Lundi 25 novembre,
Journée mondiale contre les violences
faites aux femmes
Elles, les femmes, étaient des centaines milliers a défilé partout dans le monde pour lutter contre ces violences de tous ordres qui vont de l’humiliation quotidienne au féminicide en passant par le viol, les coups, les exclusions, les excisions, les salaires toujours inégaux, les mots destructeurs, …
Dans le cadre de ce combat de toutes les femmes, 64_page vous offre un dessin « dénonciation du viol » de l’illustratrice parisienne Isabelle Forestier (©IsabelleForestier)
https://isabelleforestier.fr/il-ny-a-pas-de-bonne-facon-d…/…
Merci à elle!
Daniel FANO a rejoint sa Lune et ses poètes
Membre de l’équipe de 64_page depuis quasi le premier numéro, Daniel était notre Monsieur Cyclopède : Daniel, c’est plus de 5000 articles sur la littérature jeunesse, la bande dessinée…
Daniel et 64_page
Outre de nombreux articles : Hémoglobines, Le merveilleux à la petite cuillère (sur Will et Wasterlain) ; Clifton de Raymond Macherot, Le geste créateur, écrire et dessiner, Yvan Delporte, Serge Clerc, George Herriman,… Daniel était notre premier lecteur, il se disait modeste « correcteur » mais son regard allait bien plus loin que la coquille ou la faute d’accord. Daniel apportait, à chaque article, son souci d’exactitude, son supplément de poésie, d’humour, de liberté…
J’avais un éternel bonheur de retrouver Daniel au Plattesteen, officiellement pour la relecture des articles de 64_page, mais surtout pour refaire le monde de la littérature belge, et plus si affinité Daniel était une source de savoir, combien d’auteurs n’avait-il pas rencontré comme journaliste ou comme alter ego écrivain.
Daniel va laisser un vide immense dans notre petite équipe. Il y jouait, discrètement, le rôle encyclopédique de celui qui corrigeait une date, un lieu, un mot plus juste, …
Merci Daniel pour cette présence essentielle et ta fabuleuse amitié.
Daniel Fano écrivain
Daniel Fano se disait poète – « chroniqueur »,– belge et inclassable.
Né en 1947, longtemps journaliste (de 1971 à 2007), il a été découvert par Marc Dachy, adoubé par Henri Michaux et Dominique de Roux. Fano désamorce nos idéologies, nos mythes, décape nos idoles à l’humour noir. Fulgurants à l’origine, ses poèmes aux accents yéyé (dans Souvenirs of you, édité au Daily-Bul en 1981, Gainsbourg résonne aux oreilles du personnage de Typhus) s’amplifient avec le temps, deviennent de longues proses, où Fano se fait chroniqueur du cauchemar de l’Histoire, désorchestre la censure manichéiste du moment. (Jean-Édouard Delreux)
Petite bibliographie
- L’année de la dernière chance
- Le privilège du fou
- Sur les ruines de l’Europe
- La vie est un cheval mort
- Westerns
- Privé de parking
- De la marchandise internationale
- Fables et Fantaisies
- Bientôt la convention des cannibales
- (édition Les carnets du Dessert de Lune, sauf Privé de parking chez t-traverse)
Daniel à l’occasion de notre supplément « Le Trombone illustré » nous avait offert une nouvelle « Le piège » courte, illustrée par Patrice Réglat-Vizzavona que nous reprenons ici :
Le Piège
Daniel Fano, illustration Patrice Réglat-Vizzavona
Avec la fatigue, la fumée des cigarettes, peut-être ce verre ou deux dont elle n’avait pas l’habitude, elle s’était sentie un peu nauséeuse. Aux environs de minuit, Lulu était sortie pour vomir. Et Momo était là, dans l’ombre. Il n’attendait rien, personne. Il était là, simplement. Lulu n’y arrivait pas. Il avait voulu lui expliquer qu’il suffisait de mettre les doigts dans la gorge, mais elle lui avait dit d’aller se faire mettre ailleurs avec sa — ce qu’il ne pouvait encaisser, Momo, vu qu’il s’y connaissait en papillons, et pas qu’un peu. Là-dessus, Lulu avait ajouté que ses papillons, elle lui avait dit une chose affreuse, et Momo avait crié que ça suffisait comme ça. Lulu était alors allée se planter au milieu de la route, elle avait répété en gloussant la chose abominable qu’elle ferait. Momo avait sorti son couteau. Le reste, une formalité. Nuque bloquée. Lame enfoncée à la base du cou. Carotides tranchées. Chut. Chut. La blondasse avait réussi à retourner dans le bar, mais sans pouvoir s’empêcher de mourir encore une fois. Oui, bon. Soudain, le toit s’était écroulé sous le poids de milliers, de millions, de milliards de papillons. Les cadavres qu’on avait tirés de là n’étaient pas beaux à voir. La police était arrivée après le départ des papillons. Elle n’avait rien compris non plus à la disparition d’un certain Momo dont il ne restait que les vêtements complets, retrouvés à moins de cent mètres du lieu de la catastrophe.
