration avec Ludovic Flamant), il y a une voiture Ford Thunderbird tout au long de l’histoire… Je me suis rendu compte que c’était difficile de dessiner une voiture sous tous ses angles ! Alors, la photo aide à comprendre comment les choses sont construites… Après, le travail est de réinventer par le dessin et l’énergie du trait ce que le cerveau a « digéré » de la photo.
Sara : Quelles sont tes prochaines envies de dessin ?
Élodie :Mes prochaines envies de dessin sont très diverses. Il y a un moment où je suis plongée dans une histoire pour enfants, puis dans les prochains jours, je fais des dessins de pin-up ou juste des dessins au trait. Il y a tellement de possibilités quand on dessine que tout est possible, du coup, il m’arrive de partir dans tous les sens. Quand c’est le cas, je commence beaucoup de choses que je laisse de côté au bout d’un moment. Je reviens dessus après quelque temps.
Pour en savoir plus :
Élodie Adelle et Sara Gréselle
Élodie à gauche, et Sara à droite, ont en commun d’être françaises et de s’être installées à Bruxelles. Ce qui semble leur réussir puisque, outres leurs publications dans 64_page, elles ont édité des albums. Le bonnet vert en littérature jeunesse et en solo aux éditions Atramenta pour Élodie. Pour Sara, Princesse Bryone chez Esperluètes, Roquet’roll (éditions Fédération Wallonie Bruxelles), Les souvenirs et les regrets aussi (Esperluètes), Bastien ours de la nuit (avec Ludovic Flamant chez Versant Sud).
Pour découvrir les travaux d’Élodie et Sara : www.instagram.com/elodieadelle, https://saragreselle.ultra-book.com/.
© Patrice RÉGLAT-VIZZAVONA et Celia DUCAJU
22! Que fait 64_page ?
32 interviews des auteur.e.s de notre spécial POLAR !
Le 64_page POLAR sera disponible au Festival d’Angoulême 128 pages dont 99 de BD, 28 BD inédites et 6 cartoons, 36 auteur.e.s. Des auteur.e.s qui venu.e.s de partout qui ont le besoin ancré au coeur de leur vie de RACONTER DES HISTOIRES ! 64_page #22 POLAR est en prévente (www.64page.com/abonnements/) au prix de 12€50 (frais de port offerts si commandé avant l’ouverture du Festival d’Angoulême le 26 janvier 2022).
Découvrir !
32. Benjamin JOTTARD & Manuel VERMEULEN pour Les excellentes enquêtes d’Hercule Poivrot
Interview Gérald Hanotiaux
Nos lecteurs pourront trouver dans le numéro 22 de 64_page les Excellentes enquêtes d’Hercule Poivrot. Oui : avec un « V » au milieu, une seule lettre supplémentaire au nom du personnage d’Agatha Christie, mais lourde de sens pour provoquer le décalage… Nous partons aujourd’hui à la rencontre des deux auteurs de ces magnifiques planches en couleurs.
d’Hercule PoivrotGérald : Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs, en quelques mots ?
Manuel. Je m’appelle Manuel Vermeulen, j’ai 32 ans et ai commencé les cours de Bande dessinée-Illustration en septembre 2016 à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, en cours du soir. C’est là que nous nous sommes rencontré, Benjamin et moi, et que nous avons chacun eu le projet de réaliser une bande dessinée… Une amitié en est née, Benjamin m’ayant toujours soutenu dans mes projets de bande dessinée ainsi que dans la vie privée, c’est un honneur d’aujourd’hui voir nos noms paraître dans votre magazine.
Benjamin. Perfectionniste et par conséquent éternel insatisfait, j’adore dessiner depuis tout petit. À l’école, je passais souvent mon temps à griffonner pendant les leçons. Mais ce n’est qu’à mon arrivée à Bruxelles, il y a cinq ans, que je me suis inscrit au cours de bande dessinée. J’y ai donc notamment rencontré Manu. Nous nous sommes très vite entendus, et nous partagions tous deux le profond désir d’être un jour édités…
Gérald : Comment avez-vous procédé pour ces deux pages d’Hercule Poivrot, selon le rôle de chacun?
Manuel. Suite à la parution de l’histoire de Benjamin dans le 64_page numéro 19, le spécial western*, on s’est vu avec Ben et il m’a parlé de l’appel à projet pour le spécial polar… Il m’a proposé d’y participer ensemble, y voyant l’occasion de publier une première histoire courte. En y réfléchissant, j’ai eu cette idée qui a débouché sur ces pages d’Hercule Poivrot. En en parlant avec Benjamin, il a apprécié l’idée et se voyait bien collaborer avec moi pour sa réalisation. Après quelques échanges, un storyboard réalisé à deux et quelques réflexions sur la caractérisation des personnages, Ben s’est mis au boulot avec ses crayons et ses pinceaux… Il a donc réalisé ces deux magnifiques planches !
Benjamin. En effet, Manu est venu me voir avec cette idée que j’ai trouvée amusante. Nous avons ensuite mis nos idées en commun et élaboré ensemble un storyboard en deux planches, que j’ai dessinées.
Gérald : Ces planches sont très riches graphiquement, très belles au niveau des couleurs. Pourriez-vous décrire, techniquement, la manière de procéder?
Benjamin. D’abord, j’ai réalisé un crayonné au format A3, suivi d’une grossière mise en couleur à l’aquarelle traditionnelle pour les textures. La finalisation s’est faite par un travail digital, pour les nuances de couleurs, les ombres et la lumière.
Manuel. Je suis tout à fait d’accord sur la beauté des pages, et tout le mérite va à Benjamin, j’en suis moi-même impressionné chaque fois que je les lis…
Gérald : Ces planches me donnent envie de vous demander vos influences dans la bande dessinée. Quels sont les auteurs qui vous ont marqués ?
Benjamin. Si je devais me limiter à ceux qui incarnent ce que j’aime le plus dans la Bande Dessinée, je choisirais Juanjo Guarnido (Blacksad), Matthieu Bonhomme (Esteban, Lucky Luke) et Ralph Meyer (Undertaker).
Manuel. Personnellement, je ne suis pas un grand lecteur ou connaisseur de bandes dessinées, il s’agit plutôt d’un rêve d’enfant que j’essaie de réaliser. Mais comme déjà dit, tout le travail et le mérite au niveau du dessin et des couleurs reviennent à Benjamin !
Gérald : Vous vous êtes rencontrés dans une école d’art, que diriez-vous de l’enseignement en bande dessinée ? En école d’art en général ?
Manuel. Nous sous sommes en effet rencontré à l’académie des Beaux-Arts de Bruxelles, et je l’ai rejoint brièvement à l’académie de Watermael-Boisfort, aux cours de Bande dessinée-illustration… Il s’agit de deux approches différentes, mais toutes deux m’ont beaucoup appris. Cela a éveillé en moi l’envie de réaliser des histoires illustrées.
Benjamin. Je rejoins Manu pour dire que ce sont des approches plutôt différentes. Celle de Watermael-Boitsfort, avec Philippe Cenci, a une vocation professionnalisante.
Gérald : Que diriez-vous du monde de la bande dessinée aujourd’hui ?
Manuel. Dans une période où tout est digitalisé, cela fait du bien d’encore pouvoir lire des histoires sur papier !
Benjamin. Avec un outil de diffusion comme internet, on se rend vite compte de la quantité de dessinateurs qui ne demandent qu’à percer rien qu’en Belgique et en France. Pour se faire un nom, je pense que la compétition est rude.
Gérald : Quels rôles, selon vous, peut jouer une initiative telle que la revue 64_page ?
Manuel. Je pense que cela peut être l’occasion pour de jeunes dessinateurs d’être publiés et de se faire connaître, leur ouvrir la voie dans le monde de la bande dessinée.
Benjamin. Oui, le rôle premier est de donner l’occasion à ceux qui débutent de se faire remarquer parmi cette pléthore d’artistes de talent, que j’évoquais tout à l’heure… C’est vraiment une chance pour nous qu’il existe des magazines comme 64_page.
Gérald : Sur quel projet travaillez-vous aujourd’hui ? Ensemble, ou chacun séparément…
Manuel. Pour le moment, de mon côté, c’est un peu en pause. Cela dit, en voyant les planches d’Hercule Poivrot, des idées me viennent…
Benjamin. Pour le moment, mon seul projet est celui de devenir papa. Accessoirement, j’ai toujours un récit de samouraïs sur lequel je travaille périodiquement, dans l’attente de quelque chose de plus concret.
Merci Manuel et Benjamin !
* Règlements de compte à O.K. Cantal, quatre pages visibles sur le site, à l’onglet ‘Revue’, numéro 19, pp.16 à 19. www.64page.com
Vous pouvez voir le travail de Benjamin Jottard sur :
www.instagram.com/benjaminjottard/
31. Corentin MICHEL pour Le Seum
Interview Philippe Decloux
Architecte aux heures de bureau et illustrateur le reste du temps, je cherche à exprimer dans la bande dessinée une créativité qui me manque dans ma première activité. La bande dessinée est devenue pour moi une cour de récré où je peux alterner le crayon, l’écoline, la tablette graphique…
Instagram :corentin_mitchoul
Philippe : Tu as déjà proposé dans le 64_page #20, Attraction lunaire où tu posais un regard original sur la conquête de l’espace et les « ennemis » extraterrestres. Dans Le Seum, tu portes, à nouveau, un regard très singulier sur le sujet que tu abordes, les tueries de masse en milieu scolaire ? Mais pas que… Comment conçois-tu tes scénarios ?
Philippe : Tu as un style très ligne claire, tant au niveau du dessin que du récit, c’est un style très exigeant où « l’à-peu-près » n’y est pas admis. Parle-nous de ce choix que tu pratiques avec une évidente efficacité ?
Philippe : Dans Le Seum, tu abordes non seulement les tueries de masses, mais aussi le rôle des médias d’infos continues et celui des réseaux sociaux. En 4 pages très efficaces, tu prends position et ouvres des débats essentiels. Considères-tu la BD comme un lieu de prise de conscience ?
30. KIKA pour Donjons et Dinosaures
Interview Angela Verdejo
Kika (Caterina Scaramellini ), autrice de Donjons et Dragons, est née à Chiavenna, en Italie, où elle a fait de études de Langues et Littératures Etrangères et ensuite de BD. Vous pouvez aller sur son Instagram:kika_caterina.scaramelliniou surkikascaramellini.myportfolio.com pour voir son travail.
https://kikascaramellini.myportfolio.com
Instagram :kika_caterina.scaramellini
Angela : Qui es-tu, Kika ? Pourrais-tu nous le dire en une seule phrase ?
Kika : Je suis une conteuse d’histoires passionnée de dessin et de musique.
Angela : Pourrais-tu nous expliquer d’une part les techniques que tu as employées dans ces pages et d’autre part quelle est la place qu’elles tiennent dans l’ensemble de ton œuvre ?
Kika : J’ai employé un stylo à bille pour l’encrage (technique que je n’avais jamais utilisée pour des planches, mais j’aime bien expérimenter !), et un très simple coloriage numérique. J’ai employé cette technique parce que je veux simplifier ma façon de travailler, essayer de m’en tenir seulement au strict nécessaire. Je crois que la bd est avant tout narration et que le dessin doit être mis à sa disposition.
Angela : Comment as-tu procédé pour écrire ton scénario et le faire coller au mieux au dessin? (J’aimerais que tu nous parles entre autres sur les codes des couleurs)
Kika : Comme je procède toujours, je commence par penser aux personnages et à leur monde, pour établir le style de dessin qui colle au mieux à l’histoire que j’ai dans ma tête. Je pars d’une idée, dans ce cas je me suis inspirée de Donjons et Dragons, Cluedo, et les romans policiers anglais typiques (Conan Doyle et Agatha Christie). Et après ça, je commence à écrire mon scénario, qui est à moitié un scénario écrit et à moitié un storyboard. L’encrage terminé, je fais attention surtout aux codes des couleurs, qui sont complémentaires. Chaque planche du jeu a sa propre couleur dominante, jaune/orange pour les intérieurs et la fuite du coupable, et violet pour les extérieurs et l’arrestation. Au monde « réel », en revanche, j’ai voulu donner des couleurs plus réalistes, même s’il s’agit d’un monde de fantaisie.
Angela : Qu’est-ce qui t’a poussée à participer au spécial polar de 64_page ? Quel est ton rapport au genre policier ? À la langue française ? Comment as-tu découvert 64_page ?
Kika : Un ami scénariste m’a parlé de la revue 64pages et il m’a suggéré d’essayer. Le genre policier c’est mon préféré avec le genre fantastique, et donc je ne pouvais pas laisser passer cette occasion.
Mon rapport à la langue française commence très tôt, j’ai commencé à lire des bd en français (Astérix) dès l’âge de 7 ans, et j’ai commencé à l’apprendre comme ça. Puis je l’ai étudiée à l’université, parce que j’ai toujours été fascinée par la culture (surtout de l’image) francophone de la France et de la Belgique. J’aime bien passer mes vacances dans ces deux pays.
Angela : Quels sont tes projets à venir? Voudrais-tu ajouter quelque chose à cette petite interview?
Kika : Je suis en train d’étudier le storyboard pour l’animation parce que j’aimerais bien travailler aussi pour l’animation. Mais mon rêve a toujours été de devenir autrice de bd professionnelle, et de publier mes propres histoires. On verra dans les mois à venir !
Je voudrais seulement ajouter que je remercie beaucoup l’équipe de 64_Page pour cette opportunité, un grand merci surtout à Philippe et Angela !
29. Pascal MICHEL pour Poème graphique
Interview Philippe Decloux
Né en Suisse en 1986, vivant à Paris depuis quinze ans et à Bruxelles depuis peu, je suis auteur, illustrateur, musicien et comédien.
Instagram : pascal.illustrateur
Philippe : Peux-tu nous expliquer ton parcours dans la BD, et hors de la BD? Comment as-tu découvert 64_page et ce qui t’a décidé à participer à cette revue Polar
Pascal : Si l’art était comparable à un univers intersidéral, on pourrait dire que j’ai pris l’habitude – comme beaucoup d’artistes aujourd’hui – de passer,avec délice, d’une planète à l’autre. J’ai commencé par le dessin avec une vive envie de devenir auteur de BD. Etant d’origine suisse, j’ai obtenu un diplôme d’illustrateur aux Arts-Décoratifs de Genève et j’ai eu l’occasion de publier mes planches dans quelques magazineslocaux.
Et puis, à 20 ans j’ai filé à Paris pour suivre une formation de comédien. Aujourd’hui, je gagne ma vie en tant que comédien, illustrateur et musicien (je fais du blues et du rap) et je vis actuellement entre Bruxelles et Paris.
J’écris également des nouvelles, et j’ai récemment fini un premier roman : À Peu de Chose Près . Tous mes « voyages » artistiques se relient en un point : raconter des histoires.
J’ai découvert 64-page à l’occasion d’un concours de bande dessinée: le prix Raymond Leblanc.
J’ai trouvé la démarche de la revue audacieuse et j’y ai vue une plateforme qui laisse la place à l’expérimentation d’artistes émergents.
Philippe : Tu intitules ta BD poème graphique, et tu utilises un procédé cinématographique, le zoom arrière, en partant de l’infiniment petit pour nous faire découvrir une scène de crime. Sauf que paradoxe, les premières images nous montrent ce qui nous apparaît comme un paysage. Donc l’infiniment grand. Explique la genèse de cette idée astucieuse ?
Pascal : Je tiens d’abord à te remercier pour cette description claire qui me paraît déjà dire l’essentiel.
Il y a effectivement une envie de travaillerun parallèle avec le cinéma – au niveau de l’image et du découpage- mais également avec la littérature, au niveau de la narration. Et puis, je ressentais l’envie de confronter ce genreà une forme plus abstraite, plus poétique. Je suis, par ailleurs, fasciné par les liensque l’on peut faire entre l’humain, la nature, l’univers, tout comme par l’infiniment grand et l’infiniment petit qui peuvent à la fois se confondre mais qui sont soumis à des lois physiques ou métaphysiquesapparementcontraires. Avec ces deux planches,je triture et j’expose un peu ces fascinationset j’espère légèrement troubler les sens du lecteur en jouant avec les sens premiers de ce que l’on voit.
Je trouve également intéressant d’observer à quel point le dessin peut «adoucir» une image qui aurait été répugnante et tragique en photo. Le dessin adoucitla réalité de l’image sans pour autant la banaliser ; ainsi,toute la place est laisséeà l’imaginaire.
Philippe : Quels sont tes projets? Tes désirs ? Tes espoirs ? Dans le monde de la BD ou dans d’autres domaines ?
Pascal : J’aspire à pouvoir continuer de créer, continuer decirculer et de rebondir entre mes quelques planètes artistiques ; apprendre, développer, expérimenter et rendre tout ça toujours mouvant etvivant.
J’ai participé à la création d’une BD avec une amie scénariste et nous allons commencé les envois de dossiers aux éditeurs.
En parallèle, je continue à expérimenter dans le domaine de la BD avec mes «poèmes graphiques».
Je me suis également penché sur l’écriture d’un deuxième roman. Et j’ai l’intention de travailler àrapper mes textes sur un EP qui devrait voir le jour en 2022.
J’aimerais également développer l’aspect pédagogique de la transmission du dessin et de la narration auprès des jeunes.
Je tiens à remercier les créateurs de 64-page pour l’opportunité offerte, pour votre motivation et votre bienveillance.
28. Loris MERATI pour Aurore funeste
Interview Marianne Pierre
Bonjour, moi c’est Loris. Je suis actuellement en première année de master BD à l’Académie royale des Beaux-Arts de Liège. Avant j’étais à Saint-Luc, et encore avant je faisais de la 3D, mais j’aimais moins. Maintenant, je raconte des histoires en dessin et j’aime vraiment bien.
Facebook :loris.merati.5
Marianne : Peux-tu nous dire comment t’es venue l’idée de ce récit? On croirait un fait divers, triste mais bien réel.
Loris : Avec la limite de 4 planches j’ai dû abandonner mon idée de huis-clos. J’ai donc réfléchi à un meurtre allant à l’essentiel le plus rapidement possible. Quelqu’un tuant une personne âgée avec un coussin pour un héritage m’a paru le plus évident, mais avec une fille paraplégique l’acte est un peu moins froid, même s’il reste tout aussi horrible.
Marianne : Tu as une construction et des plans assez cinématographiques. Aimes-tu le polar au cinéma ? Quelles sont tes inspirations dans ce domaine?
Loris : À part de vieux souvenirs de Columbo et Arabesque en mangeant un poulet frites chez mes grands-parents je ne suis pas vraiment familier au genre, c’est la première fois que je traite le sujet. Il y a quelques années j’ai regardé plusieurs épisodes de The Twilight Zone, ce n’est pas toujours des enquêtes, mais l’ambiance pesante des cadrages est vraiment intéressante.
Marianne : Pourquoi ce choix de cette bichromie avec un jaune très présent?
Loris : C’est peut-être décevant comme réponse, mais je suis daltonien et juste placer un aplat de couleur, au lieu de devoir jouer avec plein d’autre paramètres est beaucoup plus simple pour moi. C’est plus pratique de n’avoir qu’à vérifier l’équilibre général de la page, plutôt que si la peau des personnages n’est pas verte toutes les deux cases, ou si un T-shirt bleu ne devient pas mauve.
Marianne : Pourrais-tu nous parler de ton parcours et de tes projets?
Loris : J’ai fait un bachelier en infographie 3D mais je me voyais mal travailler là-dedans. J’ai enchaîné sur un bachelier en BD, et là je suis en master, toujours en BD. À la base je voulais faire de la biologie, je suis un peu indécis dans la vie. En ce moment, il y a un concours sur le thème du voyage pour lequel j’aimerais dessiner une histoire sur le seichi junrei.
27. Aurélien FRANÇOIS pour Saint-Valentin
Interview Marianne Pierre
Je veux faire de la BD depuis mon enfance. Et aujourd’hui, après une dizaine d’années de formation artistique en France et en Belgique, j’explore différents récits et techniques qui s’harmonisent, pour raconter mes histoires.
https://faurelien93.wixsite.com/aurelien-francois
Instagram: fr.aurelien
Marianne : On te dit « Polar », tu réponds « Saint-Valentin ». Pourquoi? (comment t’es venue l’idée, donc)
Aurélien ; Et pourquoi pas ? ahah.
En fait, je ne sais pas trop dire. Je ne voulais pas créer un récit polar sérieux et je ne voulais non plus quelque chose auquel on pouvait s’attendre; l’histoire un peu classique où il y a le flic et le tueur.
Je ne pouvais pas ignorer les codes du polar non plus. J’ai donc préféré jouer avec et m’en servir pour raconter un récit de Saint-Valentin qui tourne mal à ma façon. Et puis le conflit dans un couple est souvent mis en avant dans ce genre d’histoire. La femme aurait tué son mari pour l’héritage, pour protéger quelqu’un ou parce que le mari à découvert que sa femme avait un amant.
Il y a aussi la date de parution de cette revue spéciale polar qui a joué. La parution est prévue pour fin janvier. La Saint-Valentin est proche de cette date-là. Je me suis dit « pourquoi pas m’en servir ». ahah
Je me suis donc aussi bien servi de mes envies de raconter une histoire humoristique, de la date de parution du 64page que des codes du Polar que beaucoup de personnes connaissent.
Marianne : Le noir et blanc est-il habituel chez toi ou est-ce pour les besoins du thème? Même question pour l’humour noir!
Aurélien : Les deux je dirais. Le noir et blanc est habituel dans mes récits. Non pas que je déteste la couleur mais les récits que j’écris se prêtent plus souvent au noir et blanc. Bien sûr, je compte toute les nuances de gris dans le terme « noir et blanc » car j’utilise aussi très souvent le lavis.
Et puis je trouve que ce noir et blanc très contrasté est parfait pour mon récit. De cette manière, on ne peut pas distinguer ce qui est du sang et ce qui ne l’est pas. Ce noir et blanc sert à désorienter le lecteur et l’amener sur un suspense jusqu’à la chute humoriste de mon récit.
Pour ce qui est de l’humour noir, c’est habituel et ça ne l’est pas. J’aime bien l’humour noir et un peu idiot. J’aime bien l’humour tout simplement en fait. Surtout pour de courts récits comme celui-ci. ahah.
Marianne : Puises-tu ton inspiration dans ton vécu personnel ou est-ce que cela reste complètement fictif?
Aurélien : Un peu des deux. Tout dépend du récit que l’on veut raconter. Cependant, dans un récit, même fictif, je pense qu’un auteur met toujours de son vécu ou de lui quelque part, qu’il en soit conscient ou non.
Marianne : Peux-tu décrire ton parcours dans la BD?
Aurélien : Ouh ! Mon parcours dans la BD est très court. ahah
Je sais depuis longtemps que je veux faire de la BD. Mais ce n’est qu’en arrivant en Belgique il y a 6-7 ans pour mes études à l’Erg en BD et il y 4 ans en rejoignant l’Académie de Boitsfort, que je commence vraiment à m’y mettre de manière professionnelle je pense.
Et ce n’est qu’à partir de mon master que je commence à « publier ». Pour mes deux ans de master, j’ai auto-publié deux BD de plus de 50 pages en 3 et 6 exemplaires dont l’une que je commence à retravailler pour finir l’histoire.
J’ai publié Night Club, un court récit de 3 pages dans le précédent 64page et dans le magazine !? n°11 de l’Académie de Boitsfort.
Aussi, je prépare en ce moment quelques fanzines et illustrations qui seront bientôt auto-publiés et en vente. Voir qui seront peut-être déjà publiés lors de la parution de ce numéro polar de 64page. Je l’espère en tout cas.
Marianne : Essais-tu de te faire publier? Si oui, comment?
Aurélien : Et bin comme je l’ai dit juste avant, je prépare, entre autres, des fanzines en ce moment. Mais je dois trouver les fonds nécessaires à leur impression en auto-publication avant tout comme j’ai encore peu de moyens financiers. ahah.
Pour ce qui est d’une publication avec une maison d’édition, j’y réfléchis. Mais je ne sais pas laquelle. Ça dépendra de mon récit et de quelle maison d’édition voudra me publier. Et je dois encore travailler mes projets, notamment Lucie(s), qui est ma BD de Master 2 que je retravaille. Il faudra donc que je monte un dossier à présenter en maison d’édition. Advienne que pourra.
26. Michel DI NUNZIO pour La bonne cause
Interview Philippe Decloux
J’ai 65 ans, marié, 2 enfants. Je suis un dinosaure, mais j’ai toujours dessiné et en filigrane voulu faire de la BD. Je travaille pour une asbl à vocation sociale et touristique où j’assure la plupart des illustrations didactiques et spécifiques, et bien d’autres projets.
micheldinunzio.eklablog.com/bd-a1487241
Philippe : Tu nous propose quatre belles planches en noir et blanc, c’est une technique graphique que tu maîtrises particulièrement. Qu’est-ce qui te plait dans cette technique?
Michel : Je voulais pour cette histoire retrouver les voix off désabusées et cyniques des films classiques. Et en même temps, (sur quelques cases) l’ambiance yakusa des films contemporain. J’avais en tête ici un film coréen Night in Paradise qui m’avait vraiment emballé. L’ambiance de nuit, le brouillard, l’éclairage nocturne et crépusculaire est pour moi indissociable du polar. C’était ici, une bonne façon d’y entrer.
Je constate que j’aime beaucoup écrire les monologues, (oserais-je dire que c’est mon premier polar… ? Voilà c’est dit) il permet de se projeter rapidement dans le personnage et de faire vivre son histoire de l’intérieur. Il y beaucoup de texte qu’il a fallu réduire hélas, car le personnage tout comme moi finalement est un grand bavard .
Au niveau graphique, c’est sur un autre registre que je me suis lancé.
C’est l’antithèse de ce que je fais la plupart du temps.
Ici c’est de l’aplat noir, très synthétique avec quelques touches de gris une quasi signature, avec le recul je suis assez surpris du résultat.
Philippe Cenci m’a été d’un grand secours car je n’avais pas le recul
pour porter l’estocade le plus dur, c’est de savoir s’arrêter pour éviter d’altérer l’aspect spontané du graphisme.
Certaines cases étaient ok aux premiers traits, d’autres ont été beaucoup plus laborieuses.
Philippe : Tu aimes la science-fiction, c’est la deuxième histoire de ce type que tu nous proposes, raconte-nous cet amour …
Philippe : Je voulais aussi que cela reste du domaine d’une fiction plausible.
Des implants pour avoir accès à son réseau web avec toute notre technologie, et la détourner, nous n’en sommes plus très loin.
J’aime, bien sûr agiter les futurs possibles et plausibles.
On nous promet un futur virtuel démentiel, via un réseau social très connu Ici j’ai juste mis le curseur assez proche.
Mais l’essentiel reste une histoire humaine avant tout ou, ici le protagoniste, bourré de remords et de regrets continue sa route et retrouve sa vocation première …
Philippe : Quels sont tes projets dans la BD? As-tu un futur album en préparation ?
Michel : J’ai toujours eu le virus de la bd. Depuis quelque temps, 2018, je me lance sur des histoires courtes à l’académie de Chatelet.
Les histoires courtes ont le mérite de tester les aventures graphiques et les univers. C’est un format de travail plaisant.
A l’instar des nouveaux jeunes talents de la bd , un album serait un joli rêve qui se concrétiserait.
J’ai toujours l’enthousiasme naïf et aveugle pour me porter vers les défis.
Une compilation de mes histoires, courtes serait déjà formidable.
Une suite de ma bd précédente FATA MORGANA (entre univers parallèle et réalité alternative) à paraitre dans … le 64 est en cours… Malgré parfois un graphisme old school , J’espère convaincre un (des) éditeur(s) pour tenter l’aventure.
Philippe : Question égotique, que penses-tu de 64_page ?
Michel : C’est une très belle revue de qualité, non pas parce que j’y serai mais elle fait un relais formidable avec un public ouvert à la bande dessinée, apporte une visibilité a de nouveaux illustrateurs et un contact avec des éditeurs potentiels.
Devenu rare, me semble-t-il, ce type d’édition permet de faire exister, à travers le support papier les auteurs.
Le besoin qu’un tel médium existe, est réel.
Si le virtuel fait partie de notre contexte, le passage par un support est vital pour s’améliorer.
25. Benedetta FREZZOTTI pour Attrape la fée
Interview Angela Verdejo
FREZZOTTIBenedetta Frizzotti, repérée et publiée à plusieurs reprises par 64_page, nous vient d´Italie. Elle est illustratrice, autrice et professeure. Depuis peu, elle est aussi commissaire de la série AKAbook, une série de littérature transmédia pour adolescents.
Vous pouvez en savoir davantage sur son travail en allant sur www.instagram.com/lostintranslationcomics
Angela : Tu es une autrice fidèle à 64_page, nous connaissons déjà bien ton travail, pour ceux qui ne te connaissent pas encore, pourrais-tu te « définir » en une phrase très courte et ensuite nous expliquer quelle est ton histoire avec 64_page ?
Benedetta : 64_page c’est comme Bruxelles : ma deuxième maison.
Je connais Philippe et 64_page depuis au moins 6 ans maintenant, publier avec vous est une fenêtre ouverte sur la BD hors d’Italie et un prétexte pour vous rendre visite a la fête de la BD du Bruxelles.
Angela : Benedetta, pourrais-tu te « définir » en une phrase très courte ?
Benedetta : Une phrase pour me décrire ? Je suis comme la mayonnaise : un mélange étrange qui a bien fonctionné… j’espère…
Angela : Tu pourrais aussi nous parler des techniques de narration et de création que tu as utilisées dans Attrape la fée … où la mayonnaise fonctionne très bien en effet.
La nouvelle BD que tu nous présentes, dans le cadre du spécial polar de 64_page, semble, encore une fois, être l’amorce d’une nouvelle création, pourrais-tu nous parler de ta stratégie de création ?
Benedetta : Oui, j’ai emprunté les personnages d’un projet plus long pour Attrape la fée. L’histoire originale est une BD sur la syndrome post-traumatique, située dans le monde des contes de fées : Hansel et Gretel ont grandi, se sont séparés, et chacun a pris son chemin. Hansel fait partie de la patrouille des gendarmes de la Mairie, l’un des meilleurs, avec son collègue Sam. Sam lui montre la dernière victime : c’est Gretel. Elle s’est pendue dans sa cellule, après son arrestation suite à l’accusation de meurtre à l’encontre de la maîtresse du bordel de la Pomme Empoisonnée.
Malheureusement, Davide Costa avec qui j’ai écrit l’histoire et moi cherchons toujours un éditeur pour cette histoire…
Ma méthode de travail n’est pas très méthodique… en général j’ai quelque chose dont j’ai envie de parler, comme le syndrome post-traumatique, et je commence à construire l’histoire autour de ça, quand j’ai toute la structure très très claire et un alignement de toutes les scènes, je commence à écrire, ou dans le cas d’une bande dessinée, je commence à préparer les mises en page. Puis, petit à petit, je finis tout. Quand je commence à écrire, j’ai l’air très rapide, mais seulement parce que j’ai peut-être passé un mois à peaufiner, à repenser l’histoire. Si j’accélère trop dans la première phase, ça ne correspond jamais à ce que je voulais.
Angela : Tu viens de sortir un tout nouveau livre, c’est le troisième, je crois, depuis que nous te connaissons, pourrais-tu nous expliquer dans quels univers tu travailles et comment tu conçois ton travail à venir ?
Benedetta : Oui, il s’agit d’un livre illustré, d’un roman et d’un guide pédagogique sur Scratch JR et la narration interactive.
Angela : Peux-tu nous en dire un peu plus sur Scratch JR et la narration interactive ?
Benedetta : Scratch Jr est la version de Scratch pour tablettes et téléphones portables, il est conçu pour les plus jeunes mais il est très pratique pour commencer à faire des histoires interactives.
La narration interactive est un langage à mi-chemin entre un livre, un film et un jeu vidéo, elle mélange différentes langues. Le plus grand changement dans le récit est que l’histoire se déroule non seulement à travers un récit linéaire, mais aussi à travers les actions du lecteur et ses interactions avec les objets et les personnages.
En ce moment je suis très contente car je suis aussi éditrice de la série qui héberge mon dernier livre, je suis très en phase avec Edizioni Piuma qui me permet de jouer et d’hybrider des livres avec les nouvelles technologies : S.O.N.O. (titre du nouveau livre, ndlr) comporte une partie de filtres Instagram où l’on publie l’histoire du livre et qui accompagnent les lecteurs dans leur vie de tous les jours… c’est un début… dans le prochain livre j’aimerais pousser cette partie un peu plus loin en incluant un peu plus de réalité virtuelle et un petit jeu d’hologrammes mais on verra si je peux…
Angela : Tu peux nous expliquer le titre de ton nouveau livre ?
Benedetta : S.O.N.O. est le nom du jeu vidéo autour duquel tourne toute l’histoire. C’est un acronyme (je ne vais pas spoiler, cela gâcherait la fin) mais en italien SONO c’est aussi la première personne du verbe être, car tout le livre se concentre sur la recherche du protagoniste pour construire sa vie et son identité dans un monde qui lui est encore un peu étranger.
Angela : Et que nous prépare-tu après ?
Benedetta : En attendant, je reviens avec Lost In Translation en mars…
24. Sara GRÉSELLE & Ludovic FLAMENT pour Enquête en interne
Interview Gérald Hanotiaux
Dans notre numéro 22, Ludovic Flament et Sara Gréselle, respectivement scénariste et dessinatrice, proposent une histoire en quatre pages en noir et blanc intitulée Enquête en interne. Ils la signent « Sara et Ludo », nous sommes allé à leur rencontre…
Gérald Hanotiaux : Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ? De manière générale, en tant que personne, mais aussi au niveau du parcours dans le dessin…
Sara : À douze ans, j’avais pour hobby de recopier à l’huile des peintures du 17ème siècle. À dix-huit j’ai fait des études d’arts appliqués à Paris, où je devais imaginer du packaging pour des marques. Autant dire que c’était fort éloigné du dessin artistique ! Par contre, arrivée à Bruxelles, j’ai suivi des cours de théâtre du mouvement à LASSAAD (ndr. École de théâtre créée à Bruxelles par Lassaâd Saïdi) et, étonnament, cela me sert aujourd’hui beaucoup dans l’illustration : quand je dessine un personnage sur le papier, je commence toujours par le mimer à l’intérieur de moi-même. Je vois l’espace de la feuille comme une scène. Pour le reste, je suis autodidacte mais je participe parfois à des ateliers avec des créateurs que j’aime. J’ai commencé à illustrer pour Ludovic mais je suis également autrice de mes propres livres.
Ludovic : Quand j’avais cinq ans, je disais que je voulais aller à la « grande école » pour apprendre à écrire. J’avais le projet d’écrire une bande dessinée, c’était très clair dans ma tête. Plus tard, quand on avait pour devoir de rédiger un poème, j’en faisais trois. Mes institutrices m’encourageaient, alors j’ai continué. Mais c’est vraiment vers mes quinze ans que je m’y suis mis sérieusement : j’envoyais mes textes à des concours. En gagner certains m’a conforté dans l’idée que c’est ce à quoi je voulais consacrer ma vie. Aujourd’hui, si on me demande, je me définis plutôt comme un auteur d’albums jeunesse puisque c’est ce que je fais le plus (21 ont été publiés à ce jour) mais j’ai aussi écrit pour les adultes : du théâtre, de la poésie, un roman… Finalement, la chose que je n’ai toujours pas concrétisée, c’est ce projet de bande dessinée de mes cinq ans. M’y essayer pour 64_page est une première ! Et je suis heureux de le faire avec Sara, ma compagne dans la vie et de plus en plus dans la création.
Gérald : Comment vous est venue l’idée de participer à ce numéro spécial polar ? Est-ce un genre déjà familier ans votre travail ?
Sara : J’avais déjà participé à 64_page en 2020 et j’avais envie de me remettre à penser à une nouvelle histoire courte. Quand j’ai vu l’appel à projet du numéro spécial Polar j’ai sauté sur l’occasion, tout en me disant que ma culture dans ce genre-là se limitait à Agatha Christie, Gaston Leroux et Sherlock Holmes… J’ai proposé une collaboration à Ludovic. J’avais dans la tête que je ne me préoccuperais que du dessin et du plaisir de créer une atmosphère sombre.
Ludovic : Quand elle me l’a proposé ça m’a amusé parce que, précisément, c’est un genre qui n’est pas le mien. En gros, j’ai lu un Spillane, Pas de temps à perdre, juste parce que le compositeur John Zorn lui a rendu hommage dans un morceau, un Vilar, C’est toujours les autres qui meurent, pour ses références à Duchamp, une parodie de polar, Pulp, juste parce que c’était écrit par Bukowski et une autre de Brautigan, Un privé à Babylone, parce qu’à la base j’adore ses poèmes. Mon truc à moi, c’est plus la poésie et le détournement… C’est donc aussi sous cet angle que j’ai abordé le projet.
Gérald : Comment avez-vous procédé pour créer cette histoire en quatre pages intitulée Enquête en interne ?
Ludovic : J’ai d’abord réécouté John Zorn pour me remettre dans l’ambiance ! La musique m’influence beaucoup quand j’écris. Et puis j’ai revu The element of crime, un film de Lars Von Trier, encore un faux polar… Je me suis amusé des clichés que j’avais sur le genre et j’ai laissé émerger une sorte de monologue à partir de ça.
Sara : En fonction du texte, j’ai d’abord cherché des images qui pouvaient correspondre dans des photos anciennes, libre de droit, puis les ai transformées. D’autres compositions ont été créées de toute pièce avec Ludovic pour modèle. Pour l’image finale, je me suis inspirée du tableau très angoissant Le cauchemar, de Füssli, auquel j’ai intégré la sculpture Maman, de Louise Bourgeois, représentant une araignée géante.
Gérald : Ludovic, vous êtes donc un auteur confirmé avec des albums jeunesse, est-ce très différent de scénariser de la bande dessinée ?
Ludovic : Plusieurs fois, j’ai tenté d’écrire des bandes dessinées, sans jamais y parvenir. Le rythme de l’album jeunesse, avec son tourné de page régulier, son usage quasi permanent de l’ellipse, son ton souvent plus narratif que dialogué, me semble assez différent du séquençage de la bande dessinée. Aussi, l’album a quelque chose de plus littéraire : je veux dire qu’on peut s’en sortir avec des phrases bien tournées là où la bande dessinée, comme le cinéma, me semble nécessiter avant tout une solide structure. Et le dire n’est pas dénigrer l’album jeunesse, art qui reste celui de la concision, de loin mon préféré ! D’ailleurs, ce que j’ai fait ici n’est selon moi qu’un embryon de bande dessinée, la disposition en cases n’est là que pour faire illusion.
Gérald : Sara, le style graphique adopté est en noir et blanc, au crayon… Est-ce un style familier pour toi, ou l’as-tu adapté pour cette thématique ? Qui pourrais-tu citer parmi les artistes t’ayant influencé graphiquement ?
Sara : J’ai toujours aimé le noir et blanc. Il permet d’installer une étrangeté, une atmosphère en décalage avec le quotidien. Je lui trouve une certaine élégance, aussi. Le premier album jeunesse que j’ai illustré, Bastien, ours de la nuit, a entièrement été dessiné au crayon noir, un « Mars Lumograph Black 2B », pour être tout à fait précise… Mais dans le livre, deux couleurs apparaissent, ajoutées ensuite par ordinateur. Faire un livre jeunesse entièrement en noir et blanc est compliqué : la croyance en le fait que les enfants ne l’apprécieront pas est tenace, les éditeurs ont donc vite tendance à le bouder. Mais ici, avec Enquête en interne, j’avais moins à me soucier de la réception d’un public précis et de ces critères… Ce fut donc un plaisant terrain de jeu et d’expérimentation !
Concernant la technique, je me rappelle être tombée sur une interview de Jean-Claude Götting (ndr. Auteur d’une quinzaine d’albums depuis 1985, au style graphique reconnaissable entre mille) qui parlait de trames de gris qu’il faisait au rouleau encreur pour commencer ses peintures. Alors je me suis mise moi aussi à salir volontairement mon papier avant de dessiner. Lors de la réalisation des images, j’avais envie de créer une impression de malaise, dans un environnement hostile, dur et inquiétant, où la folie n’est jamais loin. Notre bande dessinée traite d’un personnage aux zones d’ombres, tentant d’élucider une situation qui échappe à sa raison, ce qui me semble bien coller avec l’usage du noir et blanc, un travail de contrastes fait d’ombres et de lumières.
Gérald : Quels sont vos éventuels projets actuels, individuellement et en commun?
Ludovic : J’ai un album avec Mathilde Brosset chez Pastel qui sort au printemps 2022 : La dame aux 40 chats. Et nous planchons actuellement avec Sara sur une toute nouvelle histoire humoristique qui devrait s’appeler Ismolène et Chipolata, la folle virée.
Sara : Quant à moi, je sortirai en 2022 mon premier album jeunesse en solo chez Versant-Sud : Les lundis de Camille ! Et un deuxième livre adulte en solo chez Esperluète est prévu pour 2023.
Merci Ludovic et Sara !
Pour découvrir la bibliographie de Ludovic Flament, rendez-vous sur Babelio :
www.babelio.com/auteur/Ludovic-Flamant/43559/bibliographie
Pour le travail de Sara Gréselle, rendez-vous sur Instagram ou sur Ultra-book
https://saragreselle.ultra-book.com/
23. Romain RIHOUX pour Le chant du glacier
Interview Philippe Decloux
Infographiste indépendant (graphiste et motion designer depuis dix ans), je me suis mis récemment à l’illustration, ainsi qu’à la bande dessinée, qui me passionne. J’explore donc de nouvelles techniques dans ces domaines.
https://www.romainrihoux.com
Philippe : Tu avais participé à notre revue #19 sur le thème du Western avec une BD tout en couleurs avec une technique proche de l’infographie, tu nous reviens pour ce numéro Polar avec un noir et blanc « dur ». Peux-tu nous expliquer tes choix graphiques ?
Romain : Je cherche encore ce qui me convient comme techniques et comme styles. Étant infographiste, je connais les logiciels, mais ce n’est pas pour autant évident de trouver ce qui convient comme style pour de la BD. J’ai un style plus défini pour de l’illustration, mais qui ne convient pas tout à fait pour ce que j’ai en tête quand je réfléchis à un projet BD. J’ai toujours bien aimé le noir et blanc (j’apprécie entre autre beaucoup Marc-Antoine Mathieu dans ce style). Le polar me semblait bien convenir pour faire un projet avec ce type de visuel.
Philippe : Comment construis-tu tes histoires? Tu as un humour bien à toi, une légèreté qui contraste, ici, avec ton dessin fait d’aplats noirs. Que tu anime par des traits, des notes musicales ? des symboles graphiques ?
Romain : Je pars d’une idée que j’essaie de disposer et de découper en cases, avec des schémas, des croquis ou des images existantes, juste pour imaginer ce que ça peut raconter. C’est très bricolé, mais ça me donne un aperçu, et me permet de me rendre compte que ce que j’avais en tête est très lacunaire… Comme ce sont des recits très courts, c’est souvent une idée simple et pas très aboutie, qui se construit ensuite et qui évolue en fonction de ce qui me semble fonctionner une fois que ça prend forme. Donc au final c’est en concrétisant d’une façon ou d’une autre ce que j’ai en tête que ça peut se construire. Ruminer de trop une idée ça fini vite par se détricoter chez moi.
Philippe : Qu’est-ce que tes participation à 64_page t’apportent dans ton travail, ton approche de la BD?
Romain : Tout d’abord, avoir quelques contraintes m’aide beaucoup à avancer sur des projets (un thème, un délai, …). Donc c’est une occasion d’avancer dans un projet.
Par ailleurs, 64_PAGE est très ouvert sur les variétés de style, de narration, … Les BD publiées vont dans des directions et dans des styles très variés et c’est chouette de voir tout ce que d’autres font, et de se positionner par rapport à des styles variés (plutôt que de se comparer à d’autres projets trop proches).
Donc c’est un bon cadre pour avancer !
Philippe : Quels sont tes projets à court et à plus long terme ?
Romain : J’aimerais arriver à avancer sur un projet plus ambitieux de BD, mais pour le moment, je ne trouve pas encore comment avancer. Je ne suis sans doute simplement pas assez expérimenté, ni à l’aise en dessin. Donc à court ou moyen terme, je voudrais continuer à développer des petits projets BD pour apprendre. Et peut être à long terme réussir à faire quelque chose de plus ambitieux.
J’aimerais également avancer sur des projets de livres pour enfant, qui sont un peu plus dans l’illustration et avec lesquels je me sens un peu plus à l’aise pour le moment.
Y a plus qu’a… 🙂
22. JUAN pour 2 Cartoons
Interview Philippe Decloux
Juan MENDEZ est un des auteurs remarqué par Cécile BERTRAND. La dessinatrice de presse liégeoise anime, avec 64_page, sa Cartoons Académie. Juan : « J’ai fait des études en arts plastiques à l’Institut Saint-Luc de Bruxelles et j’ai fait du dessin mon métier.
Je réalise essentiellement des dessins de commande, notamment des illustrations pour des magazines ou des revues.
Je fais également du dessin en « live », pour des conférences par exemple ».
Philippe : Explique le cheminement de tes idées? Es-tu un assidu de l’info? Quels sont les éléments déclencheurs de tes cartoons?
Comment construis-tu ton humour ? Et l’éventuel ‘message’ que tu veux communiquer à tes lecteurs?
Juan : Je considère l’art du cartoon comme une récréation. C’est sans doute pour cette raison que j’aurais beaucoup de mal à avoir l’obligation d’en pondre un par jour (même si je serais ravi d’être davantage sollicité par des rédactions pour en faire !).
(pour la Cartoon Académie Cécile Bertrand)
Je ne sais pas trop comment je conçois mes cartoons. Je me dis seulement que l’humour n’est pas toujours une obligation, qu’on peut faire un cartoon qui ne suscite pas forcément des rires mais qui peut aussi nourrir la réflexion des lecteurs et lectrices sur un sujet de société ou d’actu.
Je crois que ce qui m’amuse le plus dans la réalisation d’un cartoon, c’est l’occasion que cette discipline nous offre de prendre le contre-pied d’une situation. Je veux dire qu’un sujet a priori grave ou déprimant, qu’on aurait le réflexe de traiter avec une certaine amertume, peut être pris à rebrousse-poil et présenté sous un angle imprévu, surprenant. En fait, c’est la recherche du «twist créatif» qui me motive.
Philippe : As-tu déjà été amené à t’auto-censurer? Si oui pour quel motif? Penses-tu qu’un dessinateur de presse peut tout dire?
Si non, quelles sont, selon toi, les limites?
Juan : Oui. Je m’auto-censure parfois. La plupart des cartoons que je réalise finissent à la poubelle ou dans le fond d’un tiroir. La raison c’est que je manque un peu de confiance en moi, et que je me dis régulièrement : « Pas terrible, ce dessin. Pas certain qu’il soit réellement pertinent. Ce sujet mérite rait un meilleur cartoon, … »
Il s’agit donc plus d’une raison qui concerne un certain niveau d’exigence que je me fixe par rapport à mon propre travail…
Mais finalement, est-ce vraiment de l’auto-censure? Je ne sais pas, mais j’aimais bien l’idée de commencer ma réponse par «Oui. Je m’auto-censure parfois».
Je pense qu’on peut tout dire, qu’on peut traiter tous les sujets, tant que le dessin est drôle ou qu’il suscite une réflexion et qu’il est réalisé sans amertume ou colère.
Philippe : Quels sont tes projets à courts et à moyens termes? Sur quel(s) projet(s) travailles-tu pour le moment? Qu’est-ce que la Cartoons Académie t’apporte ?
Juan : La cartoons Académie m’offre l’occasion de diffuser des dessins, de les confronter au regard des lecteurs et lectrices du 64 Page. C’est aussi une invitation à en réaliser au moins un par semaine, et de consacrer du temps à l’exercie du cartoon. En gros, la Cartoons Académie, c’est un peu comme une salle de fitness, mais pour cartoonistes.
Mon projet à moyen terme est de finaliser la bande dessinée sur laquelle je bosse depuis plusieurs années et qui paraîtra dans le courant 2022 chez Bang Ediciones, une maison d’édition située à Barcelone. L’idée, c’est de livrer l’album dans les temps, et ça, ça va vraiment être chaud!
A long terme, c’est de persévérer dans la pratique du cartoon et qu’il prenne plus d’importance dans mon activité professionnelle. Ca m’amuserait aussi d’enseigner le dessin. Et aussi de développer mes projets en sculpture, mais ça, c’est une autre histoire…
21. LOU pour Fiançailles
Interview Gérald Hanotiaux
Dans le numéro 22 de 64_page, Louane nous propose Fiançailles, une bande dessinée constituée de quatre pages en noir et blanc. Nous sommes allé à la rencontre de la jeune autrice pour en connaître plus sur son parcours…
www.instagram.com/confrerie_du_porte_mine/
Gérald : Pourrais-tu te présenter en quelques lignes… ? De manière générale, en tant que personne, mais aussi au niveau du parcours dans le dessin.
Louane : Je m’appelle Louane, je suis au crépuscule de mes vingt ans et je dessine sérieusement depuis quelques années. Par « sérieusement » j’entends avec l’intention d’en faire mon métier. Je suis plutôt introvertie mais réaliser un bachelier artistique, et maintenant un Master à Liège, m’a permis de surmonter petit à petit cette timidité. Dans ce cadre, mes avancées sont surtout le résultat de bonnes rencontres : entre artistes introvertis, on se comprend !
Mes proches, à mon avis, me qualifieraient de « sérieuse », mais personnellement je pense que je mériterais le qualificatif si je pouvais au moins appliquer cette rigueur dans mon travail ! Or, disons que je suis plutôt du genre à attendre la dernière minute pour m’y mettre sérieusement, grâce à la pression de la deadline. Ce que j’aime dans l’art séquentiel c’est la façon dont on peut allier l’écriture et le dessin, mes deux média d’expressions de prédilection. J’aime par dessus tout créer des histoires auxquelles tout un chacun peut facilement s’identifier, en abordant des questions de sociétés, des drames familiaux, des tabous, etc. J’aime beaucoup les romans graphiques, dans lesquels l’ auteur ou l’autrice a pu prendre son temps pour découper l’action et le scénario, dans lesquels on peut bien suivre l’évolution du ou des personnages. J’aime bien les intrigues qui s’immiscent dans le comportement humain, explorent nos manières de vivre…
Gérald : Nos lecteurs vont découvrir ton travail pour la première fois. Comment présenterais-tu ton histoire en quatre pages Fiançailles, que tu proposes pour ce numéro spécial polar ?
Louane : Dans Fiançailles, dont le scénario est très classique, j’ai surtout voulu me faire plaisir en explorant des années que j’affectionne dans notre Histoire. Même si ce n’est pas explicitement dit, je situe le récit dans les années 20-30. Le monde de la danse et de l’Entertainment, me fascine beaucoup et les cabarets sont toujours une bonne source d’inspiration. Ensuite, j’ai interprété le thème polar à travers une enquête menée par un détective d’un genre peu commun à l’époque, pour ce métier, avec une petite histoire de vengeance. Je veux avant tout que le lecteur apprécie visuellement les pages et comprenne pourquoi le ou la protagoniste a agi de cette manière…
Gérald : Comment définirais-tu ton style graphique ? Qui seraient les dessinateurs les plus marquants parmi tes influences ?
Louane : Je suis encore dans une période où j’expérimente beaucoup, notamment sur la nature du médium. Je suis souvent partagée entre le besoin d’être rapide et efficace et l’envie d’être le plus proche de la réalité. J’aime particulièrement « encrer » mes planches au graphite et mettre en couleur à l’encre ou à l’aquarelle. J’aime beaucoup les artistes qui travaillent en « ligne claire », ou qui ont un style d’encrage épuré, surtout dans les romans graphiques dont je tire beaucoup d’inspiration. Grâce à l’accès à internet, tellement facile de nos jours, je puise énormément dans la base de données d’Instagram ou encore de Pinterest, dans lesquelles on peut trouver sans cesse de petits artistes moins connus. Des perles rares en quelque sorte. En termes d’artistes j’aime Barbucci, Guarnido, Homs, Bastien Vivès, Cyril Pedrosa, Cy, Alix Garin et Tillie Walden, un de mes coups de cœur depuis quelques années, pour n’en citer qu’une infime poignée.
Gérald : Comment t’es venue l’envie de proposer cette histoire à 64_page ?
Louane : Avec des amis proches nous avons fondé un collectif qui répond au doux nom de « Confrérie du porte-mine » (nous sommes sur Instagram !), ce qui nous permet d’avoir accès à un large panel d’informations, petits tuyaux etc. Via une amie, j’ai appris l’existence de 64_page, qui donne sa chance à de jeunes artistes tels que moi, et le chouette projet du numéro polar. J’ai donc sauté sur l’occasion de me rapprocher un peu plus du monde professionnel.
Gérald : Que dirais-tu de l’importance de voir son travail pré-publié dans une revue ?
Louane : :Pour faire écho à ce que j’ai précédemment abordé, il est très important, en tant que jeune et/ou débutant dans le monde du travail et plus particulièrement dans celui de la bande dessinée, d’être présent, de se faire connaître, montrer son travail… Cela passe par des conventions, des fanzines, des concours, ou bien comme ici être présent dans une revue qui permet de toucher un large public. Je pense qu’il ne faut pas lésiner sur les moyens et saisir un maximum d’opportunités pour promouvoir son travail, il ne faut pas attendre que le boulot vienne à nous.
Gérald : Pour rebondir, je reprendrais les propos du scénariste Zidrou, qui disait ceci dans notre numéro 21 : « Je vais y aller d’un lieu commun : nous manquons tous de supports papier, la remarque est donc bien entendu valable pour les jeunes. C’est très évident. Voir ses planches sur ordinateur, ou photocopiées, n’a rien à voir avec le fait de les voir imprimées. Toute personne dans ce métier a ressenti l’émotion de la première publication. » Qu’en penses-tu ? Par ailleurs, tu parles de fanzines, j’imagine donc que tu as participé à ce genre de publications… Pourrais-tu dès lors décrire cette « émotion de la première publication » dont nous parle Zidrou ? Et ses effets éventuels sur la suite de ton travail ?
Louane : Je pense parler au nom de tous mes camarades en disant que l’on partage ou avons partagé à un moment ce grand désir et cette satisfaction de voir notre travail sous forme physique. Zidrou, j’imagine, parle d’impressions professionnelles à destination d’un vrai lectorat, mais je pense – même si c’était à moindre échelle – qu’imprimer nos planches pour la première fois dans le cadre d’un cours ou d’un jury nous a tous marqués, en effet. C’est une sacrée concrétisation, même au niveau étudiant, dans un cours… Malgré tout, on sait qu’il faut garder les pieds sur terre et que dans le pire des cas, cela ne pourrait peut-être jamais nous arriver professionnellement. Cependant, il s’agit tout de même d’une des premières réalisations concrètes, lorsqu’on met les pieds dans le monde de la bande-dessinée.
Cela dit, si je devais décrire le sentiment je parlerais avant tout de satisfaction. C’est un mélange de soulagement et de contentement que de tenir un travail entre ses mains. Mais malheureusement, ça ne dure pas très longtemps. En tant qu’artistes on se doit d’être critique et nous sommes nos pires ennemis en la matière. Personnellement, la durée pendant laquelle j’aime mon travail varie d’une semaine à quelques mois. Plus que la satisfaction d’avoir imprimé des travaux, on recherche surtout la satisfaction des travaux en eux-mêmes. Ce qui nous pousse à produire plus… Ou pas. La peur de ne pas en être fier peut pousser à ne pas faire, tout court… Dans mon cas, ça fonctionne un peu comme ça.
Gérald : Une question liée à l’actualité difficile, depuis presque deux ans. On sait que le travail de dessinatrice est solitaire, on est seule face à sa page. L’actualité a imposé des périodes de confinements ou de limitations des activités extérieures. Personnellement, cela a-t-il eu un effet sur ton travail ? Si oui, comment ? Était-ce quelque part plus facile pour toi de rester seule sur tes pages, avec des tentations extérieures limitées (et en imaginant tout le monde réduit à la solitude de la dessinatrice) ou bien comme certaines artistes cela t’a-t-il bloquée dans ton inspiration ?
Louane : Comme beaucoup d’introvertis, j’ai mis du temps à ressentir les effets des confinements, car cela ressemblait déjà beaucoup à la vie que je menais. C’est assez comique, quand on y pense… Personnellement, cela m’a apporté une certaine liberté de savoir que puisque tout le monde en était réduit à rester chez lui, je n’avais en quelque sorte plus d’exigences en regard de l’extérieur. Je pouvais gérer mon emploi du temps comme je le voulais, dessiner selon mes horaires et mes envies, presque comme ce sera dans mon futur métier en somme… Pour moi, c’est sortir qui me prend beaucoup d’énergie, au début de cette période j’ai donc pu recharger mes batteries. Mais comme tout le monde, après un moment cela commençait à peser car, hormis dans l’espace réduit de ma maison, je ne pouvais rien contrôler d’autre. Pour ce qui est de mon inspiration à ce moment-là, je n’ai pas de souvenirs particulièrement négatifs, ayant connu des périodes hors-covid plus difficiles au niveau de mes travaux. Il y avait peut-être juste le fait d’être chez moi, qui me poussait à travailler avec moins de rigueur que je ne l’aurais fait dans un environnement scolaire.
Gérald : Question classique pour terminer, quels sont tes projets actuels en bande dessinée, à court terme sur lesquels tu serais occupée à travailler et, à plus long terme, ce vers quoi tu voudrais aller dans cet art ?
Louane : Étant à l’école, mes projets en cours sont des projets purement scolaires, quelques planches sur un thème donné. Cela dit, j’ai une plus grande liberté de mouvement dans mon master actuel qui peut me permettre d’envisager de plus longues histoires étalées sur plusieurs mois voire un an. À la fin de l’année dernière j’ai commencé à développer l’envie de créer un roman graphique (qui serait condensé pour rester à la hauteur de mes moyens) et j’aimerais pouvoir mettre ce projet en branle lors de mon master et, espérons-le, dans ma carrière future.
Merci Louane !
20. Mario LANCINI pour des détournements d’affiches
Interview Philippe Decloux
Mes études secondaires artistiques et mes enseignant·e·s passionné·e·s m’ont montré qu’il y avait mille façons de raconter une histoire. Avec le temps, j’ai mis tout ça de côté. Un jour, on me parle d’une académie, d’un cours sympa, d’un chouette prof. J’écoute mes amis, et là, tout redémarre.
Instagram : ml_skuletton
Philippe : Raconte-nous ton parcours et tes passions BD et hors BD ?
Mario : Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé le dessin. Au moment de choisir une école secondaire, j’arrive dans une école de techniques artistiques et là j’accroche. La plus part des enseignants nous transmettes et nous font évoluer dans la détente et le plaisir de découvrir. Après cela, j’ai testé pas mal de techniques en académie mais le temps m’a fait mettre tout ça de coté. En parallèle, depuis longtemps je dessinais un petit bonhomme et son parcours entre le réel et l’imaginaire. Je savais que je voulais raconter son histoire mais comment ? Le temps passe et je commence à travailler au BPS22, un musée d’art où vont se combiner deux passions, l’animation des groupes et les ateliers artistiques. J’y fais, au fil du temps, la rencontre de deux amis et collègues qui me parlent d’un atelier d’illustration et BD à l’académie de châtelet. Finalement, je teste cet atelier et cinq ans plus tard j’y suis toujours.
Pour ce qui est de la BD, je ne suis pas un grand connaisseur. J’ai lu des Tintin, des Tuniques Bleues, etc. Mais j’étais plus adeptes de format d’histoires courtes tels que Boule et Bill, Game Over, Kid Paddle, etc. où parfois une planche suffit, court, clair et efficace. Pour le reste pas mal de manga, Saint Seiya étant mon number one, Gunnm, Tsubasa reservoir chronicle, etc. et pour ce qui est du reste, j’aime cuisiner (ça donne l’impression de jouer aux alchimistes), les cocktails, le tir à l’arc, la musique et observer les comportements (ça me donne pleins d’idées pour tourner les choses en dérision).
Philippe : Ton personnage du squelette est ta marque de fabrique, comment es-tu arrivé à ce choix? Comment comptes-tu le développer? Quel avenir tu voudrais lui donner ?
Mario : Le squelette m’impressionne de part la complexité du corps et le rôle de fondation qu’il joue, de plus c’est ce qu’il reste en dernier, il tient bon. C’est aussi toute la symbolique social que ce soit des pirates ou même l’aspect fédérateur « nous en avons tous et toute un, au fond nous sommes tous pareils ! ».
Un soir d’académie où mon projet avec le « petit bonhomme » stagnait, pour passer le temps je griffonne un squelette que j’aurais sans doute jeté si notre professeur n’était pas passer par là. Il m’a conseillé d’y travailler et je les ai vus évoluer avec le temps.
Ce qui lance mon raisonnement, c’est une phrase entendue mainte fois « ça ne doit pas être pire après vu que personne n’ai jamais revenu ! ». J’ai commencé à me dire « et si ce n’était qu’une version de notre vie mais à l’état squelettique ? », quels seraient les aléas du quotidien dans une telle situation ? À partir de là le développement par dans tout les sens. Pour l’instant je me suis intéressé au sport, au Freak Show, au western via 64_page et pour le moment c’est le burlesque et l’effeuillage qui ont toute mon attention.
Pour l’avenir, je compte le faire évoluer dans pleins d’environnement et aborder pleins de sujets qu’ils soient d’actualité ou autre, c’est intarissable, et pourquoi pas travailler comme pour le western, différentes partie de l’histoire revue en oubliant pas d’en tirer des leçons, comme j’aime le penser Skuletton c’est tout le monde et personne mais c’est surtout un regard sur la vie avec le recul de la mort.
Philippe : Et pour toi, comment vois-tu la suite de ta carrière de créateur ?
Mario : Je n’aurais jamais imaginé avoir des illustrations ou quelques pages BD publiées, ce qui rend la chose très plaisante. Du coup je me laisse un peu porter par les occasions qui se présentes mais à l’avenir, je souhaiterais en faire des petits guides humoristiques de l’après vie, par thème, qui serait porteur non pas d’une morale à moitié camouflée mais plutôt direct et emplie de sarcasme.
19. SERNA pour Fantastique
Interview Philippe Decloux
Fan de gros lézards et de science-fiction, je lis des BD et dessine depuis toujours. Je me remets vraiment au dessin après mes études en sciences et m’inscris aux académies de Charleroi et de Châtelet (dessin et illustration/BD). Je m’intéresse aussi au concept art pour le jeu vidéo et le cinéma.
Philippe : Parles-nous de toi ? De tes passions, de la BD, de ton parcours…
SERNA : Je dessine depuis tout petit. Ca a commencé avec les dinosaures, une grande histoire d’amour! Je n’arrêtais pas d’en dessiner et j’apprenais leurs noms, j’en collectionnais des figurines, des livres…
J’ai aussi de vieux souvenirs des dessins animés de la fin des années 80 (les Tortues Ninjas, Olive et Tom, le Livre de la Jungle en version anime, finalement la belle époque du Club Dorothée!), ainsi que les films de Disney (Aladdin, le Livre de la Jungle, …).
Ma passion pour la BD est venue très tôt aussi, j’ai lu tous les albums de Tintin, des Schtroumpfs, les grands classiques franco-belges (surtout belges au début!). Vers les 10-12 ans, on m’a offert deux albums du Petit Spirou et je lisais Mélusine, Kid Paddle,… J’aimais beaucoup la série Papyrus, car je m’étais intéressé un moment à l’Egypte ancienne, mais voilà, je ne pourrais pas tous les citer, il y en a tellement!
Maintenant que j’y pense, j’adorais les Légo. J’avais 7 ou 8 ans et mon père, qui a toujours été passionné d’astronomie, m’offrait régulièrement de grosses navettes spatiales à construire en légos. Ca a probablement mené a mon goût actuel pour la science-fiction…
SERNA : Très petit j’inventais des personnages et je dessinais leurs histoires dans des planches de BD. Mes tous premiers persos étaient de petits extraterrestres voyageant dans des soucoupes volantes à leur taille… En revoyant mes anciens dessins, j’ai retrouvé l’influence des dinosaures et des animes de l’époque dans mes autres personnages : adolescent j’avais dessiné un groupe d’humanoïdes à tête de Parasaurolophus (un dino à tête de canard et au crâne allongé). Ils étaient musclés tels des guerriers de l’espace (cfr. Dragon Ball Z)!
Un autre élément que j’aimerais mentionner est un jeu de cartes avec des dinosaures que j’avais entièrement réalisé moi-même quand j’avais 14 ans. J’avais recherché les informations dans mes livres et ça devait se jouer comme une bataille, en comparant les caractéristiques des cartes. C’étaient les jeux de cartes avec des voitures et des motos auxquels mes amis de l’école jouaient dès le matin dans le bus, qui m’avaient donné l’idée… et finalement, pendant un bon moment on ne jouait plus qu’avec mes cartes de dinosaures faites maison!
C’est aussi à cette époque que j’ai eu mes grands coups de coeur vidéoludiques (Final Fantasy VII, Soul Reaver, Diablo I et II,…) et cinématographiques (Star Wars – épisodes I et II, le Seigneur des Anneaux,…). Au passage, j’avais lu le Hobbit quelques temps avant. J’avais tellement adoré l’histoire qu’en voyant le Seigneur des Anneaux à l’écran, j’avais très envie de voir le Hobbit adapté au cinéma. Vous imaginez donc comme j’ai été ravi en décembre 2012! J’avais évidemment adoré aussi les Jurassic Park, mais ma passion pour les dinosaures était plus ancienne.
A 18 ans, j’hésitais grandement entre apprendre la 3D pour le jeu vidéo et étudier la biologie. Comme j’avais bien réussi à l’école, c’est la deuxième option que j’ai suivie. J’ai réalisé un mémoire en paléontologie à l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique. J’éprouvais une grande joie de pouvoir voir des fossiles de reptiles de l’Ere secondaire dans les bureaux et de passer une fois par semaine l’entrée de ce musée que j’avais visité plusieurs fois étant petit. Malgré cela, j’en garde un souvenir mitigé, car boucler le mémoire m’a coûté beaucoup de sueur et de stress. Par la suite, je suis resté encore dans les sciences en m’intéressant à l’environnement et à l’épidémiologie. C’était il y a 10 ans déjà.
Pendant mes études j’ai continué à aller voir les suites des films que j’aimais (les Star Wars, les films de Peter Jackson,… ). Matrix – revolutions (le 3ème film) m’a donné une grande claque, de par sa représentation d’un futur apocalyptique dominé par les machines, si sombre et à la fois effrayant et fascinant! Un autre film m’a vraiment marqué – et là on rejoint plus l’univers de mes planches pour 64_page -, c’est Silent Hill. Je ne savais pas qu’ils avaient adapté ça d’une série de jeux vidéos, mais l’horreur à la japonaise est tellement tordue et malsaine, que ça ne peut laisser personne indifférent. Je n’y avais jamais joué car il paraît qu’ils font encore plus peur que les Resident Evil! J’avais joué au deuxième opus de ces derniers et n’avais jamais pu le finir. D’autres (ex)gamers ont certainement partagé cette angoisse de la caméra fixe dans les deux premiers Resident Evil en particulier. Le commissariat du 2ème jeu est très grand et on entend par moment des portes claquer au loin, sans jamais savoir si c’est la bande-son qui passe en boucle ou si c’est réellement une indication de danger à prendre en compte pour ne pas s’éterniser dans la pièce où l’on se trouve!
J’ai aussi joué à Prince of Persia (la version d’Ubisoft au rendu presque « crayonné » des personnages). Il y avait une liberté dans ce jeu! Les décors étaient très aériens et les espaces immenses! La dernière claque vidéoludique que j’ai prise était Diablo III. Je sais qu’il a un peu divisé les fans du 2, mais il faut bien reconnaître que graphiquement il est magnifique, à tous les niveaux (personnages, armes et armures, monstres, décors,…). L’immersion est alors inévitable et cet univers est délicieusement sombre!
Pour finir le tour de mes influences principales et rester dans le thème, il faut citer les Conjurings, avec les autres films d’épouvante de manière générale (pas ceux comportant du sang et de la violence gratuite, mais plutôt ceux qui tiennent le spectateur en tension pendant les 3/4 du film).
Je me suis égaré à nouveau, mais je suis vraiment à la croisée de tous ces éléments. Dans la BD, j’ai aussi beaucoup aimé la série Sillage, ainsi que les séries des Elfes, des Nains,… (publiées chez Soleil Delcourt). Pour le polar, j’ai pensé un peu au style de narration à la première personne utilisé dans les Blacksad, une série absolument géniale elle aussi!
Une autre série m’a marqué au début de la période de mes études : les Lumières de l’Amalou, dessinée par la talentueuse Claire Wendling, avec Christophe Gibelin au scénario. Je suis par ailleurs un grand fan du style graphique de José-Luis Munuera et plus récemment de Kenny Ruiz, deux dessinateurs espagnols qui ont travaillé ou travaillent encore chez Dupuis.
Enfin, j’ai dévoré des mangas comme Gunnm et Berserk. J’ai adoré regarder les séries animées de Ghost in the Shell et de Fullmetal Alchemist. D’autres anime plus « expérimentaux » qui m’ont inspiré sont Serial Experiments Lain et Ergo Proxy, où le rythme de narration est assez lent et l’expérience contemplative. Au cinéma, c’est pareil, les nouveaux Blade Runner et Dune (du même réalisateur, Denis Villeneuve) ont aussi un rythme différent des films d’action habituels et ça me parle beaucoup. Un dernier manga à citer absolument est Blame! mais je ne l’ai pas encore lu ni vu en anime, malgré le grand attrait que j’éprouve pour ses décors sombres et cette sensation d’infini qu’il s’en dégage.
Bon, je m’arrête là pour mes influences… sinon je risque d’en trouver encore d’autres!
Philippe : Quels sont tes projets ? Comment vois-tu ton avenir dans la BD ? ou plus généralement dans ta vie créative….
SERNA : Au niveau de mon parcours dans les sciences, j’aimais beaucoup apprendre, mais comme il fallait que je trouve un travail, j’ai enseigné dans le secondaire pendant quelques années. J’ai commencé ça « gentiment », à temps partiel, car j’avais pas mal d’appréhension à me retrouver devant une classe et en même temps, ça m’a laissé du temps en parallèle pour me remettre sérieusement au dessin. C’était il y a presque 10 ans. J’avais recommencé à dessiner régulièrement après un vide de huit ans. J’ai alors regardé des tutoriels sur Youtube, j’ai essayé de les appliquer,… mais ça a été très difficile au début, parce que mon oeil s’était affiné et mon niveau n’avait en réalité pas changé depuis mes 14 ans. J’avais bien fait un an en cours du soir aux Beaux-Arts de Charleroi quand j’étais en rhéto, puis quelques cours avec des bases de perspective plusieurs années après, mais ça reste anecdotique en fin de compte et on peut dire que je suis pratiquement resté 10 ans sans dessiner.
Quand fin 2011-2012, j’ai voulu me remettre à dessiner, je débutais comme prof de sciences en secondaire et j’étais donc entre deux chaises : l’une de la raison avec la sécurité financière et l’autre celle de la passion.
Il y a quatre ans, je fais le choix de la passion et je m’inscris à l’atelier d’illustration/Bande dessinée à l’Académie de Châtelet chez Philippe Cenci. Je retourne aussi m’inscrire à l’Académie des Beaux-Arts de Charleroi en dessin, chez Graziela Laini et Dimitri Carez. D’un côté le dessin d’observation avec modèle vivant, de l’autre le dessin d’imagination. Les deux m’apportent beaucoup, mais je dois reconnaître que c’est en illustration / BD que je me sens le plus à ma place, car là je sais qu’il me suffit d’un crayon et d’une feuille de papier et que la magie peut alors opérer. Comme je suis sur le point de finir un cycle à Charleroi, on me laisse la liberté d’apporter des éléments imaginaires à mon dessin d’observation et ça m’amuse bien! En même temps je travaille des techniques traditionnelles assez complexes, je trouve, comme l’aquarelle et précédemment le lavis à l’encre de Chine, des techniques laissant moins de place à l’erreur que le dessin en digital. Les débuts à la tablette graphique ont été difficiles aussi, mais deux bonnes années plus tard, je commence à être à l’aise avec le médium. Toutefois, je ne suis pas encore bien capable de faire de la « peinture digitale » à proprement parler et je sais que c’est important aussi pour travailler vite, en particulier dans l’industrie du jeu vidéo…
Bon, c’est à peu près tout, je pourrais juste ajouter que comme passe-temps, j’apprends la guitare. J’écoute souvent de la musique quand je dessine ou des podcasts. Il y a peu j’ai trouvé des musiques et sons d’ambiances sur Youtube qui m’ont aidé à me concentrer pour finir mes quatre planches. Comme c’était la période d’Halloween, c’était juste parfait pour ce que je dessinais!
En ce qui concerne mon expérience en tout cas, je dois conclure que même si on peut apprendre le dessin en autodidacte, ça ne vaudra jamais l’accompagnement personnalisé et les retours d’un bon professeur. C’est quand je me suis (ré)inscrit dans les deux académies que j’ai réellement senti une grosse évolution dans mon dessin. Le groupe joue aussi énormément sur la motivation. On s’encourage mutuellement et ça fait du bien!
18. François JADRAQUE pour Dans de sales draps
Interview Jacques Schraûwen
J’ai 62 ans. Je suis graphiste. Dans ma vie estudiantine, je suis passé par Saint-Luc de Bruxelles et par un master en arts plastiques.Mon parcours professionnel est à l’image de mon parcours estudiantin. Toujours en mouvement malgré un état contemplatif stationnaire en voie de rétablissement.
https://fjadraque.wixsite.com/fjad
Instagram : jadraque9
Dans l’univers de ce 64-page consacré au polar, ce dessinateur fait effet d’ancien, de patriarche, du haut de ses 62 ans. Ce qui rend sans doute son dessin très assuré, mais ce qui ne l’empêche pas, loin s’en faut, de se révéler d’une évidente originalité.
Son trait ne doit rien à personne, sans doute, il est fait de mouvements, de mise en scène. Avec un réalisme qui lui fait appartenir à une famille parmi les membres de laquelle il cite : « Giraud, Mezières, Gotlib, Bézian, Bilal, De Crecy, Goossens… »
J’y ajouterais Boucq, même et surtout peut-être pour le plaisir d’une certaine forme d’absurde… Un absurde qui s’inscrit, en même temps que le polar, dans une sorte de sens de la tragédie, avec des personnages bien typés.
« Le décor planté expose et explore l’ironie tragique si chère à Aristote qui fait que celui qui ne veut pas faire le mal en voulant faire bien, finalement fait mal.On voit se profiler l’ombre affûtée de l’absurdité humaine où chacun d’entre nous est finalement coupable de quelque chose. La prise de conscience de l’absurdité de l’existence agit comme un antidote qui permet justement d’en accepter les turpitudes surtout lorsque ce sont les autres qui les subissent. Car finalement, qu’est-ce qui est absurde ? La tragédie de l’existence ou imaginer que l’on peut échapper à cette tragédie ? L’humour est peut-être une amorce de réponse… »
17. Boris VAN NIEUWENHOVEN pour EXCIT
Interview Marianne Pierre
Boris Van Nieuwenhoven est étudiant à l’ULB où il suit le master en analyse et écriture cinématographique. Habituellement scénariste, EXCIT est l’occasion pour lui de reprendre le crayon et de revenir à son premier amour : la bande dessinée.
Instagram : boris_van_nieuwenhoven
Marianne : » Tes strips font clairement penser à du dessin de presse. Est-ce un domaine dans lequel tu tentes de percer ou y es-tu déjà parvenu ? »
Boris : » Plus que le dessin de presse, je crois que j’ai surtout toujours eu un goût prononcé pour le strip car c’est pour moi le format idéal pour délivrer efficacement une idée. 3 cases et un rire, c’est tout ce qu’il me faut quand je compose Excit. »
Marianne : » Raconte-nous la genèse d’Excit, comment t’es venue l’idée ? »
Boris : » Depuis toujours, j’ai une fascination pour les albums de Lewis Trondheim et en particulier « Le dormeur ». J’ai toujours trouvé ça hallucinant cette capacité à raconter des histoires avec 3 mêmes dessins identiques. Je crois donc qu’Excit est né de ce désir de minimalisme. »
Marianne :« Pourrais-tu, à ton avis, tenir longtemps un rythme quotidien avec Excit ou un autre strip? En gros, où cherches-tu ton inspiration, et comment faire pour l’entretenir ? »
Boris : Le strip, c’est une forme de musique. Je crois que le scénariste, comme le musicien, doit repasser ses gammes, il doit faire en sorte de toujours être à l’affût d’une idée et de jamais cesser de griffonner. Sur 10 idées, il y en aura peut-être deux ou trois de vraiment bonnes alors autant être productif !
Concernant Excit j’ai déjà brouillonné l’équivalent d’un ou deux albums. J’ai tendance à écrire plus vite que je ne dessine !
Marianne : « Dis-nous d’où tu viens… et où tu vas ! »
Boris : « Je viens très clairement du monde de la bande dessinée. Quand j’étais plus jeune, j’ai dévoré l’immense collection familiale et je lisais le journal SPIROU chaque semaine. A ce moment là, je dessinais énormément et ne rêvais que de devenir auteur de bande dessinée. Puis, avec l’âge je me suis rendu compte que ce qui me plaisait avant tout, c’était raconter des histoires plus que de les dessiner. Je me suis alors concentré sur l’écriture et le scénario. J’ai fait des études de lettres et je termine aujourd’hui un Master en écriture et analyse cinématographique à l’ULB. J’ai pour objectif de pouvoir vivre de ma plume. »
16. Maximilien VAN DE WIELE pour Une balle au cœur
Interview Philippe Decloux
VAN DE WIELEFranco-belge né à Anvers. Après des études supérieures passées à Saint-Luc (Bruxelles), en section bande dessinée, un stage au sein d’une galerie d’art spécialisée dans les originaux de bandes dessinées, sans compter les petits boulots çà et là, je continue à m’investir dans ce que j’aime faire par-dessus tout, à savoir raconter des histoires.Plusieurs projets sont en cours, dont une fiction avec pour toile de fond ma ville natale.
https://maxvdwiele.wixsite.com/pencilssmoker
Instagram :maxvandewiele
Philippe : On sent que tu aimes travailler le noir et blanc… je me trompe? Quelle est ta technique?
Maximilien : Le noir et blanc est un confort, je travaille avec l’encre de chine depuis un bon bout de temps maintenant et je ne risque pas de le lâcher avant de m’en lasser pour de bon. J’ai encore beaucoup à expérimenter avec et la majorité de mes visuels dépendent régulièrement de contrastes assez fort pour être mis en scène. Par ailleurs, c’est souvent en y intégrant de la couleurs que je me rends compte de l’évidence.
Philippe : Peux-tu nous faire le pitch de ton récit?
Maximilien : Un inconnu se retrouve à l’intérieur d’un train sans que l’on sache trop le pourquoi du comment, et une apparition lui propose un marché. Je ne sais pas si j’ai besoin d’être plus précis.
Philippe : Comment t’es venue l’inspiration?
Maximilien : Je ne sais plus précisément comment m’est venue l’idée, je vivais encore à Anvers quand l’annonce du prochain magazine 64_page de Janvier 2022 m’était annoncé par mail. Je me rappelle cependant que je voulais réécrire l’histoire précédente du spécial western d’une autre manière et y insérer des éléments et émotions plus « soutenue », ou autrement dit c’est un peu une excuse pour revoir ma copie.
Philippe : Trois pages, c’est court… aimerais-tu développer cette histoire plus en amont? On sent que tu as quelques idées!
Maximilien : Je n’ai pas l’intention d’aller plus loin dans cette histoire.
Ces 3 pages sont d’abord un 1er essai, dans le sens où je cherchais d’abord à introduire des éléments graphiques et débuter dans le processus d’écriture dans une fiction.
Je suis content du résultat malgré tout, j’ai pu y ancrer des éléments et des émotions que je cherchais à mettre en scène sur papier, et si c’est à refaire, je compte bien le rendre différent de ce qu’on a jusqu’à présent.
Philippe : As-tu des projets de publication?
Maximilien : Rien de concret en l’état, beaucoup de petits comme de gros projets par-ci par-là, dont un en particulier qui est en cours depuis longtemps maintenant et qui a pas mal changé de forme durant sa gestation.
J’espère pouvoir vous présenter les 3 premiers chapitres de cette future bd fin d’année prochaine sous leurs meilleurs formes.
15. Patrice RÉGLAT-VIZZAVONA & Celia DUCAJU pour la double couverture
Interview croisée de Gérald Hanotiaux
Patrice Réglat-Vizzavona
-VIZZAVONA
L’onglet « Auteurs » du site de 64_page nous rappelle deux de ses travaux parus au début de la revue : Herser, quatre pages dans le numéro 4, et Le crible, quatre pages également, dans le numéro 8. Ces pages sont également visibles sur le site 64page.com, sous l’onglet « Revue ». Depuis, Patrice a publié son premier album, Le passager, un pavé en noir et blanc aux ambiances troubles et oppressantes, publié en 2019 chez Warum. Aujourd’hui, il travaille à son second album, à paraître courant 2022 chez Delcourt : Djemnah, les ombres corses, sur un scénario de Philippe Donadille.
Instagram de Patrice Réglat-Vizzavona : patricerv
Instagram de Philippe Donadille : donaphi_bd
Celia Ducaju
La dessinatrice de la quatrième de couverture a plusieurs cordes à son arc. D’un côté, elle travaille dans le domaine de l’illustration scientifique, de l’autre elle poursuit différents projets dans le dessin artistique et la peinture. Elle a déjà publié Sauvage, une histoire de quatre pages dans le numéro 19 de 64_page. Cette histoire est visible sur notre site, sous l’onglet « Revue ». Pour en savoir plus sur l’auteure, le lecteur pourra aussi se reporter à l’onglet « Auteurs-Interviews », pour découvrir un entretien détaillé autour de son parcours. Celia travaille actuellement sur un projet de bande dessinée avec la scénariste Céline Pieters.
Making-of d’une double couv’
Ce numéro spécial polar présente une double couverture, le dessin situé à l’arrière de la revue répondant à son dessin situé en une. Avec le duo d’artistes formé pour l’occasion, nous avons voulu en savoir plus sur l’emballage somptueux de ce numéro 22.
Tout bon polar – édité en DVD, pour notre comparaison – est suivi d’un onglet intitulé « Bonus », présentant différents documents liés à l’œuvre cinématographique principale gravée sur l’objet. Parmi ces bonus, il n’est pas rare de trouver un « Making-of », document dévoilant les coulisses de la réalisation, souvent marqué d’interviews des différents protagonistes du film… Nous pratiquons ici le même type d’exercice avec Patrice RéglatVizzavona, dessinateur de la une, et Celia Ducaju, dessinatrice de la quatrième de couverture.
Gérald pour 64_page. Pour vos deux illustrations, au premier regard, on pourrait imaginer une réalisation en deux temps, chronologiquement, le premier dessin précédant le second dans sa réalisation. Qu’en est-il ?
Patrice Réglat-Vizzavona : Justement, la réalisation ne s’est pas déroulée de cette manière, car nous avions dès le début défini ensemble une trame narrative.
© Patrice RÉGLAT
-VIZZAVONACelia Ducaju : Nous avons vraiment essayé de construire le projet ensemble, du départ avec le partage de nos références, jusqu’à l’arrivée avec la couleur du titre. Cela nous paraissait important pour une collaboration de ce type, afin d’être le plus cohérent possible. Et puis, c’était l’occasion de vraiment échanger entre auteurs, pour justement ne pas simplement créer l’image 1, suivie de l’image 2.
Gérald : Comment avez-vous procédé, pratiquement ?
- Celia : Après plusieurs échangespar e-mail, nous avons eu un rendez-vous téléphonique avec partage d’écran, pour fixer au mieux les éléments. Nous avions notre idée principale et les différents échanges ont permis de faire une sélection dans nos croquis, de choisir les couleurs et de vérifier que la séquence des deux images faisait sens.
- Patrice : Une fois fixés ces choix, nous avons réalisé chacun notre partie, pour ensuite les rassembler et accorder un peu mieux les couleurs et quelques détails. Graphiquement, j’ai réalisé un crayonné, ensuite encré au pinceau. Après avoir scanné le résultat, j’ai ajouté une seconde couche de valeurs, numériquement, grâce à des textures « maison », pour coloriser le tout ensuite.