64_page fête ses 5 ans le 12 septembre au Palace et à la librairie-galerie Brüsel
Deux expos, une Master class et une rencontre-débat
La Master Class #5
Les auteur.e.s de demain
La Cartoons Académie Cécile Bertrand
Thibault GALLET, SylloD, Tim LEWALLE, Jason McLARNIN, Xan HAROTIN, Élodie ADELLE, Lorenzo MARY, PAVÉ, Marion SONET, Olivier LAMBERT, REMEDIUM, Pluie ACIDE, VIKTOR, Benedetta FREZZOTTI, TINA, Quentin HEROGUER, LÉMEUKIBAILE
Mordillo nous a quitté mais il nous a laissé sa poésie
Plutôt que des mots quelques images de ses couples, de ses girafes, de ses éléphants, de ses joueurs de foot et de ses puzzles fous aux milliers de pièces
Xan HAROTIN lauréate du Festival BD de Roubaix !
Ce 19 mai 2019, Xan Harotin a reçu le prix « premier album » du Festival BD de Roubaix (France, Nord) pour l’illustration du livre Le monstre plat paru chez « Les petites bulles éditions ». Elle a été publiée dans les numéros #12 et #13 de 64_page. Toutes nos félicitations pour cette belle continuité!
Patrice RÉGLAT-VIZZAVONA expose les planches originales de son album « Le passager »
Il est là, le 64_page #15 nous arrive tout droit de l’imprimerie:
… Et bientôt dans votre boite aux lettres
La bible des scénaristes rééditée!
La dramaturgie – L’art du récit d’Yves Lavandier est réédité dans une nouvelle version. Amis scénaristes, un seul conseil: procurez-vous vite cette bible et convertissez-vous rapidement. Amen!
Découvrez cet ouvrage dans notre rubrique Albums.
Le cri de Remedium
Le 15 mars 2019, en France, un professeur des écoles s’est suicidé suite à des accusations de violences dont il avait été l’objet. Devant l’envie de la hiérarchie d’étouffer l’affaire, il convient de mettre des mots sur cette histoire afin qu’elle ne tombe pas trop vite dans l’oubli. Beaucoup d’enseignants se sont attelés à cette tâche, relayant les témoignages des collègues de Jean. Voici ma modeste participation à ce mouvement. Parce que, être enseignant en 2019, c’est aussi ça… #Pasdevague
2 PUBLICATIONS !!
64_page est fier de vous présenter les nouveaux albums parus de Patrice Réglat-Vizzavona (64_page #4 et #8) et Mathilde Brosset (64_page #10): le tremplin a marché, ils sont lancés!
Le passager, de Patrice Réglat-Vizzavona
Fatigué de son ancienne vie, poussé par un besoin de solitude, Henri largue les amarres. Après des jours paisibles au large, le bateau aborde une île déserte. Il pense alors avoir atteint son but. Mais rapidement, les choses se gâtent et par chance, il parvient à rejoindre la civilisation. A son retour dans le monde des hommes, quelque chose a changé. Il n’est plus le même. Petit à petit, il réalise… Il n’était pas seul à bord… Il y avait un autre passager.
Un thriller psychologique qui pousse un banal voyage en mer aux limites du fantastique, par un jeune auteur au dessin brillant et réaliste sublimé par un travail d’ambiance mêlant gravure et lavis.
Le Passager ©Patrice Réglat-Vizzavona, éditions Warum – 160 pages – 22€
Me fais pas rire !, de Mathilde Brosset
«- Hey ! T’as vu ? Y a un nouveau ! – Gnark Gnark Gnark. On va rire ! » Scène de moquerie ordinaire : gare à celui qui ne suivra pas la mode… même parmi les armures du musée ! Après avoir pratiqué le détournement de comptine avec Meunier tu dors ! , et lancé l’imagination à l’assaut du plus didactique des genres destinés à la petite enfance, le numéraire, avec Le Bout de la ligne, Mathilde Brosset se moque ici malicieusement des moqueurs. Ses images, toujours joyeuses, accompagnent la surenchère… jusqu’à la chute.
Me fais pas rire! ©Mathilde Brosset – éditions du Poisson Soluble – 52 pages – 15 €
QUAI DES BULLES 2019
CONCOURS JEUNES TALENTS 2019
» L’intelligence artificielle «
Quai des Bulles organise son concours BD avec pour thème : » L’intelligence artificielle « . Cette année, le parrain du concours est Steve Cuzor.
Les auteurs amateurs sont invités à réaliser un projet en une ou deux planches BD (format A3) autour de ce thème. Un jury de professionnels examinera tous les travaux au mois de septembre. Les travaux sont à adresser à l’Association Quai des Bulles, BP 40652, 35406 St Malo cedex, avant le 31 août 2019.
LES PRIX
Le jury du festival décernera (parmi 15 projets sélectionnés) un grand prix et nommera un lauréat dans chaque catégorie :
– Moins de 12 ans
– 12/16 ans
– Plus de 16 ans
Le Grand Prix Jeune Talent 2019 remportera :
– Une bourse de 500 euros pour la création du visuel du concours Jeunes Talents 2020
– 300 euros de matériel d’artiste
Le Prix Jeune Espoir (moins de 12 ans) remportera :
– 100 euros de matériel d’artiste
Le Prix Jeune Espoir (entre 12 et 16 ans) remportera :
– Un stage BD offert par Quimperlé Communauté, encadré par les professionnels « Les Bédéastes Imageurs » à Quimperlé (29), nourri logé pendant 5 jours en juillet 2020
– 100 euros de matériel d’artiste
Le Prix Encouragement (plus de 16 ans) recevra :
– 100 euros de matériel d’artiste
Toutes les modalités de participation sont disponibles sur www.quaidesbulles.com . Le flyers a été réalisé par Quentin Heroguer, lauréat 2018.
Le dessin de la Saint Valentin de la Cartoons Académie Cécile Bertrand : Quentin HEROGUER
Tomi Ungerer nous a quittés
Pour traverser nos vies, il nous a offert de belles histoires, de beaux dessins et de magnifiques albums.
En hommage, nous republions l’article que Remedium lui avait consacré au printemps 2017 dans 64_page #11.
Et nous vous proposons de découvrir un autre regard sur Tomi UNGERER en suivant le lien vers le blog de Lucie Cauwe, journaliste littéraire https://lu-cieandco.blogspot.com/2019/02/adieu-tomi-ungerer-sacre-vieux-brigand.html
TOMI UNGERER,
LA SOLITUDE ET LA SUBVERSION
Remedium
Tout commence par une découverte fortuite. Comme tous, j’avais dans la tête des fragments de lectures remontant à ma prime enfance, des parcelles d’histoires éparses qui avaient marqué au fer rouge ma mémoire encore fragile. Jeune adulte, j’ignorais qui avait pu ainsi imprimer dans mon esprit des images si fortes qu’elles faisaient partie de mon expérience de vie. Jusqu’à ce que je devienne enseignant et que, à la recherche de livres pour mes élèves, les rayons des bibliothèques jeunesse ne viennent rassembler les pièces d’un puzzle si longtemps déconstruit.
Je redécouvris ainsi des récits marquants, ceux d’Arnold Lobel ou de Maurice Sendak. Mais un seul auteur avait réussi le tour de force de laisser son empreinte dans mon esprit à chacun de ses livres : Tomi Ungerer. Et, chose étonnante, je n’étais pas le seul, loin de là, à garder les mêmes souvenirs prégnants de l’auteur alsacien. Qu’est-ce qui pouvait à ce point marquer les enfants dans son œuvre ?