Gérald : Une illustration unique peut raconter une histoire, on connaît également le format du strip, généralement constitué de trois ou quatre images avec une chute. Ici, vous êtes dans un format intermédiaire, constitué de deux images…
- Patrice : L’exercice était intéressant. Très vite, nous sommes tombés d’accord sur le fait d’essayer de raconter quelque chose entre ces deux images. Plutôt qu’une séquence linéaire classique, nous avons choisi de représenter un seul instant sous deux angles différents. De manière générale, même si ce n’est pas à tous les coups possibles, j’essaye de composer des images qui soient graphiquement porteuses de sens, et pas uniquement un support pour le texte. Ce type de vignette laisse plus de place au lecteur, en apportant un complément, par exemple des indices invisibles au premier coup d’œil, mais qui peuvent permettre de résoudre une énigme. Dans ce projet, le plus plaisant était d’accorder nos univers pour créer une ambiance générale, tout en gardant une fenêtre faisant écho au travail de l’autre. On ne peut pas raconter quelque chose de très compliqué en deux images, mais on peut instaurer une ambiance intrigante et alléchante. Cela dit, le côté « archétypal » de la thématique nous a cadrés dès le départ…
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Étude couv' © Celia DUCAJU
Celia : Comme je l’évoquais, nous avons au départ échangé sur nos références classiques du polar, des livres, affiches de films, ou autre… Nous désirions un effet un peu Fenêtre sur cour, le film d’Hitchcock bien connu, dans lequel James Stewart observe le voisinage avec une longue-vue. Patrice voulait éviter l’image du détective à l’ancienne, masculin… Mais on n’a pas réussi à lâcher le cliché de la cigarette ! Au final, si l’exercice n’est pas si facile, il rend la tâche intrigante. On se pose beaucoup de questions sur le regard du lecteur, la lisibilité et l’histoire qui peut se créer avec seulement deux images. Une couverture ne se construit pas comme une page pleine ou une case de BD, c’était pour moi une vraie nouveauté.
La revue 64_page #22 "Polar" proposera d'autres recherches et études de Patrice et Celia. Revue en prévente (sortie mi-février). 128 pages, 30 BD complètes, 36 auteures et auteurs à découvrir.
14. Romain EVRARD pour Enfants des villes
Interview Philippe Decloux
Fraîchement diplômé de Saint-Luc Liège. Le jour, je travaille sur mes BD et peintures afin de pouvoir un jour en vivre. Mais quand vient le soir, je range mes pinceaux et mon encre pour apprendre à devenir professeur d’art plastique.
Insta : @romin_evrar
Site : www.romain-evrard.be
Philippe : Raconte-nous ton parcours de jeunes créateurs BD?
Romain : J’ai commencé par faire des études secondaires artistiques à Saint-Luc Bruxelles. Là-bas, j’ai eu un exercice ou je devais faire une BD. J’ai tellement adoré ce travail que j’ai recommencé mes planches 3 fois après la remise, juste pour moi.
Il a fallu encore quelques mois de réflexion, mais je me suis décidé : je voulais faire de la bande dessinée !
Une fois mon CESS obtenu j’avais enfin la possibilité d’étudier la bande dessinée. J’étais enjoué, personne ne doutait de mes capacités.
La douche fut d’autant plus froide lorsque vint la réponse de l’ESA St-Luc Bruxelles : refusé.
Je m’étais lamentablement raté durant l’entretien oral.
On m’avait conseillé Preparts, une école qui prépare aux examens d’entrée. Malheureusement, elle coûtait très cher. Ma mère avait épargné 18 ans pour mes études et j’allais presque tout dépenser en un an. J’étais déprimé, prêt à tout abandonner…
C’est la volonté de ma mère qui souhaitait que je n’abandonne pas ainsi que la colère d’une de mes anciens professeurs qui m’a poussé à m’inscrire dans cette école privée. Là-bas, on nous a conseillé d’aller voir les écoles dans d’autres villes pour trouver un établissement qui nous corresponde. J’ai donc lâché mon dévolu sur Saint-Luc Liège.
J’ai aujourd’hui 25 ans, je viens de finir mon bachelier et avec quelques ami.e.s rencontré.e.s durant ces 3 ans nous avons décidé de nous rassembler en collectif : « la confrérie du portemine ».
Philippe : Tu nous proposes un extrait d’une histoire longue. Tu rends de façon très efficace la vie de ces enfants des villes. L’ambiance, le langage, la gestuelle, les émotions… Parle-nous de la préparation et de tes recherches préliminaires pour accomplir ce projet ?
Romain : Pour la création d’un univers, je passe un long moment à faire des recherches sur le sujet. Je cherche des moments de vie qui pourront nourrir mon histoire. Je rassemble aussi des œuvres qui vont bien dans l’ambiance. Je crée souvent une playlist de musique qui me suivra pendant toute la production de la BD. J’imagine quelle musique irait pour quel personnage, cela donne à chacun un certain rythme et un langage.
J’utilise souvent des phrases que j’entends autour de moi. Je trouve que c’est le meilleur moyen d’être proche de l’absurde du réel. C’est aussi pourquoi j’utilise souvent un langage châtié.
J’ai dû faire très attention pour certaines scènes, car j’utilisais un argot qui peut être incompréhensible pour le lecteur lambda. C’était un travail de jongle entre parler réel et compréhension du lecteur. J’ai souvent dû demander si j’utilisais bien certains mots, car ils venaient d’autres langues et je voulais être sûr de les placer correctement.
Je voulais aussi que les personnages vivent dans un environnement réel. J’ai donc pris mon appareil photo et j’ai sillonné pendant une journée complète le quartier du midi et ses environs.
Philippe : Comment crées-tu tes personnages ? Comment tu travailles leur personnalité pour leur donner une épaisseur, une existence psychologique ?
Romain : J’ai beau être quelqu’un de très visuel, je m’occupe en premier lieu d’écrire l’histoire. Je cherche les moments forts du récit, ceux qui possèdent le plus de force. C’est ces moments qui me permettent de créer les émotions des personnages. Je me dis « Si ce personnage s’énerve à cet instant, pourquoi le fait-il ? Est-ce qu’il le fait, car il est colérique ? Ou, car il se retient depuis longtemps ? …» . De ces questions découlent les points d’évolution du personnage et les relations avec les autres.
C’est souvent après avoir fait mon découpage que je commence à créer les charadesigns.
Philippe : Quels sont tes projets ? Pour demain, après-demain et plus loin dans l’avenir …
Romain : Je pense que je vais ouvrir un club de musculation sur le thème de l’humour, cela s’appellera « Bisco’Toto ».
Plus sérieusement, je suis occupé à passer un CAP pour devenir professeur d’Art plastique en secondaire. Parallèlement je travaille sur une nouvelle BD dans un univers rock.
13. Élodie ADELLE pour Mystère fleuri
Interview Philippe Decloux
Après être partie à la conquête de l’Ouest américain, puis, à la recherche du bonnet de la petite Lucie dans mon premier album jeunesse « Le bonnet vert » (aux éditions Atramenta), me voilà embarquée dans un sujet plus sombre. Je retourne dans une histoire en noir et blanc avec une touche de couleur.
www.instagram.com/elodieadelle
Philippe : Tu es une des bonnes plumes de 64_page, tu nous as déjà proposé des BD, des cartoons, tu es présente quand on propose une activité, qu’est-ce que t’apporte 64_page?
Élodie : Ça fait toujours plaisir de voir son travail terminé. Pour chaque histoire que j’ai faite pour le magazine 64_page, j’ai pris ça pour un défi. Puis, j’ai pu faire de chouettes rencontres lors des précédentes expositions et fêtes de la BD, autant avec les auteurs que les organisateurs du magazine.
Philippe : Rappelle-nous ton parcours d’artiste et les étapes qui t’ont amenés à Bruxelles ?
Élodie : Ayant toujours voulu faire des études d’art, j’ai donc été à l’Erg à Bruxelles, j’ai fait de la bd et de l’illustration. Depuis, j’ai fait pas mal de choses : de l’illustration pr enfants, Kamishibaï, de la coloration de BD, de la BD, …
Philippe : Tu as publié, l’an dernier, un très chouette et très coloré livre pour enfants Le bonnet vert, d’un style très différent de tes BD qui sont souvent en noir et blanc, avec des personnages mystérieux. Tu as donc deux personnalités, peut-être plus, il y en a sûrement que nous ne connaissons pas encore ! Développe tes façons de travailler, de concevoir et de raconter un récit pour enfant et pour adulte ?
Élodie : Je suis nostalgique, je pense beaucoup à l’enfance. C’est pour cela que de temps en temps j’aime me plonger dans cet univers. Pour « Le bonnet vert », mon but était de faire une histoire dans la neige, j’y réfléchissais depuis pas mal de temps.
Et à l’opposé, je suis fan de films d’horreur, c’est 2 univers très différents. Je pars souvent d’un élément qui en emmène un autre, ainsi dessuite. En art, je suis une touche à tout, comme en narration.
Philippe : Comment t’est venue l’inspiration pour Mystère fleuri et le subtil jeu de noir et blanc avec une couleur qui s’impose comme l’indice principal de cette enquête ?
Élodie : L’inspiration m’est venue en me baladant. Je suis passée devant une fontaine et je me suis dit : « c’est là que se passera ma prochaine histoire ! ». Et à partir de cela, j’ai commencé à écrire, à imaginer ce qu’il aurait pu s’y passer.
Quand j’ai trouvé l’idée de la fleur, j’ai pensé au rouge… puis en travaillant le texte, je me suis rendue compte que le bleu pourrait être un bon fil conducteur vu les éléments de l’histoire.
Philippe : Quels sont tes projets et tes objectifs à court et moyen termes ?
Élodie : J’ai toujours des histoires sous le coude. Notamment une nouvelle histoire pour enfants est en cours. C’est un conte.
Puis, j’ai un nouveau projet qui concerne toujours le dessin mais différemment. J’ai fait une formation, il y a peu de temps, pour commencer à tatouer.
12. Yana KNIGHT pour Bunny Bones, histoire d’ordures
Interview Philippe Decloux
Yana Knight est une artiste et illustratrice anglo-russe qui vit à Bruxelles où elle peint, dessine des BD, enseigne l’art et se promène beaucoup. Parfois avec des gants au poulet rôti, parfois sans. Tu peux suivre ses aventures sur Instagram.
Mon site: www.storyofyana.com,
instagram: https://www.instagram.com/yana_knight/
Philippe : Raconte-nous ton parcours de vie et d’artiste ? Quelles sont tes passions ?
Yana : Je suis un artiste russo-britannique, j’habite à Bruxelles depuis 2014. En tant qu’artiste, je suis autodidacte – l’art est apparu dans ma vie alors que j’étais sur une route ‘légèrement’ différente, faisant mon doctorat en Artificiel Intelligence il y a environ 7 ans et m’a changée le cours de vie. Des que j’ai réalisé que je pouvais dessiner et peindre c’est vite devenue tout ce que je voulais faire. Et pendant les années qui ont suivi, c’était tout ce que j’ai fait de ma vie.
Je suis passionnée par la vie quotidienne et par la possibilité de créer des choses. C’est un peu comme, écoute, j’ai un corps, qu’est-ce que je peux en faire dans ce monde, comment puis-je l’utiliser, que puis-je créer? Oh, et attends, il semble y avoir un cerveau quelque part ici, qu’est-ce que cette chose fait? La vie est pleine de matières premières pour l’art, il se passe tellement de choses autour de nous et je trouve incroyablement intéressant de regarder ces petites mais énormes choses, découvrir combien il y a de beauté partout, transformer en quelque chose d’artiqtique, partager avec les autres…
Philippe : Comment as-tu découvert la revue 64_page ? Et qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer dans cette BD polar ?
Yana : J’ai découvert la revue grâce à une connaissance qui m’a montré le spécial Western. Quand j’ai vu l’appel pour le Polar, je l’ai noté, puis je me suis assise quelques jours avant le deadline pour voir si une histoire aimerait paraître. Et si quelque chose voulait sortir, cela le ferait, et sinon, tant pis. Une fois que j’ai vu une histoire émerger, j’ai décidé de continuer; tout a été dessiné en un jour ou deux.
Philippe : Tu as un style très personnel. Explique nous comment tu conçois un récit, une BD ?
Yana : Ma façon de travailler est liée aux mes inspirationes et passiones, je pars en voyage d’épongement où je ne fais beaucoup de travail productif, à part éponger des choses, entendre, écouter des histoires de gens, regarder autour de moi, essayer des trucs, faire subir à mon corps des sortes d’expériences différentes. Mes inspirations sont rarement purement visuelles. Je trouve beaucoup de choses très belles et intéressantes, je les enregistre de toutes les manières possibles. Je ne fais aucune planification, je commence à dessiner et l’histoire commence à apparaître, et parfois pas, mais pour moi l’histoire vie dans le dessin et je dois l’aider à sortir. Alors je m’assois devant une feuille de papier vide que je trouve très excitante, et je dis, OK, voyons ce qui se passe, qui est dans mon cerveau aujourd’hui, qui a quelque chose à dire, qui veut sortir nous parler ? Je commence par le première cadre, je dessine ce qui me vient à l’esprit, puis je me demande, d’accord, où est-ce que cela me mène, où cela pourrait-il me mener, qui est là maintenant…? Et maintenant? Les matériels sont souvent aussi trouvés de cette façon dans cette exploration, je travaille en technique mixed.
C’est comme cela que j’ai fait cette bande dessinée. J’ai dessiné la poubelle dans le premier cadre et puis lentement l’histoire a commencé à apparaître, à se dérouler. Cela vient de ma frénésie de poubelles il y a quelques années quand il y a eu une fois une grève des poubelles ou quelque chose du genre et la ville en était remplie, partout où vous allez. J’ai commencé à les connaître, à les visiter et à les revisiter, à remarquer leurs personnalités, imaginer leurs histoires personnelles, alors qu’ils restaient allongés là pendant des semaines, et j’en faisais des enregistrements.
Philippe : Quels sont tes projets ? Comment vois-tu ton avenir de créatrice ?
Yana : Eh bien, j’aimerais travailler sur plus d’histoires et de livres, j’ai déjà auto-édité deux romans graphiques et j’illustre actuellement un livre pour enfants. Je vois mon avenir dans les livres et histoires, à la fois pour les enfants et les adultes, les romans graphiques et les bandes dessinées, à ma façon spontanée, imprévisible, avec leur vie propre, laissant les histoires filtrer à travers moi et sortir. D’autre côte, je vais toujours continuer mes grandes peintures en toiles, qui sont crées dans la même façon. J’enseigne également mon approche aux autres, en aidant les gens à découvrir leur créativité sur la vie quotidienne, je trouve cela trés important.
11. Olivier LAMBERT pour ses Cartoons
Interview Philippe DECLOUX
Olivier ne dessine que des caricatures d’humour et de presse, ses dessins sont publiés uniquement sur sa page FaceBook et d’autres pages comme ≪L’Hebdo déchaîné≫, ≪Vive la presse satirique libre≫.
https://www.facebook.com/olivier.lambert.5
Philippe : Tu es un habitué de 64_page, en quelques mots rappelle-nous ton parcours de cartoonist ?
Olivier : J’ai fait des études d’art graphique à St Luc liège et à l’académie royal de liège dans les années 80, je suis un touche à tout graphique, j’ai fait de la peinture, j’ai bossé dans la publicité ainsi que dans l’illustration.
J’ai seulement découvert la caricature humoristique et satirique début 2010, qui est devenu ma réel passion et je ne dessine plus que ça chaque semaine.
Philippe : Tu animes une page Facebook, « le semainier », où tu publies tes amis cartoonists. Cette page est internationale et très libre, souvent hors des actualités et des « tendances à la mode » du dessin de presse. Explique-nous votre philosophie éditoriale. Comment sélectionnez-vous les dessins publiés ? Vous arrive-t-il de censurer certains dessins ?
Olivier : J’ai fondé « Le Semainier » sur Facebook, il y a un peu plus de deux ans, j’avais envie de faire de la caricature de presse différente de ce que l’on nous serre quotidiennement. J’ai tout de suite contacté mes 3 amis dessinateurs (Jimm, Alain Rorive et Papybic) pour participer à l’aventure. J’ai juste demandé à mes amis de faire des dessins noirs et blancs avec une touche de couleur.
Nous traitons l’actu, avec l’œil critique et neutre, nous ne sommes pas politisés.
Nous dessinons aussi des dessins justes d’humour pour le plaisir du rire
Actuellement nous sommes 13 dessinateurs belges, français, argentins, anglais : Olivier de Wispelaere, Quentin Chaillez, Jimm, Papybic, Sob, Banx, Alain Rorive, Kripto Pablo, Alejandro Becares, Maxence Granger, Vin’s Tezwin, Pati Adrian Franco et Olivier Lambert. Chaque auteur est administrateur de la page et publie à son rythme… Oui je sais il y a des paresseux et des bosseurs (hahaha) mais on s’entend tous très bien et longue vie à au Semainier
Philippe : Comment te viennent tes idées? Es-tu un boulimique de l’info quotidienne?
Olivier : Mes idées viennent quand je ne fais rien et que je regarde le plafond ou alors quand je roule en voiture en écoutant la musique ou les infos de la première.
Quand je n’ai vraiment pas d’idées, je vais sur des sites d’infos et je cherche l’info qui me parle le plus et c’est souvent la plus loufoque.
Philippe : Quels sont tes projets personnels ?
Olivier : J’ai toujours en tête de publier un bouquin format livre de poche.
10. Gilles PROUST pour Un plan parfait
Interview Gérald HANOTIAUX
Dans le numéro 22 de 64_page, Gilles Proust propose trois pages flamboyantes et très lumineuses intitulées Un plan parfait. Nous discutons avec lui de ces pages, et de biens d’autres choses…
Gérald : Pourrais-tu te présenter en quelques lignes… ? De manière générale, en tant que personne, mais aussi au niveau du parcours dans le dessin.
Gilles : Je suis né à Lyon, il y a un peu plus de 50 ans, et j’y habite toujours. Depuis tout petit, j’aime la bande dessinée, j’aime dessiner, ainsi que créer mes propres personnages et univers. Si certains aiment chanter sous la douche, moi j’ai plutôt tendance à concevoir des histoires et des univers pour les personnages que je conçois graphiquement.
Au niveau des lectures, il y eut d’abord Tintin et Lucky Luke, puis les comics US, et enfin Partie de chasse, de Bilal et Christin, Corto Maltese de Hugo Pratt, Den de Richard Corben, Druuna de Paolo Eleuteri Serpieri, Torpedo de Jordi Bernet et bien d’autres, les mangas aussi. En 2019, j’ai décidé de crée ma propre structure, Gilles Proust Comics, pour enfin m’auto-publier et ainsi connaître la gloire et la fortune… Non, plus sérieusement, j’avais envie de partager ce que je faisais, et de rencontrer peut-être mon lectorat. Cette même année, grâce à une campagne de financement participatif réussi sur Kickstarter, j’ai publié mon 1er comics en anglais Ayaka Slash #1. La version française n’avait pas été financée sur Ulule, aussi j’ai tenté l’expérience anglo-saxonne. Enfin j’ai un peu triché, vu que c’était un comics sans dialogue. J’en ai écoulé une petite centaine.
L’aventure se poursuit en 2020, avec un second comics en français financé de justesse sur Ulule : SuperBlaster #1 composé de trois histoires courtes, avec des dialogues cette fois-ci. Je n’ai pas trouvé mon lectorat. Peut être que ces deux comics étaient trop expérimentaux, et qu’il n’y a plus de place pour les récits un peu « couillus » dans le monde de la bande dessinée d’aujourd’hui. Pour ces deux comics, j’avais utilisé de la 3D soignée et hyper réaliste, et pour beaucoup cela n’a rien d’artistique, ce qui est plutôt hypocrite vu que la plupart des auteurs de bande dessinée dessinent maintenant sur tablette. Aux USA, les gens n’ont pas ce genre de limitation, on peut faire des comics avec tout ce que l’on veut comme technique, seul compte le résultat final. La seule règle, c’est qu’il n’y a pas de règle. J’ai eu une période 3D de quatre ans environ. En fait, je sais faire pas mal de choses différentes, mais je me lasse assez vite et je suis toujours à la recherche du Saint Graal : un style qui rencontre toutes mes exigences artistiques, qui m’amuse et me procure des sensations et des surprises, tout en me permettant d’être très productif.
Au début, je ne faisais que du noir et blanc dans un style proche de ce que faisait Miller sur Sin City. Sauf qu’il n’avait pas encore fait Sin City, et que si j’étais arrivé a ce style, c’était tout simplement que j’étais un piètre encreur, masquant mes défauts en les recouvrant par beaucoup d’aplat de noir et de blanc correcteur, jusqu’à ce que cela devienne vraiment artistique. Ensuite l’outil informatique m’a beaucoup aidé pour la couleur, qui n’était pas quelque chose de facile pour moi à aborder, mais finalement j’y suis arrivé.
Gérald : Tu évoques l’autopublication dans ton parcours, que penses-tu du monde de l’édition en bande dessinée aujourd’hui ?
Gilles : Ayant découvert la bande dessinée dans les années quatre-vingt, je dirais qu’aujourd’hui il y a un réel manque d’ambition et de prise de risque de la part des gros éditeurs. Les différents publics sont identifiés et on leur ressert toujours la même soupe. Après, à défense des éditeurs, pour vendre, il faut aussi coller à l’air du temps, suivre le mouvement et la mode est toujours plus facile que de les créer, ou de proposer une alternative. Beaucoup d’auteurs manquent également d’ambition et ne font pas dans la prise de risque, ils s’autocensurent ou, tout simplement, ils n’ont pas un niveau nécessaire pour cela. Le monde de l’édition représente une équation à trois compliquée, impliquant l’auteur, l’éditeur et le lecteur… Au niveau du lectorat, il y a les « vieux nostalgiques » dont je fais partie, les « bobos », les « LGBT », les « jeunes » ou que sais-je encore, chacun réalisant son propre lobbying pour placer son travail, un lobbying plus ou moins passif ou activiste.
Lobbying : j’adore ce mot. Aujourd’hui, par ce biais, on peut parler de n’importe quoi, et le placer tellement facilement, dans le secteur adéquat… Bref, si l’équation à trois est très compliquée, l’auto-édition la réduit à une équation à deux. Cela dit, l’offre n’a jamais été aussi vaste, aussi chacun devrait y trouver son compte… Je lis presque de tout, des comics, de la bande dessinée européenne et du manga, et j’arrive toujours à m’enthousiasmer et à dénicher des pépites.
Gérald : Parmi ce monde de l’édition, la plupart des revues de prépublication, autrefois nombreuses, ont disparu, faut-il passer par l’auto-publication pour se faire connaître ?
Gilles : Les réseaux sociaux et le financement participatif ont totalement changé la donne de l’auto-édition, ils offrent une certaine visibilité que n’avaient pas à la base les petites structures. Le financement participatif est très simple à utiliser, et rend l’auto-édition accessible à tous. C’est une révolution. Cela est évidemment un très bon outil pour se faire connaître. Mais pas que, il y a aussi des auteurs connus qui l’utilisent pour s’affranchir de l’éditeur, pour avoir plus de liberté et de maîtrise de leurs créations, ou tout simplement pour avoir une part plus importante « du gâteau ». C’est bien sûr beaucoup plus facile si l’on a énormément de followers ou une réputation établie. En partant de zéro, c’est un peu plus difficile. Il me semble que cela s’est un peu durci avec la crise du covid. Je me suis moi-même « durci », j’ai soutenu une centaine de projets de bande dessinée sur une plateforme française, et je vais bientôt atteindre les 250 sur une plateforme US. Ce qui est quelque part un peu désolant, c’est que ces plateformes mettent en avant un supposé esprit de communauté, mais qu’au final il n’y en a pas. Les gens sont là pour faire égoïstement leur business, ensuite pour ce qui est de renvoyer l’ascenseur, ils ne savent pas vraiment ce que ça veut dire… S’auto-éditer demande du temps et de l’énergie, qu’un auteur peut préférer passer à créer. Dès lors, je pense également que les éditeurs ne vont pas mourir… Par ailleurs, ils pourront toujours se reposer sur leurs fond historique.
Gérald : Outre le plaisir à la réaliser, 64_page est née aussi pour pallier ce manque d’organe de publication. Comment es-tu arrivé vers nous ?
Gilles : Indirectement, par la revue Casemate ou je suis tombé sur la pub pour le prix Raymond Leblanc 2021. J’ai participé au concours, ce qui me donnait le droit de participer aux rencontres éditeurs à Bruxelles. Trop compliqué pour moi de m’y rendre pour une seule demi-journée, surtout que le délai pour se décider et s’organiser était plutôt court. Mais j’ai quand même parcouru la liste des éditeurs présents. 64_page, que je ne connaissais pas, était dans la liste et sur leur site, il y avait cet appel à création pour le #22 sur le thème du polar, un thème très inspirant. Et je suis vraiment très heureux de faire partie de l’aventure.
Gérald : La thématique de ce numéro fait-elle partie de tes préoccupations habituelles, ou tu t’es adapté à celle-ci ?
Gilles : Western, polar et SF sont les principaux fantasmes de la plupart des auteurs de bande dessinée. Ce sont aussi les genres cinématographiques qui m’attirent le plus. L’adaptation personnelle s’est plutôt faite au niveau du format, quatre pages maximum, c’est vraiment très court pour correctement raconter une histoire. Surtout que je mets peu d’illustrations par page et que le format de la revue va également dans ce sens.
Gérald : Comment présenterais-tu à nos lecteurs ton histoire de trois pages, « Un plan parfait » ?
Gilles : Une histoire avec une héroïne sexy, en slow action, dans la veine de Sin City pour le côté cynique et désabusé. Mais beaucoup de polar le sont, en fait. Sin City de Miller a été ma principale inspiration pour ce récit.
Gérald : Les pages sont extrêmement lumineuses, les couleurs sont flamboyantes. Comment as-tu procédé, au niveau du style graphique ?
Gilles : Au départ, je voulais illustrer mon histoire en noir et blanc, parce que cela va parfaitement bien pour du polar. J’ai même dessiné une page et demie de cette manière, avec un encrage de type « plume » nerveux, rehaussé d’un lavis gris. Et puis, à un moment, je me suis dit « Merde ! Les opportunités d’être publié sont très rare, tu pourrais quand même proposer quelque chose de plus flamboyant ! ».
Depuis le début d’année, je me suis trouvé un style « peinture », un peu nerveux, sale et gras, qui me convient pas mal. Et je me suis alors dis : « C’est ça qu’il faut utiliser pour mettre en valeur ce récit ». En plus, ça permettait un test intéressant pour moi. La luminosité n’est sans doute pas très réaliste, mais je voulais retranscrire le contraste entre le huit-clos dans la semi-obscurité et le soleil extérieur, avec sa chaleur et sa luminosité écrasantes. Dans les récits de Miller, il y a pas mal de scènes en huit-clos intérieurs, avec des stores à travers desquels on arrive à percevoir l’ambiance extérieure. Pour rendre la luminosité un chouïa réaliste, je lui ai donné un ton bleuté, et ça fonctionne pas trop mal. Avec cette nouvelle technique, je ne suis pas toujours satisfait du résultat, et il y a pas mal de choses que je n’arrive pas à réaliser… Mais la plupart du temps je m’éclate. Comme c’est quelque chose de nouveau, je suis souvent surpris par le résultat, parfois en bien, parfois en mal. Mais c’est important d’être surpris pour éviter la lassitude et avoir du plaisir. Quand je dessine, je n’ai pas envie d’avoir le sentiment de travailler.
Le projet que j’ai proposé pour le prix Raymond Leblanc utilisait aussi ce style, mais j’ai découvert le concours un mois avant sa clôture, dès lors ce que j’ai proposé était en partie bâclé sur la dernière moitié, car j’étais parti de rien, à part l’illustration de couverture déjà existante. Mais ce genre de challenge me motive, ou me motivait… J’ai maintenant envie de réaliser un album avec ce style. Je vais prendre le temps qu’il faudra, et si un jour j’arrive à l’achever, on verra alors pour le faire éditer. L’auto-édition n’a pas été un succès pour moi, ça m’a demandé trop d’effort par rapport au résultat, et apporté beaucoup de déception. Je préfère la création à la commercialisation.
Gérald : Outre cette envie d’album, travailles-tu en ce moment sur d’autres projets en bande dessinée ?
Gilles : Non. J’ai une activité professionnelle qui me prend pas mal de temps et d’énergie. Et puis ma compagne est très compréhensive par rapport à ma passion, mais il ne faut quand même pas non plus en abuser… Ma principale résolution pour 2022 est d’éviter de me disperser. J’ai passé le cap de la cinquantaine, il faut que j’arrête de déconner et que je reste focalisé sur mes objectifs. Cela dit, si on me proposait de faire une histoire très courte pour le nouveau Métal Hurlant, peut-être que j’y réfléchirais à deux fois ! Je ne dis jamais « plus jamais ». Parfois j’aime bien avoir de petites récréations, si c’est très motivant et que ça peut-être « vite fait bien fait »… Je suis plutôt efficace sur ces coups-là. Mais ça ne sera pas ma priorité.
Gérald : À plus long terme, pourrais-tu nous parler de tes projets dans le dessin et la bande dessinée, ce vers quoi tu voudrais aller ?
Gilles : Aujourd’hui, mon seul objectif est de réaliser un album complet et de le faire éditer par un vrai éditeur. Ça devrait être de l’heroic-fantasy lorgnant vers Robert Howard, il y a quelque chose de viscéral et puissant dans ses récits. Je suis sur le design des personnages et sur la finalisation de mon récit. C’est un tout nouveau projet. J’ai des tas de projets dans mes cartons, mais la plupart sont trop ambitieux, à la fois graphiquement et également au niveau du récit, impossible à faire tenir cela en un one-shot. Beaucoup d’éditeurs sont désormais demandeur de one-shots. Le risque est moins grand pour eux, ainsi que pour le public.
De mon côté, je ne veux pas passer les dix prochaines années de ma vie sur ce premier album. Je veux quelque chose de simple, beau et efficace, je veux avancer rapidement sans me prendre la tête tout en m’amusant. Dès lors, après réflexion, j’ai décidé que ce thème serait le plus adéquat. Le récit est ensuite venu de lui-même, en un week-end, et ça ne sera pas quelque chose que l’on a vu cinquante mille fois, enfin je l’espère… Après cette étape du premier album franchie, j’ai comme je l’ai dit beaucoup de cartons. Dedans, il y a pas mal de comics grim and gritty (ndr. Littéralement : « sinistre et graveleux »), un style et une période initiés par Alan Moore et Frank Miller en 1986 avec Watchmen et The Dark Knight returns, bien qu’il y ait eu quelques prémices un peu plus tôt… Il y a aussi de la science-fiction, du western et du thriller fantastique.
Si un jour j’arrive à produire et faire publier rien qu’un seul album dans chacun de ces genres, je serais alors plus que comblé…
Merci Gilles !
Vous pouvez voir le travail de Gilles Proust sur :
1/Art of Gilles Proust | Facebook
4/ Ayaka Slash #1 by Gilles Proust — Kickstarter
9. PAMANCHA pour Il faut apprécier son métier (pour les raisons qu’on a)
Interview Jacques Schraûwen
Vit à Bruxelles, qui lui inspire images et mots variés. Il est sorti de l’Institut Saint-Luc de Bruxelles avec une formation en bande dessinée et édition, ainsi qu’une passion encore accrue pour le médium (si cela était encore possible, bien sûr).
www.instagram.com/pamanchathebelgianartist
Avec une formation en bande dessinée et en édition, ce Bruxellois use de moyens
graphiques proches du style « dessin de presse », s’inscrivant ainsi dans une tradition bd dans laquelle se sont illustrés quelques grands noms comme Bretécher, Wolinski ou Reiser.
Mais ce ne sont, finalement, que des jalons dans son parcours.
« Je peux simplement dire que si ce sont les anciens qui m’inspirent, ce sont les nouveaux – mes amis, mes collègues et mes contemporains – qui me motivent le plus. »
Pour lui, l’humour est un vecteur important, une sorte de révélateur qui peut permettre à l’anecdote d’un « polar » de s’ouvrir à de nouvelles émotions : « L’humour est une forme malléable et subjective, et pris sous le bon angle, beaucoup d’éléments du polar peuvent s’y rapporter. Le sang, l’horreur… des émotions fortes que l’on peut retrouver dans un cadre banal, qui nous met à distance de notre propre vie, et nous en fait apprécier la tragédie de plus belle. »
8. Daran & Marc DESCORNET pour Doudouble
Interview Marianne Pierre
Daran a 14 ans. Il aime dessiner, comme son papa, Marc. À deux, ils se racontent des histoires et aiment surtout en imaginer. Au petit déjeuner ou dans le tram, les idées fusent et rebondissent d’un cerveau à l’autre, pour finalement donner naissance à de chouettes gags ou, comme dans ce numéro, des BD plus sombres.
www.instagram.com/xiaoba_labdenbulles
Marianne : Comment est-ce de travailler à deux? Et surtout en tant que père et fils? Qui écrit? Qui dessine? Et comment en êtes-vous arrivés à collaborer?
Marc : Je vais également répondre pour mon fils, Daran (14 ans). Nous prenons une idée de départ que nous développons par émulation réciproque. Il y a une complicité unique. Nous savons que chaque idée émise va générer quelque chose d’intéressant chez l’autre. Nous nous sommes mis à collaborer de manière naturelle. Depuis des années, on se raconte des histoires. Daran est un grand fan de Gaston et, quand il avait 8 ans, dans le tram pour aller à l’école, nous imaginions ensemble des nouveaux gags inspirés du gaffeur, que nous avons relooké et renommé Gaspar. Daran m’a aussi donné des idées pour mon personnage Abelard N. Nombrill. Pour le numéro spécial polar de 64_Page, nous avons voulu surprendre le lecteur par un contre-pied.
Marianne : Le noir et blanc est très sombre, c’est plutôt du noir et gris! Quelle est la technique utilisée? Et faites-vous aussi de la couleur?
Marc : Nous voulions donner à cette histoire les codes du polar de façon très prononcée, et j’ai donc opté – je dessine seul sur ce projet – pour un traitement graphique vraiment sombre et une narration qui provoque une tension dramatique. Les quatre planches se sont élaborées de manière assez particulière, d’abord autour d’images clés, puis les intermédiaires, presque toutes dessinées au crayon, scannées et travaillées sur ordinateur pour obtenir le rendu final, avec une mise en page équilibrée. J’ai hésité à ajouter de la couleur, mais ça aurait été un choix monochrome, comme des variations de sépia. Finalement, les niveaux de gris conviennent très bien.
Marianne : Le dessin me fait penser à Crumb, entre autres! Quelles sont vos influences, vos inspirations?
Marc : Je suis un grand lecteur de BD et mes influences sont multiples. Je connais le travail de Crumb, mais je lis très peu de comics. Je me fie surtout à mon instinct. Selon l’ambiance du récit, j’expérimente de nouvelles façons de faire. Du coup, mes réalisations peuvent paraître un peu éclectiques, comme vous pouvez en avoir un aperçu dans les précédents numéros de 64_Page (un western, un hommage à Louis Joos, un strip d’Abelard N. Nombrill, du cartoon aussi). Je préfère dire « multiple »; je peins également.
Marianne : Peut-on dire que cette histoire sent le vécu?
Marc : Cette BD est inspirée de faits réels. Nous sommes partis d’une histoire vraie, que nous avons détournée, je dirais que nous l’avons… polarisée. Nous jouions à cache-cache. Daran devait avoir 5 ou 6 ans. Il s’est caché dans la penderie et y a découvert son doudou. Bizarre. Il est ressorti pour aller vérifier dans sa chambre, et son doudou y était… aussi. Il a ainsi réalisé qu’il y avait deux doudous. Dans la BD, l’histoire, les lieux et les personnages sont différents. A noter que, pour l’enfant qui parle, j’ai utilisé l’écriture de mon fils. Et pour le papa… c’est celle de mon papa, décédé en octobre dernier. J’espère qu’il aurait apprécié, car il suivait mes créations avec admiration, mais n’a pas pu voir celle-ci.
7. Zélie GUIOT pour Pigments écarlates
Interview Philippe Decloux
Comme beaucoup d’artistes, je pense être née avec des crayons en main ! Peu après, je me suis lancée dans des études de bande dessinée à Saint-Luc à Liège. J’ai toujours aimé créer des histoires et des personnages (et parfois des décors). J’aime user de la couleur et notamment de l’aquarelle, pour qu’à elle seule, elle raconte une partie de l’histoire.
instagram : @zoou_ze Sur Facebook : Zou
Philippe : Présente-toi ! Dis nous quel est ton parcours. Ce qui te passionne dans la BD et quelles sont tes autres passions ?
Zélie : Je m’appelle Zélie, j’ai 21 ans et je viens tout juste de terminer un bachelier en bande dessinée à l’ESA Saint-Luc à Liège. Après mon bachelier, je voulais en connaitre davantage sur le milieu des maisons d’édition, et toute la chaine du livre. Je me suis donc lancée dans un master en communication visuelle et graphique en spécialisation édition, et je peux dire que ça me plait beaucoup !
Je pense que comme beaucoup d’auteur.e.s et dessinateur.ice.s, j’ai toujours trouvé un moyen de créer une histoire rocambolesque. En une illustration, je pouvais conter l’aventure de mes personnages ! C’est ce qui me plait le plus dans la bande dessinée, la possibilité de narrer à un lecteur.ice une multitude d’histoire qui fera voyager.
Mais je n’ai pas que le dessin et la narration dans la vie (même si j’y consacre 95% de mon temps !), je m’intéresse aussi à l’histoire, aux arts picturaux et cinématographique. Mais tous ces centres d’intérêts se retrouveront inévitablement dans mes récits, et j’espère faire partager mes passions à d’autres.
Philippe : Comment as-tu découvert la revue 64_page et qu’est-ce qui t’a décidée à te lancer dans ce défi ?
Zélie : J’ai découvert la revue par l’intermédiaire d’un ami. Avec d’autres de nos amis, nous avons créé un collectif et il avait partagé le « concours ». On était plusieurs à être emballé par le thème donc je me suis lancée. Qui ne tente rien n’a rien comme on dit !
Philippe : Tu places ta BD dans un contexte historique, une exposition des surréalistes à Paris et tu y mets à travers la narratrice Rose, une touche autobiographique. Raconte-nous la genèse de cette belle idée ?
Zélie : Depuis que j’ai commencé ma formation en bande dessinée, j’ai toujours inclus mes travaux dans une époque historique ou un lieu bien précis, que ce soit Venise, les années 50 ou la construction du mur de Berlin en 1961. Donc tout naturellement j’ai inscrit cette histoire dans un Paris des années 20, époque qui me charme tout particulièrement. Je voulais vraiment retranscrire l’ambiance typique de ce début du siècle.
C’était important pour moi d’y inclure un personnage féminin, indépendante et déterminée, dans le récit. Sûrement que j’inclue une partie de ma personnalité dedans, mais je sais que Rose est beaucoup plus déterminée à trouver le véritable assassin !
Philippe : Quels sont tes projets ?
Zélie : Pour le moment, je me concentre sur mes études, mais j’ai plusieurs projets qui me trottent dans la tête. J’aimerais développer un petit fanzine avec notre collectif, donc c’est un sacré défi que je me lance ! Mais bien évidemment, je n’abandonne pas Rose et Helena. Leurs aventures parisiennes ne font que commencer !
6. Noelia DIAZ IGLESIAS (SylloDiaz) et Xan HAROTIN pour J’ai couru, couru,…
Interview Angela Verdejo
Elles nous proposent ici justement un duo scénariste-illustratrice qui plonge plume et pinceau dans un monde plutôt pour adultes. Mais pas « que » !
Nous vous rappelons les liens où vous pouvez vous rendre pour en savoir davantage et surtout pour voir leur travail :
Xanharotin.ultra-book.com ou www.instagram.com/xan_harotin
Angela : Vous êtes deux autrices fidèles à 64_page, nous connaissons bien votre travail mais tout d’abord, pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, j’ai envie de vous demander à chacune, séparément, de vous définir en une petite phrase et, ensuite, de nous parler de votre travail passé et à venir.
Xan – Nous avions, toutes les deux, envie de participer au spécial polar de 64_page. De mon côté, j’ai été inspirée au niveau du texte mais je voyais mal mon dessin pour cette histoire. J’ai réfléchi aux personnes à qui j’aurais pu proposer le texte et j’imaginais assez bien le dessin de Noelia si elle acceptait. J’aime son côté graphique et ses mises en couleurs. Je savais qu’elle n’avait pas encore eu d’idée de scénario.
Noelia – Effectivement, je n’avais pas d’idée (ni de temps pour y réfléchir sérieusement), je ne pensais finalement paspouvoir y participer quand soudain Xan me propose d’illustrer son texte. Dès la première lecture je l’ai trouvé très fort, d’actualité (malheureusement) et inspirant. Et j’ai accepté de l’illustrer.
Au début, j’ai eu un peu peur de ne pas être à la hauteur de son texte. De ne pas proposer des images assez fortes. Après quelques croquis, tout s’est débloqué.
Angela : La première chose qui nous étonne (et, nous l’avouons, nous fait énormément plaisir !) dans le travail que vous présentez dans ce numéro spécial polar de 64_page est que vous vous êtes associées pour créer ces pages… comment l’idée vous est-elle venue d’écrire et de dessiner à quatre mains et comment avez-vous vécu ensemble et séparément cette expérience ?
Noelia – On peut vraiment dire que l’on a travaillé de manière très classique, scénariste d’un côté et illustrateur de l’autre. Xan m’a laissé la main pour le découpage, le dessin et la couleur.
Xan – J’ai adoré l’expérience, c’est la première fois que je confiais mon texte à quelqu’un d’autre et que je voyais naître ses idées suite à mon texte. Comme Noelia le dit, j’étais au scénario et elle au dessin, je ne suis pas intervenue quant à la mise en page, on s’est fait confiance.
Angela : Comment avez-vous procédé dans le cas précis de J’ai couru, couru ? Avez-vous d’autres projets ensemble ?
Xan – Pour le moment, nous n’avons pas d’autres projets ensemble.
Noelia – Aucun projet commun à l’horizon, mais je ne dirais pas non à une nouvelle expérience !