Quand Tomi Ungerer se lance dans les récits pour la jeunesse, il le fait avec sérieux et fougue. Alors que beaucoup d’auteurs réservent leurs efforts à des créations qu’ils estiment plus nobles (longtemps Hergé lui-même valorisa davantage ses travaux publicitaires que ses bandes dessinées), Ungerer déploie la même énergie quelque soit son public. Pas question pour lui de prendre les enfants pour de « petits imbéciles » ou de tomber dans ce déni de réalité conduisant nombre d’auteurs à pondre des récits angéliques. Chez Ungerer, le monde est dangereux, injuste, sale. En un mot, il est vrai.
Dans son œuvre-phare, Les Trois Brigands, publiée en 1963, l’auteur fait ainsi d’une inquiétante trinité les héros d’une histoire sombre, seulement éclairée par la lune, l’or dérobé et… Tiffany, une orpheline les émouvant tant qu’elle change leur destin. Grâce à elle, les sinistres voleurs deviennent des mécènes, accueillant les enfants abandonnés de la région dans un vaste château. Ceux-ci, tous vêtus de rouge, rappellent l’hôpital des Enfants-Rouges, ouvert au cœur de Paris en 1535 pour recevoir les orphelins.
Ce thème du deuil et de la séparation est une constante chez Ungerer. Il faut dire que l’auteur est un enfant de la guerre et du malheur. Né en 1931, à Strasbourg, il devient orphelin de père à trois ans. Dans Le Géant de Zéralda, publié en 1970, il évoque subtilement, au détour d’une image, le décès de la mère de l’héroïne, qui s’occupe en outre de son père souffrant. En 1974, Ungerer revisite dans un album un conte d’Andersen et L’Historiette d’Ambrose Bierce en racontant l’histoire d’Allumette qui « n’avait ni parents, ni maison » et « cherchait sa nourriture dans les poubelles ».
Mais la vie peut être tout aussi rude pour les enfants qui vivent avec leurs deux parents : les tensions intrafamiliales trouvent une place de choix chez Ungerer, qui décrit par exemple les rebellions infantiles d’un voyou en culottes courtes dans Pas de baiser pour Maman. Dans ce roman illustré, datant de 1973, Jo, un chaton rétif aux câlins et à la propreté, fait tout pour s’affranchir des règles, au risque d’être corrigé par son père. Et c’est sans doute là l’un des coups de génie d’Ungerer : non content de montrer des méchants devenant bons, il représente aussi l’enfant dans toute sa vérité. Jo est un petit caïd, irrespectueux et bagarreur, dont les errements le conduisent même à être sérieusement blessé.
Pour ces raisons, le livre est blâmé à sa sortie par certains parents… mais plébiscité par les enfants qui y trouvent un personnage qui leur correspond, imparfait et contradictoire. Loin de héros mièvres à la moralité exemplaire qui les complexeraient presque, les personnages d’Ungerer leur ressemblent. Ce sont de vrais enfants, avec leurs qualités et leurs tares, mais aussi leur mal-être et leurs questionnements sur le monde.
Si Ungerer est tellement en phase avec son lectorat, ce n’est pas un hasard. Après l’annexion de l’Alsace par les Nazis, le jeune garçon doit comme ses camarades apprendre que ses « ancêtres étaient les Germains » et que « Léonard de Vinci était d’origine allemande ». Il se voit obligé de parler allemand et observe de son œil innocent les affres de la collaboration, avant que la Libération ne vienne mettre un terme à la mascarade. Mais une obligation chasse l’autre : s’il peut de nouveau parler français, l’alsacien, patois auquel il est attaché, lui reste interdit dans une école où il est brimé par certains professeurs. De là lui vient cette irrépressible envie de renvoyer dos à dos tous les dogmes et toutes les atrocités, qu’ils soient étatiques ou qu’ils émanent d’un quelconque troufion se sentant galvanisé par l’infime portion de pouvoir qui lui a été confiée.