Angela : Cette BD ne s’inscrit pas du tout dans le cadre de ce que vous faites habituellement toutes les deux, c’est-à-dire la littérature jeunesse, ou peut-être oui, je ne sais pas, à vous de me le dire. Comment en êtes-vous venue à choisir cette thématique, qui est une thématique fort engagée ?
Xan – Je suis plus connue pour mes illustrations jeunesses, mais j’écris et dessine aussi des choses plus adultes. Je dirais qu’elles sont moins vues.
Pour la thématique, c’est le thème du polar qui m’a inspiré cette idée. Je pense que tout ce qui nous entoure nous inspire, dans ce cas, mes lectures, les films, ce qui se passe autour de nous…Il y a des sujets qui sont parfois durs mais je trouve ça intéressant qu’on en parle, se mettre à la place des gens et essayer de comprendre.
Noelia -Comme Xan, je ne dirais pas que je fais que de la jeunesse. C’est effectivement le médium de l’image qui me parle le plus, car il est pour moi l’espace qui offre le plus de liberté. J’aime jouer sur des thèmes « sérieux » et un graphisme plus enfantin ou naïf.
Angela : Quelle question vous poseriez-vous l’une à l’autre en évoquant cette nouvelle expérience avec 64_page autour du polar ? Et comment y répondriez-vous ?
Noelia -As-tu été surprise par mon découpage de ton texte? C’est -à-dire, la relecture de ton texte illustré t’a-t-il tenu en haleine ?
Xan – Je ne m’attendais pas à un découpage comme ça. Je l’ai trouvé original et en même temps cela fonctionnait bien. Même si je connaissais la fin, cela m’a tenu en haleine !
Xan- Et la mienne, est-ce que cela t’a plu d’illustrer ce scénario ?
Noelia – Évidemment ! Je ne m’attendais pas du tout à cette demande et j’en suis très contente ! Déjà, j’ai pu découvrir un aspect de ton travail très mature que je ne connaissais pas bien. Et puis c’était également la première fois que j’illustrais, sous forme de bande dessinée, le texte de quelqu’un d’autre. Tout un challenge.
5. Vincent GRIMM – Mauvaises langues
Interview Philippe Decloux
Passionné depuis toujours par la bande dessinée, j’apprends à développer mon propre style à l’académie de Watermael-Boitsfort dans l’atelier BD/Illustration de Philippe Cenci. Je réalise mes propres scénarios et dessins et j’espère partager mes planches avec le grand public.
https://www.instagram.com/grimm_vincent/
Philippe : C’est ta première participation à 64_page. Explique-nous ton parcours dans la vie en générale et dans la BD en particulier ?
Vincent : Je ne suis pas très original à ce niveau-là, mais j’ai toujours lu des BD depuis mon enfance et j’en dessinais très tôt aussi. J’ai en premier suivi des études dans le cinéma et la vidéo, mais tout en dessinant dans mon coin. J’ai vite compris que dessiner de la BD me convenait mieux que faire des films, il y a moins d’imprévus et ça coûte beaucoup moins cher de faire des monstres ou des vaisseaux spatiaux. En 2017, j’ai rejoint l’atelier BD/Illustration de Philippe Cenci à l’Académie des Beaux-Arts de Boitsfort, c’est là que j’ai tout appris dans le dessin avec pour but de me faire publier.
Philippe : Mauvaises langues nous plonge en quelques cases très efficaces dans une ambiance anglaise (?) d’un orphelinat… Tu as une facture très classique et tu traites un sujet qui bouscule le lecteur. Comment as-tu conçu ce scénario très prenant ?
Vincent : Au départ je voulais détourner le polar et le mélanger avec de l’horreur, j’ai toujours bien aimé le mélange de ces deux genres. L’histoire est venue de ma copine qui m’a réveillé à 3h du matin pour me raconter une idée qu’elle venait d’avoir. Elle m’a dit que ça collerait parfaitement pour ma BD. J’ai fait plusieurs ajustements, j’ai rendu le personnage principal mal intentionné, mais globalement toute l’idée du monstre dans l’orphelinat qui défend les orphelins vient de ma copine. Quant au sujet plus grave du récit, je voulais faire du personnage principal un être répugnant et il n’y a rien de plus répugnant qu’une personne qui s’en prend à des enfants. Pour le monstre, je me suis inspiré des langues des oies: elles ont des crêtes dentelées en forme de dents de cartilage le long des mandibules. C’est terrifiant…
Philippe : Qu’est-ce qui t’a motivé et décidé à te lancer dans ce récit Polar pour 64_page?
Vincent : Je connais des dessinateurs qui ont publié dans le spécial Western de 64_page et je me suis dit que ça pourrait être un bon exercice de faire une BD en seulement quatre planches avec un thème imposé. Ça fait toujours plaisir de publier un récit évidemment !
Philippe : Et tes projets ? Comment vois-tu ton avenir dans la BD ?
Vincent ; Je monte en ce moment un dossier avec un auteur de BD et j’espère que ça plaira à un éditeur. Sinon j’écris toujours des scénarios dans mon coin, pour monter les prochains dossiers jusqu’à ce que je signe quelque part.
4. Jordan BERTRAND – Face caché
Interview Jacques Schraûwen
Je suis un jeune artiste de 25 ans, j’ai fait un parcours à Saint-Luc en bande dessinée.
J’aime énormément travailler de façon traditionnelle, à l’encre de Chine et au pinceau, pour donner différentes ambiances, tout en laissant courir le pinceau sur la page.
https://www.facebook.com/Jordan-bertrand-955701417852992/
https://www.instagram.com/jojo_190396/?hl=fr
Encre de chine et pinceau sont les outils de prédilection de ce jeune dessinateur de 25 printemps.
Un dessinateur qui aime les ambiances, les couleurs traitées d’une manière qui n’est pas sans rappeler Philippe Berthet ou certains comics américains.
Sa participation à une thématique « polar » correspond pour lui à un plaisir, d’abord et avant tout : « Je trouve que le polar est un univers assez vaste où on peut passer d’un roman policier basique à quelque chose de beaucoup plus complexe. C’est d’ailleurs pour ça que c’est mon thème préféré, le travail des personnages est très important ainsi que l’ambiance car si on n’arrive pas à rentrer dans celle-ci le polar perd tout son charme. »
La bande dessinée, pour lui, naît essentiellement de la construction d’une narration, « d’un récit qui doit transporter le lecteur ou la lectrice dans un univers, une ambiance, et ce avec des personnages qui nous donnent envie de le ou les suivre du début à la fin. »
3. Charles P. – PermaLag
Interview Gérald Hanotiaux
Dans le numéro 22 de 64_page, nos lecteurs trouverons PermaLag, une histoire de celui signant ici du pseudonyme « Charles P. » Rencontre avec l’auteur de ces pages en noir et blanc, rehaussées de quelques touches de rouge marquantes…
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu, pour nos lecteurs, te présenter en quelques lignes… ?
Charles P. Je m’appelle Charles mais je préfère l’usage d’un pseudonyme comme Charlie P ou CH.P, plus sympa et plus court selon les circonstances. Comme le veut un cliché bien connu, concernant les artistes : je dessine depuis tout petit ! J’ai ensuite poursuivi des études d’arts, à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Liège, où j’ai pu parfaire ma technique et développer mes visuels par la bande dessinée, et plus généralement par le dessin.
Gérald : Que dirais-tu des apports des écoles d’art, est-ce selon toi un passage nécessaire pour la bande dessinée ?
Charles : Dans mon cas je pense que les écoles d’art sont un excellent complément pour se perfectionner en bande dessinée. Mais pour peu qu’on soit autodidacte et qu’on connaisse certaines règles de lecture et de découpage, on pourrait théoriquement s’en passer. Le plus important et le plus difficile à mon sens reste la pratique du dessin et les différentes techniques associées, c’est à dire être capable de concevoir un univers graphiquement cohérent et original, avec une bonne histoire. C’est également important d’avoir des retours de professeurs critiques, pour se perfectionner tout en évoluant dans un milieu artistique qui entretient la motivation. Donc, difficile à dire mais je dirais que, bien que non nécessaire, une école d’art est essentielle pour s’éveiller et pratiquer ! Encore que, ça dépend de l’école, il y a celles qui nous poussent à devenir un salarié du divertissement, et celles qui nous invite à sortir des moules.
Gérald : Comment es-tu arrivé vers la revue 64_page ? Et quel rôle penses-tu qu’une revue de ce type peut jouer ?
Charles : C’est une camarade de l’Académie royale des beaux-arts de Liège qui m’a informé de l’existence de la revue. Elle s’appelle Zoé Bayenet : je la salue au passage ! Il me semble que son rôle premier est de porter les nouveaux auteurs vers un public plus large, et ce n’est pas ça qui manque avec l’avènement d’internet, où les jeunes auteurs sont très nombreux à présenter leur travail. C’est important d’apporter du sang neuf dans la bande dessinée, où de nombreux jeunes auteurs méritent leurs places.
Gérald : Pourrais-tu évoquer à nos lecteurs les techniques avec lesquelles tu travailles ? En général, mais aussi plus spécifiquement sur les pages de PermaLag ?
Charles : J’ai toujours cherché le plus simple, le moins contraignant et le plus direct avec un résultat que j’estime expressif… J’ai donc adopté les plumes dès le début de mes études, avec quelques compléments d’aquarelles. Ce genre de simplicité me permet de créer – et me contraint – à produire des travaux remplis de détails, où mon imagination carbure. De temps en temps je colorise à l’aide d’une tablette graphique, pour obtenir des résultats qui me plaisent, mais ce n’est pas la partie que j’aime le plus dans mes travaux…
Gérald : Au niveau des couleurs, justement, les pages que tu nous proposes dans ce numéro 22 sont en noir et blanc, avec des ajouts de matière rouge. Ces inserts de couleur sont réalisés comment ?
Charles : Je réalise ces inserts d’une manière très simple avec du latex liquide, une brosse à dents et un peu d’ecoline rouge. Une technique que m’avait montrée un camarade et, depuis, je ne peux plus m’en passer pour réaliser des textures cosmiques et d’autres effets graphiques. Le tout est de bien la placer.
Gérald : Le climat « oppressant » émanant de tes pages fait-il partie des ambiances habituelles dans ton travail, ou tu t’es adapté à la thématique du numéro… ?
Charles : C’est une partie intégrante de mes travaux. Comme je travaille principalement en noir et blanc, j’essaye de compenser le manque de couleur en produisant des ambiances par le scénario et la composition, même si le simple fait d’utiliser du noir et blanc produit déjà quelque chose de contrasté et graphique.
En fait, la thématique du numéro tombait pile poil avec mon univers, c’est pour ça que je vous ai contacté, j’allais pouvoir travailler sur un projet qui me plaît, en produisant des travaux qui me plaisent. Cependant, je fais aussi des dessins plus « bonne ambiance », disons, mais c’est souvent pour produire du contraste avec un univers oppressant et mystique.
Gérald : Qui citerais-tu parmi les auteurs qui ont influencé ton style ? Que lisais-tu et que lis-tu régulièrement ?
Charles : Indéniablement Katsuhiro Otomo et Kentaro Miura (respectivement Akira et Berserk), Franquin (Gaston Lagaffe), Rosinski (Thorgal, Le Schninkel), Druillet (La nuit, Lone Sloane) pour ce qui est du manga et de la bande dessinée franco-belge. Je m’inspire également du jeu vidéo avec des titres comme Silent Hill 2, Dark Souls, Metal Gear Solid et autres Shin Megami Tensei, mais c’est un sujet très vaste, j’adore utiliser les codes du jeu vidéo dans mes travaux. Récemment je me suis également remis à la lecture de romans et deux titres m’ont fortement inspiré : La trilogie des trois corps de Liu Cixin et La horde du contrevent de Alain Damasio. C’est incroyable à quel point ces deux œuvres produisent du vertige et de l’inspiration. Pour le reste je dois avouer que je ne lis pas régulièrement, je passe plus de temps à bosser en m’inspirant de films ou en écoutant des podcasts.
Gérald : Quels sont tes éventuels projets actuels en bande dessinée, à court terme sur lesquels tu serais occupé à travailler, et à plus long terme, ce vers quoi tu as envie d’aller…?
Charles : Je suis actuellement occupé à travailler sur un projet de science-fiction, il s’inscrit dans une démarche à long terme… Pour être plus précis, à court terme j’aimerais finaliser une première partie de ce projet, pour à plus long terme avoir une œuvre complète e plus grande ampleur. Tous mes travaux et expérimentations s’inscrivent dans cette logique, ils servent un seul et même projet. Pour le moment, l’écriture et le scénario sont bien entamés, suffisamment en tout cas pour produire une première partie. Niveau dessin, j’ai déjà une vingtaine de planches, je travaille dessus activement pour avoir un premier chapitre publiable.
Merci Charles !
Vous pouvez voir le travail de Charles P. sur : https://chepire.wixsite.com/permalag https://www.instagram.com/permalag/ https://www.projets-bd.com/2021/12/17/permalag-2/
2. Lucas Bouvard – Bloody Cheesecake
Interview Marianne Pierre
Lucas Bouvard est un bédéiste reconnu dans le monde de la musique, figure de proue du mouvement avant-gardiste du « jaipascomprisme ». Honoré par ses pairs et impairs, il continue malgré tout de barbouiller ce qui lui passe par la tête.
https://www.instagram.com/bouvarddessin/?hl=fr
https://portfolio.adobe.com/d0b38a4d-98a5-4e50-b241-c32a58f6e4e4/preview/work
Marianne : Peux-tu nous décrire ton parcours, comment tu es tombé dans la BD?
Lucas : Je crois que mon amour de la BD est une chose que j’ai toujours eue. Même avant de savoir lire, j’essayais de comprendre les histoires de Tintin par les dessins. Pendant toute mon enfance puis mon adolescence, j’ai dévoré toutes les BD de mes parents, des bibliothèques et des librairies de ma ville natale. Mais pendant toute cette période, je ne dessinais pas encore.
C’est en commençant mes études en architecture du paysage que j’ai rencontrée des amis qui dessinaient. Ils m’ont vite donné envie de me lancer là-dedans.
Je n’avais pas de formations en arts et je ne voulais pas quitter mes études pour une formation en BD. Alors j’ai appris en autodidacte, via des livres, par internet ou en cours du soir.
Puis suivant le vieil adage qui dit que c’est en forgeant qu’on devient forgeron, j’ai participé à des concours, des fanzines et des microéditions. Aujourd’hui j’arrive un peu à concilier BD et architecture dans ma vie. Mon rêve serait de faire les deux en même temps : une BD sur l’architecture du paysage… Ou un plan de jardin en forme de BD ? Je ne me suis pas encore décidé.
Marianne : Bloody Cheesecakeest un parfait exemple d’humour noir. Est-ce ton registre habituel?
Lucas : Je n’irais pas jusqu’à dire que j’ai un registre habituel en fait. Je me cherche encore alors j’essaie d’écrire toutes sortes d’histoires (polar, fantaisie, vulgarisation), tout en essayant d’y ajouter de l’humour.
Marianne : Tu as un beau sens du noir et blanc, très travaillé. Je pense à Charles Burns ou Mezzo. Quelles sont tes influences graphiques?
Lucas : Du côté du graphisme, mes références me viennent plutôt des écrivains américains. Mike Mignola, Will Eisner, Eric Powell ou Paul Azaceta pour citer des virtuoses du noir et blanc.
Marianne : Techniquement, comment et avec quoi travailles-tu?
Lucas : Me considérant encore comme étudiant en BD, je cherche à me perfectionner dans toutes sortes de techniques : plume, feutre, pinceau, dessin informatique…
Pour cette BD-ci j’ai réalisé les planches à l’encre de chine et au pinceau. Puis je les aie scanné pour une finition des aplats et des contrastes sur Photoshop.
Pour le moment je n’ai pas de constantes. Ma prochaine BD sera d’ailleurs faite entièrement sur tablette graphique.
Marianne : Quels sont tes projets?
Lucas : Continuer à apprendre et continuer à participer à des publications de magazine comme celles de 64 pages. J’ai deux trois projets de BD en tête mais j’ai encore du travail avant de pouvoir les écrire.
1. Inès SANCHEZ-ROYANT – Petit Meurtre Matinal
Interview Angela VERDEJO
-ROYANTInès Sanchez-Royant, autrice de Petit meurtre matinal, est franco-espagnole, dès ses dix ans, elle accumule prix et reconnaissances aussi bien hispaniques que francophones. Pour faire plus ample connaissance avec son travail je vous invite à lire l’entretien ci-dessous et à visiter son Instagram : @ines.sanchez.royant et son blog : https://losdibujosdeines.wordpress.com/
Angela : Si tu pouvais te « définir » en une phrase, pourrais-tu me dire : Qui es-tu, Inès ?
Inès ; Je suis une autrice-illustratrice de 14 ans qui rêve de publier un album.
Angela : Sur ton Instagram il y a pas mal de publications en espagnol, pourrais-tu nous parler de ce travail bilingue ?
Inès : Je suis Franco-espagnole et j’aime écrire dans les deux langues, cela dépend du sujet et du projet. Comme je vis en Espagne et que j’aime participer à des actions artistiques, alors, dès que l’occasion se présente localement, je réponds favorablement aux propositions. L’écriture se fait donc naturellement en espagnol. Comme je suis également baignée dans la culture française, je suis toujours à la recherche de projets francophones.
Angela : L’accent, tantôt aigu tantôt grave, sur ton prénom, en dit long sur la question, non ?
Inès : Pour l’accent sur mon prénom, ma signature inclut les deux : je trace un triangle. Mes parents n’ont pas vraiment choisi le côté de l’accent (Inès pour ma mère française et Inés pour mon père espagnol) et finalement, je m’identifie avec les deux côtés. Comme l’article est pour 64_page, revue francophone, je choisis pour cette occasion Inès.
Angela : Raconte-nous les techniques que tu as utilisées dans ce Petit meurtre matinal.
Inès : J’ai commencé le travail au crayon à papier puis j’ai réalisé l’encrage avec des feutres à l’encre de Chine. Pour la mise en couleur, j’ai utilisé des aquarelles et des feutres à alcool. Dans Petit meurtre matinal, j’ai testé le ruban de masquage pour faire des cases sans contour.
Angela : Pourrais-tu nous parler de ton choix de narration ? Il y a beaucoup d’humour, d’ironie dans ton travail, l’ironie est un très bon moyen pour aborder la critique sociale. Qu’en est-il dans ce travail et dans ton travail en général ?
Inès : Il est vrai qu’il y a toujours un message dans chacune de mes productions. L’actualité et les faits de société m’inspirent et j’aime exagérer les choses, cela les rend risibles.
En général, les histoires que j’écris se construisent sans prévenir dans ma tête. Les idées surgissent à partir d’éléments de conversations ou d’un vécu qui peut paraître banal. Par association d’idées, elles s’évadent alors de leur caractère plus ou moins sérieux pour devenir drôles.
Pour Petit meurtre matinal, j’ai réfléchi à partir du thème Polar et, à la façon d’Agatha Christie, j’ai pensé donner de fausses pistes au lecteur. Ensuite, je trouvais amusant d’introduire des personnages avec des caractères marqués : le détective incompétent, la mère qui fait tout un drame à partir de pas-grand-chose, Tante cracra qui est en avance sur son époque et incomprise, la petite fille plus lucide que tous les autres, mais qui ne dit rien parce qu’elle sait qu’elle ne sera pas écoutée de par son jeune âge… Pour le choix de l’époque, ce sont mes lectures des classiques du genre qui m’ont inspirée.
Angela : On dit que dans les rêves nous sommes nos propres metteurs en scène et que nous sommes tous les personnages de même que la scénographie, rêve et création se ressemblent beaucoup au fond, qu’en penses-tu pour ce qui est de ta création ?
Inès : Ce n’est pas mon cas. Je trouve mes rêves désorganisés et bizarres. Ils me paraissent intéressants au niveau personnel, ils m’aident à mieux me comprendre moi-même. Par contre, ils ne me sont pas utiles dans mon travail d’écriture. Mes créations partent de la réflexion même si tout se passe très vite.
Angela : Donc tu ne t’identifies pas quelque part avec tes personnages par exemple ?
Inès : C’est rarement le cas. Dans Petit meurtre matinal, je ne m’identifie à aucun personnage. En général, je crée des personnages qui me paraissent avoir du relief, tout simplement.
Par contre, dans mon prochain projet d’album, le personnage principal aura plusieurs de mes traits de personnalité et vivra certaines de mes expériences, mais ce ne sera pas pour autant une autobiographie.
Angela : Qu’en est-il de ton rapport au genre policier, quelles raisons t’ont-elles amenée à participer au défi lancé par 64_page autour du polar ?
Inès : J’aime les polars en tant que lectrice, mais c’est la première BD que je réalise dans ce genre. J’ai rencontré les membres de 64_pages en septembre à Bruxelles grâce au Prix Raymond Leblanc. 64_page POLAR était leur projet suivant. J’ai tout de suite voulu participer.
Angela : Le prix Raymond Leblanc ?
Inès : J’ai participé au prix Raymond Leblanc en mai dernier avec mon tout premier projet d’album : GAÏA à travers la cascade. Il m’a été décerné un des deux prix “très jeune talent ». Le Prix Raymond Leblanc invite les participants à une Master class et à des rendez-vous éditeurs. Ce fut une belle expérience et c’est là que j’ai eu la chance de rencontrer les responsables de 64-Page.
Angela : Quels sont tes projets à venir ?
Inès : Je veux publier des albums. Pour avancer dans mon parcours, je participerai au prochain concours de la BD scolaire d’Angoulême pour tenter de décrocher un cinquième petit fauve d’or, je présenterai un nouveau projet d’album au prochain prix Raymond Leblanc, je continuerai à proposer mon travail à 64_pages et je suis ouverte à toutes les propositions dans le monde de la BD et de l’illustration. Je crée aussi des affiches, prépare des expositions et réalise des peintures street-art.
Angela : Un cinquième petit fauve d’or ?
Inès : Cela fait 4 ans que je participe au concours de la BD scolaire du Festival d’Angoulême. La première fois, j’avais 10 ans. En tout, j’ai obtenu 4 petits fauves d’or et 3 petits fauves de bronze. J’ai déjà plusieurs idées pour ma cinquième participation.
Numéro actuellement en prévente (sortie au Festival d’Angoulême le 26 janvier 2022). 64 pages, spécial SCÉNARISTES. Longue interview exclusive de ZIDROU, prix Rossel 2021 pour l’ensemble de son oeuvre, par Gérald Hanotiaux.
Prévente 9€50 (frais de port offerts) – 20€ en achat couplé avec le 64_page #22 POLAR. info : www.64page.com/abonnements/
Les auteur.e.s de demain publié.e.s dans le 64_page #21
Lorraine CACHEUX – Kernel Stigmas
Dans le numéro 21 de 64_page, Lorraine Cacheux nous propose sept planches extraites d’un projet de longue haleine au titre intrigant de Kernel Stigmas. Réalisées en couleurs directes, à l’ambiance pénitentiaire mâtinées de fantastique, elles ne peuvent que nous allécher… Depuis la France, Lorraine répond à nos questions.
Retrouvez Kernel Stigmas et Lorraine Cacheux dans le 64_page #21 en prévente jusqu’au 26 janvier. Toutes les infos utile sur la page d’accueil de www.64page.com
Gérald Hanotiaux. Question classique pour démarrer, pourrais-tu te présenter brièvement à nos lecteurs ? De manière générale, mais aussi plus particulièrement au niveau de ton parcours dans le dessin.
Lorraine Cacheux. Je m’appelle Lorraine, aka Thé au Vinaigre, et je suis originaire de la banlieue parisienne. J’ai toujours eu des choses à dire, ou du moins un ressenti vis-à-vis de ce qui est perçu comme « normal / beau » dans notre société… C’est ce qui a motivé mes travaux jusqu’ici. J’ai commencé à poster mes dessins sur des blogs, notamment des strips un peu « coups de gueule », sur le racisme ordinaire… Ensuite j’ai fréquenté l’EPSAA (Ecole professionnelle supérieure d’arts graphiques), une école publique de design graphique de la mairie de Paris. Ça m’a permis de me débrouiller en mise en page, maquette, etc. Durant ces périodes, Kernel Stigmas voyageait déjà dans ma tête.
Ensuite, j’ai été saisie par une période de doutes, durant laquelle je travaillais pour des contrats courts, en agence ou dans des boulots alimentaires, à défaut d’avoir des sous de côté pour travailler mon univers. En parallèle j’ai participé à des salons, où je vendais des dessins à la demande avec des amies. Lorsque ces doutes se sont progressivement évaporés, j’ai décidé de n’accepter que des boulots formateurs pour moi – un an en imprimerie notamment – et de me consacrer à ma bande dessinée, d’y mettre ce que j’avais sur le cœur… Elle est enfin terminée et comprend 82 pages. Actuellement, je travaille sur sa campagne de financement, dont le démarrage est prévu pour le 28 septembre 2021.
Pourrais-tu présenter cette histoire et l’extrait proposé dans notre dernier numéro ?
Avant tout, les lecteurs doivent savoir que si cette bande dessinée est un one shot, elle fait également office « d’introduction » à une série à venir, qui devrait être constituée de deux trilogies. Les pages présentes dans 64_page mettent en place l’élément « perturbateur » de l’histoire. Elles montrent des individus incarcérés, pour des larcins ou des actes criminels, qui voient leur peau se graver de symboles occultes. Personne ne comprend ces apparitions symboliques et ces événements sonnent comme une sorte de « jugement invisible ». Audrey, la protagoniste principale de cet épisode pilote, prend connaissance de ce mal, qu’elle va devoir observer, analyser, décortiquer…
Ça va bien évidemment déborder dans le monde entier – promis, le covid est arrivé après l’élaboration du scénario ! – et les populations les plus atteintes seront victimes de stigmatisation et ne nombreux a-priori, car le mal est apparu en premier lieu sur des repris de justice…
Si ce n’est pas trop indiscret, d’où vient ton pseudonyme, « Thé au vinaigre » ? A-t-il une signification ?
Son origine tient dans un bête incident ménager : mon père avait nettoyé la bouilloire au vinaigre blanc, et malgré l’odeur qui aurait dû m’alerter, je n’ai pas fais attention et ai préparé mon thé Earl Grey…! (Il ne fait aucun doute que le vrai thé au vinaigre – de cidre – aurait été meilleur…) Au-delà de cette anecdote de départ, je l’ai choisi comme pseudonyme car l’association du thé et du vinaigre reflète bien, selon moi, l’association de mon calme apparent couplé à mon fort caractère intériorisé.
Quelques éléments sont frappants dans ton parcours, notamment le fait que ton livre est très tôt bien présent en toi. On entend parfois qu’un auteur place le plus de lui-même dans un premier livre, résultat en quelque sorte du parcours de vie jusque là. Es-tu d’accord avec cette affirmation ?
Je ne sais pas si cette remarque est pertinente pour la majorité des auteurs, mais ça a effectivement l’air très fréquent… Même si ce n’était pas ma volonté au départ, c’est indéniablement mon cas. Les défauts, qualités et petites manies dont ont pu hériter mes protagonistes, consciemment ou non, peuvent trouver leur source dans mon parcours personnel et mon « schéma familial ». La liste des éléments que je pourrais citer pour exemplifier cette affirmation est plutôt longue.
Ensuite, si tu connais vite tes aspirations, tu t’inscris cependant dans des formations toujours proches du graphisme et du dessin, sans toutefois suivre des cours de bande dessinée à proprement parler. Est-ce la volonté d’avoir plusieurs cordes à ton arc? Tes pages dessinées se nourrissent-elles d’autres pratiques ?
En effet, j’ai toujours privilégié la communication visuelle car j’imaginais, plus tard, une utilité de cette formation dans mes projets. Comme j’ai toujours été très scolaire, j’avais peur qu’une école de bande dessinée me pousse à m’enfermer dans des règles à suivre, dont je n’arriverais pas suffisamment à m’affranchir. Dès lors, en élaborant ma bande dessinée, je me suis amusée avec de la mise en page, comme on peut le faire en graphisme… Dans l’univers de Kernel Stigmas, nous rencontrerons par exemple de fausses brochures publicitaires, un élément dont je n’aurais pu avoir l’idée sans ma formation de graphiste.
Au-delà de ça, j’ai tout de même pu bénéficier de quelques « leçons » de la part d’amies qui ont fréquenté des cours de bande dessinée. On échange, on complète nos connaissances et nos compétences mutuellement, ça nous permet d’être le plus indépendantes possible.
Comment vois-tu l’intérêt d’une prépublication ?
Il s’agit de ma toute première bande dessinée, et en tant que telle je n’arrive pas à l’imaginer intéressante pour beaucoup de monde. J’essaie donc de la diffuser le plus possible, pour voir les réactions qu’elle suscite, quelle lecture peut en être faite et, bien sûr, si en réaliser la suite serait intéressant ou si je vais devoir passer à autre chose. Ça me permet aussi de rassembler un public potentiel pour la version imprimée.
Tu comptes donc monter une campagne de financement participatif, y vois-tu une bonne manière de passer outre des rapports difficiles avec le monde de l’édition ?
En effet, je le pense, et je constate que cela se fait de plus en plus. De très belles choses, vraiment, sont réalisées en auto-publication. Chez moi, j’ai une étagère complète consacrée à des autrices et auteurs indépendants, on peut y voir du « très pro » comme du « très amateur », mais ce sont toujours des projets qui valent la peine d’être lus. Ils n’auraient peut-être pas eu leur chance dans une maison d’édition, ou n’auraient pas suffisamment bien rémunéré leurs créateurs et créatrices. Il est plutôt encourageant de constater que de plus en plus de gens peuvent consacrer une part de leur budget pour les artistes indépendants.
Quel regard, globalement, portes-tu sur le secteur de l’édition de bande dessinée contemporaine ?
J’y vois deux aspects. D’un côté nous trouvons une immense usine très impressionnante, qui publie des livres à la pelle mais n’a plus le temps de valoriser correctement les autrices et auteurs. De l’autre côté il y a les petites maisons d’éditions mais, j’ai eu l’occasion d’échanger avec deux éditeurs indépendants, et leur propos est le même : rémunérer correctement l’artiste revient à se priver de revenus. Car pour le petit éditeur désireux de faire exister de beaux livres, il est compliqué d’être rentable… En fait j’ai l’impression que notre système d’édition est défectueux ou obsolète, et qu’au final personne ne s’y retrouve.
Modestement, notre revue cherche à pallier le manque de supports de prépublication, présents en grand nombre dans le passé. Aux côtés de tes pages, le scénariste Zidrou explique l’importance de voir son travail publié pour la première fois, de pouvoir le tenir en main. Que t’inspirent ces propos ?
En effet, il semble que les revues sur la bande dessinée, dans ou en dehors des géants de l’édition, étaient plus nombreuses auparavant… Quoiqu’il en soit, 64_page me semble être une excellente initiative, ça donne envie de s’y investir. Concernant les propos de Zidrou, ça m’évoque un petit artbook réalisé il y a longtemps avec des amies, au lycée, juste pour nous faire la main et passer le temps. On l’a fait imprimer et ça nous a fait « drôle » : tout paraissait plus beau avec la mise en page, le papier lisse…
Quand on fait un livre, on a le nez dans son travail, tellement que parfois on en vient à ne plus le trouver beau et à vouloir recommencer certaines pages. On peut ne plus trop croire en nos capacités, on doute… Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais eu d’œuvre publiée, mais cette anecdote me fait penser qu’une fois en main, tout lisse, tout façonné, ce travail prend du sens. Il a été publié parce que d’autres personnes ont estimé que ça en valait la peine, tu peux donc à nouveau l’apprécier à sa juste valeur. Ça doit être un sacré coup de boost pour poursuivre une carrière !
Un apport des revues de prépublication était aussi de créer une émulation, de composer des groupes d’auteurs et autrices (même si elles étaient moins présentes à cette époque-là…), d’encourager l’émergence de « familles graphiques »… Où trouver cette émulation-là aujourd’hui, ces possibilités d’échanges entre artistes ?
Ce doit être ma génération et / ou mon milieu mais je n’en connais que deux : les publications sur internet et les salons. Avant la pandémie, avec deux amies, nous nous déplacions un peu partout en France pour vendre notre travail et nous faire un peu connaître. À force de revoir les mêmes têtes derrière les stands, on finit par se constituer un petit cercle. Si je connaissais d’autres moyens compatibles avec mon travail, j’y aurais certainement recours. Sinon, au sujet de ces deux amies, nous sommes très proches dans la vie comme dans le dessin, et nous échangeons toujours beaucoup, des conseils et des bons plans, nous présentons souvent nos travaux en salon ensemble… Il s’agit de Loup//Joan et d’Eline Corneloup aka Amnaysia. Joan écrit en ce moment Sadé sur Webtoon, une bande dessinée psychologique assez sombre, et Eline a commencé à publier Entre Haine et Lumière sur Mangadraft, une fable colorée sur la tolérance. Sans ces deux personnes j’aurais eu bien du mal à me lancer dans la réalisation de Kernel Stigmas !
Comment décrirais-tu ton style graphique ?
C’est compliqué. Certains y voient du manga, d’autres y trouvent une inspiration dans le sillage d’un Loisel, mais très honnêtement je ne pourrais pas définir mon style graphique autrement que comme « taché, brouillon et coloré» .
Quels artistes citerais-tu parmi tes influences ?
Mes influences sont assez multiples, raison pour laquelle, selon moi, on peut notamment trouver dans mon style un côté « japonisant ». Régis Loisel, déjà cité, m’a en effet beaucoup marquée par sa « féérie adulte ». Masashi Kishimoto m’a inspirée toute mon adolescence. Aujourd’hui, j’ai un peu arrêté d’apprécier l’œuvre – Naruto – mais son univers graphique me parle encore. Toujours dans le manga, mais du côté français, je citerais Raphaëlle Marx (Debaser) et Ancestral Z (Dofus) pour leur côté simple et très dynamique. Je continue d’évoluer aussi grâce au travail de Aurore Peuffier (Chroniques de Maindish), une artiste indépendante vraiment remarquable. Plus proche de moi, je citerais Lison Ferné (La déesse Requin) et mon compagnon Matthieu Fouquet qui dessine aussi quand il a le temps !
Avant de nous quitter, aurais-tu quelque chose à ajouter…?
Je sais que mon pseudonyme évoque le thé, mais en fait j’utilise plutôt du café pour l’aquarelle ! Blague à part, le café me permet de donner une teinte un peu sépia à mes dessins. Je m’en sers pour remplacer le crayon sur papier en esquisse, et ensuite ça rend mes encres colorées un peu moins flashy, selon l’effet recherché. Ça m’est venu comme ça, un jour, en me servant d’un fond de tasse pour gribouiller, et depuis c’est devenu une habitude. Sinon, pour terminer, simplement vous remercier pour cette première publication !
Merci Lorraine !
Vous pouvez voir le travail de Lorraine sur : Instagram Compte principal : https://www.instagram.com/the_au_vinaigre_lc/ Compte BD : https://www.instagram.com/kernel_stigmas/ Facebook : https://www.facebook.com/VinegarTea
Michel DI NUNZIO – Fata morgana
Adepte d’un style réaliste et classique, Michel Di Nunzio nous offre à voir dans le numéro 21 de 64_page la séquence introductive de L’enfant-Mondes, le prologue de sa saga Fata Morgana. Ces pages sont emplies d’étranges créatures, d’inquiétants chevaliers et de navires anciens, évoluant dans le ciel… Pour en savoir plus sur ce projet, nous avons rencontré son auteur.
Retrouvez Fata Morgana et Michel Di Nunzio dans le 64_page #21 en prévente jusqu’au 26 janvier. Toutes les infos utile sur la page d’accueil de www.64page.com
Gérald Hanotiaux. Question classique pour démarrer, pourrais-tu te présenter brièvement à nos lecteurs ?
Michel Di Nunzio. J’ai 64 ans, je suis marié et suis le père de deux enfants. Le dessin a représenté pour moi un moyen d’exploration formidable pour penser des projets ou mettre en place des scénarii. Je dessine depuis toujours. Ma toute première bande dessinée, réalisée à l’âge de douze ans, s’appelait Robota. Elle avait pour héros des jumeaux sans liens de parenté : déjà des clones ! Si certains de ces dessins ont disparu, j’ai cependant gardé de nombreux croquis, planches et illustrations de l’époque. Le fantastique et la science fiction restent des moteurs essentiels aux univers que je souhaite développer. Déjà adolescent, mon professeur de mathématique avait repéré mon intérêt pour le fantastique et demandé d’illustrer une histoire complète pour le journal de l’école. Il m’avait par la suite incité à poursuivre dans cette direction.
Mon parcours artistique a démarré par les arts graphiques à l’IATA, l’Institut d’enseignement des arts techniques sciences et artisanats, situé à Namur. J’ai ensuite poursuivi en intégrant l’école bien connue de Saint-Luc à Bruxelles. Bilal, Moebius, la revue Métal Hurlant, etc, ont représenté des sources d’inspirations évidentes pour moi. Aujourd’hui, c’est la véritable Science et les technologies contemporaines qui représentent des sources inépuisables d’inspiration.
Professionnellement, je travaille actuellement dans une ASBL à vocation sociale et touristique, grande consommatrice d’illustrations diverses. Celles-ci sont didactiques et graphiques, mais sont également accompagnées de demandes plus personnelles, ce qui peut aller de la caricature aux illustrations « à la manière de »… South Park, par exemple. Tout cela passe par diverses techniques qui m’ont façonné, mais aussi dispersé.
J’ai également entrepris une carrière de sculpteur artiste plasticien, pour laquelle le point d’orgue tient dans une sculpture publique en pierre, à La Roche-en Ardenne. Mais le virus de la bande dessinée, tout au long de mon parcours, a toujours été bien présent, il m’a toujours incité à avancer. Dès lors, depuis deux ans, j’ai repris des cours de bandes dessinées avec Philippe Cenci, à l’Académie de Châtelet, où j’ai finalement repris le fil de mes projets, passionnément, tant dans la narration que dans la colorisation.
Pour allécher nos lecteurs, pourrais-tu évoquer les pages de Fata Morgana, présentées dans notre numéro 21 ?
Fata Morgana, ce sont des reflets dans le ciel, dus à la réverbération. On y aperçoit des bateaux volants, et parfois d’extraordinaires cités flottantes… Il n’en fallait pas plus pour y suggérer une vie, comme une faille vers un autre univers. Par cette histoire, je désire entrer dans ce monde peuplé de géants porteurs de villes, de bateaux d’époque naviguant à travers le ciel, d’hommes-arbres ou d’armées-fantômes, une espèce de répertoire classique de personnages étranges. Dans mon histoire, je désire semer le trouble, car : que se passerait-il si ce monde était réel ?
Tu as fréquenté Saint-Luc à Bruxelles, dans la commune de Saint-Gilles : pourquoi cette école ? Plus largement, comment décrirais-tu l’apport éventuel d’une école dans l’apprentissage de la bande dessinée ?
Le choix de Saint-Luc s’est imposé car cette école mettait vraiment en avant son cursus en bande dessinée. J’ai à l’époque présenté mes travaux graphiques de l’IATA à Claude Renard, ce qui semble l’avoir convaincu. J’ai donc fait partie de l’aventure du 9ème rêve, dont je n’étais pas du tout un représentant idéal, haha, car beaucoup de mes soirées s’achevaient au « 75 », un autre établissement artistique, l‘École Supérieure des Arts de l’image actuelle, située à Woluwe Saint-Lambert.
L’atelier de Claude Renard développait une vitalité formidable, on y multipliait les expériences graphiques. Je dois avouer que j’en ai quelque peu « souffert », car j’étais plus monolithique dans mes travaux, à la recherche d’une cohérence graphique, avec un style encore très labile… Tiens, voilà un quasi anagramme de Bilal, une de mes références ! Nous étions à l’époque de l’album Les yeux du chat de Moebius, un choc esthétique terrible qui, en outre, indiquait clairement le chemin encore à parcourir pour atteindre une telle cohérence graphique.
Petite anecdote à ce sujet, j’ai eu l’occasion de « rencontrer » Moebius en personne à Angoulême, pour un tête à tête, dans le cadre de l’atelier du 9eme rêve. Il sortait d’un groupe de fans, pour se diriger vers un autre – d’un vaisseau spatial à l’autre – et je l’ai intercepté avec mes petites feuilles de bandes dessinées… À la question « que faut il faire pour avancer ? », très attentionné durant quelques looongues secondes, il a répondu : « ha ouais, pas mal, ouais… Le travail, juste le travail ! » La clef de Moebius !
Bref, cette école a été une expérience totale, en plus de jouer le rôle d’« agitateur d’idée ». Pour l’époque elle a clairement eu un rôle avant-gardiste, un rôle que, me semble-t-il, elle a toujours pu conserver. Selon moi, pour l’apprentissage de la bande dessinée, hier comme aujourd’hui, l’apport d’un professeur dans un cadre scolaire est vital. À la fois pour les codes à intégrer, mais également pour parallèlement les dépasser. L’enseignement joue le rôle – je ne connaissais pas le terme – de script doctor, c’est à dire de technicien pour détecter les failles graphiques. On peut apprendre dans ce cadre à manier le travail de storyboardeur, pour le découpage, de graphiste et d’artiste plasticien, lors des sorties d’impressions, ainsi que la gestion de la communication en réseaux, un rôle assez difficile.
Tncien « virus de la bande dessinée », comme tu le signales, resté présent en toi. A-t-il évolué, ce virus, s’est-il nourri durant ton parcours, notamment au contact d’autres disciplines artistiques ?
Évolué ? Très certainement, enfin je l’espère, haha… Aujourd’hui, je désirerais « rajeunir » le trait et épurer mon graphisme. Je ne suis pas nostalgique, même si je garde tout, je dois avoir chez moi une centaine de pages d’histoires inédites… Continuer à dessiner m’a permis de garder intacte ma frustration de ne pas faire naître ces univers, car la vie vous rattrape vite, il faut pouvoir assurer le quotidien… Lors d’espèces de flash backs, je retrouvais mes planches, et je comprenais qu’il s’agissait de sentiers motivants dont je m’étais éloigné trop rapidement… Avec l’envie de replonger. D’autres éléments font en sorte de rebooster mes profondes envies de raconter : le retour de grandes saga de science-fiction sur les grands écrans, des remakes de Blade Runner, Dune, la vision de grands classiques comme 2001 l’Oddyssée de l’espace, ou encore le cinéma contemporain dans ce genre, avec les Contact, Interstellar, Inception, Mad Max furiosa, en tournage actuellement… Tout cela est très motivant.