Se plonger dans l’œuvre d’Ungerer, c’est ressentir le malaise d’être rejeté, en décalage dans un monde qu’on a du mal à saisir et qui ne nous comprend pas. Dans Jean de la Lune, Ungerer raconte l’histoire du seul habitant du satellite de la Terre, dont le rêve est de pouvoir « rien qu’une fois, [s’]amuser avec » les Terriens. Mais son voyage n’est qu’une suite de déconvenues : rejeté tant par les représentants du pouvoir que par le peuple, il ne trouve un peu de bonheur que « parmi les fleurs et les oiseaux ». Jean, n’ayant « pas été, en somme, bien reçu par les hommes de la Terre », regagne bien vite la Lune.
Comme Jo ou Allumette, Jean est un inadapté ; il n’est pas à sa place dans un monde qui, sous son vernis de valeurs bourgeoises, se construit sur le rejet de la différence. Idem pour le chien Flix, héros du récit éponyme de 1997, fils d’un couple de chats, « monstruosité génétique », isolé et moqué par les autres félins. Dans cette histoire, les chats vivent avec les chats et les chiens avec les chiens dans deux villes distinctes et tout le monde s’en contente. Il faudra que Flix accomplisse le double exploit de sauver de la noyade un chat et de l’incendie une chienne pour être accepté et que son aura nouvelle lui permette de réunir les deux villes. Des conditions désespérantes, qui expliquent que, dans d’autres projets, Ungerer invite les enfants à assumer leur différence. Ainsi, le Nuage bleu, du livre éponyme, ne « suit jamais les troupeaux de nuages », allant « au gré de ses envies ». Il faut dire que l’ado qu’était Tomi était lui-même vu par son proviseur comme un « élève d’une originalité voulue perverse et subversive ».
Cette porte ouverte par Ungerer a quelque chose de rassurant pour le lecteur, tant le monde qu’il expose à sa vue est malsain et tristement réel. Dans Le Géant de Zéralda, Ungerer illustre le concept ancestral de l’ogre, d’ordinaire abstrait : dès la première case, celui-ci est représenté avec un schlass sanguinolent devant une cage d’où dépassent deux petites mains. Dans la double-page suivante, pendant que des enfants se terrent dans des caves, le géant vient de vider un berceau de son bébé pour l’ajouter à son sac déjà bien rempli. Ces enfants-là ne s’en sortiront pas et, sans vraiment qu’ils ne se posent la question, les lecteurs le ressentent.
Dans ce monde contaminé par la haine de l’autre, le Nuage bleu découvre une ville en proie aux flammes suite à une guerre raciale, tandis qu’Allumette apporte son aide « partout où la famine, l’incendie, l’inondation, la guerre se déclar[ent] ». Dans Otto, en 1999, Ungerer évoque tout à la fois la Seconde Guerre mondiale, des horreurs du front aux camps de concentration, et les ravages de la pauvreté aux États-Unis, par le biais d’un ours en peluche.
Cette misère est mondiale et Tomi Ungerer la montre crument. Quand la mère de Jo, pour le faire culpabiliser, parle de « tous les petits chats mourant de faim dans ce monde », une image vient confirmer qu’il ne s’agit pas d’une légende. Et quand Allumette obtient de la nourriture qu’elle peut distribuer, « tous les mutilés, les estropiés, ceux qui avaient faim et froid, jeunes et vieux, les sans-travail, les sans-joie, les malades, les aveugles et les faibles d’esprit » envahissent les pages du livre.
Dans ce chaos, les petits bourgeois ressemblent à des moutons lobotomisés. Représentés avec leur parapluie planté au milieu du crâne dans Le Nuage bleu, ces gens insensibles ont l’indignation sélective : quand la mère de Jo pense aux petits chats, elle oublie toutes les souris transformées en pâté par son mari et elle. Et le père de Flix, qui réclame la tolérance pour son fils, écrase sans pitié des rats sous les pneus de son bolide.
Les riches sont les pires : agrippés à leurs privilèges, ils s’offusquent de la « conduite scandaleuse de gens qui oublient où est leur place ». On comprend que de jeunes lecteurs ayant du mal à mettre des mots sur les difficultés financières de leurs parents se retrouvent chez l’auteur alsacien.
Face à ce monde inique, peu de solutions existent. Le nuage bleu, qui se sacrifie en se laissant pleuvoir jusqu’à la dernière goutte sur la ville en flammes, réussit à rétablir la paix car tous les habitants deviennent uniformément bleus, n’ayant plus aucune raison de se faire la guerre. De la même manière, Jean de la Lune n’est accepté par les humains que lors du bal masqué où on le croit déguisé comme les autres. Allumette, elle, s’en remet à la prière pour résoudre ses problèmes.
La fraternité pourrait arranger les choses mais, chez Ungerer, cette valeur n’appartient qu’aux pauvres. David et Oskar, les personnages d’Otto, subissent des épreuves différentes (les camps pour David, la perte d’un père sur le front pour Oskar), mais leur douleur est commune : ils sont irrémédiablement liés par le malheur et se sentent en marge. Comme Tiffany et les brigands, ou Allumette et les quelques personnes qui l’aident. Il est d’ailleurs troublant de constater que les riches et les élites qui finissent par aider Allumette ne le font que parce qu’ils s’y « sentent poussés » ou « afin de sauver [leur] popularité », mais que personne n’est dupe de leur manège. Jean, lui, est aidé par un savant solitaire à retourner sur la Lune. Celui-ci, comme Allumette, acquerra la célébrité grâce à sa bonne action car, chez Ungerer, la fraternité paye.
Au final, ces personnages qui se sentent aussi différents que leurs lecteurs n’ont comme Jean qu’un moyen pour être heureux : s’isoler, à l’image des orphelins qui se réunissent dans une ville autour de laquelle ils bâtissent une muraille dans Les Trois Brigands. De même, David, Oskar et Otto vieillissent ensemble loin des autres, unis jusqu’au bout.
Ces fins d’histoires, empreintes de mélancolie, témoignent d’une autre caractéristique des récits d’Ungerer : chez lui, pas de happy end, juste un retour à la normalité, une acceptation de sa différence. On n’y éradique pas le mal, on apprend à vivre avec. Mais l’équilibre est fragile et rien ne laisse présager que la paix continuera de régner une fois le livre refermé. « On peut donc penser que leur vie fut heureuse jusqu’au bout », conclue Ungerer dans Le Géant de Zéralda, en montrant l’un des fils de l’héroïne des couverts à la main face au dernier né de la famille… et avant de montrer le buste de Zéralda momifié dans Guillaume l’apprenti sorcier.
Tous ces ingrédients, d’une maturité rare dans les livres pour la jeunesse, expliquent sans doute le succès de Tomi Ungerer chez des enfants dont il a su comprendre les craintes et les questionnements et, surtout, la trace indélébile qu’il laisse dans leur esprit, entre besoin de solitude et désir de subversion.
Antonio ALTARRIBA et KEKO,
prix TOURNESOL Planète BD au Festival d’Angoulême 2019 pour
Moi, fou
Invité par 64_page, Antonio Altarriba sera à Bruxelles les 13 et 14 février. En visite privée au Centre Belge de la Bande Dessinée, mais aussi en dédicaces de 14 à 16h30 à la librairie BRÜSEL, 100 Bd Anspach 1000 Bruxelles et à partir de 17h à la Master class de 64_page en compagnie du jeune auteur Patrice RÉGLAT-VIZZAVONA – Académie des Beaux-arts de Bruxelles, 144 rue du Midi.
Le jeudi 14, Antonio Altarriba sera sur la Foire du Livre de Bruxelles (à Tour et Taxis) et plus particulièrement en dédicaces sur le stand 241 de 180° Éditions (éditeur de 64_page).
Dédicaces de 14h30 à 17h – Antonio ALTARRIBA en compagnie de la cartooniste Cécile BERTRAND et de l’illustratrice pour enfants Mathilde BROSSET.
NOUVEAU POINT DE VENTE!
Exclusif à Namur
Depuis ce 2 janvier 2019, 64_page
est en dépôt à la jolie librairie Papyrus
16, rue Bas de la Place à NAMUR.
Dépôt exclusif pour Namur et sa région.Les namurois, aussi, peuvent découvrir dès aujourd’hui les grand.e.s auteur.e.s de demain dans 64_pageBruxelles: Cinéma NOVA, MicrobouBtiek,
3 rue d’Arenberg, 1000 Bruxelles
Microboutiek ouverte les jours de séances, information sur https://www.nova-cinema.org/
https://microboutiek.nova-cinéma.org
Bruxelles:
Librairie Candide,
2 Place Brugmann, 1050 Ixelles
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