J’ai eu l’occasion de participer à un projet, avec une nouvelle génération de rôlistes, des héritiers de Lovecraft, sur le mode « scénariste cherche dessinateur ». Dans les jeux de rôles, les participants sont en général grands amateurs de fantastique-policier et de space-opera. Le projet dont je parle a duré deux ans, par échange d’illustrations et de composition, tout cela sans se voir, par internet… Ça a été une extraordinaire aventure. Et une surprise lorsque nous nous sommes retrouvés sur le front pour réaliser un recueil de cinq scénarii, illustrés par cinq dessinateurs, dont votre serviteur. Au passage, un petit clin d’oeil à un illustrateur de la profession – de Menton – qui a participé à ce premier recueil et qui cartonne en ce moment (il récolte Award sur Award), je l’apprécie énormément et j’espère qu’il ne m’en voudra pas de le mentionner : big kiss à toi Oliver San !
En participant à ce projet intitulé Démiurges en Herbes, édités par Forgesonges – en compagnie de Bastien Wauthoz – j’ai vécu un « retour graphique » incroyable ! Tout s’est passé comme si tout était resté tel quel dans mon crayon, c’est sorti tout seul, tout ce monde fabuleux… Nous étions face à du néolithique revisité par les Maoris aux XVIème siècle, face à l’Époque des Lumières réinventée. Très franchement, pour moi Démiurges en herbe – Masques Tombes d’Olinmar représente une expérience graphique intense, inoubliable.
Parallèlement au dessin, j’y ai ressenti la nécessité de réaliser des éléments de cet univers en 3D, je créais alors mes personnages en céramiques. L’idée était de les utiliser pour les jeux d’ombres et de lumières. Une galerie m’a proposé à l’époque de les exposer, et ça a eu son petit succès… Depuis de nombreuses années, j’expose régulièrement mes œuvres, souvent décrites comme inspirées par la bande dessinée. J’ai dans ce cadre pu remporter le premier prix des arts plastiques à Antoing, en 1996, dont le président du jury était… Plantu ! Un dessinateur… Un hasard ? Mes liens avec la bande dessinée se rappelaient à nouveau à mes bons souvenirs… Mes activités de sculpteur m’ont plus tard amené à la réalisation d’une sculpture publique de trois mètres de haut, appelée Tenebryon. Tout cela s’est mis en place et entrecroisé au fil de rencontres, cela s’est agencé presque naturellement…
Désormais, je pratique également la photographie, une nouvelle activité à ajouter au reste… Les images se multiplient donc, à la fois pour le côté documentation, mais aussi pour le côté esthétique, ça oblige à affiner le regard et ça me conduit vers d’étranges traverses où mes dernières productions consistent en des portraits imprimés sur plusieurs couches de papier transparent rétroéclairées, ou encore à un projet de travail autour des tags présents sur les vitres de trains. Dans ma vision des choses, aussi, chaque discipline pourrait peut-être s’intégrer dans un récit…
Tu évoques la science-fiction comme source d’inspiration du passé, en regard de la science et de la technologie actuelles, est-ce à dire que les « visions » des auteurs du passé sont en passe de devenir réalité ? Est-il plus difficile aujourd’hui de trouver de l’inspiration pour de la science-fiction ?
Les grands dessinateurs sont les catalyseurs des mondes à venir, capables de se projeter vers des utopies plausibles. Ce n’est pas par hasard, après tout, que l’armée française à sollicité des auteurs de fiction à ce sujet (voir le site redteamdefense.org) Chaque dessinateur se veut visionnaire, et à n’en pas douter ces mondes de science-fiction ne sont désormais plus si éloignés de nous. Il est indéniable que, depuis de nombreuses années, certains auteurs du passé ont été des précurseurs, tant le monde contemporain commence à ressembler à leurs univers. Pour reprendre une de mes références, nous pourrions presque bientôt, allez… Tenir le discours du « Répliquant » Rutger Hauer, issu du film de Ridley Scott Blade Runner : « J’ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez imaginer… Des navires de guerre en feu, surgissant de l’épaule d’Orion… J’ai vu des rayons C briller dans l’obscurité, près de la Porte de Tannhäuser… Tous ces moments se perdront dans le temps… comme… Les larmes dans la pluie… Il est temps de mourir. » Si l’on pense aux voyages dans l’espace d‘Elon Musk, on peut voir sa société, Space X, comme tout droit sortie des films d’animations des années 50. Si l’on pense aussi, par exemple, à la couverture de Valérian par Mézières, présentant les inondations de New York dans La Cité des eaux mouvantes, on se dit que ce type d’auteurs avaient une bien belle longueur d’avance.
Pour ma modeste petite part, j’ai en stock des illustrations visionnaires d’hier, qui ressemblent à quelques machines volantes d’aujourd’hui… Cela fait rire mes enfants c’est déjà ça, haha. Je suis assez fan des films de fiction actuels, qui démarrent sur un postulat simple, développé ensuite tout au long du film, tels qu’Elysium par exemple, ou Bienvenue à Gattaca, ou encore et surtout le très flamboyant Inception, dont la structure narrative me plaît énormément. Le postulat de départ, comme nous le signale une célèbre encyclopédie en ligne, est que « dans un futur proche, les États-Unis ont développé ce qui est appelé le « rêve partagé », une méthode permettant d’influencer l’inconscient d’une victime pendant qu’elle rêve, donc à partir de son subconscient. Des « extracteurs » s’immiscent alors dans ce rêve, qu’ils ont préalablement modelé et qu’ils peuvent contrôler, afin d’y voler des informations sensibles stockées dans le subconscient de la cible ». C’est très excitant.
Plus pratiquement, mon inspiration personnelle, je la puise dans des questions qu’on peut se poser dans le quotidien, dans une situation pratique : « Tiens, et si on en venait à pouvoir faire ceci… » Je pense qu’il reste toujours des zones floues, des continents inexplorés… Imaginer transférer nos consciences sur des puces électroniques n’est par exemple une idée plus si absurde depuis quelques temps. Cette simple phrase précédente ouvre des champs infinis sur de possibles scenarii, en jouant sur des éléments fondamentaux tels que la mémoire, la conscience, l’inconscient, etc. La Science d’aujourd’hui est déjà dans une optique de futur, qui peut aller très loin… Cela me passionne, en effet.
Aujourd’hui, par exemple, la Science parle de cristaux temporels ! Toujours dans notre célèbre encyclopédie en ligne, c’est décrit comme ceci : « L’idée d’une telle structure a été proposée par Frank Wilczek en 2012. Selon ce dernier, il est possible de concevoir une structure composée d’un groupe de particules se déplaçant et retournant périodiquement à leur état d’origine, qui formeraient un ‘cristal temporel’. L’expression est forgée à partir de ce qui est observé dans un cristal ‘classique’, dont la structure atomique montre une répétition d’un motif dans les différentes directions de l’espace. Dans un cristal temporel, en revanche, la répétition du motif se fait de manière périodique dans le temps, à la manière d’un oscillateur ». Intéressant, non ? Je pense que la bande dessinée est sur le coup également, pour détecter des failles jouant au coude à coude avec la réalité. D’une certaine manière c’est ce que, modestement, j’essaie de faire avec Fata Morgana.
Comment en es-tu arrivé à envoyer un extrait de cette histoire à 64_pages ?
L’idée est arrivée à l’académie de Châtelet. Le professeur, Philippe Cenci, m’a un jour parlé de l’existence de 64_page, de son niveau graphique et de la qualité de son contenu. À ce moment-là, Fata Morgana était en cours de réalisation, sans aucune idée de sa destination future. J’ai donc imaginé envoyer le projet, pour avoir un avis. Cela m’a fait un réel plaisir d’avoir ce retour de 64_page, avec la proposition d’en publier des pages, je ne m’y attendais pas du tout… Cette bande dessinée fait suite à deux autres histoires courtes précédentes, un peu « old school », ici elle me semblait plus ample et ambitieuse graphiquement, réalisée sur un mode onirique avec comme éléments la conscience, la mémoire et la réalité d’aujourd’hui. Placer une énorme énergie au profit d’une histoire sur l’illusion, en fermant la parenthèse sur le monde d’aujourd’hui, je ne l’avais jamais fais auparavant… C’était trop jubilatoire. Paradoxalement, ça me libérait de quelque chose. Une illusion qui rime avec libération… Là aussi, sans me dévoiler, cela rejoint un grand rêve que je nourrissais.
Dans les pages du numéro 21, outre tes planches et beaucoup d’autres choses, nous publions une interview du scénariste Zidrou. Il nous parle de l’importance pour un auteur ou un dessinateur de voir son travail publié, de le rendre en quelque sorte concret en le tenant en main. Que t’inspirent ces propos ?
Bien entendu, de fait, il s’agit bien d’un certain aboutissement d’un parcours. Le monde pensé et élaboré longuement, poursuit alors son existence à travers d’autres regards. Pour ma part, aussi modeste soit-il, voir son projet finalisé à travers une publication est incontestablement savoureux. Tout le sel de mon récit résidera dans la force de mes personnages. À la lecture, les personnages de François Bourgeon ont, par exemple, une existence réelle à mes yeux. C’est absolument incroyable, de même avec Hugo Pratt ou bien d’autres, impossible de tous les citer. J’aimerais beaucoup détenir cette capacité à rendre mes personnages crédibles.
Tu évoquais la revue Métal Hurlant, à l’époque de celle-ci des journaux et revues existaient en grand nombre pour pré-publier les travaux des auteurs, leur permette de « faire leurs armes », à leur rythme. Penses-tu que cela manque aujourd’hui ?
A l’époque, le concept de la revue Métal Hurlant est né de la volonté de dessinateurs confirmés en manque d’espace nouveau pour mettre au monde leurs univers, de les ouvrir et les proposer à d’autres générations. Il s’agissait aussi d’une révolution graphique et artistique, au même titre que d’autres mouvements innovants dans leur époque et leur contexte, les dadaïstes, par exemple, ou beaucoup d’autres. L’époque était marquée par une certaine effervescence, tout semblait possible ! Des éditeurs « marginaux », passionnés, prenaient des risques… Je pense par exemple pour ma part aux éditions Michel Deligne qui, à l’époque, m’avaient donné une opportunité de publication dans leur revue Spatial, ainsi qu’à bien d’autres jeunes dessinateurs…
Que cela manque, oui et non, je dirais… Je ne sais pas trop. Disons surtout que le contexte à bien évolué, aujourd’hui il y a mille manières d’exister. Et de belles histoires – via le crowdfunding par exemple – naissent parfois grâce aux réseaux entre dessinateurs et éditeurs. Cela dit, l’édition « papier » reste tout de même le must ! D’ailleurs, pour boucler la boucle, le web nous signale en ce moment le retour de… Métal Hurlant, grâce à un crowdfunding réussi. Pour les nostalgiques et les acteurs de l’époque toujours parmi nous, cela pourrait sonner comme « le retour des Beatles » ! Mais pour la nouvelle génération, si je regarde la production actuelle des Humanoïdes Associés, je trouve que ça déménage pas mal, je préfère ça à la nostalgie.
Pour se faire connaître, l’école aussi joue son rôle de catalyseur entre réseaux intermédiaires, pour soutenir la création et la recherche graphique. C’est aussi grâce à elle – et surtout à Philippe Cenci – que j’ai le plaisir d’intégrer 64_page ! Il existe aussi aujourd’hui le concours Raymond Leblanc, qui joue un rôle de promoteur de la nouvelle création. Bref, j’ai l’impression que, quelque part, il y a encore plus d’opportunités aujourd’hui qu’hier, internet jouant un rôle d’ amplificateur.
Cela étant dit, à un niveau plus local, je m’aperçois aujourd’hui que lorsqu’on sort du cadre, ça peut être très difficile. Des collectifs artistiques se créent et disparaissent, malgré des expériences graphiques formidables, des productions sympathiques et des expositions qui méritaient d’être soutenues… La sauce ne prend parfois pas malgré d’indéniables qualités. Il doit y avoir des lacunes au niveau du soutien public. Les pouvoirs subsidiants devraient faire preuve d’une plus grande réactivité pour soutenir ces initiatives, pour que ces artistes puissent plus facilement être financés pour et par leurs productions. Dans certains cas, il y a un réel no man’s land, il faut améliorer les soutiens.
Un petit mot sur tes techniques graphiques ?
Aujourd’hui je maîtrise mieux la chaîne graphique, la colorisation Photoshop, alors qu’il y a à peine deux ans c’était le désert… Je ne savais par exemple pas comment ajouter des calques, etc. Hé oui, je dessine encore à l’ancienne, à l’encre sur du papier. Je crayonne beaucoup, sur base de mon premier canevas de scenario, ensuite je procède au découpage. Je dessine au pinceau et je « griffonne » la page, je la colorie au café (!), j’adore ça pour percevoir la profondeur et les contrastes. On me dit parfois que mes pages issues de cette étape sont meilleures qu’avec mon encrage final… Ensuite je regriffonne par-dessus et quand tout me paraît bon, je scanne et j’imprime en bleu sur un format A3. L’image est alors assez structurée, et je peux encore improviser. C’est un peu comme de la cuisine, mais bon… Parfois ça marche de suite, parfois je dérive au niveau de l’encrage et du découpage. Je reconnais que je n’hésite plus à refaire et recomposer une planche qui me paraîtrait moins agréable, et ce jusqu’à l’étape du coloriage photoshop : là aussi, si un tracé « bouche » un peu, je peux encore modifier et estomper le trait. Cela m’est encore arrivé sur une histoire récente.
Comment envisages-tu tes projets futurs dans la bande dessinées ? Quelles sont tes envies ?
J’ai sous le coude une série d’histoires courtes, une petite vingtaine sont prêtes à être storyboardée. Alors : script doctor bienvenu ! Je n’ai pas d’album à mon actif, mon rêve est donc le même que toute nouvelle recrue en bande dessinée, en publier un. La suite de Fata Morgana, j’y travaille. Je vois ce projet comme une sorte de grand œuvre personnel, auquel travailler en créant simultanément des sculptures en lien avec cet univers, pour faire une chouette exposition au moment de la parution du livre… Albums et sculptures, ça serait vraiment le top. Appel :éditeurs bienvenus !
Avant de nous quitter, quelque chose à ajouter ?
Tout d’abord, un tout grand merci à 64_page de me donner cette occasion de montrer mon travail, de m’exprimer. Et puis, un message à tous les créateurs d’univers et de mondes fantastiques, aux dessinateurs, en herbe ou pas : persévérez et continuez à me – nous- faire rêver ! Terminons par un proverbe : « Le meilleur compagnon pour passer le temps est un livre ». Je ne connais pas son auteur, mais j’espère qu’un jour, ce temps, vous le passerez avec moi…
Merci Michel !
Vous pouvez voir certains travaux évoqués ici sur : http://micheldinunzio.eklablog.com/
Aurélien FRANÇOIS – Night Club
Interview Gérald Hanotiaux
Au début du numéro 21 de 64_page, nos lecteurs trouverons un étrange ballet de planètes, accompagné de dialogues de boîtes de nuit. L’auteur de cette chorégraphie, Aurélien François, nous parle de cette bande dessinée, de sa genèse, et de bien d’autres choses encore…
Gérald Hanotiaux : Pour démarrer cette rencontre, pourrais-tu présenter brièvement à nos lecteurs ton parcours de dessinateur jusqu’à aujourd’hui ?
Aurélien François. J’ai 28 ans et, pour faire court, je suis l’un des nombreux français venu squatter la Belgique pour y faire de la bande dessinée, haha. C’est sans doute un cliché, mais depuis que je suis enfant j’ai envie de faire de la bande dessinée, vraiment… Pour poursuivre ma passion du dessin, j’ai entamé dès le secondaire des études artistiques en France. J’ai fait une formation de « Dessinateur Maquettiste Art Graphique », suivi par un BTS (bac2) en Communication visuelle.
Après un an à travailler pour gagner de l’argent, j’ai repris des cours de modèle vivant avec « Paris Atelier », parallèlement à mon travail. La responsable de cet atelier m’a conseillé de partir en Belgique, en me parlant de l’institut Saint-Luc et de l’École de recherche graphique (ERG), toutes deux situées à Saint-Gilles. J’ai donc terminé le master en Narration – option BD – à l’ERG, il y a un an, en imprimant six exemplaires de ma bande dessinée Lucie(s) (56 pages). Je poursuis aujourd’hui mes études avec l’AESS, l’agrégation de l’enseignement secondaire supérieur. En outre, parallèlement à mon master, j’ai commencé les cours du soir en bande dessinée à l’académie de Watermael-Boitsfort.
Pourrais-tu présenter Night Club, l’histoire en trois pages présente dans notre numéro 21 ?
Night Club est issue de la création avortée d’un fanzine. Il fallait y réaliser un récit de deux ou trois pages maximum, sur le thème « Les planètes sont alignées ». Cela tombait bien, car je porte également un grand intérêt pour les sciences, dont l’espace et l’astronomie. Quand je crée Night Club, je sors du bac3 narration de l’ERG où, pour le bien d’un récit, j’avais précisément rencontré un astrophysicien. J’avais alors encore en tête nos rencontres parsemées de nombreuses explications mathématiques très complexes. L’espace est me semble-t-il très inspirant pour la création de récits, car nous faisons face à de grandes parts d’inconnu, cela laisse beaucoup de place à l’imagination… Voilà le contexte dans lequel est née Night Club.
Au sujet plus précisément de l’histoire en elle-même, je ne voulais pas ici quelque chose de compliqué comme mes récits plus longs… J’aime lire et créer des récits simples, amenant un rire ou un petit sourire. J’ai aussi un côté clown, j’aime faire rire mes amies et amis, même si mes blagues sont souvent mauvaises, hum… Dans ce cadre, le court récit Night Club parle simplement des retrouvailles des planètes qui composent notre système solaire, avec une touche d’humour.
Concernant ton parcours, une responsable d’atelier te conseille donc à Paris de venir rejoindre Bruxelles… Dans notre époque, avec l’évolution de la bande dessinée de ces dernières – disons – décennies, penses-tu que Bruxelles est toujours une référence pour la bande dessinée ? Quels étaient ses critères pour te conseiller Bruxelles ?
J’avoue ne pas connaître avec beaucoup de précision l’origine de ce conseil. Pour essayer de répondre à cette question, je devrais développer deux éléments. D’abord, je pense qu’aujourd’hui, avec l’influence du manga, Bruxelles et la Belgique ont peut-être perdu un peu d’attrait à ce niveau. La preuve, dans mon parcours, est que j’ai moi-même commencé la bande dessinée par le manga. Dans le magasin de fourniture de matériel artistique dans lequel je travaille actuellement, je dois en outre bien constater que les jeunes dessinateurs de bande dessinée évoquent le plus souvent le manga.
Ensuite, le deuxième élément concerne plus précisément mon vécu personnel. Comme je l’ai évoqué, je désire me lancer dans la bande dessinée depuis longtemps. J’ai donc cherché des écoles proches de chez moi, c’est à dire proches de Paris. Les écoles proposant des cours de bande dessinée sont très demandées, pour peu de places. En moyenne, il y a plus de 2.000 candidats pour 20 places, pour un enseignement très cher puisque la plupart sont des écoles privées. Nous parlons, je pense, d’environ 5.000 euros par an pour suivre ces cours.
Au-delà de ces éléments, je ne pense cependant pas que la Belgique et son rapport à la bande dessinée soient globalement sur le déclin… L’argument de la responsable d’atelier était tout de même qu’il n’y a pas mieux que la Belgique pour la bande dessinée. Je l’entends encore régulièrement aujourd’hui de la part d’amis, de clients, de professeurs, etc. La bande dessinée se renouvelle constamment, cela en fait un médium difficile à abattre !
Saint-Gilles et ses écoles de dessin ont connu les pas de nombreux belges devenus des classiques, à commencer par André Franquin (et plus tard de nombreux autres dont François Schuiten, Bernard Hislaire, Frank Pé, Andreas, Guy Peelaert, Philippe Foerster et, même… Benoît Poelvoorde). Que ressens-tu en foulant les mêmes espaces que ces illustres prédécesseurs… ?
J’ai surtout fréquenté l’ERG. Mes quelques cours à Saint-Luc étaient dû à mon temps libre et aux liens entre les deux écoles. Dans ce parcours, en côtoyant des étudiants en bande dessinée de Saint-Luc, qui sont aujourd’hui des amies et des amis, j’ai bien mesuré cette renommée liée à l’accueil de ces futurs grands noms, mais je ne ressens pas de « pression » en marchant dans les couloirs… En réalité, à Saint-Luc on retrouve un pan plus classique de la bande dessinée, tandis qu’à l’ERG nous sommes face à un pan pluridisciplinaire et plus expérimental.
De manière plus générale, que dirais-tu du passage par une école pour appréhender le métier de dessinateur de bande dessinée ? Dans toutes les dimensions de cet enseignement, qu’en retiens-tu surtout comme acquis ?
Pour moi, le passage dans une école est utile. Ce que j’entends par le mot « école », c’est Saint-Luc et l’ERG en cours du jour, mais aussi les académies dispensant des cours du soir. Contrairement à une idée répandue, la bande dessinée n’est en fin de compte pas un métier si solitaire… Ce que ces écoles m’ont surtout apporté est un nouveau point de vue sur la bande dessinée, une amélioration de mon dessin et de ma narration, ainsi qu’un réseau d’amis et de professionnels. J’ai beaucoup acquis grâce à l’ERG et aux cours du soir de l’Académie de Boitsfort. J’ai appris à construire une histoire, à la mettre en scène, à finaliser mon récit. J’ai réellement acquis une réflexion et une pratique de la bande dessinée.
Avec les auteurs qui arrivent vers 64_page, nous évoquons souvent l’état de l’édition en bande dessinée. Comment imagines-tu les possibilités, aujourd’hui, de pouvoir vivre de ses travaux en bande dessinée ?
Je suis plutôt réaliste de ce coté-là. Je sais qu’un auteur-dessinateur gagne peu et qu’il est difficile d’en vivre pleinement. Je me suis donc armé dans l’optique de réaliser mes bandes dessinées tout en travaillant à coté, avec un salaire plus stable, pour financer mes projets en quelque sorte. C’est l’une des raisons qui me pousse à passer l’agrégation d’enseignement secondaire.
Dans notre numéro 21 figure une interview du scénariste Zidrou : il évoque l’importance, dans un parcours de jeune auteur, de voir ses premiers travaux publiés, de pouvoir tenir des pages imprimées en main pour concrétiser le processus… Que penses-tu de ces propos ?
Mes années d’études à l’ERG ont placé mes travaux dans les mains de professeurs, également auteurs-dessinateurs publiés et confirmés, ainsi que dans celles d’éditeurs… Ils ont pu lire mes bandes dessinées et donner leur avis. C’est pareil pour l’avis de mes camarades, à mes yeux également des auteurs-dessinateurs. De plus, les jurys de fin d’année m’ont permis de rencontrer encore d’autres professionnels, qui n’avaient jamais vu mes projets. Globalement, je pense avoir pu bénéficier d’intéressants retours de la part de personnes de référence. Cependant, sans avoir encore lu l’interview de Zidrou, je peux dire ceci : en effet, il est important pour un jeune auteur-dessinateur de tenir son travail publié, d’avoir un objet physique en main. Bien entendu, ce n’est pas la même sensation d’avoir une histoire courte publiée dans 64_page que de tenir son propre album solo entre les mains… Mais dans les deux cas, le plaisir et l’excitation sont au rendez-vous.
Comment faire son trou aujourd’hui ? Faut-il être patient ? Inventif ? Motivé ? Très motivé ?
Question difficile. Un peu de tout ça, je dirais… J’y ajouterais aussi de la chance, haha. Il faut faire tout ce qu’on peut, ne pas hésiter à proposer des projets à des maisons d’éditions, s’auto-éditer, participer à des collectifs, faire du fanzine et des salons pour montrer ce qu’on fait. En fin de compte : être sur le front et se servir ou s’aider de ce qu’on peut pour avancer, petit à petit, dans ce monde… Tout cela étant déclaré en sachant que j’ai du mal à faire tout ce que j’énonce ici, hum…
Tu as évoqué Lucie(s), un travail présenté en fin de parcours d’étudiant, pourrais-tu nous présenter cette création ?
Comme je l’évoquais plus haut, mes récits courts sont souvent humoristiques, les plus longs bénéficiant d’un ton plus sérieux, et peut-être plus réaliste dans le dessin. Ici, l’histoire est plus complexe, Lucie(s) parle de l’influence – bonne ou mauvaise – que nous avons les uns sur les autres. Lors d’une expérience visant à prouver l’existence de mondes parallèles, une IEM (Impulsion Électromagnétique) se propage au sein d’un laboratoire. Lucie, présente lors de l’expérience, commence à se comporter plutôt bizarrement… En conséquence, sa compagne et son entourage sont désemparés. Notre héroïne se retrouve en fait fortement connectée aux « elles » des mondes parallèles. Chaque « Lucie » de ces mondes, avec son propre vécu et son propre caractère, a un impact sur la vie de notre Lucie.
Que pourrais-tu dire au sujet de ton style de dessin, et de la ou les techniques utilisées ?
Mon style graphique est plutôt réaliste, mais j’essaye de m’adapter au type de récit mis en chantier. Selon moi, une bonne bande dessinée tient dans l’harmonie entre le dessin et l’histoire. Si l’histoire et le dessin ne correspondent pas, je ne vais pas accrocher et la lecture me sera laborieuse. Dans cette logique, j’essaie donc de légèrement changer mon style selon ce que je veux raconter (noir et blanc, couleur, dessin, avec contour ou sans contour, aplat, lavis, numérique, etc). Cependant, le plus souvent je pratique une technique au pinceau (lavis, aquarelle, encre de chine,…), ce qui n’est pas nécessairement le plus évident, car j’ai une légère tendance au perfectionnisme et cet outil me fait souvent réaliser des petites erreurs de manipulation…
Quels artistes citerais-tu parmi tes influences ?
Question difficile, à nouveau. Ça dépend des périodes et des récits. Si je veux un récit en contraste de noir et blanc, par exemple, je vais aller chercher vers Frank Miller, Charles Burns ou Gérard Goffaux. Si je veux quelque chose de coloré, j’irai plutôt vers Lorenzo Mattotti, Mathieu Bablet ou Tillie Walden, par exemple. Ça dépend vraiment de mes découvertes et de mes envies. Et puis, mes amies et amis auteurs-dessinateurs m’influencent également beaucoup. Les échanges avec eux me motivent, m’inspirent, et me poussent en avant !
Quels sont tes projets futurs en bande dessinée ?
J’aimerais reprendre les deux bandes dessinées de mon master et les retravailler pour en faire des One Shot plus longs, et surtout mieux écrits. Je travaille aussi sur la mise en page d’un fanzine inspiré du Inktober 2019. Il s’agit d’un challenge destiné aux artistes, qui se résume en quatre règles simples : faire un dessin à l’encre (d’où le nom « ink » = encre et « tober » de october), le poster sur un réseau social, ajouter le hashtag #inktober et #inktober2019 et enfin répéter l’opération tous les jours pendant le mois d’octobre.
Il y a un an, j’ai également commencé un nouveau récit sur l’histoire d’une petite fille réservée, et je réfléchis aussi à la création de nouveaux récits plus ou moins longs. J’aimerais raconter mon expérience comme éboueur en région parisienne, par exemple… Plein d’idées mais trop peu de temps pour les réaliser en ce moment. Et puis hors bande dessinée, j’aimerais reprendre ma pratique de la gravure (lino, bois, métal) et commencer d’autres formations touchant de près ou de loin à la bande dessinée.
Merci Aurélien !
Vous pouvez voir le travail d’Aurélien sur :
Instagram: fr.aurelien Web: https://faurelien93.wixsite.com/aurelien-francois
Les auteur.e.s de demain publié.e.s dans le 64_page #20
Marine BERNARD – Poursuite
Interview Gérald Hanotiaux
Pour en savoir un peu plus sur son travail, nous partons à la rencontre de l’autrice de douze planches de toute beauté – dansantes et colorées – présentées dans le numéro 20 de 64_page. Son nom ? Marine Bernard. Le titre de sa bande dessinée ? Poursuite. Pour vous, en direct de Namur, quelques éléments biographiques…
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter pour nos lecteurs, notamment en regard de ton parcours de dessinatrice ?
Marine Bernard. J’ai vingt-six ans et j’ai étudié l’illustration à l’École Supérieure des Arts (ESA) Saint-Luc de Bruxelles. Après un travail de fin d’études sur les femmes à barbe, je continue à explorer des thématiques liées au corps, au genre, aux relations, le tout marqué par un dynamisme joyeux. Entre autres travaux, j’ai réalisé des illustrations pour la Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familial et la revue Philéas & Autobule.
Actuellement, je suis des cours de bande-dessinée à l’Académie des Beaux-Arts de Namur. Cela me permet de continuer à apprendre, notamment en narration, et de conserver un espace de liberté et d’amusement dans le dessin. À côté de cela, j’anime des ateliers artistiques dans une école spécialisée.
G H : Dans notre numéro 20 tu proposes un travail de douze pages chatoyantes. Comment présenterais-tu cette histoire à ses futurs lecteurs ?
M B : Un jeune prêtre austère part à la recherche de trois religieuses âgées, enfuies du couvent. Il se trouve confronté à leurs étranges célébrations, à leurs corps dansants et à leur vieillesse en liesse. Cela ne parle pas de religion mais plutôt de regard, de rencontre et de joie, avec une grande place laissée à la nature et aux sensations.
G H : Un sentiment émerge lors de la lecture : tes pages peuvent être vues comme un plaidoyer à la liberté. Ces pages sont-elles récentes ? Car dans le contexte difficile que nous vivons, on peut ressentir à leur lecture des envies de libération, notamment en voyant les personnages danser et… se toucher !
M B : Que cette impression ressorte de la lecture, j’en suis ravie ! Oui, tout à fait, le récit part, je pense, d’images qui me manquent. J’ai intégré des normes (de genre, de beauté, de réussite sociale…) qui contraignent les corps, parfois au détriment des ressentis et émotions. En contre-pied est née l’envie de mettre en scène des femmes vieilles et désirantes qui, simplement, célèbrent la vie en elles et autour. Se sentir libre dans son corps, changer son regard… Ces thèmes me tiennent à cœur.
J’ai dessiné cette histoire au printemps dernier. Elle n’a pas été pensée en réaction à la situation sanitaire, où les enjeux sont plus complexes que la liberté individuelle, mais en effet, cela m’a fait beaucoup de bien d’y travailler à cette période. Le mélange entre l’ivresse de la saison et les restrictions a certainement contribué à l’énergie déployée pour ce projet.
G H : Pourrais-tu décrire le style graphique choisi pour ces pages ?
M B : Je l’ai voulu dynamique, expressif. La lumière et les couleurs sont posées par touches, à l’aquarelle et au crayon de couleur. L’ambiance est changeante, comme le regard du personnage principal sur ce qui l’entoure. J’ai tenté de garder un dessin spontané, au service des impressions plutôt que de la précision.
G H : La spontanéité que tu exprimes sur ton trait rejoint les impressions de liberté. Ton trait et ton style évoluent-ils en fonction du type de scénario, des faits évoqués dans l’histoire ou, même, des émotions à transmettre ?
M B : Une part de ma manière de dessiner est en constante évolution. Je choisis une technique et pose certains choix graphiques en fonction de l’histoire. Ici, par exemple, travailler avec autant de couleurs représentait une première pour moi. D’habitude, j’utilise des gammes plus restreintes, avec plus d’aplats. Aussi, je continue à apprendre, bien entendu… Par contre, le trait spontané et le mouvement reviennent souvent dans mes dessins, tout comme dans les thématiques traitées.
G H : Pourrais-je te demander quels auteurs et autrices tu citerais parmi tes influences majeures ?
M B : Il est compliqué de choisir, car il y a en a beaucoup, et chacun pour des raisons différentes… Au moment de dessiner cette histoire-ci, j’ai aimé regarder les œuvres de Charlotte Salomon et d’Alechinsky.
G H : Tes réponses, nous l’avons évoqué, font penser à un style en évolution permanente en fonction de ton état d’esprit, il serait donc également susceptible d’embrasser des influences diverses selon les périodes ? Pourrais-tu développer cet aspect ?
M B : En commençant un projet, il y a souvent une excitation liée à la découverte. J’aime collecter des photos, des couleurs, des œuvres, m’imprégner de tout cela et essayer de nouvelles choses pour aller vers ce que j’ai envie de transmettre. Varier me permet également de renouveler ma manière de regarder. Cela peut aussi signifier changer de technique, de format… Tout cela redynamise le processus. Par exemple, après avoir fini Poursuite, j’avais très envie de sobriété. Cela dit, bien évidemment certaines affinités graphiques se maintiennent d’un projet à l’autre.
G H : Tu as fréquenté des écoles d’art, comment décrirais-tu le rôle d’une école dans un apprentissage artistique ? Y a-t-il une forme d’émulation au contact des étudiants et de leurs manières de travailler, d’avancer dans leurs recherches ? En outre, aujourd’hui tu donnes des cours de dessin, même s’ils se déroulent dans le cadre particulier d’une école secondaire pour des élèves porteurs de handicap, y a-t-il aussi une forme de « retour » d’expérience sur ton propre travail ?
M B : Le rôle d’une école d’art est, me semble-t-il, d’apprendre aux étudiants à développer un regard personnel, en travaillant une pratique plastique placée en parallèle de la culture artistique. Il s’agit également de donner des clés de compréhension du monde culturel, pour permettre d’ensuite se positionner au sein de celui-ci. Le lien avec les acteurs culturels extérieurs a un peu manqué durant ma formation, mais les rencontres d’autres étudiants et les liens créés durant les études peuvent pallier cela. Ils permettent des partages d’expériences, des conseils pour certaines démarches et du soutien, très précieux pour la transition après l’école. Réaliser des projets communs, avoir des retours critiques et de confiance sur son travail, suivre l’évolution des autres, tout cela me permet de continuer à progresser…
En ce qui concerne mes élèves, j’apprends beaucoup à leur contact, les échanges sont riches. Ils ont des perceptions, des sensibilités, des centres d’intérêts très variés et beaucoup de choses à exprimer. Pour certains, le résultat n’est pas aussi important que le fait d’y travailler, le plaisir de réaliser. Ils y mettent une énergie assez communicative ! Et puis quand je travaille sur mes projets, je suis souvent seule. Dès lors, avoir à côté une dimension humaine autour du dessin et me confronter à d’autres manières de voir les choses, c’est très nourrissant.
G H : Pour finir, une question classique : quels sont tes projets actuels ? Travailles-tu sur de nouvelles bandes dessinées, ou éventuellement sur un projet de livre?
M B : Je travaille sur une série d’illustrations. Elles revisitent les représentations de la sexualité lesbienne, un travail lié à une recherche de mémoire collective sur la culture lesbienne au sens large, via des archives, des personnalités historiques, des œuvres réalisées par des femmes contemporaines ou du passé. Cela prend doucement la forme d’un livre. J’aimerais beaucoup revenir ensuite à la bande dessinée.
Merci Marine !
Vous pouvez voir le travail de Marine Bernard sur : https://www.facebook.com/mBDillustration/
Paul PIROTTE – Toro
Interview Marianne Pierre
Marianne Pierre : Parle-nous de Toro, de sa genèse: comment t’es venue l’idée? Et peux-tu nous raconter l’histoire de Toro?
Paul Pirotte : Dans mon enfance, j’ai longtemps dessiné des héros de guerre, des chevaliers dans un monde fantastique et pas mal de monstres.
Bien plus tard, j’ai retrouvé ces dessins dans ma cave. Je me souviens qu’à l’époque, je parlais déjà de créer une bande dessinée avec des potes. Mais je ne suis jamais allé jusqu’au bout. Je trouvais que faire une belle bande dessinée prenait vraiment beaucoup de temps.
L’idée de créer cette bande dessinée est venue en mars 2020. J’ai réalisé un dessin dans lequel un guerrier chevauche un taureau et rentre dans une caverne. j’ai posté par la suite ce dessin sur les réseaux sociaux et des amis m’ont dit : « A quand la BD? ». Évidemment, le déclic s’est fait.
Aujourd’hui, j’ai une approche vraiment différente de l’image du guerrier comparé à quand j’étais gosse. Je trouvais ça plutôt chouette de reprendre mes guerriers « surpuissants » de la cave et d’y ajouter aujourd’hui un guerrier noir en quête de sens.
Toro est un personnage s’aventurant vers un point de non-retour. Vers une vie souterraine où les peurs et créatures de sous terre lui font obstacle.
M P : Quelle est la technique utilisée?
P P : Je suis un amoureux du crayon noir. Sa brutalité et les nuances du noir font écho en moi. Bien sûr, je découvre d’autres techniques comme l’encre noire, le pastel gras noir, le fusain… J’aime vraiment expérimenté toute sorte de techniques pour apporter de la profondeur àl’histoire de Toro.
M P : Comment construis-tu un scénario? Est-ce une étape difficile pour toi?
P.P. : J’ai plusieurs carnets pour écrire l’histoire de Toro. Je compose et réalise des story board avant de passer sur mes planches. En général mes idées fusent lorsque je suis sur le point de dormir. Ce qui est assez frustrant puisque je n’ai pas envie de réveiller ma compagne. Du coup, je garde mes idées jusqu’au lendemain en espérant que je ne les oublie pas.
Pour ce qui est de la deuxième question, il y a des jours où tout semble facile à raconter et d’autres pas.
M P : As-tu des inspirations en général, et en particulier pour Toro (inspirations BD)?
P.P. : Je ne m’inspire pas de bande dessinée à proprement parlé mais plus de contes, de légendes, du merveilleux. Je peux facilement regarder une oeuvre d’un artiste pour en déceler toute l’atmosphère et me créer une histoire autour.
Pour citer des noms : Pierre Dubois, J.R.R Tolkien, Jules Verne, Kentaro Miura, Kay Nielsen, Batman, John Howe, Moebius, Donnie Darko, MC Escher, le secret de Ji, L’histoire sans fin, Labyrinthe (avec David Bowie, si si, je vous jure), Dark City, … Et tant d’autres.
J’aime particulièrement les histoires sur le temps.
M P : As-tu envoyé Toro à des éditeurs?
P.P. : Oui mais sans réponse pour l’instant.
M P : Quels sont tes projets?
P.P. : J’aimerai faire éditer Toro, continuer son histoire et bien sûr dessiner encore et encore
Pour découvrir le travail de Paul Pirotte : https://paulpirotte62.wixsite.com/paulpirotteart Instagram : @paul_pirotte
Sandrine CRABEELS – En Animal
Interview Philippe Decloux
CRABEELSPhilippe Decloux : Dans ta petite présentation pour 64_page, tu dis que tu reviens à tes amours l’illustration narrative. Raconte-nous ton cheminement depuis ton diplôme en communication visuelle?
Sandrine CRABEELS : Je suis sortie de l’ERG EN 1997, j’y ai étudié la bande dessinée, la première année, et suis passée au cours d’illustration avec Marianne De Grasse les suivantes. L’important pour moi était de raconter des histoires et de produire des images. Un peu plus tard j’ai proposé mon travail de fin d’études sur Carmen (opéra de Bizet) à la foire Bologne et j’ai été sélectionnée. Mais cela n’a pas débouché sur une publication alors je me suis tournée vers le graphisme pour continuer de travailler dans l’image et gagner ma vie. Après plusieurs expériences dans différents studios (j’ai notamment travaillé chez Levi’s), j’ai fondé le mien à Liège en 2004, crab’graphic, et me suis plongée dans les projets de mes clients : beaucoup d’identités, des sites web, des brochures d’entreprises, des publications pour le secteur culturel. J’ai bien sur continué à dessiner et j’ai produit pas mal d’illustrations pour mes clients.
-PH Dx : Nous avons tous, un jour ou l’autre, imaginé les personnes que nous rencontrons En animal. Tu te mets en scène dans cette courte BD bien enlevée et lumineuse. C’est une sorte de conte joyeux, les métamorphoses n’y sont pas dramatiques. D’où te vient ce récit ? Comment l’as-tu construit ? Les BD où l’auteure se met en scène sont assez rares. Pourquoi ce choix ?
S C : J’aime beaucoup la description que tu fais de mon travail :-). Je travaille depuis déjà un an sur un long récit graphique, une aventure dans un univers onirique. Quand j’ai découvert 64_page j’ai eu envie de proposer quelque chose, mais je n’avais rien sous la main. Et puis j’ai fait ce rêve, une histoire courte bien construite, en plein dans mon univers. Je me souviens même avoir pensé, endormie, « La voilà, mon histoire! » J’ai pris ce cadeau de mon inconscient (une sorte d’écriture automatique) et je l’ai retranscrit en bd. J’ai juste inversé un passage ou l’autre pour lui donner plus de teneur.
Comme il s’agissait d’un rêve j’étais la protagoniste principale et des personnes de mon entourage tenaient les rôles secondaires. J’ai choisi de garder le rôle principal et donner d’autres noms aux personnages secondaires, mais certain·e·s se reconnaîtront peut-être, s’il·le·s lisent le 64_page !
Ph Dx : Où as-tu découvert 64_page? Quel intérêt vois-tu dans cette publication?
S C : Sur Facebook, la page « Soutien public à la bande dessinée » relayait une info de la publication. Curieuse, j’ai découvert le site web, reconnu Olivier Grenson et Vincent Baudoux qui m’ont donné cours à l’ERG (dont j’ai gardé d’excellents souvenirs). Je me suis abonnée.
C’est extra de donner une visibilité aux jeunes auteurs, de découvrir des talents, des univers très différents, vierges des impératifs commerciaux, plus « purs ». C’est inspirant, ces découvertes.
Ph Dx : Quels sont tes projets ? Comment vois-tu ton parcours dans la BD ou/et l’illustration?
Il y a ce récit graphique sur lequel je travaille, il me faudra sans doute encore 2 ans ou plus pour aboutir. D’autant que je continue d’assurer mon travail au sein de crab’graphic.
L’an dernier j’ai sorti un outil thérapeutique, suite à une rencontre avec une psychothérapeute. C’est un outil qui existait (le jeu de l’oie systémique) ; j’ai tout redessiné et je l’ai produit pour le vendre aux thérapeutes intéressés. Ça marche plutôt bien, aussi je travaille à présent sur un nouvel outil, un jeu de carte, un « photolangage » toujours destiné aux thérapeutes. Je conçois chaque carte comme un mini-récit, toujours dans un univers onirique, le travail est validé (ou amendé) par mon amie psychothérapeute.
Ph Dx : Ton parcours est déjà bien dense et tu as un vécu comme dessinatrice, qu’aurais-tu envie de dire aux auteur.e.s plus jeunes qui font leurs premiers pas dans 64_page ?
S C : Croire en ses rêves, se donner les moyens d’y arriver et surtout, tant que possible, profiter de la route… !
Pour faire connaissance avec le travail de Sandrine : www.crabgraphic.com Instagram : @sandrine.crabeels
Corentin MICHEL – Attraction lunaire
Interview de Gérald Hanotiaux
Dans le numéro 20 de 64_page, l’auteur rencontré aujourd’hui propose une bande de trois planches intitulée Attractionlunaire, qui nous plonge dans une ambiance de douce science-fiction… Depuis la région de Charleroi il nous livre quelques repères biographiques, agrémenté de réflexions sur le monde de la bande dessinée.
Gérald Hanotiaux. Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Corentin Michel. J’ai trente-neuf ans, j’ai deux enfants, deux garçons de neuf et onze ans, et je suis architecte. Je dessine depuis tout petit et, à l’école primaire déjà, je suivais un cours dans lequel j’ai pu expérimenter un tas de techniques de dessin et de peinture. Je dois avoir commencé mes premières bandes dessinées vers douze ans. J’ai choisi l’architecture comme discipline professionnelle, en partie pour la présence du dessin dans le travail. Après mes études, j’ai suivi les cours de bande dessinée de Philippe Cenci à l’Académie de Boitsfort, pendant un an ou deux. Ensuite j’ai décroché, je n’étais pas très régulier et mon travail a pris le dessus. Je suis resté sans faire de bande dessinée pendant quelques années, et ne dessine malheureusement plus du tout dans mon métier. Il y a trois ou quatre ans, je m’y suis remis et suis retourné aux cours de Philippe Cenci, à l’Académie de Châtelet cette fois.
Bon retour dans le monde de la BD ! Pour allécher nos lecteurs, comment présenterais-tu le travail en trois pages présent dans ce numéro, tant au niveau scénaristique qu’au niveau du style graphique adopté ?
Cette histoire en trois planches a été réalisée pour le concours Jeunes Talents d’Angoulème. Comme il s’agissait d’une histoire courte, au niveau du style c’était l’occasion de tester quelque chose de différent. Je dessine habituellement sur tablette mais je suis parti, ici, sur des planches entièrement réalisées au crayon. On peut d’ailleurs encore y voir les traits de recherche, un moyen d’obtenir un résultat au style plus « spontané »… Par la suite, je suis repassé à la tablette pour poser les couleurs. À ce sujet, je suis resté dans une gamme limitée, pour tenter d’avoir un rendu plus « contemporain », avec un contraste composé d’un mélange de turquoise et d’orange.
Au niveau du scénario, l’histoire est le mélange de deux idées. L’une vient d’un article sur des architectes travaillant déjà sur de futures bases lunaires, l’autre repose sur un reportage racontant l’histoire d’un type du fin fond des Etats-Unis, dont la vie entière a été habitée par la construction d’appareils pour communiquer avec l’espace. J’ai pensé au personnage, assez classique, du savant fou vivant dans une base spatiale pour y préparer des plans machiavéliques. Sauf que dans mon cas il s’agit d’une femme, ce qui influence l’interaction avec le personnage présent sur terre. Il s’ensuit un démêlé absurde…
Quelle a été la motivation de saisir cette opportunité d’une publication dans notre revue ? Plus globalement, que dirais-tu des possibilités / difficultés pour un débutant, aujourd’hui, de faire connaître son travail ?
L’avantage d’être publié dans un magazine comme 64_page, c’est d’être lu par un plus grand nombre. La plupart du temps, ce que l’on dessine en tant qu’amateur finit au fond d’un tiroir, puis on passe à autre chose. L’idéal serait évidemment d’être publié par un éditeur mais pour cela il faut atteindre un très bon niveau. Le reste du temps, il y a les réseaux sociaux, je poste des dessins sur Instagram, ainsi que quelques planches. Pour ces dernières, le format s’y prête assez peu, il faut presque redécouper chaque planche classique en cases, afin que l’histoire puisse être lue. En outre, poster là signifie aussi être vite noyé dans un flux continu d’images.
En effet, si l’on se balade sur internet il semble y avoir pléthore de dessinateurs. Impossible de savoir s’ils sont plus nombreux qu’avant, ou si ce sont les occasions de voir leur travail qui se sont multipliées… Un peu des deux sans doute.
Pour ma part, Instagram m’a surtout permis de découvrir énormément d’illustrateurs à travers le monde, ce qui est une source de motivation et d’inspiration. Il y a également quelques bonnes chaînes Youtube avec des conseils et des interviews d’illustrateurs, de « concept artists » travaillant dans le jeu vidéo ou d’autres secteurs,… De plus en plus d’illustrateurs présents sur Instagram créent leur chaîne Youtube, afin que leurs abonnés découvrent leur manière de travailler, mais aussi leur vie de tous les jours, leurs voyages,… Il ne suffit plus d’être bon en dessin pour sortir du lot, il semble falloir se créer une « image complète » pour bénéficier d’un suivi et, éventuellement, d’un public qui voudra ensuite acheter nos créations. Tout cela demande du temps.
Dans le passé, de nombreuses revues existaient pour permettre aux auteurs de s’occuper de l’animation d’un journal, de petites illustrations, puis d’histoires courtes, etc. Le fait d’être publié permettait d’avancer à son rythme tout en se confrontant au regard du public. Tu l’évoques plus haut, pour les éditeurs aujourd’hui il semble qu’il faille être très bon tout de suite. En quelque sorte, ils peuvent se diriger directement vers ceux qui correspondent à leurs attentes. Le corollaire ce cette situation ne serait-il pas un mouvement convergent vers une certaine homogénéité ?
Je ne sais pas si les dessinateurs convergent vers un même style de manière consciente, pour répondre à des attentes d’éditeurs… Il est difficile d’avoir une vue d’ensemble. Je suppose qu’à chaque époque, les dessinateurs ont dû être influencés par les auteurs appréciés, comme dans beaucoup de domaines artistiques. Par contre, mon impression est que les outils numériques aboutissent à beaucoup de travaux aux styles semblables. Sur Instagram, on trouve un tas de profils de jeunes dessinateurs présentant les mêmes personnages, les mêmes couleurs et les mêmes effets de lumière, le tout réalisé avec les mêmes outils Photoshop.
En tous cas, au final il ne semble pas y avoir de style standard dans les achats des lecteurs. Sur les sites présentant les meilleures ventes, on trouve de tout : du manga aux romans graphiques, du nouveau Lucky Luke à l’Arabe du Futur en passant par un pavé de Science-Fiction. Je trouve ça rassurant, n’importe quel type d’histoires et de dessins peuvent encore émerger, de manière inattendue.
On a en effet également l’impression, quand on va dans une (bonne) librairie, d’une grande diversité de travaux et de styles, surtout dans les publications de petits éditeurs, souvent peu rémunérateurs… Comment faire sa place de dessinateur aujourd’hui, tout en espérant voir son travail correctement rémunéré ?
Je ne sais pas très bien comment de jeunes dessinateurs peuvent se lancer aujourd’hui. En regard des avances sur droits et du pourcentage de droits d’auteur assez faibles – à diviser s’il y a plusieurs intervenants – il est difficile d’imaginer vivre du dessin sans avoir un travail « alimentaire » en parallèle. De plus, l’impossibilité pour les libraires de mettre en vitrine et en évidence les parutions, tellement elles sont abondantes, doit faire passer certaines bandes dessinées directement à la trappe, sans leur laisser une chance d’être découvertes. Quand j’étais petit je lisais les Spirou de Franquin, vieux déjà de quarante ans. Aujourd’hui, les BD ont l’air d’avoir une durée de vie d’un mois !
Quelle serait la situation idéale pour démarrer aujourd’hui, en tenant compte des différents éléments évoqués ci-dessus ?
Difficile à dire, mais peut-être y a-t-il une piste vers la bande dessinée en ligne, qui commence à se développer. Bon, de ce que j’ai lu, le rythme imposé semble être d’un épisode de 40 à 60 cases par semaine, soit l’équivalent d’une planche finie par jour avec les couleurs, ce qui me semble infernal. Mais peut être que, plus jeune, ça m’aurait plu.
Ce défilement vertical permet d’explorer une autre mise en page, où l’on découvre chaque case du haut vers le bas. Cette présentation, par exemple, permet d’explorer des narrations nouvelles au sein d’une même grande case. En tout cas, ça donne envie de le tester au moins une fois… Dans notre contexte actuel, cela semble être une suite « logique », c’est à dire une opportunité face aux adolescents rivés plusieurs heures par jour sur un écran : il devrait être faisable de leur intercaler un créneau webtoon… Cela permet également de découvrir des BD que l’on n’aurait pas achetées en version papier et, accessoirement, de ne plus avoir sa maison remplie de livres lus une seule fois, qu’on ne sait pas où caser.
Tu évoques brièvement la question des influences et des auteurs qu’on a aimé… Qui citerais-tu parmi les auteurs marquants pour toi ?
J’ai commencé la bande dessinée, sans grande originalité, en recopiant des dessins d’Hergé et de Franquin… Mon premier choc visuel a dû être les Idées Noires de Franquin, dont le dessin ne ressemblait à rien de ce que j’avais déjà lu. Ensuite, je citerais les albums de Tome et Janry, dont j’adorais le dessin et le scénario. À sa sortie, leur dernier Spirou, Machine qui rêve, m’avait vraiment motivé à dessiner. Dans un autre registre, j’ai lu et relu La Malédiction des sept Boules Vertes de Laurent Parcelier, mais je ne suis pas sûr que cette série soit très connue. Les dessins n’étaient pas toujours parfaits mais j’y trouvais énormément de bonnes trouvailles au niveau du scénario. La première BD plus longue que j’ai dessinée jusqu’au bout, quand j’étais adolescent, en était fortement inspirée.
Je découvre ensuite Lewis Trondheim et tous ses amis, avec Lapinot, Donjon puis tous les autres albums qu’il a réalisés ou auxquels il a collaboré. Je suis toujours loin d’avoir fait le tour de son travail… Lorsqu’il s’impose des contraintes en démarrant un album, il arrive toujours à un résultat différent des BD habituelles. Dans Les Carottes de Patagonie, par exemple, il se lance dans une histoire improvisée de 500 pages et clôture à la page 500, que l’histoire soit finie ou non. Il recrée un peu le même processus avec Les Herbes Folles, un album récent de Lapinot, pour lequel il a publié chaque jour un dessin sur Instagram, du 1er janvier au 31 décembre. En démarrant, il n’a aucune idée d’où il va, mais il débouche au final sur un OVNI de 365 pages. De temps en temps, je me lance dans une BD improvisée, mais je finis hélas toujours par décrocher… Se lancer ce genre de défi a un côté excitant, mais le plus dur est de s’y tenir dans les temps prévus. Les auteurs que j’aime le plus réalisent des albums comprenant une idée par case, avec un vrai rythme dans l’histoire. C’est la raison pour laquelle certains romans graphiques, où les auteurs se complaisent dans des cases d’ambiance à n’en plus finir, me tombent généralement des mains…
Au niveau du scénario, les lectures qui m’ont le plus fait aborder mes histoires différemment sont les livres de Stephen King. Dans tous ses romans, les personnages font l’histoire, pas l’intrigue. Au bout des cinquante premières pages, ils existent réellement, on se sent concerné par ce qui leur arrive et on y croit. Arrivé à la dernière page, on est presque déçu de les quitter… Rien de pire qu’une histoire où le personnage principal est ambigu et non-attachant, où le fait qu’il meure à la page suivante nous laisse indifférent. À tous ceux qui voudraient se lancer dans le scénario, je conseille son livre Écriture – Mémoires d’un métier. On se sent galvanisé après l’avoir lu, comme si le fait d’écrire allait ensuite couler de source… Bon, dans les faits hélas, ça ne se passe pas vraiment comme ça, mais il faut l’avoir lu au moins une fois !
Quels sont tes projets pour la suite ? Travailles-tu sur de nouvelles histoires, sur un projet de livre ?
Pour le moment, je dessine l’adaptation d’un roman lu étant petit, Le Dernier des Vampires, de Willis Hall, destiné aux dix-douze ans. J’en suis à la page 8, sur 46. Je compte l’envoyer à un éditeur mais je voudrais surtout le terminer avec certitude, même si le projet n’est pas pris. Je me suis également lancé il y a quelques mois dans l’écriture de scénarios, et je viens de terminer le découpage de deux histoires en 46 planches. Vu que je dessine assez lentement, faire uniquement le découpage me permet d’aller rapidement au bout de mon idée. Cet aspect créatif m’intéresse de plus en plus. Il ne me reste plus qu’à trouver un dessinateur pour se lancer dans l’aventure, car si je dois les dessiner moi-même après Le Dernier des Vampires, j’y serai encore dans dix ans. (NDLR. Avis aux amateurs et amatrices) Sinon, je viens également de finir mon découpage de quatre planches, à présenter prochainement pour… le 64_page spécial Polar à venir ! Y a plus qu’à …
Merci Corentin !
Vous pouvez voir le travail de Corentin Michel sur : https://www.instagram.com/corentin_mitchoul/
Les grandes interviews de Gérald . 2
Lison FERNÉ
L’autrice Lison Ferné a publié ses travaux dans deux numéros de 64_page : Le mariage dans notre numéro 3 et Iceman dans notre numéro 8. Poursuivant son chemin, elle atteint un premier aboutissement au début de l’année 2020 en publiant son premier album – aujourd’hui primé – chez CFC Editions : La déesse requin.
Gérald Hanotiaux : Parmi les autrices et auteurs publiés dans 64_page, tu fais partie depuis un an du « club » – de plus en plus grand – de celles et ceux ayant publié ensuite leur premier album. La déesse requin a paru il y a déjà un an : avec ce léger recul, pourrais-tu évoquer cette expérience d’une première publication, tout en présentant la thématique du livre et ce qui t’a motivée dans cette histoire ?
Lison Ferné : L’histoire de La Déesse Requin s’inspire d’un conte chinois apparenté à la Petite Sirène, d’Hans Christian Andersen. De ce récit, j’ai avant tout voulu faire ressortir cette porosité entre monde animal et monde humain. Je trouvais très intéressant ce côté hybride et un peu bizarre de l’univers du conte. Le personnage principal concentre cela : elle a une forme humaine la plupart du temps, mais est originaire d’un monde animal, elle adopte ainsi leurs intérêts dans l’histoire.
En terminant ce projet, je me suis rendu compte qu’il me tenait vraiment à cœur, non seulement dans les thèmes abordés mais aussi pour l’aspect graphique. J’avais vraiment envie d’y croire, même si je savais qu’il me faudrait sans doute retravailler pas mal de choses, j’y étais prête. Je me suis lancée dans la recherche d’un.e éditeur.ice et à partir de là, tout est allé très vite.
Gérald : Ton éditeur, CFC Editions, n’est pas un éditeur habituel de bande dessinée. Leur travail éditorial nous semble particulièrement intéressant, notamment au sujet du patrimoine culturel et architectural bruxellois… Le voir s’intéresser à la bande dessinée est pour nous une excellente nouvelle. Pourrais-tu évoquer ton sentiment sur le fait d’être éditée par un éditeur a priori non spécialisé dans cette discipline ? Comment avez-vous travaillé, de quel accompagnement éditorial as-tu pu bénéficier ?
Lison : Le plus intéressant, dans le processus d’édition, tient dans un grand travail de relecture réalisé en collaboration avec mon éditrice. Grâce à ce regard extérieur, j’ai pu peaufiner mon histoire, en améliorer beaucoup de visuels… J’ai énormément appris, et la confiance de la maison d’édition m’a été très précieuse.
Comme vous l’avez dit, CFC publie très peu de la bande dessinée, ainsi d’ailleurs que peu de livres en général. Iels apportent énormément de soin à leurs productions, c’est un des aspects de leur travail qui m’a beaucoup touché. La facture de La Déesse Requin est très soignée : la qualité du papier, de la couverture et de l’impression assurent comme résultat un très bel objet.
Gérald : Depuis ce 9 janvier 2021, tu fais également partie du club des premiers albums aux qualités reconnues, puisque tu as reçu le prix Artemisia Écologie. À 64_page, cela nous fait chaud au cœur. Avant tout pour toi, bien sûr, mais aussi pour notre projet, car ce prix appuie une pertinence certaine de nos choix. Pourrais-tu évoquer tes sentiments personnels face au fait d’être primée, mais aussi l’impact imaginable de ce prix sur la suite de ton parcours d’autrice ? En outre, que penses-tu de le recevoir au nom de l’écologie ?
Lison : J’ai été très surprise et ravie de ce prix, je ne m’y attendais pas du tout ! De plus, je suis vraiment honorée d’avoir reçu la mention « Écologie », si importante pour moi. Penser que mon travail puisse aider dans ce domaine, ne serait-ce qu’un peu, me fait vraiment chaud au cœur. Cette mention devrait sans doute aider à diffuser plus largement cet album.
Gérald : Ce prix tire son nom de l’artiste italienne Artemisia Gentileschi, peintre du 17ème siècle. L’objectif du prix, lancé en 2007 par les autrices Jeanne Puchol et Chantal Montellier, est de mettre en avant la production des femmes dans la bande dessinée. Que représente ce prix pour toi ?
Lison : Au sujet du prix Artemisia en lui-même, je connaissais ce prix de nom, et iels font un travail remarquable. Je trouve ça très important que de tels prix existent. A mon avis, c’est une des façons de changer le monde à l’échelle de chacun.e : s’allier pour donner plus de visibilité à celles et ceux qui en ont moins.
En tout cas, ça me motive encore plus pour faire des efforts dans de prochains projets !
Gérald : Dans les numéros 3 et 8 de notre revue, tu as proposé deux exemples de ton travail, qui semble explorer une palette de styles très variés. Dans ton album, tu présentes des planches somptueuses en noir et blanc, tracées à la plume et à l’encre de chine. Peux-tu nous parler du style graphique choisi pour le livre ? Pourquoi celui-là, pour cette histoire-là ?
Lison : Effectivement, j’aime diversifier les techniques et explorer de nouveaux univers graphiques grâce à de nouveaux médiums.
À l’origine, pour raconter l’histoire de La Déesse Requin, j’avais dans l’idée d’utiliser deux styles graphiques différents, l’un en couleur et l’autre en noir et blanc. Par le graphisme, je voulais marquer la rupture entre les deux univers de l’histoire. Après plusieurs essais en couleur, je me suis rendu compte que l’encre de chine et la plume me permettaient plus de dynamisme, ainsi que plus de détails dans les scènes à représenter. C’est pour cela que j’ai finalement choisi de l’utiliser du début à la fin.
Gérald : Quelle est l’importance de tester différents styles, pour éventuellement trouver le tien ? Dans la suite de cette idée, que dirais-tu de l’intérêt de trouver des supports de publication, pour pouvoir continuer à explorer ces styles ? Quelle place a pris les publications dans 64_page, au sein de ton parcours ?
Lison : Quand on publie une histoire, il y a quelque chose de très concret qui ajoute beaucoup d’excitation à un projet. On a vraiment l’impression d’avoir accompli quelque chose, quel que soit le support. Aussi, une sensation étrange et un peu impressionnante apparaît lorsqu’on se rend compte que son travail va être lu par d’autres personnes, qui nous sont souvent totalement inconnues. On offre vraiment son travail à un public plus large, et c’est très enrichissant d’obtenir des retours de cette manière. Pour cette raison, j’ai adoré participer à 64_page. Pour moi, c’était vraiment un premier pas professionnel, une sorte d’entrée officielle dans le monde de la bande dessinée.
Gérald : Avant ce premier album, tu as également fait partie de l’aventure du fanzine Bien, monsieur, lauréat en 2018 du « Prix de la Bande Dessinée Alternative » au festival d’Angoulême. Pourrais-tu nous parler de cette aventure éditoriale ?
Lison : Bien, Monsieur est une revue de bande dessinée qui réunit plusieurs auteur.ice.s sur des thèmes d’actualité. J’ai eu la chance d’y publier une petite série, en cinq épisodes, traitant du féminisme et de l’aïkido, deux thèmes que je voulais réunir dans une histoire sous forme de conte. L’expérience était réellement enrichissante, car nous étions totalement libres, tant pour les thèmes abordés que pour le traitement graphique. J’ai pu explorer des techniques que je n’utilisais que rarement auparavant. C’est d’ailleurs là que j’ai commencé à m’approprier l’encre de Chine et la plume. De plus, humainement, c’était aussi une belle aventure. Avec les autres membres de Bien, Monsieur, nous nous retrouvions régulièrement lors de salons, ou lors de vernissages.
Gérald : Tu as fréquenté l’ERG à Bruxelles, l’école de recherches graphiques. Quelle importance cela représente-t-il de passer par l’enseignement artistique ?
Lison : Les écoles sont selon moi importantes, en particulier pour les liens que l’on peut y créer, avec les autres étudiant.e.s comme avec les professionnel.le.s qui y enseignent. On y diversifie ses références et sa culture, on s’ouvre beaucoup grâce à cela. J’ai aussi eu la chance d’avoir de très bon.ne.s enseignan.t.e.s, qui m’ont permis de développer mon art de la meilleure façon, sans chercher à imposer un style en particulier ou à me faire rentrer dans un cadre. En cela, j’ai vraiment passé un excellent moment à l’ERG.
Gérald : Question classique, pour terminer : as-tu déjà un nouveau projet de livre ? Sur quoi travailles-tu, que peut-on attendre pour assouvir nos plaisirs de lecteurs et lectrices ?
Lison : Plutôt que sur de la bande dessinée, je travaille pour le moment sur des recueils d’illustrations, une autre part importante de mon travail. Un livre est en préparation sur des créatures fantastiques, et un autre sur des sirènes masculines. Cela m’enthousiasme beaucoup ! Je n’ai pas encore de nouveau projet de bande dessinée en cours, mais ça ne saurait tarder…
Merci Lison !
(Février 2021)
Vous pouvez voir le travail de Lison Ferné sur :
https://lisonferne.wixsite.com/lisonferne
Les grandes interviews de Gérald . 1
Aurélie WILMET
La jeune autrice rencontrée aujourd’hui rejoint le groupe, de plus en plus large composé de celles et ceux publiant un premier album après être passée par notre revue 64_page. En outre, cela se réalise de manière brillante : elle a reçu le prix de la première œuvre en bande dessinée pour l’année 2020, au sein des Prix littéraires de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Son album « Rorbuer » est publié par Super Loto Éditions.
Gérald Hanotiaux : Bonjour Aurélie, pour démarrer, pourrais tu te présenter à nos lecteurs, tout en évoquant ton parcours de dessinatrice ?
Aurélie Wilmet : Née à Bruxelles en 1991, j’ai très vite réalisé que j’aimais dessiner, avec le projet d’un jour poursuivre des études dans ce domaine. J’ai également compris qu’il allait me falloir de la détermination pour avancer et rester fidèle à mes choix, dans une famille pas toujours en accord avec mes décisions et plutôt adepte de cette idée que « L’art et la culture sont des passions et non des métiers d’avenir ».
Plus que déterminée, j’entame des études secondaires à Saint-Luc Bruxelles en Arts plastiques. En 2010, je tente l’examen d’entrée pour le bachelier d’illustration à l’Ecole Supérieure des Arts (ESA) Saint-Luc Bruxelles où, hélas, j’échoue. Un peu perdue, je me dirige vers une première année de bachelier à l’ESA « le 75 », en peinture, en attendant l’année suivante pour retenter l’examen d’entrée de Saint-Luc. Je qualifierais cette année au 75 de « déconcertante et libératrice » au cours de laquelle je découvre le laisser aller dans le processus créatif, et l’exploration de soi dans la recherche.
En 2011, après de nombreuses hésitations, je retente l’examen d’entrée et j’intègre l’ESA Saint-Luc en Illustration. J’apprends la technique, la décomposition d’un récit, la création d’un scénario… et je comprends mon manque d’une liberté d’expression, une autonomie, pourtant découverte lors de mon année de peinture au 75. Pour cette raison, j’entame en 2014 un master en « Narration spéculative », option « Illustration bande dessinée » à l’École de recherche graphique (ERG). Je découvre mon style, le feutre et les crayons de couleur, et les sujets qui me passionnent. C’est durant ce cycle d’études qu’est démarré « Rorbuer », en 2016, après un voyage en Norvège où je découvre le folklore et les contes nordiques.
Insatisfaite par le projet présenté lors de mon jury, je le place sur le côté jusqu’en 2017, (ndlr: dans son N°11 d’avril 2017, la revue 64_page prépublie 8 pages de Rorbuer) moment où je le retravaille et obtiens la bourse « découverte », réservée aux jeunes auteurs de bande dessinée de la fédération Wallonie Bruxelles. En 2018, je pars vivre et travailler au Québec pour me recentrer et terminer le projet « Rorbuer »,et enfin le présenter à des éditeurs.
En 2019, Super Loto Editions me propose de le publier : commence alors cette « Super aventure », qui mènera à ce prix de la première œuvre en bande dessinée, reçu le 1er décembre 2020.
Gérald : Dans le numéro 11 de 64_page certaines de tes planches ont été publiées, extraites déjà de Rorbuer. Le prix reçu pour ton premier album prouve en quelque sorte que ce travail de prépublication et de découverte a tout son sens, nous avons manifestement eu raison…
Pourrais-tu expliquer ta motivation à publier ces pages dans notre revue ? Et quel rôle peut jouer le fait de se voir publiée, dans un processus d’élaboration de premiers travaux ?
Aurélie : J’avais déjà entendu parler de 64_page pendant mes études, mais je ne m’étais malheureusement jamais penchée sur le travail de cette revue qui aujourd’hui me semble être primordial. C’est en me rendant à la « journée rencontres » du Centre belge de la BD avec les premières planches de « Rorbuer », en 2016, que j’ai réellement découvert la revue et son travail de découverte de jeunes auteurs. C’est au cours d’une discussion avec Philippe Decloux que j’ai réalisé l’ampleur du projet de 64_page, mais aussi mon envie de faire partie de l’aventure en proposant le début de cette histoire qu’est « Rorbuer ».
64_page est devenu un tremplin pour les jeunes auteurs qui souhaitent, non seulement gagner une première visibilité, mais également prendre confiance dans les projets qu’ils souhaiteraient soumettre par la suite à des éditeurs. Personnellement, cette première publication m’a encouragé à continuer ce projet, il me tenait à cœur mais, comme c’est souvent le cas hélas, je manquais un peu de confiance en moi, je n’étais pas certaine qu’il ait suffisamment d’intérêt pour être proposé à des éditeurs.
Gérald : Que penses-tu du rôle d’un prix dans l’émergence d’une nouvelle autrice… Peux-tu déjà mesurer les répercussions d’une telle visibilité?
le prix qui couronne
son premier album
Aurélie : Non, je pense qu’il n’est pas possible à l’heure actuelle de réaliser les répercussions de ce prix sur mon travail d’autrice de bande dessinée. D’après moi, obtenir un prix à ce stade est une chance, une reconnaissance pour un travail, mais surtout un coup de pouce vers de nouveaux projets. C’est le plus important : convaincre les jeunes auteurs et autrices que leur travail a du sens et qu’ils méritent une visibilité.
Gérald : Pourrais-tu partager tes réflexions sur le contexte actuel de la bande dessinée, où il n’y a jamais eu autant d’œuvres à lire. Les éditeurs classiques, qui ont compris l’importance de leur patrimoine et l’intérêt de le mettre en valeur, cohabitent avec une abondance de petits éditeurs réalisant un travail de découverte, parfois important avec peu de moyens. Comment émerger dans cette abondance, et comment envisager sa « subsistance », nécessaire pour pouvoir avancer dans son travail artistique ?
Aurélie : Avant de réellement me lancer dans la recherche d’un éditeur, je n’avais jamais réalisé le nombre de petites structures indépendantes qui avaient émergé ces dernières années. Sincèrement, je suis fascinée par le travail fourni par ces petites structures. Elles permettent, par leur nombre et leur diversité, de proposer toujours de nouveaux moyens d’interpréter la bande dessinée. Il est bien évidemment difficile de s’y retrouver dans cette abondance de sorties, mais en même temps c’est une preuve que la bande dessinée classique est toujours aussi présente, tout en étant questionnée par cette émergence d’éditeurs indépendants réinventant le genre.
Je n’ai pas réellement de réponse à la question de comment émerger parmi cette abondance, car même si aujourd’hui je suis heureuse que « Rorbuer » ne soit pas passé inaperçu lors de sa sortie, je comprends aussi que l’important est de rester fidèle à ce qui nous anime… Avec un peu de chance, on retrouvera cette passion dans nos récits. Il ne faut pas se mentir, la « subsistance » d’un auteur n’est pas assurée par les ventes faites par son premier livre. Soyons sincères, c’est loin d’être la réalité. Je pense donc qu’il est important de rester réaliste, mais également de réaliser la possibilité de travailler dans ce domaine.
Dans ma courte expérience, j’ai rapidement compris qu’il fallait apprendre à créer des dossiers pour les demandes de bourses, de résidences d’artiste… C’est grâce à ce type d’opportunité que l’on trouve la motivation et le temps, mais surtout l’argent, pour nous permettre d’avancer dans nos projets avec plus de sérénité. D’après moi, c’est en créant des opportunités qu’on émerge dans la bande dessinée, comme d’ailleurs dans bien d’autres domaines.
Gérald : Pour finir, pourrais-tu présenter ton album aux lecteurs de 64_page ? Sans déflorer celui-ci, peux-tu en résumer les thématiques et ce que tu as voulu faire passer aux lecteurs ?
Aurélie : Comme évoqué tout à l’heure, «Rorbuer » est une bande dessinée commencée en 2016, lors de ma dernière année de Master. Beaucoup de choses ont changé depuis, mais le Nord et les « Rorbuer » sont restés. Le mot Rorbuer désigne les petites cabanes de pêcheurs que l’on peut trouver dans le nord de la Norvège. Je l’ai choisi pour titre de cette bande dessinée, à l’intention d’un lecteur désireux de se plonger dans une expérience visuelle et mystique, au cœur d’un village perdu du Grand Nord. L’histoire prend place au sein d’un village côtier nordique, où les mythes et légendes rythment et gèrent le quotidien des habitants. À l’exception d’un lexique placé à la fin du livre, la bande dessinée est muette, découpée en quatre parties reprenant les termes norvégiens qui me permettent de structurer le récit et les cérémonies rituelles : Tørrfisk, Misteltein, Lysstråler et Fiskekongen.
Chaque chapitre met en place une série de croyances où la mort physique des hommes en mer n’est pas le dernier stade de leur être, mais bien un passage, laissant l’âme perdue s’accrocher au banc de poissons… Mon récit part de cette première croyance pour évoluer vers des rites, cérémonies de guérison et d’hommage, à la frontière où se touchent les froides immensités terrestre et maritime. Principalement inspirée par les contes folkloriques et la mythologie nordique, j’utilise les entrechoquements de couleurs froides et chaudes en utilisant des crayons de couleurs et des marqueurs Copic, pour souligner les extrêmes de cette région du Nord.
Gérald : Question classique : travailles-tu déjà sur un nouveau livre ? Quels sont tes projets ?
J’ai en réalité un tas de projets, que j’aimerais réaliser en 2021. Cependant, le plus important à l’heure actuelle est de me consacrer à mon nouveau livre, sur lequel j’ai commencé à travailler il y a quelques mois. Je ne suis pour l’instant qu’au stade de la recherche, mais je dois avouer que j’adore ce moment où rien n’est encore défini, où justement tout est encore possible. Pour l’instant, dans mon esprit, je sais juste que cette nouvelle bande dessinée prendra place au Québec et aura un lien direct avec les « Indiens » d’Amérique du Nord. L’envie de travailler sur ce sujet est bien entendu née lorsque je vivais à Montréal, où je souhaiterais d’ailleurs retourner en 2021, pour continuer mes recherches et commencer les premières planches. Le voyage est rendu possible grâce au service des lettres et du livre de la Fédération Wallonie Bruxelles, qui m’a octroyé la Résidence d’artistes au Québec, en 2021. Le départ se fera lorsque la situation sanitaire sera un peu apaisée…
Merci Aurélie.
Vous pouvez voir le travail d’Aurélie Wilmet sur : http://www.aureliewilmet.com/
Avec 22 interviews inédites de 22 auteur.e.s
64_page lance son spécial Western
Depuis un an, 64_page a proposé un projet « Western ». Ce numéro qui devait paraître en septembre à l’occasion de la Fête de la BD à Bruxelles. Fête de la BD pour cause de Covid et de confinement. Nous avons reporté sa sortie en janvier dans la perspective du Festival d’Angoulême.
Angoulême ou pas, ce 64_page #19 spécial de 88 pages paraîtra en janvier 2021. Pour préparer cette sortie, nous commençons la publication d’interviews des 22 jeunes dessinateurs et illustratrices qui se sont lancé.e.s dans ce projet et y ont mis leur talent, leur créativité, leur imagination…
Achetez 64_page en ligne :
https://lalibrairiebelge.be/titre/64_page-n19-special-western/
Mathilde BROSSET et REMEDIUM
Elle et il se connaissent et s’apprécient, elle a quelques albums enfants à son actif et lui quelques albums durs sur l’âpreté de la vie. Mais les deux ont des messages de solidarités, de justice, d’engagements, de réflexions… Nous leur avons demandé de nous raconter une histoire en deux couvertures. Ils ont relevé le défi.
Les interviews sont de Marianne Pierre.
Mathilde
Marianne Pierre : Ta BD est-elle autobiographique? Jouais-tu au cow-boy étant petite?
Mathilde BROSSET : Pas du tout ! La panoplie de cow-boy ne faisait pas partie de mes costumes. C’est mon fils qui m’a inspiré cette BD. Il adore se déguiser et mimer des histoires dans lesquelles il livre des combats contre toutes sortes de bandits. Je l’entends d’une oreille pousser des « BAM POUF TCHAC » en se jetant à terre pour éviter de justesse une balle imaginaire. Nous avons écrit le texte ensemble. Tous les gros mots viennent de lui !
Marianne : Ta première inspiration en BD, tous genres confondus?
Mathilde : Je ne lisais pas beaucoup de BD étant petite. Dans mes souvenirs, j’aimais bien Astérix, Titeuf, Boule et Bill. J’ai vraiment découvert la BD pendant mes études et mon premier vrai coup de cœur a été Le combat ordinaire de Manu Larcenet. S’en sont suivis des albums comme Blankets de Craig Thompson, Lupus de Frederik Peeters ou les albums de Camille Jourdy.
Marianne : C’est un genre qui te fait rêver?
Mathilde :Quand Philippe m’a demandé de réaliser la couverture de 64_ page et une planche sur le thème du western, j’ai eu un petit moment de panique. Pour moi, les westerns ne s’adressaient pas à moi, c’était un genre écrit par des hommes pour des hommes. J’ai un peu revu mes idées avec des films comme The Homesman où les femmes prennent une place intéressante. J’ai aussi découvert des merveilles d’albums comme Jenny la Cow-boy de Jean Gourounas ou Tony Tiny Boy de Vincent Cuvellier et Dorothée de Monfreid où la figure du cow-boy devient beaucoup plus drôle et tendre.
Je me suis rendu compte que j’aimais les westerns quand il étaient placés sous le prisme de l’enfance . Pour moi, le western évoque l’enfance le jeu, l’irrévérence. Quand on est un cow-boy, on a le droit de cracher par terre, de fumer des brins de paille et d’insulter ses adversaires !
Marianne: Ta vision du western, sur ta couverture, est très pacifiste: d’où te vient cette image très paisible voire idyllique du cow-boy sans ses bottes?
Mathilde : Fermez les yeux et ressentez les éléments autour de vous, écoutez l’air lancinant de l’harmonica se mêler au clapotis du ruisseau sur les pierres, le frottement des tumbleweeds qui roulent sur le sol. Sentez l’odeur acre du crottin et le sable qui vous chatouille les orteils…
Bref, un cow-boy qui s’accorde une petite méditation pleine conscience, où est le problème ? On est pas des machines !
Marianne : Que penses-tu de la suite donnée par Remedium à ton cow-boy? Le bon se transforme en brute et en truand, pour une paire de bottes!
Mathilde : En même temps, elles sont super cools ces bottes…en cuir véritable avec des éperons incrustés d’argent. J’en connais qui auraient tué pour moins que ça !
Je suis bien sûr ravie de cette interprétation qui est à l’antipode de mon « peace cow-boy ». Remedium a réussi à réutiliser les couleurs et les éléments du décor pour créer une scène plus dramatique et cinématographique. On imagine sans peine l’action qui vient de se passer et on sent l’odeur de la poudre. Chapeau !
et la première BD de Mathilde Stetson.
Remedium
Marianne : Ton idée de couverture « miroir » t’est-elle venue tout de suite à l’esprit à la vue du dessin de Mathilde?
Remedium :J’aime beaucoup le travail de Mathilde et j’ai adoré la manière avec laquelle elle s’est appropriée le thème « Western ». En voyant son illustration, je me suis immédiatement dit que cela serait génial que nos deux couvertures se répondent et de réutiliser ses codes graphiques à ma sauce.
Marianne :Tu transformes son pacifiste cow-boy en un desperado sans scrupules, qui tue pour des bottes: pour toi, le western, c’est forcément un univers violent?
Remedium :J’ai une image très noire du western, qui émane notamment des films ou des séries que j’ai vus. Je garde beaucoup en tête cette image d’Épinal du cowboy sans foi ni loi, qui parcourait l’Ouest pour échapper à la justice de l’Est, comme on peut le voir dans la série Deadwood, par exemple.
Marianne : Quelle est ta première inspiration western, tous genres confondus?
Remedium :J’ai grandi avec les films de Sergio Leone, qui ont forcément eu un impact très fort sur moi. Je regardais également beaucoup « La Dernière Séance » avec mon père, qui présentait des westerns d’une facture plus classique, mais effroyablement efficaces.
Marianne : Toi qui es instituteur, penses-tu que le western fait encore rêver les enfants?
Remedium :La culture « western » s’est estompée peu à peu. On voit moins de dessins animés, de BD pour enfants ou de jouets s’en inspirant. Les enfants s’en sont donc un peu détachés, mais il faudrait peu de choses pour que cela revienne dans les esprits.
Marianne : Enfant, jouais-tu aux cow-boys et aux indiens? Tu portais un chapeau ou des plumes?
Remedium :J’ai beaucoup joué aux deux ! Mais j’étais déjà un peu objecteur de conscience dans l’âme ; quand j’étais cow-boy, je ne voulais pas m’en prendre aux Indiens et inversement. Dans mon idée, l’ennemi était toujours ailleurs et c’était l’envie d’aventures et de grands espaces qui me faisait rêver.
http://lacitedesesclaves.org/ https://blogs.mediapart.fr/remedium
Ben JOTTARD
Une des belles découvertes du 64_page #19 spécial Western, Ben JOTTARD est un des élèves de Philippe Cenci à l’Académie de Watermael-Boitsfort, une des pépinières de la jeune et nouvelle BD belge. Ben Jottard à découvrir dès le 10 février dans votre 64_page.
Philippe Decloux : C’est la première fois que tu publies dans 64_page, qu’es-ce qui t’a motivé à te lancer dans ce projet « Western » ?
Ben Jottard : Je travaillais déjà sur un récit « Western » à l’académie de Boitsfort quand j’ai entendu parler de l’appel à projets de 64 pages. Naturellement, j’ai tenté ma chance, plutôt par défi personnel que dans l’espoir d’être sélectionné. C’était l’occasion de changer d’air, de m’essayer à un style plus humoristique, qui n’est pas mon domaine de prédilection, et, pourquoi pas, de m’ouvrir une porte vers une première publication.
Philippe :L’univers Western est-ce un univers que visiblement tu connais, l’as-tu déjà abordé ou est-ce une découverte au niveau du récit? Du graphisme? Comment conçois-tu un récit? (par le texte d’abord, ou par le dessin)
Ben : Je l’avoue, quand j’ouvre une BD, c’est davantage le dessin qui m’attire. C’était déjà mon état d’esprit lorsque j’ai commencé la BD : j’articulais l’histoire et les textes autour de ce que j’avais envie de dessiner, ne leur accordant pas toujours la place qui leur était due.Bien sûr chacun travaille comme il le veut, mais cette façon de faire m’a donné pas mal de fil à retordre – comme à d’autres dessinateurs débutants, j’imagine. Un bon dessin ne vaut pas grand-chose sans un bon texte ; aujourd’hui, j’essaye de concevoir les deux simultanément. Tant que la structure est là, le style graphique peut toujours être remanié par la suite.
Philippe Decloux : Tu suis les cours de BD de Philippe Cenci, vous êtes quelques-uns de ses étudiants à participer à ce projet Western. Que nous dirais-tu de Philippe Cenci?
Ben : Philippe est le genre de professeur qu’on a tous envie d’avoir, celui qui nous fait progresser à pas de géants, celui qui n’essaye pas d’orienter nos choix artistiques et celui qui nous apporte des opportunités concrètes (preuve en est cette publication). Il peut vous apprendre en 15 minutes autant qu’une année en école d’art. J’extrapole un peu, bien sûr, mais Philippe est super.
Philippe Decloux : Quels sont tes projets comme auteur de BD? Quelles sont les difficultés que tu rencontres pour atteindre tes objectifs ?
Ben : Mon objectif est de sortir un jour une BD dans un style réaliste. Est-ce que ce sera mon projet actuel sur le thème du Japon, le suivant ou celui d’après ? Je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, il me reste encore beaucoup à apprendre, notamment en anatomie.
SYLLO D
La tribu des Ferrand-Verdejo s’entretient avec SylloD sur Western Spaghetti qui paraîtra dans le numéro spécial Western de 64_page.
C’est ainsi qu’elle présente son projet : « Noelia Diaz Iglesias, Syllo D, artiste hispano-bruxelloise diplômée en illustration et en bande dessinée et adepte de la pratique du fanzine et du livre d’artiste. J’ai par ailleurs une formation en reliure.www.instagram.com/syllodiaz
Western-Spaghetti inspiré d’un fait presque réel. Mais lequel ? Une chose est sûre, les spaghettis se mangent tous les jours mais surtout le mercredi. Mais pourquoi ? Demandons à Papy… »
La Tribu Ferrand Verdejo : Bonjour SylloD, dis-nous tout d’abord ce qui t’a motivée à participer dans ce spécial WESTERN de 64_page, est-ce que tu t’étais déjà essayée à ce genre auparavant ? Quel a été ton point de départ, le déclencheur ? Pourrais-tu nous donner un élément visuel ou scénaristique de démarrage pour tes pages ?
SYLLO D : Je ne m’étais jamais essayé au Western, au départ je ne comptais pas spécialement y participer parce que je n’avais pas vraiment d’idée, ni de connaissance des codes. Puis un matin, j’ai entendu un fait divers avec un cheval qui m’a fait mourir de rire, qu’au final je n’ai pas su le transposer en BD pour le spécial western. (Mais pour les curieux, elle se trouve dans le fanzine « Fanfan » spécial bêtise de Xan Harotin!). J’ai eu mon idée vraiment sur le tard.
Pour commencer mes histoires, je dois dessiner et écrire tout ce qui pourrait rentrer en rapport avec elle. Des petits bouts de scènes, des objets, des phrases. Ensuite je pioche.
La Tribu Ferrand Verdejo : Et qu’est-ce qui était le plus difficile et, au contraire, le plus facile à faire dans cet exercice et où as-tu trouvé tes repères pour procéder à exécuter les pages que tu nous as proposées (influences, inspiration,…) ?
Au final, l’idée m’est venue un mercredi en mangeant chez mes parents. Je ne sais pas pourquoi, mais le mercredi (anciennement le mardi) c’est jour fixe des spaghettis. Voilà.
Je n’ai pas vraiment de repères ou influences en tête pour scénariser/dessiner. Je dirais plutôt que je me laisse porter par ce qui vient. Bien sûr, j’emmagasine et je digère tous les jours des influences sans m’en rendre compte (comme tout le monde). Par mes lectures d’images, de textes, la musique, les films, etc. On me dit souvent qu’il y a du Sempé dans mon dessin, c’est possible, je ne pense pas à lui quand je travaille, mais je suis contente de l’avoir dans la tête dans mon inconscient !
Pour cette BD, c’était aussi un défi de mise en couleur. Mettre en couleur du trait est très compliqué. Je pense en couleur et masse, remplir des formes déjà existantes va à l’envers de ma manière habituelle de fonctionner.
La Tribu Ferrand Verdejo : Les pages que tu as proposées à 64_page nous plongent dans une histoire de famille que tu revendiques comme « tirée d’un fait presque réel », comment envisages-tu ce rapport à la réalité dans le cadre du genre western et plus particulièrement dans ta BD ? En quoi ce rapport à la réalité est-il essentiel ? Ou pas, puisque tu dis « presque » !!!
SYLLO D : Par rapport au Western je ne sais pas, je n’ai pas d’affinité avec le genre. Sauf pour les chapeaux et les chevaux. Mais concernant le lien avec la réalité, il y en a toujours. Je pense. Dans toutes les histoires, dans tous les dessins, on met un peu de soi. Je pense que c’est essentiel pour que l’histoire paraisse plus « vraie » et touche plus le lecteur. Parce qu’il pourra peut-être faire preuve de plus d’empathie, se projeter, vivre l’histoire.
La Tribu Ferrand Verdejo : Pour terminer, pourrais-tu nous souffler quelle est ta BD western préférée et pourquoi ?
SYLLO D : Comme je l’ai dit, je n’ai pas lu beaucoup de western. Mais celle de Loo Hui Phang et Frederik Peeters, L’odeur des garçons affamés (Casterman), m’a marqué positivement. Elle est osée, elle revisite le genre et questionne la place de la femme dans la société. Le tout avec une pointe de fantastique.
Merci et à bientôt donc, SylloD, sur les pages de 64_page, en attendant vous pouvez la retrouver sur www.instagram.com/syllodiaz
Tomasz K.
Tomasz K propose 6 histoires courtes sous le titre générique À l’est de l’Eldorado dans le 64_page #19 Spécial Western.
Philippe Decloux : C’est la première fois que tu publies dans 64_page, qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer dans ce projet « Western » ?
Tomasz K. :A vrai dire, ce n’était pas la première fois que j’ai eu l’envie de participer mais sans doute que ce thème me parlait plus. Aussi, j’ai découvert 64_page à une époque où j’étais peut-être moins confiant dans mon travail, je cherchais à faire des choses trop compliquées pour quelques pages mais depuis, j’ai roulé ma bosse et j’ai rencontré des gens qui m’ont donné confiance en ce que je fais et il ne m’a pas fallu longtemps pour trouver 3 pages western à envoyer.
Philippe : Tu as fait le choix de proposer 6 histoires courtes et très rythmées. L’humour n’est pas le style le plus facile comment conçois-tu un gag ?
Tomasz K. :En vrai, je n’ai jamais réellement réfléchi à ce qui fait un bon gag chez moi… Personnellement, je suis attaché au rythme, il faut que je puisse raconter le gag oralement et que la surprise fonctionne tout aussi bien. Éviter d’avoir un set up trop lourd pour éviter que le gag devienne fastidieux et que le pay off en vaille la peine, qu’il nous surprenne. En relisant mes planches, je remarque une grande influence de l’humour des Simpson des années 90 doux-corrosif, l’humour britannique où l’absurde fait partie d’une réalité quotidienne, et surtout de l’humour « internet » très rythmé comme si le gag nous prenait par surprise, alors qu’on n’a pas encore eu le temps d’enregistrer toutes les informations qui nous sont données. Ce que j’essaie de retrouver, c’est ce moment de suspend où on peut voir dans les yeux du lecteur une pièce qui tombe dans le fond du crâne, ce moment où le lecteur se rend compte de l’absurdité du moment. Le lecteur doit être surpris, piégé, si il voit arriver le gag une case à l’avance, tout tombe à la flotte !
En vrai, quand j’écris des gags, je pense au genre de blagues que je fais avec mes potes et je mets juste des cases autour. Le plus beau compliment qui m’a été fait sur mes gags, c’est qu’on avait l’impression de lire des vraies gens qui parlent et pas un gag qui doit déboucher sur une chute.
Philippe : Quels sont tes projets comme auteur de BD? Quelles sont les difficultés que tu rencontres pour atteindre tes objectifs ?
Tomasz K. :J’ai de nombreux projets ! BD en individuel ou en binôme, trinôme, en collectif (@sorcier.e.s je n’en dis pas plus !) Je touche à tout, j’adore écrire, dessiner, mettre en couleurs, assister, travailler avec les copains ou faire des blagues tout seul. Pour l’instant, les projets refleurissent et ça me motive à percer ! Le plus difficile est de trouver un équilibre dans tout ça car quand je suis lancé dans quelque chose, j’ai du mal à m’arrêter et il y a des moments où j’en oublie d’autres projets… Ha oui et trouver de la maille pour manger parfois, ça aussi, ça peut prendre du temps.
Xan HAROTIN
Interview réalisée en octobre 2020 par Gérald Hanotiaux
C’est à une habituée de notre revue que nous posons aujourd’hui quelques questions. Suite à son passage par 64_page, elle a déjà publié deux ouvrages. Celles et ceux qui ont fréquenté un jour le stand de la revue l’ont peut-être rencontrée, à la tâche, penchée sur un exemplaire à dédicacer…
Gérald Hanotiaux : Pourrais-tu te présenter aux lecteurs ?
Xan Harotin : Je m’appelle Xan Harotin, j’ai fait des études à l’académie des Beaux-Arts de Bruxelles, où j’ai réalisé mon bachelier. Je suis ensuite partie à Tournai pour le master et l’agrégation. Après mes études j’ai voyagé, je suis partie un an à Montréal. À l’heure actuelle j’anime beaucoup d’ateliers, à la fois pour des enfants et des adultes, et j’ai plein de projets personnels à côté. J’ai publié deux livres ainsi que des travaux dans différents magazines, dont le premier était « Jeunes et nature », édité par une ASBL qui, comme son nom l’indique, organise des camps pour découvrir la nature avec des jeunes.
Gérald : Dans ses objectifs, la revue 64_page s’anime avec l’envie de faire connaître les jeunes auteurs et autrices, pour pallier le manque d’endroits où faire ses premières armes. Comment se faire connaître aujourd’hui en tant que jeune artiste ?
Xan : Nous sommes en effet, avec la disparition de nombreuses revues de prépublication, face à des difficultés pour se faire connaître. A mon niveau, je me rends compte que j’ai eu de la chance, car j’ai publié deux livres dans deux maisons d’éditions différentes. Sans grand « background » ils m’ont laissé ma chance.
J’ai rencontré l’une de mes éditrices lors des rendez-vous tremplin qui ont été organisés au Wolf à Bruxelles. J’ai aussi participé aux rencontres de Montreuil. Je pense donc que ce type de rencontres sont importantes, où l’on peut montrer son travail, avoir des retours, des conseils. J’ai aussi montré mon travail à des plus grosses maisons d’édition : je vois qu’ils manifestent de l’intérêt, et ils laissent aussi dans une certaine mesure de la chance à des jeunes, mais ils attendent en général un travail totalement abouti dès le début, auquel il n’y aurait plus « rien à dire ». On doit être au point tout de suite. Les petites maisons proposeront plutôt de retravailler le projet ensemble ou de faire quelques modifications, mais seront prêtes à faire ce travail avec nous. Beaucoup d’éditeurs attendent un travail entièrement fini car ceux-ci n’ont plus le temps d’accompagner les jeunes auteurs dans leur évolution. Donc, face à cette réalité, auparavant en effet publier dans des magazines permettait de se lancer à son rythme.
Gérald : Si les éditeurs demandent « tout, tout de suite », c’est parce qu’il y a pléthore de candidats ?
Xan : Oui, il y a un peu de ça. Les gros éditeurs ont aussi tendance à tout miser sur ce qui fait leur fond de commerce. Quand on voit la promotion, ils en font pour des livres qui se vendront de toute façon, toujours les mêmes choses. Les mêmes éditent parfois des livres très bien, de la vraie nouveauté, mais bien souvent sans les suivre au niveau de la promo. Ils assurent leurs arrières avec des valeurs sûres, pour des amateurs qui ont des moyens. Cela permet certaines « retombées » sur de nouveaux auteurs, mais pas toujours en promouvant suffisamment leur travail.
Un autre problème, c’est que rien qu’en présentant les projets on doit déjà « faire de tout » : on doit réaliser un dossier, faire de la mise en page, du graphisme, une maquette, etc. L’école ne nous prépare par vraiment à faire ces dossiers, à cette nécessité de « nous vendre ». J’ai eu un peu de cours d’infographie durant mes études, par exemple, mais vraiment pas beaucoup. Aujourd’hui, en effet, on nous demande de gérer énormément d’aspects qui par le passé, lors des débuts des auteurs/illustrateurs, étaient gérés par d’autres corps du métier.
Pour se faire connaître il y aussi des concours, des prix, dans des festivals notamment. Ils ont en général des critères assez « serrés » auxquels il faut correspondre dans le cadre de tel prix, mais on peut aussi en sortir, tenter d’y garder une marge de manœuvre. De toute façon ce qui marchera, dans tous les cas, sera un travail en lien avec notre personnalité et notre style, quelque chose qui nous correspond vraiment, même dans un concours où on dévie un peu des critères définis au départ.
Gérald : Nous sommes à la veille d’un second confinement dû à la crise sanitaire, comment abordes-tu cette période ? En mars avril, certains dessinateurs disaient qu’en quelque sorte le confinement ils connaissent avec leur vie solitaire de dessinateurs, que ça ne changeait pas grand-chose. D’autres au contraire déclaraient n’arriver à rien, que l’état d’esprit n’y était pas. Comme cela se profile pour toi?
Xan : Pour moi, c’est un peu un mélange des deux réponses, pour différentes raisons. Durant le premier confinement je me suis dit que ça faisait longtemps que je n’avais plus dessiné autant, parce que même si on aime dessiner et que l’on travaille dans ce domaine, on a souvent un boulot en plus à côté. Et même si c’est un boulot qu’on aime bien il prend du temps, donc il faut trouver un équilibre. Là j’avais la chance de ne pas devoir m’en inquiéter donc j’ai beaucoup dessiné. Il y avait des projets que j’avais en tête depuis longtemps, il fallait juste du temps, donc j’ai réussi à utiliser le temps du confinement à bon escient.
Par contre, en discutant avec d’autres personnes je me suis rendu compte que les éditeurs ont reporté des sorties, et en chaîne tout est touché, bousculé. Ça peut donc jouer négativement pour la suite de mon travail. Si je présentais un dossier, ce serait encore moins pour tout de suite.
Merci Xan !
Vous pouvez retrouver le travail de Xan sur le site : xanharotin.ultra-book.com Xan a publié Au fond de toi dans le 64_page #13 et participe régulièrement à la Cartoons Académie Cécile Bertrand Elle a publié Le monstre plat Les petites bulles éditions (prix du 1er album à Roubaix 2019) et J'ai décidé de changer ! à L'Étagère du bas
Maximilien VAN DE WIELE
VAN DE WIELEDécouverte de Maximilien Van de Wiele auteur de Le Train du Diable dans le spécial Western qui sera disponible fin de ce mois de janvier. Il est interviewé par Philippe Decloux.
Philippe Decloux : C’est la première fois que tu publies dans 64_page, qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer dans ce projet « Western » ?
Maximilien Van de Wiele : Je reviens d’un projet de BD abandonné, le besoin de revenir sur un projet plus court et plus simple se faisait sentir et travailler sur un univers aussi familier a été bénéfique.
Philippe : L’univers Western est-ce un univers que tu connais, a déjà abordé ou est-ce une découverte au niveau du récit? Du graphisme? Comment conçois-tu un récit? (par le texte d’abord, ou par le dessin)
Maximilien : C’est une partie de ma culture, des tonnes de références en tête, « Mon Nom est Personne » en film, « La Croix en Feu » en roman, « Durango« en BD, etc…
J’ai déjà tenté quelques pages de BD dans le thème adolescent, on part facilement sur un paysage désertique et chaud, pourtant comme tout les genres c’est un univers bien plus large qu’on ne le croit.
C’est ironique ce que je dis sachant que la première image qui me reste en tête est celle qui influence ma conception, celle que je gribouille en premier est celle qui me permet l’expérimentation avant de passer à la réalisation.
Au grand dam du texte qui passe souvent en dernier, faut dire que c’est une phobie de gosse que j’essaie de maîtriser dans mon prochain projet.
Philippe : Quels sont tes projets comme auteur de BD? Quelles sont les difficultés que tu rencontres pour atteindre tes objectifs ?
Maximilien : C’est un récit fantastique avec un focus sur les folklores et légendes populaires de ma ville de naissance, Anvers.
Un projet que je couve dans ma tête depuis bientôt 2 ans, et que j’espère tout autant finir en 2 ans.
La gestion du temps est un facteur punitif dès lors qu’on le délaisse, et d’expérience c’est ce qui m’a fait lâcher un paquet de projets, même aujourd’hui.
Cela cependant m’a permis de construire ma façon de travailler, et petit à petit j’ai appris à établir mon petit agenda personnel.
Élodie ADELLE
Afin de lancer le numéro Spécial Western, nous permettons aux lecteurs et lectrices d’en savoir un peu plus sur les auteurs peuplant les pages de ce numéro 19, plus épais qu’à l’accoutumée. Aujourd’hui, rencontre avec une dessinatrice déjà apparue dans les pages de 64_page : Elodie Adelle.
Gérald Hanotiaux. En guise de premier contact, pourrais-tu te présenter brièvement ?
Élodie ADELLE : Passionnée de dessin depuis toujours, j’ai fait mes études à l’Ecole de recherche graphique à Bruxelles, en bande dessinée. Grâce à ça, j’ai pu expérimenter plusieurs méthodes de dessin, telles que le fusain, le monotype, l’ecoline, etc.
Avec les années, j’ai élargi mes horizons en jonglant entre la BD et l’illustration en noir et blanc ou en couleur. Mon style de dessin se rapproche du réalisme tandis que l’illustration me permet d’aller sur un tout autre terrain.
Gérald : Que représente le western pour toi ? Comment explorer ce genre aujourd’hui ?
Élodie : J’ai été peu nourrie à la culture du western, me lancer a été un défi. Mais cela m’a plu. J’ai essayé de détourner les codes classiques que l’on peut lui attribuer, avec les chevaux, le saloon, les cowboy, etc… en ajoutant d’autres éléments qui donnent une toute autre tournure au scénario. Avec le dessin, tout est possible.
Gérald : L’une des motivations de 64_page est de pallier le manque de revues, qui existaient en nombre dans le passé pour permettre aux jeunes auteurs de se lancer. Que dirais-tu des possibilités/difficultés aujourd’hui de se lancer, se faire connaître ?
Élodie : : 64_page est un tremplin en terme de visibilité, voir son travail fini sur le papier est très réjouissant. Se lancer n’est pas facile, on est de plus en plus à souhaiter faire de la BD ou de l’illustration. Je pense que chacun peut trouver une alternative. Au jour d’aujourd’hui, internet permet de partager ce que l’on fait, ça peut servir de tremplin.
Gérald : : Créer et dessiner en période de confinement, comment cela se passe pour toi ? Certains dessinateurs répondent que cela ne change pas de leur ordinaire, d’autres déclarent ne pas arriver à avancer… Tu te situerais où dans ces réflexions ?
Élodie : Pour moi le confinement ne change pas les choses. L’inspiration vient à certains moments et je me lance dans un nouveau projet, je dessine ou j’écris.
Gérald : En ce dernier trimestre de 2020 quels sont tes projets, à court terme, sur lesquels tu travaillerais actuellement, et à plus long terme, tes envies ?
J’ai plusieurs projets en pause mais je suis entrain de créer de nouvelles histoires. Certaines sont plus avancées que d’autres. Il y a un projet qui sera publié dans quelques temps, une histoire pour enfants.
Merci Elodie !
Vous pouvez retrouver une présentation du travail d’Elodie Adelle à cette adresse : https://www.instagram.com/elodieadelle/ Élodie vient de publier son premier album : Le bonnet Vert pour un jeune public à partir de 4 ans.
PAVÉ
Avec sa ligne très claire et sa poésie à fleur de trait, découvrez Pavé. Dessinateur régulier de la Cartoons Académie de Cécile Bertrand, il n’est pas le plus jeune de nos espoirs mais il démontre que conserver l’âme d’un galopin est un plus dans la vie d’artiste et dans la vie de tous les jours.
Pavé est interviewé par Cécile Bertrand.
Cécile Bertrand : Vous qui êtes au début de votre travail de cartooniste, pensez-vous qu’il y a un avenir pour le cartoon?
Je fais référence au New York Times qui a décidé de se passer de toutes caricatures suite à une publication d’un dessin jugé antisémite aux EU. Dessin de mon ami Antonio Antunes qui avait été publié plus tôt dans l’EXPRESSO (sans réactions négatives) au Portugal et mis sur une banque de donnée que le New York Times a choisi lui-même de publier. Je connais Antonio , il n’est pas du tout du tout antisémite. Pensez-vous pouvoir en vivre maintenant, comme ce l’était dans les années 70,80…?
Pavé : Mon activité de cartooniste est-elle un travail ? C’est d’abord une nécessité. Quelque chose d’irrépressible. Quand je ne dessine pas, il y a comme un manque. Dessiner, comme deux ou trois autres activités, est de l’ordre de l’essentiel. Les négliger, c’est se nier. C’est aussi une passion depuis tout petit, tant à travers les dessins, que les bd que je découvrais enfant avec frénésie quand j’allais chercher le journal pour mon papa à la librairie du quartier. C’est un travail, dans le sens ouvrage ou plutôt labeur. Par contre, s’il s’agit d’en faire une source de rémunération, de revenus, la question est toute autre. Et la réponse bien sûr toute différente. Ce n’est clairement pas ma réalité du moment, ni mon intention à l’avenir. La question se posera si des opportunités se présentent. Je n’en fais pas un objectif. Aujourd’hui, il y a sans doute un avenir pour le cartoon, mais sans doute pas avec autant d’ampleur que par le passé, de par la mutation qui se vit dans les médias tant en terme de supports que de puissance de l’argent. Beaucoup d’appelés, de moins en moins d’élus.
in 64_page #19 Spécial Western
sortie vers le 20 janvier 2021Cécile : Hésitez-vous à dessiner sur les sujets religieux?
Pavé :Là, c’est plus dans le domaine illustration que cartoon. Mes dessins accompagnent les activités, événements organisés par Gabriel Ringlet et son Prieuré. Ils se limitent, il est vrai, à la religion que je connais le moins mal. Je ne m’aventure pas sur le terrain d’autres obédiences que je connais encore plus mal. Sans doute, est-ce une forme d’auto-censure, ou de respect sans jugement de ce qui pourrait faire la foi de l’autre.
Cécile : La Covid 19 vous inspire-t-elle ou vous bride-t-elle?
Pavé : Une inspiration certes. C’est tellement dans mon quotidien de vie et c’est donc immanquablement dans mon activité de cartoon. C’est toutefois bien pire que de l’inspiration. La Covid 19 s’impose à moi. Il y a là un côté obsédant ou obsessionnel dont il est vital de s’éloigner afin de se tourner vers d’autres sujets, plus porteurs de vie. C’est une question d’hygiène, d’équilibre. Cela dépasse sans doute la fonction du cartoon de presse, qui ne se branche que trop sur ce qui fait l’actualité médiatique. Il y a bien d’autres actualités que celle-là. Il faut oser s’en approcher, et les vivre, cartoons compris.
Pour suivre Pavé :
Et aussi sur la Cartoons Académie : https://www.facebook.com/CecileBertrandet64page et ce site
Marc DESCORNET
Marc DESCORNETest très actif dans la Cartoons Académie de Cécile Bertrand et il s’est pris au jeu de nous proposer une BD pour ce spécial Western The Great Train Robbery. Il est interviewé par Cécile BERTRAND. Le 64_page Western sera disponible vers le 20 janvier 2021.
Marc DESCORNET est aussi l’auteur de la carte de voeux 2021 de la Cartoons Académie et la revue 64_page.
Cécile Bertrand : Vous qui êtes au début de votre travail de cartooniste, pensez-vous qu’il y a un avenir pour le cartoon?
Marc Descornet : Je n’en suis pas à mon coup d’essai mais c’est vrai que la Cartoons académie me donne une occasion de me remettre en piste après une longue interruption. Il y a toujours eu et il y aura toujours un présent pour le cartoon. Le dessin de presse prend sa place à mon sens dans l’instant. Il a pour but de donner une petite ou une grosse claque en apportant un regard incisif sur l’actualité. Le dessin a, depuis la préhistoire, témoigné de son temps. Ce ne sont pas quelques atteintes indignes à la liberté d’expression qui vont mettre un terme à cette discipline essentielle qui a survécu aux pires dictatures. Censurer des cartoons parce qu’ils pourraient heurter la sensibilité de certains, c’est capituler. Dans ce cas il serait cohérent, quoique inique, de renoncer totalement à toute forme d’expression d’opinions non-consensuelles. C’est vendre son âme, ce qui est parfaitement congruent dès lors qu’il s’agit de s’agenouiller devant des croyances liberticides. Ceci dit, la multitude des supports actuels offre encore de beaux espaces de jouissive subversion.
Cécile : Saviez-vous, avant 2006 et les affaires des caricatures de Mahomet qu’on ne pouvait pas le représenter?
Marc : Ah bon, on ne peut pas représenter Mahomet ? Disons plutôt que l’on ne peut pas représenter Mahomet sans s’attirer les foudres des intégristes islamistes. Mais en soi, on peut toujours représenter ce que l’on veut du moment qu’il n’y a pas d’atteinte à la dignité d’autrui, et assumer que ça ne plaise pas à tout le monde. Il est humain aussi de se demander à quel point un dessin potentiellement « blasphématoire » peut mettre sa propre vie en danger et si cela en vaut vraiment la peine. Personnellement, il m’est arrivé d’égratigner un dogme, voire de « blasphémer , par un dessin grinçant, semi-public, limité à mon cercle d’ « amis » sur un réseau social, parmi lesquels je ne dénombre à ma connaissance aucun intégriste.
Cécile : La Covid 19 vous inspire-t-elle ou vous bride-t-elle?
Marc: La Covid-19 m’a plutôt inspiré à vrai dire. J’ai publié plusieurs dessins sur le sujet, au gré de mes humeurs et au fil des rebondissements invraisemblables auxquels nous avons assistés de la part nos gouvernants. Mais au bout d’un moment, j’arrive à saturation et il m’est salutaire d’explorer d’autres domaines et d’insuffler plus de légèreté dans ma réflexion. Nous en avons tous besoin. Dessiner sur la Covid-19 a été pour moi un exutoire. Je suis convaincu que nous devrons vivre longtemps , probablement des années, avec ce virus et ses mutations, voire d’autres fléaux connus ou inconnus. A nous d’adapter nos comportements. Si ce n’est dans les décisions de nos représentants élus, il n’y a en réalité pas de sens à chercher à une situation factuelle à laquelle nous choisissons de faire face ou non, et de quelle manière, en prenant conscience que la collectivité devra assumer les conséquences de nos choix individuels. Des petits dessins peuvent aider à ouvrir les yeux.
Cécile : Quels sont tes projets dans le court et le moyen terme ?
Marc : J’ai des projets tous azimuts. Parmi eux, à l’occasion du passage à l’heure d’hiver, et sur une idée de mon fils Daran (13 ans), j’ai remis en scène un personnage que j’avais créé dans les années ’80, fortement inspiré de mon prof de math qui était friand de jeux de mots et de jeux d’esprit dont il agrémentait ses cours. J’en ai créé une BD sur le format « presse », un strip de trois cases, lors d’un travail de groupe sur le thème de la presse écrite. Et puis, j’ai continué pour le plaisir, le mien et celui de mes condisciples. Je n’ai jamais vraiment abandonné ce personnage, pour lequel j’ai beaucoup d’affection et que j’ai sporadiquement réutilisé, notamment depuis le début de la pandémie. J’ai envie d’exhumer les strips que j’ai réalisés depuis 30 ans et de les « remasteriser » pour leur donner une seconde vie. J’aimerais les proposer, si possible de façon récurrente, à 64_page, qui a chaleureusement accueilli mes récents projets.
Pour suivre Marc : www.instagram.com/xiaoba_labdenbulles
Fernanda CRUCES
La tribu des Ferrand-Verdejo s’entretient avec Fernanda Cruces sur Il était une fois dans le Sud. Western chilien. sa nouvelle BD qui paraîtra dans le numéro spécial Western de 64_page.
Tout d’abord une courte présentation de notre autrice : « Je m’appelle Fernanda, je suis née au Chili. Passionnée de graphisme et d’illustration, j’ai commencé par la peinture à l’huile. Puis lorsque j’ai vécu à Buenos Aires, mon attrait pour le dessin s’est renforcé. Plus tard, en Belgique, je commence à réaliser mes premières planches type BD.
Sur instagram: www.instagram.com/fernanda.ilus/
Il était une fois dans le Sud : ce western est basé sur les évènements qui bouleversent le Chili depuis octobre 2019, lorsque le mouvement de contestation sociale était le plus fort. Dans ces pages j’ai à coeur de dénoncer les abus de pouvoir de la police chilienne. L’action se déroule dans un quartier pauvre de Santiago, “Lo Hermida”, dont les habitants luttent quotidiennement pour plus de justice sociale. Les années de la dictature ont laissé des traces et les abus sont nombreux. Cependant des voix s’élèvent afin de dénoncer les violences policières car depuis le début du mouvement populaire beaucoup de manifestants ont perdu un œil sous l’arme des forces de l’ordre… »
(extrait de la première page)La tribu des Ferrand Verdejo : Bonjour Fernanda, tout d’abord, nous aimerions que tu nous expliques ce qui t’a motivée à participer à ce numéro spécial WESTERN de 64_page, ce que le western représente pour toi et comment intègres-tu cette histoire très actuelle dans le genre?
Fernanda : Je suis chilienne, j’ai tout de suite senti que je devais parler de la problématique sociale de mon pays dans ce western. Le peuple chilien se réveille après 30 ans d’une démocratie qui n’a pas tenu ses promesses. La constitution héritée de la dictature de Pinochet reste le socle du fonctionnement du pays. 30 années sont passées mais le système perdure inégalitaire et violent. Ça a été très compliqué de mettre en quatre pages ces antécédents historiques, j’essaye de les résumer pour intéresser le public francophone. Ayant envie de représenter ce qui se passe maintenant au Chili, je me suis laissé guider par le sens le plus large du western: les duels, le rythme particulier, les perspectives, le silence…
La tribu: Et, dis-nous, qu’est-ce qui a été le plus difficile et, au contraire, le plus facile à faire dans cet exercice et où as-tu trouvé tes repères pour procéder à exécuter les pages que tu nous as proposées (influences, inspiration,…) ?
Fernanda : Le plus compliqué fut de finir la troisième vignette de la deuxième page. Elle raconte ce qui s’est passé dans les vignes “CousiñoMacul” et j’attendais d’avoir confirmation des évènements par une connaissance vivant sur place. J’ai commencé la bd par la dernière image, celle des voisins prêts à défendre les enfants, elle a guidé les couleurs du reste de la bd. Je dois préciser que c’est une fiction-réalité. L’histoire des enfants est une fiction mais la police est capable d’attaquer les mineurs d’âge.
Mon inspiration fut alimentée par le récit familial, mes amis mais aussi la lecture d’articles. J’ai suivi les évènements depuis la Belgique mais ce western est l’occasion de contribuer à la lutte.
La tribu: En parlant de « lutte », ce qui attire immédiatement l’attention dans les pages que tu as proposées à 64_page c’est évidemment leur temporalité, sans vouloir «spoiler» ta BD, précisons néanmoins, pour que le lecteur saisisse mieux les enjeux de ta BD, que des événements spécifiques et dont l’actualité est encore palpitante y sont déterminants. Ils nous touchent tout particulièrement aussi. On a l’impression d’un western où les indiens et les cowboys ont interverti leurs rôles ou plutôt prêté leur peau à des personnages qui revendiquent une certaine «révolte». Comment vois-tu le lien avec le genre du western.
Fernanda : Les personnages de ma bd représentent une partie du peuple chilien, d’un côté les plus défavorisés par la crise sociale et de l’autre les forces de police dont les réactions sont souvent violentes et arbitraires. Pour transposer au style western, disons qu’il s’agirait de gens opprimés par les agissements d’une grande entreprise. Mais dans la réalité ce peuple chilien a droit à cette « révolte » pour plus d’égalité. Beaucoup travaillent dans des conditions très difficiles pour un salaire indécent. La vie au Chili est chère, les salaires bas et la qualité de vie complexe: éducation hors de prix, santé privatisée et retraites misérables. Le Chili est un des pays où l’écart entre les revenus des classes sociales est le plus grand. Certains services de base tels que le transport sont aussi chers qu’en Europe, c’est d’ailleurs ce qui a déclenché la révolte populaire massive d’octobre 2019.
La tribu: Est-ce que tu aimerais t’essayer à un autre genre spécifique? Et pour terminer: quelle est ta BD western préférée et pourquoi?
Oui, j’aimerais essayer avec une bd biographique ou roman.
La vérité c’est que je n’ai pas trop de connaissance du monde de la bd western.
Un grand merci à tout l’équipe de 64_pages pour cette belle opportunité !
Merci à toi, Fernanda Cruces, pour ta sincérité d’abord et ton engagement aussi, à bientôt sur 64_page !
En attendant vous pouvez la retrouver sur son instagram :
https://www.instagram.com/fernanda.ilus
Alice ROUSSEL
C’est une dessinatrice extrêmement enthousiaste que Gérald Hanotiaux rencontre aujourd’hui, prête à se lancer plus en avant dans la bande dessinée… Son énergie est carrément communicative ! Une amoureuse de botanique, également… Tous ces éléments se retrouveront dans son histoire du prochain numéro de 64_page.
Gérald Hanotiaux. Alice, c’est la première fois que nous allons voir ton travail dans la revue64_page, pourrais-tu te présenter pour les lecteurs et lectrices ?
Alice Roussel : Je m’appelle Alice Roussel, j’ai 29 ans. J’ai grandi et étudié en France, en faisant des séjours en Allemagne et aux Pays-Bas. Jusqu’à mes 24 ans, j’ai suivi des études d’ingénieure, et depuis cinq ans je travaille comme ingénieure informatique dans le milieu pharmaceutique, à Braine-L’Alleud. En parallèle, je suis une formation en botanique au Collège Pratique d’Ethnobotanique de François Couplan. Je dessine depuis toujours, et je fais aussi de la musique. Je me suis toujours plus considérée musicienne que dessinatrice, mais en grandissant, je me suis redécouverte en dessin, en réalisant notamment des « planches botaniques ». Assez logiquement, pour la fin de mes études en botanique à venir l’été prochain, j’en suis venue à choisir de réaliser un mémoire en bande dessinée publié à raison d’une page par semaine sur mon site « Le Pinceau Pissenlit » et ma page Facebook « A l’Ombre du Pissenlit ».
Gérald H :Que proposes-tu dans ce numéro spécial Western ?
Alice : Cette proposition de participer au numéro spécial Western est une immense joie. D’abord, grâce à cette opportunité j’ai fait du western, ce que je n’aurais jamais imaginé, et puis j’ai fait du réalisme à la plume, que je n’avais jamais touchée avant ! Zone de confort : 0/20. Je suis également très satisfaite d’avoir réussi à y placer un botaniste, qui de plus a réellement existé ! C’est donc une histoire inspirée de la vie d’un botaniste, qui s’appelle Marcus Eugène Jones. Ces pages m’ont bien occupée en mars-avril 2020. A la suite de cet essai, aujourd’hui j’ai envie de participer à des projets et de publier. J’ai envie d’entrer dans le milieu de la BD, mais petit à petit, dans ce cadre de réflexion personnelle, cette publication fait donc bien plaisir et est une réelle opportunité de lancement.
Gérald H : Comment t’es-tu retrouvée embarquée dans ce numéro de la revue 64_page ?
Alice : En janvier, j’avais un blocage sur mon travail. Avant ça j’avançais, je dessinais, puis au bout de trente pages, je ne sais pas pourquoi, je me suis retrouvée bloquée… Je déprimais et un ami m’a dit de montrer mon truc, j’ai donc tapé « rencontre éditeur BD » sur internet et je suis tombée sur un atelier-rencontre entre éditeurs et jeunes auteurs, organisé au Centre belge de la BD. On est alors le premier février, en téléphonant j’ai appris que je pouvais encore m’inscrire. En quelques jours c’était complet ! J’ai eu du bol. In extremis j’ai donc choisi des rencontres qui me semblaient cohérentes avec mon projet, en fonction de ce que je savais des éditeurs. Parmi eux il y avait 64_page, dont je ne savais que ce qu’il y a sur le site… C’est là que j’ai rencontré Philippe, à qui j’ai montré ces trente pages, il a été adorable, il a tout regardé attentivement, tout analysé : énorme coup de cœur ! Les remarques étaient constructives, il m’a dit de garder les contrastes entre les fleurs et le reste, et suggéré de retravailler mes « gestuelles ». Bref, avec lui ça a bien « collé », il m’a donc encouragée à publier dans 64_page. Depuis je ne dessine déjà plus de la même manière, mon dessin a un peu « mûri». J’ai refait totalement mes trente planches et même les pages de ce Spécial Western, plus récentes, seraient sans doute différentes aujourd’hui. Je suis vraiment touchée du tremplin qu’offre 64_page, pour quelqu’un comme moi qui débute dans le milieu, c’est génial.
Gérald H : Nous sommes la veille du second confinement, comment abordes-tu cette période ? (interview réalisée en octobre 2020)
Alice : Pour ma part, j’ai encore mon boulot sur le côté même si je me suis mise en 4/5 récemment pour me professionnaliser en dessin, c’est déjà ça de gagné. Je suis ingénieure en informatique, donc je suis en télétravail sans problème. Économiquement la crise sanitaire ne m’impacte pas actuellement, c’est dit, j’ai cette chance-là.
Finalement la place qu’occupe le dessin dans ma vie est de plus en plus grande, peut-être qu’en effet sans le confinement j’aurais été moins productive, et j’aurais peut-être eu moins de temps. Clairement le confinement de mars-avril m’a fait dessiner à fond. Mais mes enjeux actuels sont moins liés au confinement que dans mon exploration du dessin, dans la résolution du « syndrome de l’imposteur » et de comment me créer des opportunités. Cette année est vraiment charnière, elle me permet d’explorer de nouvelles pistes. Et puis, il y a l’aventure 64_page ! Voir mes pages publiées, c’est un vrai bonheur. Si je devais citer un accomplissement 2020, ce serait celui-là !
Merci Alice !
Vous pouvez suivre le travail d’Alice Roussel sur le site : www.lepinceaupissenlit.com et/ou sur sa page
Facebook : « www.facebook.com/A l’Ombre du Pissenlit/ » ou encore Instagram : « www.instagram.com/Under the Dandelion/ ».
Un petit dessin vaut toujours mieux qu’un long discours
Certains dessinateurs ont le trait très efficace et la parole un peu moins loquace. C’est le cas des deux auteurs que nous vous présentons aujourd’hui. Olivier LAMBERT, interviewé par Cécile Bertrand, et Quentin HEROGUER par Marianne Pierre.
Olivierest cartoonist chevronné qui dessine la nuit, il nous raconte ses rêves ou ses cauchemars. Mais dans tous les cas, il est drôle…
Quentin est un touche à tout, il cartoone, bédéise et aquarelise, notamment quand illustre des beaux livres touristiques sur Bruxelles pour l’éditeur Robert Nahum de 180° éditions
Les interviews d’Olivier et Quentin sont sur www.64page.com/interviews/
Quentin HEROGUER
Marianne Pierre – Ton western, avec sa créature horrifique, interpelle… Peux-tu, simplement, nous expliquer ta BD? Et comment l’idée t’est-elle venue?
Quentin HEROGUER : J’avais déjà fait une histoire de cowboy à l’école, ici j’ai repris les personnages que j’avais créés à l’époque mais en détourant le récit vers un humour plus sordide. Je voulais casser l’univers qu’on a l’habitude de voir dans les westerns.
Marianne Pierre – Qui est Jones Lewis Miller?
Quentin HEROGUER : Un cow boy solitaire et mystérieux qui fume sa clope sous la pluie
Marianne Pierre – Pour toi, le western, c’est rétro ou encore à la mode?
Quentin HEROGUER: C’est vieux et lent et puis le chapeau c’est un peu passé, non?
Marianne Pierre – – Ta première inspiration en western, tous genres confondus?
Quentin HEROGUER: Les films de tarantino
Marianne Pierre –– Quel est le dernier western que tu as regardé? Le conseillerais-tu?
Quentin HEROGUER : La BD Calfboy de Rémi Farnos, oui.
www.instagram.com/quentinheroguer
Olivier LAMBERT
Cécile Bertrand : Vous qui êtes au début de votre travail de cartooniste, pensez-vous qu’il y a un avenir pour le cartoon? Je fais référence au New York Times qui a décidé de se passer de toutes caricatures suite à une publication d’un dessin jugé antisémite aux EU. Dessin de mon ami Antonio Antunes qui avait été publié plus tôt dans l’EXPRESSO (sans réactions négatives) au Portugal et mis sur une banque de donnée que le New York Times a choisi lui-même de publier. Je connais Antonio , il n’est pas du tout du tout antisémite. Pensez-vous pouvoir en vivre maintenant, comme ce l’était dans les années 70,80…?
Olivier Lambert : Personnellement je n’ai jamais dessiné pour un journal à grand tirage mais j’imagine qu’il y a une ligne directrice à suivre sinon le patron vous met à la porte lol Perso. Pour moi le boulot de cartooniste est un boulot d’appoint.
Cécile Bertrand; Hésitez-vous à dessiner sur les sujets religieux?
Olivier Lambert : Non jamais, les histoires bibliques sont une source d’inspiration intarissable
Cécile Bertrand : Vous vous auto-censurez-vous?
Olivier Lambert : Non jamais
Cécile Bertrand : Saviez-vous, avant 2006 et les affaires des caricatures de Mahomet qu’on ne pouvait pas le représenter? (moi pas)
Olivier Lambert : oui, je le savais le prophète Mahomet n’a pas de visage, donc indessinable pour moi.
Cécile Bertrand : Avez-vous déjà eu des retours virulents suite à la publication de vos dessins liés à la religion sur les réseaux sociaux?
Olivier Lambert : vous allez rire mais non, par contre j’ai fait des dessins sur la police lors des manifestations des gilets jaunes et là je me suis fait insulter jusque dans mon messenger.
Cécile Bertrand : A une époque où tout dessin se retrouve en temps réel sur les réseaux sociaux dans le monde entier, pensez-vous qu’il soit possible d’être au courant de toute culture et de ce qui peut provoquer l’ire de ces dites cultures ou croyances.
Olivier Lambert : Quand on commence un dessin il faut être bien renseigné et bien se documenter sur le sujet, sinon on se fait passer pour des pingouins;)
Cécile Bertrand: La Covid 19 vous inspire-t-elle ou vous bride-t-elle?
Olivier Lambert : C’est un sujet passionnant, il suffit d’observer le comportement des gens et déjà des blagues me viennent à la tête
Cécile Bertrand :Quels sont vos projets dans le court et le moyen terme ?
Olivier Lambert : continuer à dessiner dans « Le Semainier » sur Facebook et d’autres pages dédié au dessin satirique. Je pense faire aussi un livre.. un jour peut être, j’ai tellement de dessins que je pourrais faire 5 livres lol.
https://www.facebook.com/groups/446961182716904/user/1003511858
Jean VANGEERBERGEN
Sproucht Floucht
Scénographe et metteur en scène Jean Vangeerbergen s’est lancé dans une double page très personnelle pour le projet Western de 64_page. Il explique à notre coordinateur d’édition son cheminement est ses projets.
Son Sproucht Floucht sera dans notre numéro #19 dont la sortie est prévue vers le 20 janvier 2021.
64_page : Tu es scénographe et metteur en scène, qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer dans ce projet « Western » ?
Jean Vangeerbergen : L’appel à projet de 64page est à peu près arrivé au moment où se terminait la tournée de mon précédent spectacle: La Ballade de Willy le Ket. Habillé de sa mythologie propre -celle du Western Chicon- le spectacle avait pour vocation première de montrer les rouages des violences à l’intérieur du couple et, plus particulièrement, ce qui habite les auteurs de violences. Le choix du Western en tant que genre (sa violence, son machisme, sa culture du virilisme, …) fut alors une évidence par rapport au propos abordé. Le collage proposé ici est donc à la fois une petite digression et une prolongation par rapport au travail fait autour du spectacle.
64 : L’univers Western est-ce un univers que tu connais bien pour l’avoir déjà abordé, tu as fais le choix de présenter un collage – une autre technique que tu pratiques – comment as-tu ce tableau Western qui nous renvoie à notre quotidien?
Jean : Je crois que je suis incapable d’aborder un projet sans qu’il ne s’ancre directement dans le monde qui m’entoure immédiatement. Ce que je fais doit avoir du sens (ne fût-ce que pour moi personnellement) et raconter une fable qui agit comme un miroir par rapport à mon époque, mon lieu de vie, … En cela, le Western est un outil parfait car, comme on le sait, les Westerns classiques ont plus parlé de l’époque où ils étaient produits – au travers de codes mythologiques définis- que de l’Histoire de l’Ouest. Sans pour autant y appliquer les codes du Western Chicon -trop longs à expliquer ici -, j’ai conservé , comme un jeu, le principe de clichés constituants un tout. Il n’y a plus qu’à espérer que cela fasse sens!
64 : As-tu des projets comme auteur de BD? Quelles sont les difficultés que tu rencontres pour atteindre tes objectifs ?
Jean : Par nature, je suis plutôt un éclectique. Aussi, m’adonner corps et âme au travail de bédéiste ne fait pas partie de mes envies. Toutefois, j’avoue, il traîne au fond de mes cartons quelques histoires que je partagerais volontiers avec de vrais bédéistes / illustratrices(eurs).
Benedetta FREZZOTTI
Il était une fois dans l’Ouest
Aujourd’hui, la tribu des Ferrand-Verdejo s’entretient avec Benedetta Frezzottisur « Il était une fois dans l’Ouest» son tout nouveau travail que nous trouverons dans le numéro spécial Western de 64_page dans votre boite-à-lettres fin janvier.
Pour rappel, Benedetta est « illustratrice et auteure de projets transmédias.Lorsqu’elle ne plie pas lepapier pour en faire de petites sculptures, elle est professeure d’illustration transmédia à la Libera Accademia D’Arte Novalia et à l’École internationale de la bande dessinée de Milan.
Son compte Instagram est www.instagram.com/bfrezzotti
Son appli Lost in translation est un projet transmédia. Il s’agit d’une façon innovante d’éducation interculturelle afin de la mettre à la portée de tous les lecteurs, qu’elle soit numérique ou analogique, une même histoire pourra être lue sur papier et sur smartphone en passant par l’application Lost intranslation comics (sur AppStore, Google Play ou Patreon). Pour ce numéro spécial western,nous sommes partis envoyage vers l’ouest… »
Tribu des Ferrand-Verdejo: Ciao Benedetta, commençons donc par le début de cette aventure et raconte-nous ce qui t’a motivée à participer dans ce numéro spécial WESTERN de notre chère revue 64_page. Comment s’intègre ce genre au sein de tes projets transmédias, je pense évidemment à ton projet et à l’appli Lost in translation ?
Benedetta Frezzotti : Je voulais un prétexte pour vous rendre visite à Bruxelles.
Tribu des Ferrand-Verdejo : Ce sont de beaux prétextes que tes œuvres qui nous permettent également de voyager jusqu’en Italie pour te voir et nous espérons, vraiment qu’elles te ramèneront aussi à Bruxelles en personne, dis-nous,qu’est-ce qui était le plus difficile et, au contraire, le plus facile à faire dans cet exercice et où as-tu trouvé tes repères pour procéder à exécuter la page que tu nous as proposée?
Benedetta Frezzotti : Le plus dur a été de trouver la bonne clé pour affronter le Western. En Italie, nous avons une tradition importante: TEX de Bonelli et Ken Parker d’Ivo Milazzo, ce sont eux qui m’ont influencée le plus. Mais ce sont des histoires qui appartiennent à la génération de mes parents, je ne pensais pas qu’un jour je m’essaierais à ce genre d’histoire. Essayer de me confronter à une telle tradition tout en restant cohérente avec Lost in Translationa été un grand défi pour moi.
Le plus simple, choisir les couleurs: j’ai copié Sergio Leone, j’espère qu’il me le pardonnera.
Tribu des Ferrand-Verdejo :C’est sûr que Sergio Leone sera très flatté de ce clin d’oeil ! Ton travail est toujours très ancré dans l’actualité et tu y arrives très bien grâce aux sculptures de papier que tu fais de tes propres mains, même en les adaptant au genre très classique du western, avec beaucoup d’humour en prime, est-ce que tu aurais envie de les adapter à un autre genre bien particulier ?
Benedetta Frezzotti : Oui, le Noir! J’ai dans mon tiroir une bande dessinée noire, très sombre, sur le syndrome de stress post-traumatique avec des tableaux qui rappellent les peintures de Jérôme Bosch. J’espère trouver un éditeur tôt ou tard!
Tribu des Ferrand-Verdejo :Et pour terminer une question très indiscrète: quelle est ta BD western préférée et pourquoi ?
Benedetta Frezzotti : Ah ça, c’est une question facile, Lucky Luke! Dès mon plus jeune âge, j’ai toujours trouvé que Calamity Jane était plus intéressante que les princesses endormies. Et puis, Lucky Luke a Jolly Jumper … et moi, j’ai toujours voulu un cheval avec qui ait le sens de l’humour …
Retrouvez Benedetta sur www.studioplatypus.it, Instagram: www.instagram.com/bfrezzotti, en attendant de découvrir sa page dans le spécial western de 64_page !
Tom LEWALLE
Pour une poignée de Bitcoins
L’interview de Tom LEWALLE est menée par la dessinatrice-animatrice de la Cartoons Académie, Cécile Bertrand. Habitué de la Cartoons Académie, Tom propose sa première BD pour ce 64_page Western.
Oufti ! Un auteur liégeois à découvrir !
Cécile BERTRAND : Vous vous auto-censurez-vous?:
Tom LEWALLE : En quelque sorte oui, j’ai pleins d’idées que j’aime qui ne finissent pas sur le papier parce qu’elles peuvent être interprétées comme un manque de respect ou parce qu’elle ne feraient rire que moi. Même si le manque de respect ça peut être très constructif quand le message est bien fait. Je m’auto-censure pour que mes dessins soient accessibles à un grand nombre mais pas spécialement pour flatter l’opinion de tous ceux qui me liront même si mon petit lectorat d’amis facebook à souvent la même opinion que moi ^^.
Cécile : Quels sont tes projets dans le court et le moyen terme ?
Tom : J’espère trouver de nouveaux clients qui achèteront mes illustrations, peut-être une place dans magazine. Avis aux amateurs : si vous avez un livre à illustrer, une présentation qui a besoins d’un peu d’humour ou si vous souhaiter peindre votre éléphant à l’effigie de Bob l’éponge appelez-moi au +32478784278 .
Cécile : C’est la première fois que tu publies dans 64_page, qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer dans ce projet « Western » ?
Tom LEWALLE : Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas fixé de défi dans mon art et j’ai profité de l’occasion du concours pour me motiver avec une échéance. Le plus dur dans ma vie d’artiste c’est la discipline et une échéance ça aide pas mal. Je dirais même plus, l’échéance sauve de la déchéance.
Cécile : Avez-vous déjà eu des retours virulents suite à la publication de vos dessins liés à la religion sur les réseaux sociaux ?
Tom : J’ai juste eu quelques réactions fâchées pour des dessins sur la politique et sur le pape, mais pas encore de grosse polémique dans les commentaires de mes dessins. Je suis pas encore assez connu pour ça. Mais j’ai quand même une peur liée au réseaux sociaux, la peur que je fasse un dessin trop naïf ou qui serait offensant à des personnes que je ne veux pas offenser et que la machine virale de l’internet s’emballe contre moi haha. Pas mal de comédiens se sont retrouvé au pilori virtuel ces dernières années c’est un métier dangereux surtout quand on le fait bien.
Pour découvrir l'univers de Tom LEWALLE : www.facebook.com/LesDessinsaTomLewalle
PAMANCHA
Bill Keane dans VITE !
Pamancha a remué ardemment nos zygomatiques avec sa bande « Bill Keane dans VITE ! », au sommaire du numéro 19 Spécial Western. Il n’est plus si courant de vraiment rire en lisant une bande dessinée, pas seulement sourire… Petite rencontre avec l’auteur.
Gérald Hanotiaux. En guise de première question : comment te présenterais-tu à nos lecteurs ?
Pamancha : Je suis Noam, alias Pamancha (le pseudo vient de nulle part), je suis dessinateur/illustrateur depuis quelques années. J’ai terminé des études dans la bande dessinée il y a un an, à Saint-Luc Bruxelles, et depuis je me consacre à différents projets d’histoires, qu’elles soient courtes (comme celle-ci, pour 64_page) ou longues.
Ma pratique du dessin est un peu difficile à qualifier exactement, je crois qu’elle peut se résumer à une quête de ce qui m’amuse. Dans les traits, les textures… Il ne faut pas que les lignes et les textures soient trop sérieuses dans leur comportement, sinon faire du dessin serait quelque chose de très lourd. Dans mon travail, c’est précisément cette espièglerie du dessin que je veux atteindre, même quand il se montre plus sombre, avec un ton plus violent, déprimant ou implacable.
Cette tension, cette ironie, cette impertinence du trait a son importance. J’ai du mal à voir mon travail comme quelque chose d’entièrement sérieux dans le ton, comme beaucoup de dessinateurs. Cette liberté, cette légèreté de ton est peut-être justement ce qui les (nous?) garde motivés.
Gérald : Tu évoques avec raison l’humour, qui caractérise ton travail. On peut, sans avoir peur de se tromper, dire que notre époque a besoin d’humour plus que jamais. Ce qui me donne envie de te demander : créer et dessiner en période de confinement, c’est facile ?
Pamancha : Je dirais que ça dépend énormément. Le processus créatif est lié à des émotions de toutes sortes, de manières subtiles, et tout le monde réagit différemment à des conditions comme celles du confinement du printemps.
J’ai de la chance à ce niveau, je suis d’un naturel casanier. Personnellement j’ai été assez productif pendant cette période, mais j’étais également dans des conditions professionnelles favorables à la concentration, occupé sur des projets concrets avec des deadlines inflexibles qui motivaient la pratique quotidienne et le souci de bien faire le travail, et donc de rester motivé. Je pense que ma productivité s’est surtout basée sur ces éléments, mais ils ne changent pas fondamentalement en-dehors d’une période de confinement. En tout cas pour moi. Ce qui change peut-être, c’est comment je vois le sens de la pratique : si notre époque a plus que jamais besoin d’humour, en créer peut paraître de plus en plus dérisoire, au vu de l’état de la société. Comment ne pas voir dans un gag un geste vide, dénué de sens, quand tant de choses vont mal ? Toute la difficulté est de ne pas perdre de vue l’importance de rire.
Gérald : L’une des motivations de 64_page est de pallier le manque de revues, qui existaient en nombre dans le passé pour permettre aux jeunes auteurs de se lancer. Que dirais-tu des possibilités/difficultés aujourd’hui de se lancer, se faire connaître? Dans un contexte, – paradoxalement quelque part – de surproduction de livres par les éditeurs.
Les possibilités existent toujours, comme les difficultés. En soi, ce n’est pas étonnant que le monde du livre se soit refermé avec le temps, préférant un système en vase clos, tout simplement parce que le marché s’est réduit. Les livres, les bandes dessinées ne se vendent plus autant aujourd’hui qu’il y a 50 ans, et ce déclin a forcément une influence sur la manière dont les auteurs vivent, et dont les nouveaux auteurs entrent dans le milieu.
L’aspect financier reste la plus grande difficulté à laquelle font face les auteurs aujourd’hui, il n’est pas rare qu’il faille compenser son activité dans la bande dessinée avec une autre, pour faire rentrer de l’argent dans le foyer, c’est presque une obligation pour les jeunes auteurs. Les opportunités de lancer sa carrière ne manquent pas, mais elles ne garantissent jamais comment cette carrière va évoluer par après.
D’un autre côté, nous vivons également dans une époque où les maisons d’édition ne sont plus le seul moyen de faire parvenir un livre à un large public. Par exemple, le principe du financement participatif peut offrir une alternative intéressante pour des projets qui n’ont pas forcément su passer à travers le filtre des éditeurs. Je pense que le futur du livre sera forcément en partie bâti sur un rôle accru d’internet. Il reste à savoir à quels degrés, mais ça, seul l’avenir nous le dira.
Gérald : Pourrais-tu nous parler de tes projets dans le dessin et la bande dessinée, à court terme sur lesquels tu serais occupé à travailler, et à plus long terme, ce vers quoi tu voudrais aller?
Pamancha : J’ai repris des études cette année, donc je prends moins le temps de travailler dans la bande dessinée… En ce moment, je travaille sur de petits strips et/ou gags absurdistes, pour me détendre. Simultanément, j’expérimente avec l’animation, en autodidacte. Au niveau des projets plus conséquents, j’ai plusieurs pistes. Le projet le plus avancé que j’aie en stock est La Main de l’Artiste, l’histoire d’un peintre vide d’inspiration, dont la main se détache, prenant vie, et peint ses œuvres à sa place. Je projette également de travailler sur un scénario (encore non titré) de l’écrivain Yves Wellens, ou encore sur un livre illustré (inspiré d’Edgar Poe) que j’ai commencé à écrire moi-même.
Merci Pamancha !
Vous pouvez aller voir le travail de Pamancha à cette adresse : https://www.instagram.com/pamanchathebelgianartist/
Romain RIHOUXparticipe pour la première fois à 64_page et il nous propose Un western Spaghetti, une page de haute volée avec une technique à découvrir dans le 64_page #19 spécial Western dès le 20 janvier 2021.L’interview est de Philippe.
ROMAIN RIHOUX
Un Western Spaghetti
Philippe : C’est la première fois que tu publies dans 64_page, qu’es-ce qui t’a motivé à te lancer dans ce projet « Western » ?
Romain Rihoux : Cela fait quelques années que je suis l’atelier d’illustration et de bande dessinée à l’académie de Chatelet. J’ai envie de réaliser une Bande dessinée, mais je n’ai pas encore toutes les techniques en main, et surtout, je cherche encore à développer mon univers visuel.
Je travaille dans la création de visuels, plutôt en vidéo et animation. Mais en dessin, je ne maîtrise pas encore très bien tous les outils et techniques que j’utilise. J’ai donc vite tendance à remettre en question mon travail, et n’abouti pas toujours à des projets finis et diffusables. Le plus simple pour avancer dans cette situation, c’est d’avoir des contraintes. Faire une planche dans le cadre d’un concours par exemple. Et c’est ce qui m’a motivé dans ce cadre ci. Le western n’est pas spécialement mon univers de prédilection, mais ça m’a justement permis de faire un travail visuel que je n’aurais pas fait spontanément. Et c’est un réel accomplissement de ce point de vue !
Philippe : Dans ta présentation pour 64_page, tu nous dis ta volonté de rechercher des styles graphiques, des ambiances, peux-tu nous dire comment tu as défini le graphisme et l’ambiance de ce Western spaghetti ? Et quelles sont les techniques employées pour cette belle page?
Romain : J’avais quelques idées en tête, et l’envie d’avoir une scène avec un mouvement ample, en pleine action, avec des spaghettis qui volent. Je n’ai pas encore tout à fait réussi à traduire cela. Mais la case centrale m’a guidé pour composer la planche.
Pour le look visuel, j’ai tendance à rechercher des solutions très graphiques, ou stylisées, mais au final je vais spontanément vers des rendus plus détaillés. Je dois donc encore un peu définir mon style visuel. Mais j’ai apprécié essayer travailler l’ambiance et les jeux de lumières de la planche.
J’ai travaillé dans Adobe Fresco. Un outil que je découvrais. J’apprécie travailler avec des outils numériques pour finaliser la disposition et pour la mise en couleur et les textures. Fresco fonctionne bien comme outil similaire à l’aquarelle.
Philippe : Quels sont tes projets comme auteur de BD? Quelles sont les difficultés que tu rencontres pour atteindre tes objectifs ?
Romain : J’ai très envie de me lancer dans un projet de récit un peu plus long en bande dessinée. Je ne maîtrise pas toutes les techniques nécessaires, mais je suis plutôt autodidacte, et je pense qu’il faut se lancer pour apprendre et pour se voir avancer.
Néanmoins, comme je le disais précédemment, j’ai tendance à tout remettre en question et je n’abouti donc pas à grand-chose pour le moment. Mais j’ai plusieurs projets en tête, et mon objectif est donc d’en mener à bien.
Cécile BERTRAND anime depuis deux ans sa Cartoons Académieet elle a interviewé quelques-uns de ses meilleurs crayons qui, eux aussi, ont participé à ce 64_page Western, dont VINC. le 64_page Western sera en vente le 20 janvier 2021.
Pour découvrir http://www.64page.com/cartoons-academie/ et si comme Vinc vous voulez dessiner pour la Cartoons Académie, envoyez vos dessins sur l’adresse 64page.cartoons@gmail.com
VINC
Cartoons Lucky Luke
Cécile Bertrand : Vous vous auto-censurez-vous?
Vinc : Oui ça m’arrive, même si cela reste assez rare. C’ est quand arrive l’étape de l’encrage, que je regarde mon dessin tout en me posant des questions: » Le thème est-il bien choisi? Ne vais-je pas choquer les gens de par son contenu ou tout simplement le dessin en lui-même? Ou tout simplement « N’ai-je pas trop exagéré en caricaturant la personne ciblée? ». La plupart du temps, quand je me pose toutes ces questions c’est que mon dessin n’est pas bon et que je dois aborder le thème d’une manière différente ou tout simplement changer de sujet.
Cécile : La Covid 19 vous inspire-t-elle ou vous bride-t-elle?
Vinc : En réalité, un peu des deux (rires) : Au début de la pandémie, c’était un parfait inconnu qui nous permettait à nous dessinateurs de la représenter à travers une multitude de faits divers drôles ou moins drôles. Au début de la crise, j’avais tellement produit de dessins sur la COVID, que j’avais même pensé faire un recueil « spécial Corona » qui aurait rassemblé mes meilleurs cartoons sur le sujet, tout en pensant à ce moment-là, que cette crise sanitaire n’allait pas durer si longtemps….
A l’heure actuelle (9 mois après le début de la pandémie), le virus fait (malheureusement) encore partie de notre quotidien et donc de l’actualité, ce qui me donne encore pas mal d’idées à ce sujet, mais je dois bien l’avouer: j’ai beaucoup moins de plaisir à trouver des idées tellement on en entend encore parler. C’est bien simple, presque un dessin sur deux que je fais quotidiennement a pour thème la Corona.
Cécile : Vous qui êtes au début de votre travail de cartooniste, pensez-vous qu’il y a un avenir pour le cartoon? Je fais référence au New York Times qui a décidé de se passer de toutes caricatures suite à une publication d’un dessin jugé antisémite aux EU. Dessin de mon ami Antonio Antunes qui avait été publié plus tôt dans l’EXPRESSO (sans réactions négatives) au Portugal et mis sur une banque de donnée que le New York Times a choisi lui-même de publier. Je connais Antonio , il n’est pas du tout du tout antisémite. Pensez-vous pouvoir en vivre maintenant, comme ce l’était dans les années 70,80…?
Vinc : Difficilement, pour quelques uns oui, mais il faut être réaliste: le métier de cartoonist à bien changé par rapport aux années 70, 80….
Elle est bien loin, cette époque, ou les dessinateurs ou les dessinateurs pouvaient aborder des sujets sensibles en se moquant librement de tout sans en être menacés pour autant. Il y a aussi autre chose qui différencie notre époque des années 70, 80 : la communication. Avec l’arrivée d’internet et des réseaux sociaux, un dessin peut plus facilement et plus rapidement se partager, se « propager » à travers le monde mais aussi être commenté sans temps de réflexion qu’il y a 30, 40 ans ou on en était encore limité à la TV et les journaux.
Découvrir le travail de Vinc : Facebook: https://www.facebook.com/Vinc-316928982178809/?modal=admin_todo_tour Instagram: https://www.instagram.com/vincentnols/?hl=fr
Nous publierons une interview tous les trois jours, jusqu’à la sortie de ce 64_page Western. Aujourd’hui, Celia DUCAJU pour Sauvage Entretien mené par Gérald Hanotiaux. L’interview complète sur http://www.64page.com/interviews/
Celia DUCAJU
Celia Ducaju
Sauvage
En octobre 2020, nous avons établi le contact avec notre dessinatrice du jour, pour évoquer les pages présentes dans le numéro Spécial Western. En les voyant, on se dit de suite : « la grande classe ! » Le soir même, totalement par hasard nous retombons sur le numéro 5 de la revue « BEDEphile », éditée par le festival Suisse BDFIL. Surprise, ce dernier organisait en 2018 un concours et nous tombons sur cet avis, accompagné d’une magnifique page de bande dessinée : « Premier prix : Celia Ducaju » !
Gérald Hanotiaux : Afin de lancer ce nouveau numéro de 64_page, nous proposons une brève rencontre avec chaque auteur et autrice. Pourrais-tu te présenter brièvement ?
Celia Ducaju : Je suis Celia Ducaju, j’ai 27 ans. J’ai suivi le cursus de bande dessinée à Saint-Luc pendant trois ans, puis comme j’ai toujours été intéressée par les sciences, je me suis spécialisée ensuite dans le dessin scientifique durant deux ans à Paris. Depuis je travaille dans ce domaine-là, dans la vulgarisation des sciences. Il y a deux ans j’ai gagné le concours Jeunes talents du salon suisse BDFIL (1), ce qui m’a donné envie de retourner vers la Bande dessinée. Du moins essayer. Je suis donc passée à mi-temps dans mon travail pour pouvoir me consacrer plus longuement à des projets personnels. C’est comme ça que j’ai pu envoyer ces quatre pages à 64_page. Pour le moment, je travaille sur un dossier BD avec une scénariste, on attend des réponses d’éditeurs. Sur le côté je fais aussi un peu d’illustration, de l’animation, de la peinture (2), des choses plus personnelles.
Gérald : Tu pourrais présenter ce qu’est le dessin scientifique ?
Celia : Question classique. On me le demande souvent, j’ai donc une phrase-type pour répondre : vous voyez sans doute les planches anatomiques, avec les « corps écorchés ». Le dessin scientifique, ça peut être ça, mais pour toutes les sciences, et bien sûr aussi en plus moderne. En soi, il s’agit vraiment de vulgarisation, dans tous les domaines : de l’anatomie, de la biologie ou même de l’illustration naturaliste avec des animaux, des plantes. On a aussi réalisé des projets en physique, ou en informatique.
Il s’agit vraiment de réaliser l’aspect à visualiser scientifiquement pour que ce soit le plus compréhensible possible pour le public visé. C’était assez large comme études, au sein desquelles il y a vraiment de la création, que ce soit en dessin ou en animation. Mon travail de fin d’étude, je l’ai réalisé en bande dessinée, ce que les enseignants ont apprécié. Quand c’était possible, ils nous poussaient là-dedans. Ça correspond de plus à un courant contemporain de bande dessinée, comprenant des livres scientifiques, historiques, de reportages journalistiques. La bande dessinée représente selon moi un excellent moyen de vulgarisation d’un sujet ou d’une discipline.
Gérald : Un des buts de la revue est de pallier le manque de revues, auparavant très présentes pour se lancer en tant que nouvelle autrice. Comment es-tu arrivée vers 64_page ?
Celia : J’avais vu passer un avis sur internet et j’ai envoyé mes pages. Une semaine plus tard, il y avait également un « atelier-rencontre » avec les éditeurs au Centre belge de la BD. Ce genre de rencontres sont très importantes, car c’est réellement différent de rencontrer une personne, que d’envoyer indéfiniment des projets et recevoir les mêmes mails-type de refus. J’ai aussi participé au prix Raymond Leblanc, pour lequel a également eu lieu une rencontre, avec des discussions autour des travaux. Sinon, on ne sait bien souvent pas vers quoi aller, sur quoi travailler et qu’améliorer.
Dans l’art, malheureusement, le rapport « maître/apprenti » s’est beaucoup perdu, qui existait aussi beaucoup dans l’artisanat. Au sujet des revues de prépublication, c’est très dommage, car ces nécessaires échanges avaient lieu également dans ce cadre, avec l’aspect « groupe de dessinateurs » : des plus jeunes arrivent, reçoivent des conseils des anciens…
Gérald : Toujours au sujet des manières de se faire connaître, nous pourrions parler des prix. Tu as eu un premier prix en Suisse, est-ce également une manière de se faire connaître ?
Celia : Oui. Les concours ont en partie pris un rôle que les revues n’assurent plus. On peut y envoyer des choses dans lesquelles on expérimente, sans devoir tout maîtriser. Car les éditeurs ont tendance aujourd’hui à vouloir tout de suite qu’on soit au point sur tout. Et certains prix offrent une vraie visibilité. Il y a cependant également certains « travers », car il faut en quelque sorte faire ce que le concours désire, entrer dans ses critères, même s’il y a une marge.
Après le prix BDFIL, j’ai proposé trois planches aux jeunes talents d’Angoulême. Elles n’ont pas du tout été retenues, mais j’étais super contente de les avoir faites et j’ai eu de bons retours. Je les ai mises dans mon « book », et des professionnels ont flashé dessus lorsque j’ai pu leur montrer. Certains ont pointé ces pages en disant clairement : « tu dois faire quelque chose dans ce style-là ». Sans ce concours je n’aurais peut-être pas tenté autre chose, avec une nouvelle technique, et je ne me serais pas orientée vers ce style. C’est une bonne surprise pour moi-même. Et puis, il y a une « deadline », des contraintes, ça peut donner de bons « déclics ». C’est un peu comme les exercices de l’école. En fait, en quittant l’école c’est bien de faire les concours, pour garder une sorte de discipline, produire et tenter de nouvelles choses. Ces déclics, quand on n’est pas encore mature, c’est bien pour trouver son style personnel progressivement.
Le prix BDFIL, c’était également très important parce que les trois premiers prix sont invités au festival, et là on rencontre plein de gens, le jury, des éditeurs, des auteurs, l’équipe du festival, le public…
Gérald : Nous sommes la veille du second confinement -littéralement-, comment abordes-tu cette période ?
Celia : Pour moi c’est plutôt positif, j’ai trouvé un fonctionnement. J’ai aussi trouvé des opportunités pour produire, donc je me dis « je peux faire ça, hop je m’y mets ». Je suis plus productive en confinement, je peux explorer plein de choses, même si vu la durée prévue, de plusieurs semaines, j’ai peur un moment de me lasser… Il faut se ménager des pauses mais, globalement, j’aborde ça positivement.
Merci Celia !
(1) Travail visible sur le site du festival : https://www.bdfil.ch/concours-nouveau-talent-2018-2/ (2) Une exposition est prévue dans le courant 2021, en collaboration avec le Musée de la Médecine de Bruxelles (Route de Lennik 808, 1070 Anderlecht) Vous pouvez voir le travail de Celia Ducaju: www.behance.net/CeliaDucaju www.instagram.com/celiaducaju
Mario LANCINI
Il était une fois dans le Dead
La tribu des Ferrand-Verdejo s’entretient avec Mario Lancini sur sa BD « Il était une fois dans le Dead » qui paraîtra dans le numéro spécial Western de 64_page.
C’est ainsi qu’il présente son projet : « Grâce à mes secondaires artistiques et à mes enseignant·e·s passionné·e·s, j’ai eu envie de faire une histoire. Avec le temps, j’ai mis ce projet de côté. Un jour, on me parle d’une académie, d’un cours sympa, d’un chouette prof. J’écoute mes amis et là, tout redémarre. www.instagram.com/ml_skuletton
Mario LANCINI : «Il était une fois dans le dead. C’est avec une touche de poésie, un brin de sarcasme et beaucoup d’humour, que sont arrivés mes squelettes. Skuletton, c’est tout le monde et personne, c’est ceux et celles quinous ont précédés et qui portent un regard sur leur vie, avec le recul de la mort. »
Tribu Ferrand-Verdejo : Bonjour Mario, ton projet « Il était une fois dans le dead » a été sélectionné par l’équipe de 64_page.Tout d’abord, nous aimerions que tu nous expliques ce qui t’a motivé à participer à ce numéro spécial WESTERN de 64_page et comment as-tu envisagé d’y placer ton personnage Skuletton, pourrais-tu nous donner un élément visuel ou scénaristique qui t’a aidé à démarrer ce projet ?
Mario Lancini : Ce qui m’a donné envie de participer?
A la base, j’ai vu la proposition de 64_page pour réaliser quelques planches sur ce thème, juste au moment où je manquais de motivation pour le projet que je réalisais. J’ai donc fait une pause et j’ai dessiné mon shérif, plus pour passer le temps qu’autre chose. Étant inscrit à l’Académie des Beaux-Arts de Châtelet en Bande dessinée et illustrations, cela représentait un bon exercice.
Après je me suis pris au jeu et j’ai poursuivi en ajoutant ce qui dans ma mémoire était symbole de western : shérif, saloon, French-Cancan, indien, etc.
Tribu Ferrand-Verdejo : Et qu’est-ce qui était le plus difficile et, au contraire, le plus facile à faire dans cet exercice et où as-tu trouvé tes repères pour procéder à exécuter les pages que tu nous as proposées (influences, inspiration, etc.) ?
Mario Lancini : Ce qui était plus difficile c’est le fait que je ne suis pas très friand de western et de l’image de cette période, trop brutale à mon goût. Cependant, ce n’est pas très original mais “Danse avec les loups” m’a beaucoup marqué. Comment le fait d’apprendre de l’autre tisse une histoire et permet d’aborder une nouvelle approche.
Ce qui était facile c’étaient les repères et les images “clichés” de ces histoires. Tout le monde à une vision d’un saloon, d’une randonnée à cheval sur un sol aride. Facile aussi de savoir sur quelle partie de ce sujet je voudrais interpeller les gens. Une fois que l’on sait tout ce que l’on voudrait dire c’est un bon début, après il faut s’assurer de respecter les consignes, que ce soit court, clair, et je voulais que l’histoire garde un aspect drôle malgré tout.
Tribu Ferrand-Verdejo : Tes personnages sont très attachants parce qu’ils demeurent très actuels, très ancrés dans une certaine réalité aussi, des « os » qui se révoltent mais néanmoins continuent de bouger harmonieusement en quelque sorte, alors même que tes squelettes nous plongent dans le passé du genre western mais aussi dans l’histoire tragique de tout un continent. Tu évoques, si nous ne nous abusons pas, justement « un regard sur la vie avec le recul de la mort », qu’est-ce que ce recul te permet de faire plus précisément ici, en t’essayant plus particulièrement au genre du western ?
Mario Lancini : Ce recul me permet surtout, même si c’est bref, de rappeler que l’Histoire est pleine de leçons et que c’est certes utopique mais ça serait cool que certaines choses ne se reproduisent pas. Ce shérif ne juge plus, il ne demande pas à revenir en arrière, ce qui est fait est fait mais il a eu le temps de se rendre compte des choses et en fait part en gardant le profil bas. C’est l’ancêtre qui nous raconte, c’est l’adulte qui admet ses imperfections.
Tribu Ferrand-Verdejo : Est-ce que tu aimerais plonger tes squelettes dans un autre genre ?
Mario Lancini : Oui, il y a un côté challenge et l’avantage de ces squelettes c’est qu’ils ont vécu tellement de choses et qu’il leur en reste tellement à vivre encore, que ça ouvre les possibles.
Tribu Ferrand-Verdejo : Pour terminer, une BD western préférée?
Mario Lancini : Je vais encore manquer d’originalité mais j’aimais beaucoup Lucky Luke et Yakari.
Pour continuer à échanger avec Mario Lancini, vous pouvez retrouver ses squelettes qui ne manquent pas de tendresse ni d’humour sur instagram : www.instagram.com/ml_skuletton et très bientôt sur le spécial western de 64_page !!!
Aurélie WILMET
La jeune autrice rencontrée aujourd’hui rejoint le groupe, de plus en plus large composé de celles et ceux publiant un premier album après être passée par notre revue 64_page. En outre, cela se réalise de manière brillante : elle a reçu le prix de la première œuvre en bande dessinée pour l’année 2020, au sein des Prix littéraires de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Son album « Rorbuer » est publié par Super Loto Éditions.
Gérald Hanotiaux : Bonjour Aurélie, pour démarrer, pourrais tu te présenter à nos lecteurs, tout en évoquant ton parcours de dessinatrice ?
Aurélie Wilmet : Née à Bruxelles en 1991, j’ai très vite réalisé que j’aimais dessiner, avec le projet d’un jour poursuivre des études dans ce domaine. J’ai également compris qu’il allait me falloir de la détermination pour avancer et rester fidèle à mes choix, dans une famille pas toujours en accord avec mes décisions et plutôt adepte de cette idée que « L’art et la culture sont des passions et non des métiers d’avenir ».
Plus que déterminée, j’entame des études secondaires à Saint-Luc Bruxelles en Arts plastiques. En 2010, je tente l’examen d’entrée pour le bachelier d’illustration à l’Ecole Supérieure des Arts (ESA) Saint-Luc Bruxelles où, hélas, j’échoue. Un peu perdue, je me dirige vers une première année de bachelier à l’ESA « le 75 », en peinture, en attendant l’année suivante pour retenter l’examen d’entrée de Saint-Luc. Je qualifierais cette année au 75 de « déconcertante et libératrice » au cours de laquelle je découvre le laisser aller dans le processus créatif, et l’exploration de soi dans la recherche.
En 2011, après de nombreuses hésitations, je retente l’examen d’entrée et j’intègre l’ESA Saint-Luc en Illustration. J’apprends la technique, la décomposition d’un récit, la création d’un scénario… et je comprends mon manque d’une liberté d’expression, une autonomie, pourtant découverte lors de mon année de peinture au 75. Pour cette raison, j’entame en 2014 un master en « Narration spéculative », option « Illustration bande dessinée » à l’École de recherche graphique (ERG). Je découvre mon style, le feutre et les crayons de couleur, et les sujets qui me passionnent. C’est durant ce cycle d’études qu’est démarré « Rorbuer », en 2016, après un voyage en Norvège où je découvre le folklore et les contes nordiques.
Insatisfaite par le projet présenté lors de mon jury, je le place sur le côté jusqu’en 2017, (ndlr: dans son N°11 d’avril 2017, la revue 64_page prépublie 8 pages de Rorbuer) moment où je le retravaille et obtiens la bourse « découverte », réservée aux jeunes auteurs de bande dessinée de la fédération Wallonie Bruxelles. En 2018, je pars vivre et travailler au Québec pour me recentrer et terminer le projet « Rorbuer »,et enfin le présenter à des éditeurs.
En 2019, Super Loto Editions me propose de le publier : commence alors cette « Super aventure », qui mènera à ce prix de la première œuvre en bande dessinée, reçu le 1er décembre 2020.
Gérald : Dans le numéro 11 de 64_page certaines de tes planches ont été publiées, extraites déjà de Rorbuer. Le prix reçu pour ton premier album prouve en quelque sorte que ce travail de prépublication et de découverte a tout son sens, nous avons manifestement eu raison…
Pourrais-tu expliquer ta motivation à publier ces pages dans notre revue ? Et quel rôle peut jouer le fait de se voir publiée, dans un processus d’élaboration de premiers travaux ?
Aurélie : J’avais déjà entendu parler de 64_page pendant mes études, mais je ne m’étais malheureusement jamais penchée sur le travail de cette revue qui aujourd’hui me semble être primordial. C’est en me rendant à la « journée rencontres » du Centre belge de la BD avec les premières planches de « Rorbuer », en 2016, que j’ai réellement découvert la revue et son travail de découverte de jeunes auteurs. C’est au cours d’une discussion avec Philippe Decloux que j’ai réalisé l’ampleur du projet de 64_page, mais aussi mon envie de faire partie de l’aventure en proposant le début de cette histoire qu’est « Rorbuer ».
64_page est devenu un tremplin pour les jeunes auteurs qui souhaitent, non seulement gagner une première visibilité, mais également prendre confiance dans les projets qu’ils souhaiteraient soumettre par la suite à des éditeurs. Personnellement, cette première publication m’a encouragé à continuer ce projet, il me tenait à cœur mais, comme c’est souvent le cas hélas, je manquais un peu de confiance en moi, je n’étais pas certaine qu’il ait suffisamment d’intérêt pour être proposé à des éditeurs.
Gérald : Que penses-tu du rôle d’un prix dans l’émergence d’une nouvelle autrice… Peux-tu déjà mesurer les répercussions d’une telle visibilité?
le prix qui couronne
son premier album
Aurélie : Non, je pense qu’il n’est pas possible à l’heure actuelle de réaliser les répercussions de ce prix sur mon travail d’autrice de bande dessinée. D’après moi, obtenir un prix à ce stade est une chance, une reconnaissance pour un travail, mais surtout un coup de pouce vers de nouveaux projets. C’est le plus important : convaincre les jeunes auteurs et autrices que leur travail a du sens et qu’ils méritent une visibilité.
Gérald : Pourrais-tu partager tes réflexions sur le contexte actuel de la bande dessinée, où il n’y a jamais eu autant d’œuvres à lire. Les éditeurs classiques, qui ont compris l’importance de leur patrimoine et l’intérêt de le mettre en valeur, cohabitent avec une abondance de petits éditeurs réalisant un travail de découverte, parfois important avec peu de moyens. Comment émerger dans cette abondance, et comment envisager sa « subsistance », nécessaire pour pouvoir avancer dans son travail artistique ?
Aurélie : Avant de réellement me lancer dans la recherche d’un éditeur, je n’avais jamais réalisé le nombre de petites structures indépendantes qui avaient émergé ces dernières années. Sincèrement, je suis fascinée par le travail fourni par ces petites structures. Elles permettent, par leur nombre et leur diversité, de proposer toujours de nouveaux moyens d’interpréter la bande dessinée. Il est bien évidemment difficile de s’y retrouver dans cette abondance de sorties, mais en même temps c’est une preuve que la bande dessinée classique est toujours aussi présente, tout en étant questionnée par cette émergence d’éditeurs indépendants réinventant le genre.
Je n’ai pas réellement de réponse à la question de comment émerger parmi cette abondance, car même si aujourd’hui je suis heureuse que « Rorbuer » ne soit pas passé inaperçu lors de sa sortie, je comprends aussi que l’important est de rester fidèle à ce qui nous anime… Avec un peu de chance, on retrouvera cette passion dans nos récits. Il ne faut pas se mentir, la « subsistance » d’un auteur n’est pas assurée par les ventes faites par son premier livre. Soyons sincères, c’est loin d’être la réalité. Je pense donc qu’il est important de rester réaliste, mais également de réaliser la possibilité de travailler dans ce domaine.
Dans ma courte expérience, j’ai rapidement compris qu’il fallait apprendre à créer des dossiers pour les demandes de bourses, de résidences d’artiste… C’est grâce à ce type d’opportunité que l’on trouve la motivation et le temps, mais surtout l’argent, pour nous permettre d’avancer dans nos projets avec plus de sérénité. D’après moi, c’est en créant des opportunités qu’on émerge dans la bande dessinée, comme d’ailleurs dans bien d’autres domaines.
Gérald : Pour finir, pourrais-tu présenter ton album aux lecteurs de 64_page ? Sans déflorer celui-ci, peux-tu en résumer les thématiques et ce que tu as voulu faire passer aux lecteurs ?
Aurélie : Comme évoqué tout à l’heure, « Rorbuer » est une bande dessinée commencée en 2016, lors de ma dernière année de Master. Beaucoup de choses ont changé depuis, mais le Nord et les « Rorbuer » sont restés. Le mot Rorbuer désigne les petites cabanes de pêcheurs que l’on peut trouver dans le nord de la Norvège. Je l’ai choisi pour titre de cette bande dessinée, à l’intention d’un lecteur désireux de se plonger dans une expérience visuelle et mystique, au cœur d’un village perdu du Grand Nord. L’histoire prend place au sein d’un village côtier nordique, où les mythes et légendes rythment et gèrent le quotidien des habitants. À l’exception d’un lexique placé à la fin du livre, la bande dessinée est muette, découpée en quatre parties reprenant les termes norvégiens qui me permettent de structurer le récit et les cérémonies rituelles : Tørrfisk, Misteltein, Lysstråler et Fiskekongen.
Chaque chapitre met en place une série de croyances où la mort physique des hommes en mer n’est pas le dernier stade de leur être, mais bien un passage, laissant l’âme perdue s’accrocher au banc de poissons… Mon récit part de cette première croyance pour évoluer vers des rites, cérémonies de guérison et d’hommage, à la frontière où se touchent les froides immensités terrestre et maritime. Principalement inspirée par les contes folkloriques et la mythologie nordique, j’utilise les entrechoquements de couleurs froides et chaudes en utilisant des crayons de couleurs et des marqueurs Copic, pour souligner les extrêmes de cette région du Nord.
Gérald : Question classique : travailles-tu déjà sur un nouveau livre ? Quels sont tes projets ?
J’ai en réalité un tas de projets, que j’aimerais réaliser en 2021. Cependant, le plus important à l’heure actuelle est de me consacrer à mon nouveau livre, sur lequel j’ai commencé à travailler il y a quelques mois. Je ne suis pour l’instant qu’au stade de la recherche, mais je dois avouer que j’adore ce moment où rien n’est encore défini, où justement tout est encore possible. Pour l’instant, dans mon esprit, je sais juste que cette nouvelle bande dessinée prendra place au Québec et aura un lien direct avec les « Indiens » d’Amérique du Nord. L’envie de travailler sur ce sujet est bien entendu née lorsque je vivais à Montréal, où je souhaiterais d’ailleurs retourner en 2021, pour continuer mes recherches et commencer les premières planches. Le voyage est rendu possible grâce au service des lettres et du livre de la Fédération Wallonie Bruxelles, qui m’a octroyé la Résidence d’artistes au Québec, en 2021. Le départ se fera lorsque la situation sanitaire sera un peu apaisée…
Merci Aurélie.